Le rivage des Syrtes de Julien Gracq
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Voyages et aventures
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L'ennui distillé en 360 pages
C'est un grand livre assurément. Il eut son heure de gloire. En 1951, il a reçu le prix Goncourt. Son auteur, Julien Gracq, est reconnu parmi les grands classiques. Et pourtant, j'ai trouvé ce livre épouvantablement ennuyeux. J'ai sans doute manqué de patience mais c'est tellement long, ça n'en finit pas !
Durant les 70 premières pages on nous explique qu'il ne se passe rien. On est quelque part sur un territoire perdu au nord de l'Afrique et on s'ennuie !
Le narrateur va visiter un château en ruine et pendant 12 pages on nous explique que c'est sans intérêt. Il croit apercevoir quelqu'un et de nouveau il faudra 12 pages pour nous dire que non, il n'y avait personne. !
Tout ça nous est dit dans un style admirablement baroque, bien sûr ; mais avec une surabondance de mots parmi lesquels on trouve surtout des : Solitude, ennui, langueur, silence, malaise, frémissement, lassitude… Tous ces mots sont réunis dans des phrases d'une demi-page en moyenne !
On s'ennuie sur le rivage des Syrtes et le lecteur s'ennuie aussi !
A la page 90, on nous annonce qu'il va se passer quelque chose ! Et en effet, à la page 93, la main du narrateur a touché la robe d'une femme. On y est ! C'est une fille libre, intelligente, instruite autant que le narrateur, et c'est la plus belle fille du livre (il n'y en a pas d'autre) et, coup de chance, elle n'est pas bêcheuse pour deux sous ! Quatre pages plus loin, il l'embrasse et six pages plus loin, il lui prend la main et l'emmène faire un tour en ville. Voilà ce que ça donne : Les rues se perdent dans les vases moisies et le cœur de la ville est figé dans l'ostentation abominable de son sang pourri et le gargouillement obscène de son dernier râle, comme l'évocation d'un corps couché dans le cercueil, avec l'envoûtement meurtrier d'une fille courbée sur ce cadavre, etc…, etc… !
A mon avis, ce n'est plus du baroque, c'est du rococo à la limite du kitch ! Mais soit !
A la page 100, notre persévérance est récompensée : on entre dans le palais de la belle qui annonce d'emblée : il n'y a personne, nous sommes seuls ! Donc… Eh bien non, il y a un portrait du grand-père qui dérange le jeune homme, ce sera pour une autre fois !
Page 120, les choses se précipitent : on prépare une guerre et dès lors, chez les Syrtes, on s'ennuie moins.
Je vous épargne la suite des évènements ; il reste encore à se taper 180 pages d'ennui distillé à coups de redites et de redondances qui n'en finissent pas !
C'est un livre que nous avions été obligés de lire au collège quand nous avions 17 ans. Nous avions décidé de lire chacun 12 pages ; comme nous étions 30, nous étions arrivés au bout des 360 pages sans trop de mal et nous n'avions plus qu'a faire notre résumé en commun.
Mais notre professeur de Français, qui était un excellent maître, devait avoir de bonnes raisons de nous imposer ce livre. Je serais très heureux d'avoir l'avis des honorés lecteurs de CL, qui sont des professeurs de Français. Je pense particulièrement à Lucien qui nous a fait une très belle critique d'un autre livre de Julien Gracq auquel il a donné 5 étoiles.
Les éditions
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Le rivage des Syrtes [Texte imprimé] Julien Gracq
de Gracq, Julien
J. Corti / Domaine Français
ISBN : 9782714303592 ; 21,00 € ; 01/08/1989 ; 321 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (10)
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Au bord de l'abîme
Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans) - 26 octobre 2022
Et puis il y a l’atmosphère, puisque c’est aussi et surtout un roman d’atmosphère : une mélancolie de fin de civilisation empreinte d’une menace aussi imperceptible que pesante. Elle prend toute la place, marque de son sceau les caractères et le temps.
Enfin se dessine le fil du récit : ce fils aristocrate qui, pour fuir l’air irrespirable de la capitale en déliquescence, s’exile dans une forteresse lointaine sur la côte, en face de l’ennemi héréditaire dont on ne sait plus grand-chose, pas même s’il faut encore le craindre. Quand des rumeurs, de trahisons, d’attaques, apparaissent, c’est toute la vie de caserne si bien réglée qui est bousculée.
C'est à la fois beau et éreintant.
L'art de se hâter lentement
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 27 avril 2020
En dehors du roman, Syrte est une ville de Libye. Dans la géographie antique, ce terme désignait deux golfes formés par la Méditerranée sur la côte nord de l'Afrique entre Cyrène et Carthage, Syrtis minor (ou petite Syrte, aujourd'hui golfe de Gabès) à l'ouest, et Syrtis maior (ou grande Syrte, aujourd'hui golfe de Sidra) à l'est.
La cité-État à laquelle appartient Aldo fait face au Farghestan : les noms évoquant l'Italie, l'Asie centrale ou d'autres régions. L'auteur s'amuse à mélanger les détails mais on pourrait penser qu'Orsenna serait Venise et pour faire bref la mer de Syrte, la Méditerranée. De l'autre côté, l'ennemi latent serait bien-sûr les ottomans, ou maures, ou mahométans.
Mais tout ça finalement n'est que conjoncture, si le lecteur veut rester cartésien et accepter le rêve brut de l'auteur il s'agit d'un état imaginaire, figé dans une paix de quelques siècles et juste à côté d'un bras de mer qui les séparent, l'ennemi dont on préfère ne pas citer le nom, qu'on préfère même oublier pour permettre de vivre une existence nécrosée. Comme si il ne s'était jamais rien passé et que l'avenir n'existe qu'en étant le prolongement du présent. Rien ne bouge, tout est figé.
Evidemment on pense à Buzzati et à son DESERT DES TARTARES mais aussi à la perle de Nicole Avril... LES GENS DE MISAR.
Le texte est long, très long (certain diront interminable) mais il est aussi d'un style ahurissant, riche, coloré, puissant. Pour exemple la lettre que reçu le narrateur provenant de la Seigneurie dure de longues pages pour dire… pour dire euh… Rien ! Mais c’est dit de si belle façon que je n’ai pu m’empêcher de la relire plusieurs fois,
Il m'a fallu de nombreuses tentatives pour m'y lancer vraiment et l'aventure est enfin devenue réalité. J'y ai cru et c'est une expérience de qualité.
Un grand bouquin, celui que j'emporterai sur l'île déserte dont je rêve parfois.
Comment être noyé tout en restant à quai
Critique de Hélian (, Inscrit le 11 novembre 2011, 42 ans) - 12 septembre 2015
En deux mots : long et pénible.
Si par son thème ce roman est assez proche du Désert des Tartares, il en diffère radicalement du point de vue du style. Autant celui de Buzzati est clair et élégant, autant celui de Gracq est obscur et empesé. Le problème n'est pas la longueur des phrases : Laszlo Krasznahorkai par exemple en écrit de bien plus longues mais de bien plus habitées. Non ce qui est épuisant c'est qu'en permanence on sent le soin maniaque de Gracq de trouver la métaphore ou la comparaison qui sonne bien quitte à perdre complètement de vue ce qu'il est en train de raconter. Un bon exemple (il y en a au moins 100 autres) est la comparaison de la cabine de Marino sur le Redoutable avec une tombe égyptienne. Et tout est comme ça : surchargé, ostentatoire, déclamatoire et vain. Quand aux personnages : Vanessa est une caricature de femme fatale et Aldo on a envie de lui mettre des claques. Les dialogues sont souvent peu crédibles : soit parce qu'ils sont d'une niaiserie qui contraste bizarrement avec les descriptions qui les entourent, soit parce qu'ils font eux aussi dans le déclamatoire. Par moments on arrive à se raccrocher à quelque chose comme à la scène dans le cimetière vers la fin, très réussie, mais vue la réputation de l'oeuvre, ça fait maigre.
En conclusion, Le Rivage des Syrtes est l'oeuvre d'un styliste dont l'objectif est la perfection, pas celle d'un poète qui ne vise que la vie.
Lenteur, ennui?
Critique de Lobe (Vaud, Inscrite le 28 juin 2011, 30 ans) - 1 juillet 2012
Bon, il faut le dire aussi, plus d'une fois je me suis endormie sur ce livre, régulièrement je l'ai reposé, agacée de ce piétinement, de cette indolence, de cette langueur. J'en refusais l'ennui, cet ennui qui a terrassé d'autres lecteurs (SJB, ta critique est irrésistible!) cet ennui que je comprends et ai pu partager, à plusieurs reprises. Je lui faisais donc des infidélités, à Julien Gracq, avec des romans plus rythmés, trépidants (enfin, tout roman est rythmé et trépidant lorsque comparé avec ce Rivage). Puis j'y revenais, mon esprit désirant l'apaisement, demandant à se laisser porter par ce faux calme, par la douce monotonie -toujours changeante- de ce livre qui ne demande pas nécessairement un effort, mais bien plutôt un renoncement à la satisf-action immédiate et immodérée.
Il est souvent demandé évasion, dépaysement et aventure aux livres. Le Rivage des Syrtes est à même de combler le lecteur, mais à son allure, captivante pour qui s'y laisse prendre (et n'a pas le sommeil facile).
Impression de nocturne méditerranéen
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 23 mai 2012
Avec « Le rivage des Syrtes », nous sommes en un pays indéfini, innommé, mais qui pourrait être quelque chose comme le rivage libyen, Malte … La proximité du désert évoqué dans le roman fait plutôt pencher vers un rivage du sud de la Méditerranée.
C’est une œuvre intense qu’on échouerait à vouloir résumer tant il est vrai qu’il y a autant d’intérêt à ce qui n’est que suggéré qu’à ce qui est décrit. Mais qu’est-ce qui est décrit en fait ? On ne sait pas trop. Le mieux est d’accepter d’embarquer sur les lignes de Julien Gracq – et on n’est pas déçu en la matière !
C’est vrai qu’il y a un peu du « Balcon en forêt » dans ce « Rivage des Syrtes » dans l’attente où, là aussi, sont plongés les protagonistes. L’attente ? En fait ils ne savent même pas s’ils attendent quelque chose. Mais peut-être s’attendent-ils à quelque chose ? A la fin d’une civilisation par exemple ?
Julien Gracq a tout fait pour perdre son monde. Il y est question d’une cité qui serait Orsenna, une cité méditerranéenne dans l’esprit, un peu décadente, un peu fin de siècle … et d’Aldo, jeune aristocrate de la cité qui s’est porté volontaire pour une province non située donc ; les Syrtes. Province reculée, à l’histoire passablement mystérieuse (et c’est ce qui procure cette impression crépusculaire au roman), province qui fait face à un ennemi qu’on dira héréditaire et dont on ne sait rien non plus (crépuscule, crépuscule) : le Farghestan.
Ajoutez : châteaux délabrés, discipline militaire et huis-clos étouffants, intrigante sophistiquée et attrait de l’inconnu, fascination de la guerre … Tout ceci à un rythme languide …, certains n’y trouveront pas leur compte et qualifieront ce « Rivage des Syrtes » de particulièrement indigeste. Encore une fois, il faut se laisser porter par les lignes magnifiques de Julien Gracq. On ne maîtrise rien ? Soit, mais c’est beau !
« Dans sa volonté arrêtée de m’éloigner de la capitale, et de me rompre aux fatigues d’une vie plus rude, mon père m’avait servi peut-être au-delà de mes vagues désirs de changements. La province des Syrtes, perdue aux confins du Sud, est comme l’Ultima Thulé des territoires d’Orsenna. Des routes rares et mal entretenues la relient à la capitale au travers d’une région à demi désertique. La côte qui la borde, plate et festonnée de haut-fonds dangereux, n’a jamais permis l’établissement d’un port utilisable. La mer qui la longe est vide : des vestiges et des ruines antiques rendent plus sensible la désolation de ses abords. Ces sables stériles ont porté en effet une civilisation riche, au temps où les Arabes envahirent la région et la fertilisèrent par leur irrigation ingénieuse, mais la vie s’est retirée depuis de ces extrémités lointaines, comme si le sang trop avare d’un corps politique momifié n’arrivait plus jusqu’à elles ; on dit aussi que le climat progressivement s’y assèche, et que les rares taches de végétation d’année en année s’y amenuisent d’elles mêmes, comme rongées par les vents qui viennent du désert. Les fonctionnaires de l’Etat considèrent ordinairement les Syrtes comme un purgatoire où l’on expie quelque faute de service dans des années d’ennui interminables ; à ceux qui s’y maintiennent par goût, on attribue à Orsenna des manières rustiques et à demi sauvages — le voyage « au fond des Syrtes », quand on est contraint de l’entreprendre, s’accompagne d’un cortège de plaisanteries infini. »
A noter que le roman s’est vu décerner le prix Goncourt 1951 mais que Gracq l’a refusé.
Buzzati en français
Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 15 août 2009
Une vieille civilisation épuisée et à peine convaincue de la valeur de ce pourquoi elle va devoir sans doute se battre, assiste à la fuite du temps. C'est une sorte d'agonie blanche où le poids des responsabilités écrase plus que celui des armes ; un "à-quoi-bonisme" qui distingue ce livre du Désert des Tartares de Buzzati. Et les finasseries d'une diplomatie florentine soudain arrivée à la limite de ses illusions ne préserveront pas le vieil Etat d'avoir à affronter pour de bon ce qu'il a toujours nié : la mort. Une métaphore de la vie humaine, où les heures de temps cotonneux et privé de sens qui se traînent sans fin apparente conduisent, parmi quelques fugaces épisodes de douleur ou de plaisir, vers la conclusion absurde qu'on se révèle ensuite impuissant à conjurer et à affronter. C'est une tragédie munie d'un retardateur, d'un camouflage, où nul artifice violent ou spectaculaire ne brise la trame d'un destin déjà inscrit dans le marbre.
Un grand livre.
Beau et languide
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 18 mai 2005
Il s'avère que ma préférence penche pour Le Rivagedes Syrtes, globalement mieux écrit. Peut-être la seconde oeuvre a-t-elle perdu un peu de son charme par la traduction.
Malgré des longueurs, j'ai trouvé ce roman beau et languide. Julien Gracq a bien su retranscrire la vacuité existentielle, là où Gustave Flaubert l'a rendue mortifère, à force de descriptions ciselées de la mise en abîme de l'existence d'Emma Bovary. C'est donc globalement une réussite.
Une densité admirable...
Critique de Pantagruel (, Inscrit le 4 janvier 2005, 50 ans) - 4 janvier 2005
Quel ennui !
Critique de Miriandel (Paris, Inscrit le 4 juillet 2004, 63 ans) - 17 août 2004
Peu importe ; les temps changent, et le temps, c'est de l'argent : il faut être très riche pour se permettre la lecture d'un pareil livre.
Osons être iconoclastes...
Apologie du désert
Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans) - 6 juillet 2004
Trois réflexions me viennent à l'esprit :
1. D'abord, en tant que prof de français. Il est évident qu'il ne me viendrait jamais à l'esprit d'imposer la lecture du "Rivage des Syrtes". Pas plus que de "Madame Bovary", "Germinal" ou "Eugénie Grandet". A des jeunes d'une époque où "Camino" de Françoise Houdart est considéré comme presque illisible, où certains passages de "Quatrième étage" (Nicolas Ancion) sont ressentis comme "longs", où triomphe le style volontairement limpide d'une Ariane Le Fort, il ne faut pas demander plus qu'à des ados des années 50, une décennie où l'on lisait encore, apparemment.
2. Ensuite, en tant que lecteur, j'avoue avoir moins apprécié "Le rivage des Syrtes" qu'"Au château d'Argol", un livre à qui j'ai donné cinq étoiles car il a constitué pour moi un énorme coup de coeur. L'un de ces livres lus d'une traite, dans la fièvre, un peu comme "Le désert des Tartares" auquel on a souvent comparé le Goncourt (refusé) de Gracq. L'impression de lenteur et de vide est sans doute encore plus importante chez Gracq que chez Buzzati, d'où l'ennui. "S'ennuyer, c'est chiquer du temps", disait Cioran. J'aime chiquer le temps avec les mots de Gracq ou de Proust. Je viens de lire avec énormément de joie les "Carnets du grand chemin" de Gracq, progressant page par page au rythme du coupe-papier (Corti est le seul éditeur que je connaisse à encore nous offrir cette joie charnelle des pages à couper). Est-ce dans ces carnets que j'ai lu l'idée suivant laquelle le fait de sécréter l'ennui chez le lecteur est l'apanage des grands auteurs? De ceux qui écrivent sans se soucier de plaire? Mais, comme l'écrit Gracq, "il arrive qu'on prenne un goût passager pour certaine littérature, de chair pauvre et de saveur commune, mais tonifiée pourtant efficacement, épicée par les notes égrenées d'un fausset acide, comme on a un goût pour le merlan relevé de jus de citron." A l'époque de la malbouffe, tels errements risquent de ne pas rester passagers...
3. Enfin, comme l'indique Saule, j'ai une certain goût pour l'ennui, ou pour sa mise en scène : "En attendant Godot" m'enchante, "Le désert des Tartares" m'a foudroyé. Sentir le temps qui devient palpable, frôler le vide, se coucher dans le désert pour regarder le ciel. A terme, laisser couler en soi le silence. "Efforce-toi de mourir avant de mourir" disent à peu près les soufistes. La littérature d'ennui comme chemin de mysticisme, pourquoi pas...
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De l'ennui | 37 | Saule | 21 novembre 2014 @ 19:58 |