Myrco

avatar 21/12/2021 @ 19:33:14
LE BOSQUET DU DESIR

Avec le chapitre précédent s'est refermée l'époque des expéditions caravanières à l'intérieur du pays. On ne se fait pas trop de souci pour les problèmes financiers d'Aziz qui pourra sans doute récupérer de l'argent auprès de ses débiteurs et rembourser ses créanciers en écoulant des marchandises stockées ailleurs (par exemple les cornes de rhinocéros entreposées chez Hamid).

Il fallait bien que Gurnah reprenne le fil de l'intrigue initiée autour de Yusuf pour terminer le roman et donc ce chapitre va se focaliser sur ce dernier et renouer avec le roman d'apprentissage. Yusuf n'est plus le garçon naïf qui croyait aux hommes-loups; il est désormais un homme bon pour le mariage mais qui prend conscience de la nécessité d'échapper à sa servitude.
Ce chapitre est pour moi un chapitre de transition dont l'intérêt majeur semble être d'introduire le chapitre final. Il lève le voile sur le mystère autour de la maîtresse, et sort de l'ombre le personnage d'Amina dont la fonction essentielle est celle de légitimer les fréquentes visites de Yusuf à la précédente..

LE CAILLOT DE SANG

Plus que jamais Gurnah emprunte ici à l'histoire du prophète Joseph racontée dans une sourate du Coran dont il a transposé certains éléments pour créer le personnage de Yusuf ( le prénom Yusuf étant une déclinaison arabe de Joseph). Dans le Coran , Joseph est donné comme extrêmement beau et dépositaire de dons de Dieu; il est vendu comme esclave à un certain Aziz, premier ministre du pharaon qui le traite avec bienveillance. Devenu homme il est l'objet du désir de la femme d'Aziz qui se retourne contre lui lorsqu'il la rejette: voir la scène de la chemise déchirée reprise ici.
J'avoue que cette option m'a laissée assez dubitative; je l'ai trouvée plutôt artificielle et ne vois pas trop ce qu'elle apporte au roman si ce n'est de faire du personnage une figure un peu désincarnée qui ne m'a pas permis de m'y attacher vraiment.

Par ailleurs, il me semble que dans cette fin on bascule totalement du thème de la fin d'une époque sur ceux de la liberté ou plutôt du piège de la servitude et de la souffrance de l'exil.
Le vieux jardinier aura refusé la liberté accordée arguant du fait que la liberté n'est pas celle que l'on prétend vous donner mais celle que l'on parvient à construire à l'intérieur de soi ( cela me fait penser à un passage des "Racines du ciel" de Romain Gary). Sans doute ne pouvait-il s'avouer qu'il était devenu incapable de l'assumer.
Khalil et Amina, résignés, par peur ou inertie rejetteront la perspective de fuite que propose Yusuf, le premier masquant ses véritables raisons derrière le souci de ne pas abandonner sa "soeur".
Quant à Yusuf , son élan vers la liberté s'accompagne d'une prise de conscience d'une souffrance irréversible.:page 269 " Mais il savait que le sentiment de solitude qui lui serrait le coeur depuis son enfance exilée ne le quitterait jamais" et plus loin" il comprenait que le petit monde qu'il connaissait était le seul qui fut à sa portée".
La toute fin qui nous prend de court par son caractère abrupt est d'une tristesse glaçante. Voulant échapper à sa servitude, Yusuf part s'enrôler volontairement dans les troupes indigènes levées par le colonisateur pour servir de chair à canon dans une guerre qui ne le concerne pas. Le pire est que ce n'est pas vraiment un coup de tête dans la mesure où il a pris conscience de son avilissement ultime "Et maintenant devant le spectacle avilissant de ces chiens (qui mangent les excréments des soldats) il comprit ce qui l'attendait"'...ou comment on n'échappe pas à la servitude ?

Myrco

avatar 21/12/2021 @ 19:35:01
Je reviendrai demain pour réagir à vos derniers commentaires. Bonne soirée !

Pieronnelle

avatar 21/12/2021 @ 19:49:11
Desolee je dois faire une pause pour commenter ma lecture du 4eme chapitre,je suis sur la route...

Saint Jean-Baptiste 22/12/2021 @ 11:16:25
Le dernier chapitre est sans surprise, si ce n’est l’arrivée brutale et inattendue des soldats allemands – qui, entre parenthèses, n’étaient pas des colonisateurs. Les Allemands ne se sont jamais abaissés à des « missions civilisatrices » dans ces pays de sauvages.
Dans les années 1880 Bismarck avait dit : dans nos domaines africains le marchand doit précéder le soldat. Dans notre livre, nos voyons déjà les soldats, alors qu’on n’a pas encore vu les marchands. On a seulement vu des marchands arabes.

Mais c’est sans importance ; je pense que l’auteur veut indiquer clairement que nous vivons le point final d’une époque à jamais révolue dans le sud-est africain.

Saint Jean-Baptiste 22/12/2021 @ 11:43:18
Je reviendrai demain pour réagir à vos derniers commentaires.
Je lis maintenant ton commentaire, Myrco, et je suis soufflé par ce que tu nous fais découvrir. Cette référence au Coran m’avait complètement échappé. Le personnage de Ysuf prend une dimension qui m’était passé par dessus la tête ; et ces réflexions sur la liberté et la servitude aussi.

J’avais l’impression que l’auteur n’avait pas la prétention de faire passer un message. j’ai pensé qu’il voulait, à la manière d’un conte, raconter une tranche de vie comme elle aurait pu se passer en réalité, avec des personnages et de populations qui pourraient avoir existé dans un temps et dans un lieu bien définis. Tes réflexions me font penser que ce livre va plus loin.

Mais, pour moi, l’histoire racontée dans le livre suffisait déjà pour en faire un beau livre intéressant. Il n’existe pratiquement pas de livres qui racontent la vie en Afrique avant les colonies. Et ici, on n’est pas vraiment dans l’Afrique « d’avant ». On est dans un moment bien limité d’une fin d’époque.

Mais, à mon avis, si l’auteur a voulu faire passer un message, il ne l’a pas bien développé.


Saint Jean-Baptiste 22/12/2021 @ 11:45:18

Mais, à mon avis, si l’auteur a voulu faire passer un message, il ne l’a pas bien développé.
... ou, alors, c'est moi qui suis "bouché". ;-))

SpaceCadet
avatar 22/12/2021 @ 12:31:36
Je cite Myrco:

'Ce chapitre (5e chapitre) est pour moi un chapitre de transition dont l'intérêt majeur semble être d'introduire le chapitre final. Il lève le voile sur le mystère autour de la maîtresse, et sort de l'ombre le personnage d'Amina dont la fonction essentielle est celle de légitimer les fréquentes visites de Yusuf à la précédente'.

D'accord pour le rôle de transition de ce chapitre, mais je trouve qu'à travers l'histoire de la maîtresse on apprend comment les affaires d'Aziz qui, avant ce mariage étaient plus modestes, ont pu prendre plus d'importance. Puis à travers le personnage d'Amina qui est ici introduit, avec l'histoire de Yusuf et celle de Khalil, l'auteur met en relief le sort réservé aux enfants 'abandonnés' ou 'vendus' ou 'enlevés', etc. Du reste il le fait en établissant une sorte de parallèle avec le sort de Mzee. Bref,de mon point de vue, le sort de ces gens 'enlevés/extirpés de leur milieu' pour être 'vendus' constitue un des thèmes explorés dans ce récit (quoique cela soit fait avec peu d'emphase). Un thème qui débouche forcément sur celui de la liberté.

Ton analyse (Myrco) sur la base du Coran m'a soufflé. C'est très plausible et ça replace le roman dans un cadre précis. Un procédé qui ne manque pas d'intérêt mais en même temps, cet angle-là et l'éclairage qu'il apporte risque d'échapper à plus d'un lecteur (dont je suis) ce qui a sans doute pour conséquence, comme le souligne Saint Jean-Baptiste et comme l'a également relevé Koudoux, de nous laisser dans le vague par rapport au sens du roman et/ou à celui de la conclusion.

SpaceCadet
avatar 22/12/2021 @ 13:00:26
Je cite Saint Jean-Baptiste:



J’avais l’impression que l’auteur n’avait pas la prétention de faire passer un message. j’ai pensé qu’il voulait, à la manière d’un conte, raconter une tranche de vie comme elle aurait pu se passer en réalité, avec des personnages et de populations qui pourraient avoir existé dans un temps et dans un lieu bien définis. Tes réflexions me font penser que ce livre va plus loin.



Pourrait-t-on dire qu'il s'agirait d'un 'conte coranique'?

Myrco

avatar 22/12/2021 @ 16:44:29
Rassurez-vous, sans une note en bas de page de mon édition en français je serais aussi totalement passée à côté de cette référence au Coran. Elle renvoyait à la douzième sourate et cela a piqué ma curiosité pour aller y voir de plus près.
Je cite Saint Jean-Baptiste:
J’avais l’impression que l’auteur n’avait pas la prétention de faire passer un message. j’ai pensé qu’il voulait, à la manière d’un conte, raconter une tranche de vie comme elle aurait pu se passer en réalité, avec des personnages et de populations qui pourraient avoir existé dans un temps et dans un lieu bien définis. Tes réflexions me font penser que ce livre va plus loin.

Pourrait-t-on dire qu'il s'agirait d'un 'conte coranique'?

Conte coranique je ne dirais pas ça. Mais il y a dans ce livre un mélange de genres qui me laisse assez perplexe comme si l'auteur n'avait jamais réussi à opter entre le roman d'apprentissage, le récit d'aventures et de voyage, l'évocation d'une époque disparue qui correspond à un moment clé de l'histoire du Tanganyika, le réalisme, l'appel à la légende qu'elle puise sa source dans le texte sacré de l'islam ou les contes orientaux...Vous me direz que ce caractère multiforme peut constituer une option mais j'avoue que cet aspect n'a pas vraiment entraîné mon adhésion. Peut-être n'ai-je pas compris l'intention de l'auteur qui présidait à cela.

Myrco

avatar 22/12/2021 @ 17:16:30
LE BOSQUET DU DESIR
l y a tout un passage sur la fin de ce chapitre qui a suscité chez moi une indubitable sensation de ‘déjà lu’. Tant et si bien que ça m’a distrait dans ma lecture. Je ne me rappelle pas où j’ai bien pu lire ce passage, mais chose certaine, je n’ai jamais lu ce livre, donc j’ai dû en lire un extrait quelque part.


Ce ne serait pas très étonnant au vu de la multiplicité des sources à laquelle Gurnah a fait appel.

https://journals.openeditions.org/trans/5446

Myrco

avatar 22/12/2021 @ 17:22:16

SpaceCadet
avatar 22/12/2021 @ 17:24:39


Ce ne serait pas très étonnant au vu de la multiplicité des sources à laquelle Gurnah a fait appel.

https://journals.openeditions.org/trans/5446


Le lien ne fonctionne pas de mon côté.

SpaceCadet
avatar 22/12/2021 @ 17:26:12

Myrco

avatar 22/12/2021 @ 17:48:10
@Space Cadet

Pour en finir avec cette histoire d'itinéraire, je dois dire que ton hypothèse me paraît bien tenir la route.
C'est le détail des falaises rouges qui m'avait orientée vers l'autre lac , le seul qui était décrit sur internet avec cette caractéristique. Il existe bien des falaises au bord du lac Tanganyika mis j'ai lu qu'il s'agissait de falaises calcaires donc blanches???
On a peut-être tort de vouloir faire coIncider une fiction avec la vérité du terrain. Je me suis demandé si Gurnah n'avait pas pu transposer cette caractéristique au lac Tanganyika à des fins littéraires pour mieux faire vivre cette image des portes de flammes.
D'autres points me troublent néanmoins. La traversée du lac situerait le village de Chatu au Congo..Son contournement par le sud les ferait traverser la Zambie. Aucune mention à ce sujet mais pourquoi pas ? a
cette époque les frontières devaient être virtuelles.
Je veux bien qu'au retour ils n'aient pas voulu retraverser le lac afin de ne pas payer un nouveau tribut au vu de leur situation, mais près de 700 km à rajouter à pied (la longueur du lac et vu que Kigoma est au nord)ça fait beaucoup mais je pense que tu as raison.quand même.
Par contre le Kigongo près de Mwanza au bord du lac Victoria n'est pas crédible mais j'en ai trouvé un autre dans la région de Dar es Salam.

Bref, on dira que Gurnah nous a bien baladés dans tous les sens du terme !!!;-))

Septularisen
avatar 22/12/2021 @ 22:39:34
Très en retard sur la lecture, - la faute a quelques ennuis de santé et a un surcroît de travail de fin d'année, qui m'ont retardé -, je viens seulement de finir le troisième chapitre du livre.

Je n'ai pas grand chose à ajouter aux commentaires éclairés déjà faits, et je rajouterais sans doute un commentaire plus pertinent la semaine prochaine quand j'aurais fini le livre, grâce a quelques jours de congé...

Pour l'instant je dois dire que ce qui m'a interpellé le plus, est la ressemblance "frappante" entre l'écriture de M. GURNAH et les autres écrivains africains actuels qu'il m'a été donné de lire et qui sont comme lui Prix Nobel de Littérature, p. ex. Mme. Nadine GORDIMER, ou M.Wole SOYINKA... ou qui ont déjà été cités comme des lauréats potentiels au Nobel de Littérature, et dont les noms reviennent régulièrement chaque année du côté de Stockholm, comme p. ex. le Kényan N'gugi Wa THIONG'O ou bien encore le somalien Nurrudin FARAH...

Le style d'écriture est vraiment d'une ressemblance étonnante, à tel point que je me demande si j'arriverais à les distinguer si je devais les lire à l'aveugle? Cela dit comme tous ces livres sont traduits de l'anglais, c'est peut-être la traduction qui provoque ce "lissage" et cette ressemblance?

Je pourrais sans doute vous en dire plus une fois que j'aurais fini de lire le livre...

SpaceCadet
avatar 23/12/2021 @ 13:25:15
@Space Cadet

Pour en finir avec cette histoire d'itinéraire, je dois dire que ton hypothèse me paraît bien tenir la route.
C'est le détail des falaises rouges qui m'avait orientée vers l'autre lac , le seul qui était décrit sur internet avec cette caractéristique. Il existe bien des falaises au bord du lac Tanganyika mis j'ai lu qu'il s'agissait de falaises calcaires donc blanches???
On a peut-être tort de vouloir faire coIncider une fiction avec la vérité du terrain. Je me suis demandé si Gurnah n'avait pas pu transposer cette caractéristique au lac Tanganyika à des fins littéraires pour mieux faire vivre cette image des portes de flammes.


Que l'auteur ait fait quelques aménagements n'ait pas impossible. J'avoue que je ne me suis pas attardé à ces falaises.



D'autres points me troublent néanmoins. La traversée du lac situerait le village de Chatu au Congo..Son contournement par le sud les ferait traverser la Zambie. Aucune mention à ce sujet mais pourquoi pas ? a
cette époque les frontières devaient être virtuelles.


Tout à fait d'accord. La notion de frontière devait alors être différente de ce que nous entendons aujourd'hui.



Je veux bien qu'au retour ils n'aient pas voulu retraverser le lac afin de ne pas payer un nouveau tribut au vu de leur situation, mais près de 700 km à rajouter à pied (la longueur du lac et vu que Kigoma est au nord)ça fait beaucoup mais je pense que tu as raison.quand même.
Par contre le Kigongo près de Mwanza au bord du lac Victoria n'est pas crédible mais j'en ai trouvé un autre dans la région de Dar es Salam.

Bref, on dira que Gurnah nous a bien baladés dans tous les sens du terme !!!;-))


Après relecture, je note qu'en fait la raison du changement d'itinéraire pour le chemin du retour est donnée au début de la 8e partie de ce même chapitre: 'The merchant said that the only way to break even on the journey, let alone make any profit, was to travel a differt route through more populated areas.'

Enfin, avec un Kigongo qui se trouverait près de Dar es Salam, ça fait plus de sens que ce que j'avais retracé (bien trop éloigné de leur route).

Merci pour ces précisions.

SpaceCadet
avatar 23/12/2021 @ 13:28:52
Terminé le livre, timing bibli oblige.
Partie 5 LE BOSQUET DU DESIR
Retour de l'expédition sans les profits escomptés.
Yusuf joue un jeu dangereux en allant dans la maison.
Comme le titre nous le fait comprendre, un peu de "rose bonbon" dans le récit...

Partie 6 UN CAILLOT DE SANG
Effectivement le jeu était dangereux mais finalement Yusuf s'en sort bien.
Mais voici l'arrivée des soldats.
Je vous attend, j'ai besoin de vos avis pour les dernières pages.



Pour avoir attendu que nous soyons tous prêts et fait l'effort de te mettre en phase avec un rythme de lecture plutôt lent, tu as fait preuve d'une patience remarquable Koudoux et je t'en remercie au nom de tous les participants à cette lecture.

SpaceCadet
avatar 23/12/2021 @ 13:36:26
Je cite Septularisen:


Le style d'écriture est vraiment d'une ressemblance étonnante (voir les noms d'auteurs cités plus haut), à tel point que je me demande si j'arriverais à les distinguer si je devais les lire à l'aveugle? Cela dit comme tous ces livres sont traduits de l'anglais, c'est peut-être la traduction qui provoque ce "lissage" et cette ressemblance?

Je pourrais sans doute vous en dire plus une fois que j'aurais fini de lire le livre...


Je me suis fait une remarque similaire, à savoir que lu à l'aveugle, je ne pense pas que je saurais dire: 'voilà, ça c'est du Abdulrazak Gurnah'. Non. Sur la base de ce livre (ainsi que de quelques autres courts textes que j'ai pu lire en VO du même auteur), je ne vois pas de singularité dans son style d'écriture.

SpaceCadet
avatar 23/12/2021 @ 13:44:25
Correction: Que l'auteur ait fait quelques aménagements n'est pas impossible.

Désolé, je suis un peu pressé par le temps...

J'essaierai toutefois de tenir la barre malgré des horaires que j'anticipe un peu bousculés dans les prochains jours.


Pieronnelle

avatar 23/12/2021 @ 14:00:29
Bon je vais pouvoir commenter Le bosquet du desir je viens enfin de m'installer...juste le temps de retrouver mon kindle :-)

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