Ce livre qui était le sien

Raymond Carver, mort à 50 ans en 1988,a eu une vie mouvementée faite de "journées interminablement pleines et interminablement vides" où la résignation l'a vite emporté sur la colère, une vie d'échecs, de désespoirs souvent, de bonheurs illusoires parfois, une vie abimée par l'alcool mais sauvée par l'écriture. Son traducteur, Jean-Pierre Carusso, le qualifie de "prolo américain" et c'est ce monde amoché qu'il raconte dans ses nouvelles et poèmes. Il ne s'est jamais senti la force nécessaire pour écrire un roman.

Ce recueil de nouvelles montre le talent de Carver qui sait avec une économie de moyens et un style "efficace" nous raconter un bout de vie, un moment où tout peut basculer, une tragédie de tous les jours. Il y a toujours chez lui une tension qui est d'autant plus extrême qu'elle implose le plus souvent et explose parfois dans une situation faite de résignation: "je me suis rendu compte que ma vie ne ressemblait pas, il s'en fallait de beaucoup, à la vie que je m'étais imaginée. Comme les autres j'avais des projets." A tout cela s'ajoute une grâce pudique pour ne pas briser ce qu'on peut encore raccommoder même si "les gens ont cessé de s'en faire pour ce qui arrive à autrui". Des nouvelles écrites avec beaucoup de sensibilité et qu'on lit avec grand bonheur.

Ce bonheur a failli ne jamais exister car pendant près de trente ans ce livre a été publié dans une version qui n'était pas celle voulue par Carver. Son éditeur, Gordon Lish, sorte d'anorexique littéraire, a en effet élagué, "charcuté" dira Philip Roth, un texte qui n'était pas le sien mais dont il voulait faire sa chose. Carver qui ne se reconnaissait pas dans ce bouleversement n'a pu convaincre Lish lequel, fort de son contrat trop hâtivement signé par l'écrivain, publia le livre en lui donnant un autre titre "Parlez-moi d'amour" au lieu de "Débutants". Il a fallu la pugnacité de sa femme et de quelques amis dont Richard Ford pour que l'original soit enfin publié.

Même si certains pourront préférer le texte tripatouillé, il était important, ne serait-ce qu'au nom de la liberté de l'écrivain, que le mal soit réparé.
Et ce d'autant plus que ces nouvelles ne sont plus celles d'un auteur prisonnier de son éditeur mais celles d'un grand écrivain enfin libre, hélas trop tard.

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  Débutants [Texte imprimé] Raymond Carver traduits de l'anglais (États-Unis) par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso texte original établi par William L. Stull et Maureen P. Carroll

  de Carver, Raymond Stull, William L. (Editeur scientifique) Carroll, Maureen Patricia (Editeur scientifique) Huet, Jacqueline (Traducteur) Carasso, Jean-Pierre (Traducteur)
  Editions de l'Olivier
  ISBN : 9782879296593 ; 22,30 € ; 02/09/2010 ; 332 p. ; Broché

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