Oeuvres complètes : tome 7 : Les feux de Raymond Carver

Oeuvres complètes : tome 7 : Les feux de Raymond Carver
(Fires)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Jlc, le 7 août 2012 (Inscrit le 6 décembre 2004, 81 ans)
La note : 10 étoiles
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Auto-portait littéraire

C’est ainsi que le traducteur François Lasquin qualifie ce septième volume des Œuvres Complètes de Raymond Carver. C’est en effet le plus varié, le plus personnel et peut-être le plus beau, celui où l’homme se dévoile un peu, lui si pudique.

« Feux » se compose d’essais, de poèmes et de quelques nouvelles.
Les essais s’ouvrent sur une splendide « Vie de mon père ». Carver aurait pu en faire une nouvelle mais la fiction ne convient pas ici tant ce texte qui commence à la mort de son père est écrit à fleur de cœur, sans la distance que l’auteur met généralement entre lui et son travail d’écrivain. Ces quelques pages sont émouvantes et disent la fragilité de la famille, cette volonté de toujours vouloir tenter sa chance ailleurs, l’éloignement qui n’altère jamais l’amour qu’il porte à ce père dont il a le prénom. Un poème dit la gratitude et la détresse, un poème dont le premier mot est Octobre alors que son père est mort en juin. C’est la seule inexactitude mais pour Carver octobre est le mois où la lumière décline quand juin « n’est pas un mois pour perdre son père ». Le fils reste un poète. « Ce dont je me souviens, c’est d’avoir entendu prononcer plusieurs fois, durant cet après midi, le prénom de mon père. Ce prénom est aussi le mien, mais je savais que c’était de mon père qu’on parlait. Raymond, répétaient ces gens avec leurs voix merveilleuses surgies de mon enfance. Raymond. » Bouleversant. Les larmes lui montent aux yeux. A nous aussi.

Les textes suivants concernent l’écriture, son métier et sa morale. Ils devraient être lus et médités par tous les écrivains en herbe. Il refuse le style tarabiscoté au profit de la simplicité et de l’exigence. « Les écrivains n’ont pas besoin d’artifices et de procédés. Ecrire c’est donner le meilleur de nous mêmes à ce que nous écrivons ».
« Feux » est un texte inhabituel qui mélange des genres, la leçon d’écriture, les influences des écrivains qu’il admire, les intrusions de la vie des autres. « Elever ses enfants vous prive du temps et de l’énergie pour seulement penser à écrire des textes un peu longs. » Il évoque aussi sa dette envers son professeur d’écriture, John Gardner, pour qui la réussite d’une nouvelle était toujours compromise par un langage trop imprécis, que ce soit « par négligence, maladresse ou excès de pathos ». Les artifices ne conduisent qu’à l’insincérité. Il cite ce mot magnifique de Maupassant « Aucun fer ne peut transpercer et glacer le cœur humain avec autant de force qu’un point placé au bon endroit ».

Traduire des poèmes doit être un exercice très difficile tant il faut tout à la fois respecter le sens du texte mais aussi en restituer le rythme, l’ampleur ou le murmure. Les titres sont très souvent très réalistes voire triviaux, « Boire en voiture », « Faillite », « Le boulanger », « Demandeur d’emploi ». Ils illustrent la vie des gens simples dont Carver se sentait proche, ceux qui, dans les années 80, espéraient obtenir enfin leur part du rêve américain et n’eurent, dans les années 2000, que la précarité, les subprimes, l’expulsion et un nouveau départ vers l’ailleurs, « à la poursuite du vent » pour une meilleure chance. Et nous en revenons au thème de « La vie de mon père ».
D’autres ont des titres plus proches de la poésie classique, « Eté dans l’Iowa », « Matin, idées d’empire », « Les galets bleus » en hommage à Flaubert, « Pluie soudaine », « Insomnie d’hiver ». Tous sont d’une lecture très simple, facile mais le choix des mots a certainement été très travaillé. On sait que Carver réécrivait ses textes autant qu’il le jugeait nécessaire pour parvenir à cette simplicité apparente, quand chaque mot est à sa place.

Quatre nouvelles complètent ce livre qu’on lit peut-être un peu autrement, plus attentifs à la façon dont Raymond Carver applique les préceptes qu’il a développés dans les premières parties. Avec toujours ce sentiment de malaise, ces non dits, cette économie de moyens et cette émotion qui nous bouleverse.

Un ouvrage magnifique, difficile à critiquer tant le lecteur qui essaie d’exprimer ses sentiments se sent humble devant une telle leçon de littérature.

C’est bien sûr à Raymond Carver qu’on laissera les derniers mots, superbes :
« Après tout, nous n’avons rien d’autre que les mots et il vaut mieux qu’ils soient aussi justes que possibles »
« La littérature est là pour le plaisir intense que nous prenons à la faire ».

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