Le désert et l'enfance de Daniel Klébaner

Le désert et l'enfance de Daniel Klébaner

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Sciences humaines et exactes => Essais , Arts, loisir, vie pratique => Arts (peinture, sculpture, etc...)

Critiqué par Eric Eliès, le 17 janvier 2016 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Un recueil de courts essais écrits en prose poétique, qui rend hommage à la langue française pour évoquer notre rapport au monde et aux arts

Ce recueil difficilement classable tient à la fois de l’essai, par des réflexions évoquant les nuances de notre rapport aux arts (notamment la peinture et la musique), et de la poésie. L’écriture très travaillée (parfois trop) de Daniel Klébaner, qui cherche à utiliser la pleine capacité de la langue française (langue maternelle à laquelle il témoigne un amour charnel, comme d’un pays natal où il ne cesserait de voir le jour), asservit la syntaxe à la respiration du texte et s’appuie sur les répétitions, les redites et les assonances pour, progressant par variations, susciter un rythme ; cette écriture à l'élégance un peu alambiquée a un effet hypnotique d’emportement sur le lecteur, qui tend à se laisser dériver au gré du flux de la prose poétique. Le vocabulaire est par ailleurs recherché et précis, parfois même précieux dans le choix des mots (j’ai ainsi découvert le verbe « accoiser », dont j’ignorais l’existence). A ce titre, l’écriture m’a parfois fait songer à celle de François Solesmes. C’est une lecture difficile, parente de celle d’une partition, qui exige de la concentration et impose de fréquents retours en arrière pour ne pas décrocher du sens sous-tendant l’enchaînement des phrases. Heureusement, les textes sont assez courts (quelques pages), ce qui facilite l’effort consenti.

Je vous recopie, à titre d’exemple du style, les premiers paragraphes ouvrant le texte « Le désert et l’enfance », qui donne son titre au recueil :

Le regard ébahi et le geste hésitant, yeux et mains à petite distance, la stupeur et la maladresse de l’enfant déclenchent l’apparition d’un désert. Il provient d’un fond, il est le fond. Toile tendue et remontée d’une substance qu’une profondeur a bue. / La stupeur en elle-même est brûlante ; elle incendie d’un éclair blanc l’inattendu ; elle frappe plus violemment encore l’inattendu qui la frappe avec violence. Elle ouvre des espaces comme des éclairs blancs illuminent un instant un morceau de paysage. / La maladresse au contraire n’en finit pas d’ourler les vastes ouvertures ; elle est ligature s’achevant et inachevée ; elle met le pointillé d’un fil sur l’illimité. Mais ses hiatus et ses basculements éloignent en un instant du peuplement des gestes établis, dépeuplant soudainement leur séquence. / La stupeur est maladresse et engendre la maladresse. La stupeur est maladroite chez l’enfant car elle est permanente tout en s’efforçant de se maintenir permanente. Elle veut perdurer et faiblit. / (…) / Le feu attisé du discours qu’un souffle ravive et entretient passe à distance et se perd. La tentative de l’enfant, dans la désolation qu’il ouvre, n’est pas de juguler ces mots à enchaîner. / La recherche de l’articulé dans la rumination de sa mâchoire et la tension de ses lèvres n’est que son devenir-adulte. Il déploie peut-être du plus essentiel encore, cet espace où surgissent les sonorités neuves. / La stupeur maladroite de l’enfant ouvre une désolation vaste. Une musique semble être issue de ce désert tremblé, blessant et flou comme la stupeur alourdie par les pulsations incertaines de la maladresse/ (…).

Daniel Klébaner évoque les fenêtres qui font glisser sur la ville les reflets du ciel, le sommeil et les rêves où l’artiste poursuit sa création dans les ténèbres de la nuit, la qualité du silence dans une chapelle romane où se tient un concert, le bleu du ciel d'Ile de France, les balbutiements et les maladresses de l’enfance dans l’ébauche des gestes et l’appropriation de la langue ; le rapport à l’enfance est d'ailleurs un thème récurrent (L'enfance appelle notre mémoire comme son lieu d'origine et de refuge mais l'enfance est aussi le lieu qui se dérobe), qui recoupe plusieurs textes consacrés à la musique, l’apprentissage de la langue, les chansons (berceuses et comptines) et à la poupée. Le recueil évoque également Ingres, Rembrandt ainsi que la poésie et la musique de l’époque baroque, dont l'auteur semble un très fervent amateur. Néanmoins, son écriture minutieusement allusive, qui décrit souvent les choses en creux par ce qu’elles ne sont pas, avec un recours à la litote et aux images poétiques, hisse le texte au-dessus de l’analyse philosophique ou de la critique d’art et lui confère des échos poétiques qui résonnent durablement, par leur puissance et leur originalité (même si, parfois, l’auteur semble verser dans une complexité un peu gratuite et verbeuse, qui interroge le lecteur accoutumé à la poésie contemporaine davantage soucieuse de l’économie de ses moyens et d’apurement de la langue).

Les fenêtres ouvertes : Par jour de grand froid, l’on ouvre les fenêtres. C’est manœuvrer un peu ces flaques d’eau mises à la verticale. Les arbres bougent et semblent entrer dans la pièce : l’eau des fenêtres borde leur rumeur comme une rivière encore saisie par le gel, déjà fluide dans le commencement du dégel, en sous-bois. (…) Et dans la clarté du dehors sonnent les timbales du jour, le matinal devenu matutinal, comme un mot « matinal » qui s’entête à s’éclaircir encore.

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