Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète de Voltaire

Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète de Voltaire

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Théâtre , Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Hastir Maxims, le 13 juillet 2009 (Inscrit le 6 juillet 2009, 35 ans)
La note : 10 étoiles
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Voltaire, quelle affaire!

Autant Voltaire a pendant très longtemps rencontré un immense succès, il est aujourd'hui très décrié. « Le fanatisme ou Mahomet le prophète » compte parmi les ouvrages les plus abusivement critiqués. En effet, on dépeint souvent le philosophe des Lumières comme un islamophobe en puissance alors qu'il n'en est strictement rien. D'ailleurs, il préférait de loin l'Islam au Catholicisme (et Dieu sait qu'il haïssait vivement l'Église romaine). Jean Orieux, auteur d'une biographie de Voltaire écrite vers la fin des années 60, a dit ceci : « Ce que les niais avaient pris pour une attaque contre le prétendu prophète de l'Islam était en réalité une attaque contre Jésus-Christ. Ce n'est pas l'Islam qui est attaqué, c'est le christianisme! À vrai dire, ce n'est pas telle ou telle religion, c'est la Religion, quel que soit son Prophète. » (Jean Orieux, « Voltaire », Paris, Flammarion, 1966, p. 270).
Mais je ne vais pas m'attarder sur ce point, Jérôme Vérain, auteur de la postface dans cette édition s'y livre déjà avec succès. Son analyse est intelligente, richement illustrée et très instructive. Toutefois, ce n'est pas là le sujet de la critique.

La pièce se déroule à La Mecque et met en scène Mahomet, instigateur d'une mutinerie contre Zopire, le schérif (seigneur) de la ville sainte musulmane. Pour arriver à ses fins, le prophète, décrit comme un personnage malveillant et sans scrupule, à l'aide de son lieutenant Omar, profite de la naïveté de Séide, jeune esclave épris de Palmire. Il parvient à le convaincre de tuer Zopire en lui promettant des fiançailles avec sa dulcinée ainsi qu'une vie d'affranchi. Séide, malgré les réticences de sa bien-aimée, assassine le schérif. Cependant, genre dramatique oblige, Zopire, agonisant, leur révèle la perfidie de Mahomet et leur apprend qu'il est, à tous deux, leur père. L'esclave entreprend alors de se venger du faux prophète. Mais il est déjà trop tard: Mahomet a empoisonné Séide et annonce à qui veut l'entendre que Dieu châtie ses blasphémateurs. Il compte ensuite s'emparer de la fille du schérif pour en faire l'une de ses multiples épouses. Séide expire et Palmire se tue en se précipitant sur le poignard de son frère. Enfin, Mahomet regrette son geste, cependant, il comprend aussi qu'il est trop tard pour se raviser: la machine infernale est en marche et ne peut plus être freinée.

« Il est donc des remords! Ô fureur! Ô justice!
[…]
Mon empire est détruit si l'homme est reconnu. »

L'œuvre est une tragédie classique en cinq actes écrite vers 1736 et jouée pour la première fois en province en 1741.
L'observation du contexte particulier de l'œuvre en permet une approche plus objective et plus systémique.
À la même époque, la copie d'une lettre, adressée à Frédéric II le Grand et signée par Voltaire, circule à Versailles. Le roi de Prusse, allié à la France, se serait secrètement réconcilié avec l'Autriche et le philosophe aurait abondamment approuvé la démarche de son camarade. Mais le penseur dément les accusations de trahison dont il fait l'objet et nie avoir rédigé cette missive alors que même Madame de Châtelet reconnaît le style de son ami. Il devient, en France, le laissé-pour-compte numéro un, boudé par tous, jusqu'à la cour qui s'était tant réjouie de sa présence. La favorite du roi exige qu'il soit puni. Heureusement pour l'homme de lettres, le monarque préfèrera en détourner son attention. On apprendra plus tard que Frédéric lui-même avait orchestré cette tromperie afin d'obliger Voltaire à s'exiler auprès de lui. Le philosophe avait donc laissé sa pièce en suspens, le temps des hostilités.
Par la suite, il dû se contenter des salles de provinces avant qu'elle ne soit jouée dans la capitale.
Évidemment, Mahomet fera scandale et incitera Louis XV à ne plus soutenir l'écrivain et à en interdire la pièce. Vexé d'avoir été ainsi dénigré – surtout par les jansénistes, Voltaire dédie la pièce au pape et en reçoit son assentiment. Néanmoins, les rares représentations de Mahomet seront toutes huées et ce encore trois siècles plus tard.

Le fanatisme ou la dévotion aveugle, que l'on nomme depuis quelques années – à tort et à travers – l'intégrisme ou l'extrémisme religieux, a toujours été la cible privilégiée de Voltaire comme en témoigne l'ensemble de son œuvre. Dans son idéal de tolérance, l'homme de lettres condamne toute forme de prosélytisme (propagande par la force) et, par là, les guerres de religions. C'est pour cela qu'il haït les Jansénistes, plus pessimistes, plus austères, plus agressifs que les Jésuites. En fait, ce n'est pas vraiment les Jansénistes qu'il désapprouve, mais leurs pratiques. Souvenons-nous: dans l'Ingénu, le Huron (indien d'Amérique du Nord) se retrouve embastillé auprès d'un certain Gordon, un janséniste, avec lequel il ne tardera pas à se lier d'amitié. Et bien qu'il le motivera à remettre en question sa foi, l'Ingénu lui manifestera toute sa compassion.
Voltaire n'est pas contre la propagation d'une religion, mais propose ceci: « Si un homme veut persuader sa religion à des étrangers ou à des compatriotes, ne devrait-il pas s'y prendre avec la plus insinuante douceur et la modération la plus engageante? ».
En ce début de XXIe siècle, par exemple, Voltaire se serait vivement opposé au Djihad et à ses pratiques meurtrières.
Dans son dictionnaire philosophique portatif, au mot « Tolérance », il pose la question suivante avant bien entendu d'en suggérer la réponse:« Pourquoi donc nous sommes-nous égorgés presque sans interruption depuis le premier concile de Nicée? ». Il ne fait là que s'intéresser à un point déjà largement débattu par Érasme: « […] l'église chrétienne est née dans le sang, s'est confirmée par le sang, s'est augmentée par le sang; les papes la gouvernent aussi par le sang […] » (Érasme, « L'éloge de la Folie », Paris, Verda, s.d., p. 209).

Certains penseront, à juste raison, qu'il s'agit plutôt d'une analyse que d'une critique (ce qui, par définition, est tout à fait différent). Néanmoins, je crois qu'il serait présomptueux de critiquer l'œuvre d'un personnage tel que Voltaire. Cela dit, il n'est pas interdit de donner son avis.
Le style, bien que très académique, a le mérite d'être raffiné, élégant et très intelligible. En effet, Voltaire, contrairement à ses contemporains, offre des chefs-d'œuvre accessibles au commun des mortels.
On retiendra les vers « Les préjugés, ami, sont les rois du vulgaire. » (Cité par Mahomet, page 33 de l'édition Mille et une nuits).

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