Les Bienveillantes de Jonathan Littell
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone
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Un monument - de la complexité du Mal
Sur un plan factuel, deux obstacles de base :
- on est d’emblée intimidé par le poids de ces plus de 900 pages, tassées, sans paragraphe, imprimées en caractère 6 …
- Il faut surnager, au début, dans la houle des …strumfurher et des vocables germaniques, dans la noria de noms ukrainiens ou caucasiens de lieux et d’organisations : ce trait, qui m’a assez gêné au début, participe, pourtant, sans doute, à la patine, au grain photographique du récit, qui prend le poids d’une réalité dense, par-delà la fiction. A noter que l’essentiel des patronymes, des endroits et des épisodes rapportés appartient à l’histoire et à la géographie du réel ( Wikipédia & Google vous seront , à ce niveau, des amis utiles. )
Si l’on surmonte ces deux obstacles et que l’on parvient à la page 125 sans trop d’épuisement, je gage qu’on ne quittera plus le récit jusqu’à sa finale convulsive.
Le récit est structuré comme une suite musicale de danses classique : toccata d’exposition, allemandes, courante, gigue et fugue.
Dans la Toccata, le narrateur expose ses motifs et ses moyens : du fond de son bureau de directeur d’une usine de dentelle au nord de la France, il entreprend sur le tard la rédaction minutieuse de son parcours de guerre, qui nous conduira de l’attaque-surprise du Reich contre la Russie stalinienne en 1941 à l’apocalypse berlinoise de 1945. Ses raisons ne sont pas clairement énoncées : tout au plus un besoin d’exonération , comme les matières fécales , en tout cas pas le regret ou le remords, à l’en croire.
La suite se compose de longs récits polyphoniques, pour se conclure dans une fugue démoniaque et haletante.
Max Aue cache une fracture originelle : enfant mal aimé, entre un père allemand ancien combattant tôt disparu et une mère française remariée, reflet sombre d’une sœur jumelle solaire, faisant office d’idéal féminin incestueux, Max se cherche sans trouver son unité. A la suite d’une scolarité rigoureuse et grise, d’internat en pension austère, Son penchant homosexuel commence à s’affirmer. Il se consacre à un doctorat en droit et, à sa majorité, choisit la nationalité paternelle : il rompt ses derniers liens familiaux et gagne l’Allemagne de Weimar à bout de souffle.
Esprit fin, assoiffé d’absolu, en quête d’objet, il est rapidement séduit par la radicalité du national-socialisme et adhère au culte du Volk. Au gré des circonstances, des rencontres et d’un fait-divers homosexuel dont il doit s’amnistier, ses compétences juridiques aidant, il rejoint la SS. Il quitte son poste administratif en 1941 , pour le front de l’est, dans les rangs de l’einzatgrup SS du sud , fraichement constitué, pour sécuriser les arrières de la Wehrmacht dans les vastes territoires rapidement conquis et y mettre en œuvre une épuration d’abord sur des critères idéologiques , puis rapidement raciaux. Le glissement progressif d’une mission d’un service spécial en guerre vers un processus, d’abord artisanal, puis organisé et peaufiné, coordonné et rationalisé, à l’image du Fordisme dans l’industrie lourde, en vue de l’anéantissement définitif d’une « race » entière nous est rendu, par petites étapes successives, où s’observe tout le panel des réactions individuelles, dans cette descente infernale vers la transgression morale définitive.
Benjamin Littell nous emmène presqu’en douceur vers l’un des visages les plus hideux du Mal , à travers l’esprit rationnel , précis , subtil et conscient d’un être qui paraîtra longtemps proche de nous, malgré ses actes et sa dérive intérieure , proche par ses doutes et ses faiblesses , proche par les rares pépites de pureté qu’il héberge encore .
Les scènes d’action (massacres, accrochages) alternent avec des longues périodes d’attente, où les officiers se lancent dans des discussions aussi variées qu’imprévisibles. Les références fourmillent, à un corpus éclectique de savants , de philosophes ( Tertullien, Spinoza , Heidegger, … ) , d’écrivains ( Lermontov, Stendhal , Maupassant, Maurice Gauchet, …) , de musiciens ( Rameau, Couperin, Monteverdi, Bach , évidemment ) .
La route chaotique de l’Est nous conduit de Kiev aux limites du Caucase, de la steppe aux montagnes volcaniques, où se côtoient splendeurs naturelles et culturelles, à peine obscurcies par les horreurs de cette guerre.
La course fatale de Max se termine dans la nasse de Stalingrad, dont Littell nous dépeint, avec densité et économie, l’atmosphère inhumaine et glaciale. Héros un peu malgré lui, gravement blessé, Max échappe in extremis à la capture.
Au terme d’une lente convalescence nostalgique sur les rives de la Baltique, il rejoint Berlin en 1944 pour reprendre sa place dans l’administration mortifère de la solution finale, dorénavant clairement énoncée et méthodiquement industrialisée et mise en œuvre, depuis la conférence de Wannsee. Un court détour par la France lui offre l’occasion de franchir le point de non-retour , dans son parcours individuel, vers sa malédiction intime.
Dans la capitale d’un Reich déliquescent, Max côtoie un monde interlope où s’agitent, sous la caste de quelques seigneurs nazis, des petits comptables du crime, des nobles prussiens cyniques, des parvenus vulgaires, des veuves séduisantes, des escrocs. De la piscine au bistrot, puis du bar aux abris, sous le feu croissant des avions alliés, le temps paraît suspendu, au bord du vide de la défaite.
Dans son rôle bien rôdé d’évaluateur de la chaine de destruction, Max, sur l’injonction de Speer, va s’activer pour adoucir un peu la condition des déportés, du moins ceux qui pourraient représenter un potentiel de travail inestimable dans la guerre totale de Goebbels. Il se heurte aux obsessions purificatrices d’Himmler, aux visées carriéristes d’Eichmann, à l’inertie sadique des bourreaux de terrain.
Max s’inscrit à la stricte intersection d’une démence collective titanesque, dont il nous montre bien la multiplicité des ressorts et d’une folie personnelle autodestructrice et immanente, proche du fatum latin, coupable expiatoire d’une faute commune et d’un crime individuel.
L’explosion de folie finale, où Max révèle toutes les facettes de son « dasein », dans le climat d’apoptose morbide et violente qui baigne Berlin en août 1945, nous en parait d’autant plus ambiguë.
La malédiction du peuple allemand lui répond en écho, comme, à l’opéra, le chœur au soliste.
Il en ressort une responsabilité collective, qui échappe à l’addition des culpabilités individuelles.
- Le titre « Les Bienveillantes » fait référence au nom d’entités mythologiques primordiales, censées, dans la tragédie grecque, pourchasser sans répit les auteurs d’actes inexpiables – la légende des Atrides et la malédiction d’Oreste, matricide par la volonté des Dieux ( Eschyle ) .
Ce roman est un monument littéraire somptueux, impressionnant par son souffle épique, sa densité, sa richesse, ses multiples niveaux de lecture et de références, posant de façon originale les questions de la responsabilité et de la culpabilité, individuelle et collective de l’homme, et auscultant de façon troublante notre parenté au bourreau.
Style touchant au naturalisme, avec des échappées dans le baroque et l’onirisme.
Lecture qui donne à réfléchir, à s’interroger, à se souvenir et à ressentir, sur les questions essentielles de notre histoire et de notre civilisation.
Je me permets de citer, pour conclure, Alain Nicholas , chroniqueur littéraire de l’Humanité :
« Jonathan Littell, qui se confronte dès son premier roman à une matière pleine de risques, et au genre difficile du roman historique, se l’approprie avec maestria. Mieux encore, il le tire hors de ses codes, l’ouvre à la modernité sans sacrifier l’efficacité de la narration ni le réalisme de son univers. Le lecteur qui voudra bien accompagner cette démarche verra ses efforts récompensés. »
Les éditions
-
Les Bienveillantes [Texte imprimé], roman Jonathan Littell
de Littell, Jonathan
Gallimard / NRF
ISBN : 9782070780976 ; 2,91 € ; 29/07/2006 ; 903 p. ; Broché -
Les Bienveillantes [Texte imprimé] Jonathan Littell
de Littell, Jonathan
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070350896 ; 14,60 € ; 07/02/2008 ; 1401 p. ; Broché -
Les Bienveillantes : Coffret
de Littell, Jonathan
Imprint unknown
ISBN : 9782070356195 ; 15,00 € ; 07/02/2008 ; 1401 p. ; Poche -
Les Bienveillantes
de Littell, Jonathan
Gallimard / Folio
ISBN : 9782072462054 ; EUR 12,99 ; 02/09/2011 ; 1388 p. ; Format Kindle
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Les critiques éclairs (56)
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Horriblement instructif !
Critique de Millepages (Bruxelles, Inscrit le 26 mai 2010, 65 ans) - 30 octobre 2023
C’est ainsi que le narrateur interpelle le lecteur.
Les 1400 pages qui suivent nous mènent au cœur-même de l’horreur engendrée par la 2ème guerre mondiale, du point de vue de l’Obersturmbannführer (lieutenant-colonel) Maximilian Aue
Précisons qu’à aucun moment on ne se sent en empathie, même pas avec les plus modérés des soldats du IIIème Reich, ce n’est d’ailleurs pas ce que recherche le narrateur.
Mais au moins sommes-nous témoins des débats qui faisaient rage dans le camp allemand, très loin d’être homogène.
Le job de Maximilian Aue est d’analyser la situation sur les divers terrains de bataille en terme d’efficacité, de logistique, de moral des troupes et d’en faire rapport à ses supérieurs.
Dans les camps de concentration par exemple, il dénoncera la manière de traiter les prisonniers voués à l’extermination : il plaide pour augmenter les rations alimentaires de ceux qui peuvent être utilisés comme force de travail, ce qui l’oppose vivement à une majorité de cadres arguant qu’il n’y a pas de budget pour nourrir cette masse à détruire.
La question de l’extermination divise en haut lieu.
Des phrases terribles sont prononcées, telles : « il ne faut pas céder à la tentation d’être humain » ou « protéger des juifs, c’est une atteinte directe à la volonté du führer »
D’un autre côté, un officier est abattu par un chirurgien pour avoir sauvagement tué un nouveau-né juif que le chirurgien avait réussi à mettre au monde alors que la maman était déjà morte.
Abattre un supérieur est normalement synonyme d’exécution immédiate et pourtant les soldats et officiers présents ont laissé s’enfuir le chirurgien….
Le narrateur, largement plus fin et cultivé que la moyenne, fait montre de beaucoup plus de lucidité et de raison que la plupart des autres personnages du roman.
Il est cependant régulièrement en proie à de sévères troubles psychiques liés autant à une situation familiale malsaine qu’aux horreurs dont il est témoin sur le terrain de guerre.
Une balle qui s’est logée dans son crâne sans le tuer n’arrangera pas l’affaire.
Dans ces moments de crise, il est capable de faits les plus abjects.
Bref, un personnage que l’on ne verserait pas spontanément dans la catégorie de « frères humains ».
Pour comprendre la banalité du mal
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 12 août 2018
L'essentiel est de savoir comment en répondre pour assurer ses arrières, la notion de responsabilité restant présente de bout en bout dans ce long roman. Le seul titre, allusions aux Erinyes calmées par Athéna, ce parquet féminin collectif qu'a décrit Eschyle, fait comprendre d'emblée cet appel à la conscience.
La lecture de cette somme s'avère assez souvent rude, mais tout autant utile.
Un incontournable du genre
Critique de ARL (Montréal, Inscrit le 6 septembre 2014, 38 ans) - 13 avril 2015
Mais...
Quel chef-d'oeuvre. C'est à peu près impossible de le nier. Au travers des lourdeurs se trouvent des passages sublimes, des images puissantes et des situations qui restent gravées dans la mémoire. Les sections entièrement fictives du roman, qui décrivent par exemple la vie incestueuse du protagoniste, ses névroses profondes, sa vie de famille, c'est du bonbon. Certaines intrigues paraissent moyennement plausibles mais demeurent accrocheuses. Plein de personnages hauts en couleurs, des idées originales s'entrechoquent à des lieux communs sur le régime nazi. La dernière scène est sublime, et le titre y prend tout son sens.
Ça fait du bien de voir qu'on publie encore des livres d'une telle envergure.
Associations d'idée
Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 19 novembre 2013
Réflexions de l'époque à la suite de ces deux lectures:
Ces presque 900 pages ( et c'est écrit petit...) ne s'oublient pas en passant à autre chose. Ne s'oublient sans doute jamais ainsi que cet cet univers ( dans lequel j'avais eu bien du mal à entrer d'ailleurs...)
Ce récit est composé comme une suite musicale. Le premier chapitre est très court, 30 pages. Intitulé Toccata. Une vraie claque, qui pourrait suffire, on pourrait s'arrêter là, et beaucoup de choses seraient dites.
"Comme la plupart, je n'ai pas demandé à être un assassin. Si je l'avais pu, je l'ai déjà dit, j'aurais fait de la littérature... Qui, de sa propre volonté, à part un fou, choisit le meurtre? ....Il est des hommes pour qui la guerre, ou même le meurtre, sont une solution, mais moi, je ne suis pas de ceux-là, pour moi, comme pour la plupart des gens, la guerre et le meurtre sont une question, une question sans réponse, car lorsqu'on crie dans la nuit, personne ne répond. Et une chose en entraine une autre..... dire que s'il n'y avait pas eu la guerre , j'en serais quand même venu à ces extrémités, c'est impossible. Ce serait peut-être arrivé, mais peut-être non, peut être aurais-je trouvé une autre solution........ Je suis un homme comme vous. Allons, puisque je vous dis que je suis comme vous!"
Voilà, si on s'arrête là et qu'on considère que le reste de ce roman n'est qu'un développement de ces quelques phrases ( je mets de côté la documentation, exceptionnelle, que même les détracteurs ont louée), on se retrouve dans un récit extrêmement bien fait dont la seule part fictionnelle est le personnage central, ce Max Aue , un homme brillant, cultivé, pas du tout antipathique, né à un mauvais moment à un mauvais endroit, et qui s'est retrouvé coincé parce que les circonstances historiques avaient permis la prise de pouvoir par un fou furieux.
Ce personnage nous met en face de nos responsabilités , qu'auriez-vous fait, vous? nous dit-il, on prend ça dans les gencives, on repense à Steiner qui se posait toujours la même question de savoir comment on pouvait aimer la musique classique et assassiner des enfants, à l'intelligence d'Hannah Arendt, très fine et précoce analyste.
Et puis, Littell, dans ses entretiens, dit toujours la même chose: quand il était enfant, sa grande peur était qu'on l'envoie au Vietnam tuer des enfants..
La conclusion logique de tout cela, c'est une sorte d'acceptation du destin, la guerre est à l'origine de tout, il s'agit d'un parcours individuel qui s'inscrit en quelque sorte dans une folie collective ......
Oui.... sauf que ce n'est pas si simple. Enfin, je ne crois pas que ce soit ce que Jonathan Littell veut faire comprendre. J'ai souligné les mots qui me semblent essentiels dans le discours initial du narrateur, ce livre , je l'ai repris tant cette assimilation , qui a fait couler beaucoup d'encre, me gênait. Le narrateur, , il ne faut jamais l'oublier, est un personnage fictionnel. . Et qu'est donc ce Max Aue, sinon un psychopathe typique? Un personnage figé à un stade très précoce affectivement, qui n'a jamais su ( à sa décharge, n'a jamais pu...) dépasser une passion fusionnelle et incestueuse avec sa soeur jumelle, qui tue sa mère quand celle-ci tente de le faire accéder à certaines vérités, dont le corps se repent par des somatisations diverses, mais l'esprit jamais, qui se sort de ces horreurs auxquelles il a directement et volontairement participé sans remords, en relativisant les chiffres et en faisant quelques calculs, intéressants mais sordides sur le nombre de morts juives par rapport aux morts soviétiques, allemandes, etc, et qui nous annonce d'emblée qu'il est marié, a des enfants , et qu'il dirige une usine de dentelle...... Ah oui, il a encore bien des soucis digestifs, il fait quelques cauchemars, aussi, mais bon, il vit........
Et donc, cet homme, brillant, intelligent, qui n'a rien d'une brute épaisse, ne serait qu'un des maillons de cette responsabilité collective? Pas d'autre choix?
Hum..... Ce n'est pas ce qu'il dit ailleurs, et c'est en cela que Jonathan Littell est très malin.....
" Moi aussi, j'aurais pu demander à partir, j'aurais sans doute même reçu une recommandation positive de Blobel ou du Dr Rash. Pourquoi ne le faisais-je pas? Sans doute n'avais-je pas encore compris ce que je voulais comprendre. Le comprendrais-je jamais? Rien n'était moins sûr. Une phrase de Chesterton me trottait par la tête: Je n'ai jamais dit que l'on avait toujours tort d'entrer aux pays des fées. J'ai seulement dit que c'était toujours dangereux. C'était donc cela, la guerre, un pays des fées perverti, le terrain de jeux d'un enfant dément, qui casse ses jouets en hurlant de rire, qui jette gaiement la vaisselle par les fenêtres?"
On n'est plus dans la responsabilité collective, là, ni dans la nième description de ce que la guerre peut faire des hommes. On est dans l'individuel, la folie individuelle, la responsabilité individuelle aussi, et les actes qu'un tel individu est capable de faire dans une guerre ...Bref, je ne suis pas certaine d'être très claire, mais je trouverais très dommage que l'on généralise , que l'on banalise, à partir de ce très important et très réfléchi roman les folies meurtrières de certains.... Cela n'enlève rien à la responsabilité collective, bien sûr, qui était réelle, mais un autre problème......
J'ai lu depuis la très brillante analyse de Daniel Mendelsohn , dans Si beau, si fragile,qui m'a un peu mieux expliqué ce livre.
Je vais la mettre dans la discussion sur la mauvaise réception aux Etats-Unis, c'est.. très long et intéressera peu de monde.
chef d'oeuvre posthume?
Critique de Silex (dole, Inscrit le 13 mars 2011, - ans) - 30 novembre 2012
Les Bienveillantes est un livre dont on n'a certainement pas encore totalement compris quelle importance il a et aura plus tard. Il s'agit d'un véritable chef d'oeuvre mais d'accès difficile. Il peut se lire à plusieurs degrés et ces degrés sont certainement infinis. J'ai du m'y reprendre à deux fois avant d'aller au bout car je me suis rendu vite compte, il y a quelques années, que je manquais cruellement de connaissances historiques et philosophiques pour l'appréhender tel que j'aime appréhender un livre. Je n'irai pas jusqu'à dire que je me suis plongé dans l'histoire de l'Allemagne nazie et de la seconde guerre mondiale seulement pour pouvoir le lire, mais presque...
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ce livre et je n'ai nullement la prétention d'y ajouter quelque chose de nouveau ou d'exclusif.
Si la Bible est universelle pour certains, Les Bienveillantes devrait aussi l'être et je souhaite que tout le monde, à défaut de le lire, connaisse son existence.
Il ne s'agit d'un livre de plus sur le nazisme: il s'agit du livre sur la banalité de l'horreur que nous avons tous en nous, nous, du genre humain.
Mon livre de 2006
Critique de Marlène (Tours, Inscrite le 15 mars 2011, 47 ans) - 30 octobre 2012
J'ai aimé le cynisme de Maximilien même si je n'ai pas éprouvé de sympathie pour le personnage . Il m'a appris pas mal de choses sur cette période . J'avais entendu parler de ce livre comme ça à la télé en deux/trois phrases et j'ai aimé que cela soit un pavé , que le 'héros' soit un soldat allemand (à moitié français) homo qui n'aimait personne .
Littell a fait un travail énorme et n'a eu peur de rien . On voit l'atrocité de cette guerre et c'est même parfois difficile à lire . La fin part un peu en sucette , c'est dommage mais cela n'a ôté en rien mon enthousiasme pour ce livre , que je relirai un jour
L’homme est un loup pour l’homme.
Critique de Lilule (baalon, Inscrite le 24 février 2006, 51 ans) - 16 mars 2012
Choquant, troublant
Critique de Antihuman (Paris, Inscrit le 5 octobre 2011, 41 ans) - 7 octobre 2011
D'autre part à part le chapitre consacré à la propagande, le ton n'est pas sensiblement bon, on n'entre pas suffisamment dans l'histoire pour être vraiment concerné par ces histoires contées et vécues comme s'il s'agissait d'aventures, somme toute; de cadres supérieurs d'une multinationale d'aujourd'hui (la seule différence étant en l'occurrence que ces gens-là oeuvrent pour le Reich !) Enfin il est choquant de constater au fil des pages que les SS se trouvent au final beaucoup d'excuses, à moins de vous considérer vous-même - au mieux... - comme un pauvre débile. La plaisanterie n'est pas de très bon goût, d'autant plus que le brio n'est pas au rendez-vous ET que surtout, il ne s'agit pas d'un vrai document.
Une lecture exigeante
Critique de Nothingman (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans) - 19 avril 2011
Je me souviendrai aussi longtemps de cette première phrase: "Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s'est passé"
Pour en finir
Critique de Gnome (Paris, Inscrit le 4 décembre 2010, 53 ans) - 5 décembre 2010
Quand histoire et fiction s'emmêlent...
Critique de Peekaboo (, Inscrite le 26 août 2010, 36 ans) - 26 août 2010
La question du nazisme est bien sûr traitée, ainsi que les conditions de vie des soldats, les camps de concentration et la solution finale.
Quand l'Histoire se mêle à la fiction avec un écrivain comme Jonathan Littell le résultat est on ne peut plus réussi. Il s'est appuyé sur deux ans de recherches poussées afin de nous offrir une vue relativement précise de ce qu'ont pu être les enjeux et les points faibles du système national socialiste d'Hitler. Avec philosophie, humanisme et précisions il nous cède la responsabilité d'un ouvrage qui pourrait tendre à la censure...
Alors que notre période du 21e siècle se sent encore très concernée par cette Seconde Guerre mondiale, qui a encore des répercussions idéologiques et politiques, ce roman nous aide à comprendre pourquoi cette guerre était nécessaire ou plutôt inévitable, et comment ce personnage d'Hitler l'a menée entouré de ses partisans on ne peut plus dévoués à leur pays. On se sent encore mal à l'aise envers les horreurs décrites de manière très précise, mais la narration est efficace et la corrélation espace/temps est parfaitement bien organisée.
De mon point de vue personnel, je pense que chacun d'entre nous, lecteur régulier ou non, plus ou moins adulte, nous devrions avoir lu cet ouvrage. Il déborde d'informations, de philosophie et d'humanité.
Pour tenter de comprendre
Critique de Renaud (Liège, Inscrit le 5 décembre 2005, 58 ans) - 29 juillet 2010
Pour comprendre cette barbarie, on ne peut que recommander la lecture des "Bienveillantes" de Jonathan Littell. Cet ouvrage nous montre la Shoah du point de vue des bourreaux : le personnage principal est un officier SS que l'on suit depuis le début de la guerre avec sa participation aux Einsatzgruppen, commandos de la mort responsable de "l'Holocauste par balle" (1 million et demi de morts en Ukraine, en Crimée et dans le Caucase) jusqu'à la chute de Berlin en passant par Stalingrad et Auschwitz.
Le plus troublant est que ce personnage n'est pas, de prime abord, un "barbare", on peut même par moment se sentir proche de lui, même s'il pose des actes innommables.... De là, une question : qu'aurions-nous fait dans un semblable contexte ?
Très long.............mais à lire d'urgence.
Critique de Free_s4 (Dans le Sud-Ouest, Inscrit le 18 février 2008, 50 ans) - 29 juillet 2010
"Document historique" bien que ce soit un "roman".
Passionnés de lecture, profitez des vacances d'été pour vous atteler à la tâche.......... bonne lecture.
Long mais ça vaut le coup
Critique de Patsy80 (, Inscrite le 20 août 2009, 49 ans) - 18 mars 2010
D'autre part, beaucoup de mots, de noms, de lieux à consonance germanique font obstacle à l'oeil peu expert de la langue et complique la lecture.
Néanmoins, ce livre est très bien écrit, et même si je m'attendais à une fin un peu plus explicite et une réponse pour les jumeaux, le contenu est très intéressant, il fait réfléchir à beaucoup de choses.
En conclusion, je ne regrette vraiment pas de m'être investie dans la lecture de cet ouvrage.
Phénoménal!
Critique de Rouchka1344 (, Inscrite le 31 août 2009, 34 ans) - 13 mars 2010
Impossible de décrire ni de raconter l'histoire de ce pavé ! Lisez le pour vous faire votre propre opinion ! Pour Lecteurs Assidus!
Bienveillantes, vraiment???
Critique de Killeur.extreme (Genève, Inscrit le 17 février 2003, 42 ans) - 20 janvier 2010
Les bourreaux sont parmi nous
Critique de Gg de coat canton (, Inscrit le 30 septembre 2009, 84 ans) - 3 octobre 2009
Les monstres sont parmi nous. Aue termine son parcours comme directeur d'une usine de dentelles (sic).Tout peut recommencer.
Lire aussi "Vie et destin" de Vassili Grossman.
Bravo
Critique de Blankovitch (, Inscrit le 10 février 2009, 47 ans) - 31 août 2009
Mais c'est fascinant.
Le pavé de l'ours
Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 14 août 2009
Adorno a pu dire : "il est barbare d'écrire de la poésie après Auschwitz"...Et il est tout aussi barbare de pondre ce pavé indigeste tant il ressemble, à la fois, à un catalogue administratif "made in Germany", et à un roman de gare du genre graveleux. Quant à nous faire croire une minute à ce mauvais "remake" de la légende des Atrides, non. Les "Bienveillantes", faute du pardon d'Oreste, ne sauraient jamais que demeurer les Erinyes, auxquelles on abandonne volontiers cette chose racoleuse. Une nausée d'où il ne sort rien.
Je mets une étoile pour l'encre, le papier, le temps passé à composer et imprimer.
Long et éprouvant mais fascinant...
Critique de Sebastienh (, Inscrit le 22 juillet 2009, 37 ans) - 22 juillet 2009
Un lecture éprouvante sur tous les points, la taille du livre bien sûr et la longueur de certains passages (notamment le chapitre "Air"), mais surtout le fond du récit, la description des horreurs, les réflexions que nous pousse à faire Jonathan Littell sur ce que nous aurions fait, sur l'importance de ne pas oublier ce qui s'est passé et de prendre conscience que ça se passe encore aujourd'hui.
Très difficile de penser qu'on aurait pu agir comme l'a fait Max ou d'être son ami, qu'on aurait été capable de participer au pire ou d'en être complice. Mais quelle arrogance de penser que nous aurions mieux agi que lui.
Étonnant par contre le fait que Littell ai choisi un déséquilibré mental pour narrateur. Mais ça ne rend la réflexion que plus grande, Max Aue se battant pour défendre un idéal auquel il ne correspond pas lui-même. Ne nous cachons pas derrière cette faiblesse pour dire que nous sommes mieux que lui, trop facile...
Les critiques précédentes sont vraiment très complètes et je ne pense pas utile d'ajouter quoi que ce soit.
J'aimerais simplement recommander le film Conspiracy sur la réunion de Wansee. Une autre plongée au coeur de ce système qui complète bien Les Bienveillantes.
Je me suis fait avoir
Critique de Arnaud (Andenne, Inscrit le 29 novembre 2004, 43 ans) - 6 janvier 2009
Eprouvante, mais nécessaire lecture
Critique de PPG (Strasbourg, Inscrit le 14 septembre 2008, 48 ans) - 5 octobre 2008
Même si des “querelles d’historiens” ont pu exister lors de la sortie de cet ouvrage quant à l’exactitude de certains faits historiques relatés et leurs enchaînements, il me semble indispensable de ne pas oublier qu’il s’agit d’un roman, et non d’une étude universitaire. L’essentiel du propos réside donc plus dans la narration d’un Maximilien Aue emprunt de subjectivité, par laquelle Jonathan Littell nous montre justement le mal absolu à travers la vision d’un homme qui, 50 ans après les faits, n’éprouve toujours aucun remords ; comme s’il n’avait jamais pris ou pu prendre de recul sur ses actes, malgré le temps qui passe.
Jonathan Littell nous présente ainsi un homme jeune, cultivé, instruit, Docteur en Droit, raffiné, que rien ne semblait prédestiner à réaliser ce à quoi il a finalement participé. L’aspect “ordinaire” de cet homme (malgré certaines difficultés personnelles, comme tout à chacun) vient précisément renforcer le fait qu’il aurait pu s’agir de n’importe qui. On s’interrogera alors forcément sur les mécanismes psychologiques, sociologiques... qui pourraient expliquer l’avènement de tels monstres ; avec, en toile de fond, une nécessaire réflexion sur l’impact du collectif dans la prise de décision individuelle (qui n’en est peut-être plus une).
Cette oeuvre romanesque à l’écriture délibérément ardue (on pense notamment ici aux innombrables détails militaires et autres grades allemands), tente de décrire de façon précise une structure complexe et d’expliquer les systèmes et sous-systèmes militaire, politique et économique en place durant cette période. On comprend mieux comment cette complexité, brutale au possible au quotidien, peut broyer, par cet élan collectif, toute idée sortant des rails de la pensée unique. Autre constat, peut-être plus imprévu : on s’aperçoit que les rouages sont bien moins huilés qu’il ne semblait paraître de prime abord. Comme dans une entreprise, les relations entre les différents services en interne, mais surtout en externe, peuvent aussi bien être cordiales, complémentaires qu’ambiguës, conflictuelles ; où les intérêts privés, notamment de promotions sociales, priment souvent sur un objectif commun clair et partagé par tous. Ainsi, poursuivant des buts parfois contradictoires ou contraires à leur foi, leur éducation... les protagonistes des “Bienveillantes” agissent, sans forcément mesurer ce qui se joue dans l’horreur. En outre, les acteurs, complètement déshumanisés, semblent plus affairés à régler des problèmes organisationnels liés à des dysfonctionnements entre organisations (notamment les relations conflictuelles entre la Wehrmacht et le NSDAP), tout en gérant un quotidien sordide, mais à force routinier, basé sur la destruction massive d’être humains.
Pris dans cette tenaille, Maximilien Aue exécute des ordres, participe à une multitude de tâches, bien souvent administratives, qui lui conviennent et qui le font monter en grade progressivement, car ses idées séduisent et ses rapports plaisent en haut lieu. Il réfléchit à ce qui se présente à lui, mais d’une manière objective et froide, dans la lignée de son idéologie fondée sur le retour en force de la suprématie allemande, tant au niveau économique que politique, “débarrassée” de tout ce qui pourrait la gêner. Sans être antisémite initialement, le narrateur justifie ses actions au nom d’une rationalité poussée jusqu’à l’exacerbation, destinée à mettre en place une méthodologie garantissant la plus grande productivité dans les camps de concentration et d’extermination.
Mais, paradoxalement, Maximilen Aue participe à ce système destructeur en oubliant qu’il ne correspond pas lui-même à l’idéal nazi : il n’est pas de “sang pur”, car franco-allemand ; il a une propension incestueuse vis-à-vis de sa soeur jumelle ; il est homosexuel. Sur toutes ces thématiques, qui devraient le mettre en porte-à-faux eu égard à l’idéologie nazie, le narrateur ne mènera aucune discussion. C’est bien dommage, car à la lecture de son récit, on attend avec une certaine impatience sa position, en se demandant comment allait-il pouvoir justifier ses actes.
Ce livre est forcément bouleversant. Il donne fréquemment la nausée, de par certaines descriptions très crues. Mais, elles me semblent nécessaires pour tenter de comprendre une infime parcelle de l’atrocité vécue par les victimes, auxquelles on pense continuellement. Un roman historique émouvant, qui ne peut laisser insensible, que l’on ne peut oublier. Il est d’ailleurs assez difficile d’entamer un autre livre juste après.
Etourdissant
Critique de Jack'o'Lantern (, Inscrit le 4 avril 2006, 47 ans) - 11 septembre 2008
Bref, même si le sujet peut sembler ardu, on peut dire que Littell a tiré son épingle du jeu en montrant au-delà de ses qualités littéraires, une érudition sur le sujet assez impressionnante.
Je le conseille.
A gros bouquin, gros mélange
Critique de Smokey (Zone 51, Lille, Inscrite le 12 août 2008, 38 ans) - 20 août 2008
Pourquoi gros mélange? Parce que Littell n'invente rien et surtout ne va au bout de rien. Certaines scènes sont crues: oui, mais ce n'est pas nouveau, et puis c'est la guerre. Il n'invente pas non plus un style d'écriture qui lui serait propre. Le sujet lui-même n'est pas nouveau ( Merle en a fait d'ailleurs un très bon livre car probablement beaucoup moins "romanesque").
Ce qui m'embête également, c'est ce trop grand soucis du détail (voyez les grades de la SS, on n'en sort plus) associé à la pseudo-psychanalyse de Aue. C'est "too much".
Enfin, la dernière idée du livre qui me dérange c'est qu'à travers l'histoire,c'est la thèse d'Hannah Arendt qui est soutenue car on y prétend que tout homme peut devenir ce genre de bourreau. Ce qui (à mon avis du moins) est faux (voir d'ailleurs les relations d'Arendt avec Eichmann...). Tout le monde ne devient pas nazi, et ne prend pas plaisir (ou ne tolère pas) à mettre des balles dans la tête de petits enfants dans les bras de leurs mères.
Mais on ne peut pas retirer à Littell le fait d'avoir tenté d'écrire sur la Shoah après la Shoah. Pour quelqu'un qui ne l'a pas vécu, c'est un pari osé que d'écrire "les Bienveillantes" et rien que cela mérite qu'on lise ce livre.
L'analyse de Patryck Froissart
Critique de FROISSART (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 77 ans) - 28 juillet 2008
Auteur : Jonathan Littell
Editeur : Gallimard 2006
ISBN : 2-07-078097-X
905 pages
Le roman, outre sa finalité première, qui relève de la poétique, a de multiples fonctions : sociale, historique, psychologique (catharsis), initiatrice…, qui ont toutes fait l’objet d’innombrables études.
Celui de Jonathan Littell en a une supplémentaire, celle qui consiste à réunir toutes les autres.
C’est le roman total, comme il en existe quelques-uns.
Le personnage et narrateur, Aue, a tout pour déplaire au lecteur.
Né de mère française et de père allemand, il quitte la France pour s’engager dans la SS, où il sait que son homosexualité risque de lui coûter la vie. Il est maladivement amoureux de sa sœur jumelle, avec qui il a commis, et voudrait commettre encore et toujours, l’inceste. Il gravit les échelons, avant et pendant la guerre, en s’occupant d’administrer les opérations de nettoyage ethnique des pays envahis. Il s’efforce de parvenir à l’efficacité optimale dans la gestion de l’extermination, et n’en supporte pas la réalité concrète. Tout en cherchant à se faire bien noter, il a le sentiment de sa médiocrité, et ne doit son avancement qu’aux interventions de son ami Thomas, qu’il finit par tuer, après avoir assassiné, au cours d’un voyage en France occupée, sa propre mère et son beau-père. Persuadé du bien-fondé de la mise en œuvre de la solution finale et du programme de purification raciale, il regrette que l’extermination ne se fasse pas plus « proprement », et que la force de travail des millions de déportés ne soit pas exploitée efficacement pour l’édification du Reich et sa victoire contre l’ennemi. Il calcule en bon gestionnaire ce que doivent être la ration maximale de nourriture et les conditions minimales d’hygiène pour que l’esclave reste rentable.
Entre ses vomissements et ses diarrhées schizophréniques, il organise méthodiquement l’holocauste.
En tout cela, il est odieux, mais il n’est pas inhumain.
Voilà ce qui crée le malaise chez le lecteur que l’auteur amène, insidieusement, par petites touches, à se demander si entre Aue et lui, nulle affinité n’est possible, d’autant plus crucialement que le "héros" s’exprime à la 1 ère personne, ce qui empêche la distanciation.
Aue dégoûte, certes.
Mais il n’est pas invraisemblable : il est, par la force du roman, un homme qui peut avoir existé, qui a existé, qui existe, il faut avoir la lucidité et l’honnêteté de le reconnaître, non seulement au-dehors, mais aussi, tragiquement, au-dedans de chacun d’entre nous.
Aue dégoûte, certes, mais il nous nous force à nous voir tels que nous sommes.
Un romancier atteint au génie lorsque le lecteur sait que le roman n’est pas qu’un roman…
Pour moi, ce roman n’est pas que littérature.
Patryck Froissart, St Gilles les Bains, le 28 juillet 2008
La banalité
Critique de Naturev (DOLE, Inscrit le 29 mai 2008, 58 ans) - 30 juin 2008
Enfin, on focalise trop le personnage principal sur le SS. Dans le sens où cette question peut se poser aussi sur d’autres facettes du personnage (incestueux, matricide, déloyal) et tout cela, chose primordiale dans le personnage principal, sans être quelqu'un de foncièrement mauvais. Une facette d’une banalité du mal, c’est à dire du mal chez un individu banal. "Les bienveillantes" ne sont pas seulement l’histoire du SS Aue, mais du Dr Aue, être humain complet ayant des relations familiales, amicales, professionnelles et sexuelles. Il trouve même durant son périple des amis sympathiques, des gens biens dirait-on ; antithèse de ses relations d’avant-guerre (son père, les amis de son père, les amis français, Thomas) .
L’histoire est bien construite et très bien documentée, sauf quelques erreurs (rien n’est parfait). Le livre se lit facilement. Et on est pris dans l’histoire malgré la tentation de le classer malsain, car il provoque du dégoût. Comme je disais, il s’agit de la personne Aue, et l’on a des passage qui peuvent être longs, comme son délire dans la maison de sa sœur qui ne doit rien à son appartenance à la SS. Mais globalement, c’est un très bon ouvrage.
Embarrassant !
Critique de Ngc111 (, Inscrit le 9 mai 2008, 38 ans) - 5 juin 2008
Mais cela n'enlève rien à la qualité de l'écriture, l'intensité du récit...
J'ai adoré !
Voyage au bout de l'enfer
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 5 juin 2008
Encore un roman qui a fait polémique simplement parce que certains trouvent révoltant le fait que les nazis ne soient pas dépeints comme des monstres absolus, au même titre que le film « La Chute »… A cet égard, Maximilen Aue (le narrateur et « héros ») annonce la couleur dès le début du livre : « Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s’est passé. On n’est pas votre frère, rétorquerez-vous, et on ne veut pas le savoir. »… Ceux que ça choque refusent peut-être de voir le barbare en nous… Je pense au contraire que ce livre permet d’affronter cette part sombre qui nous constitue, qu’on le veuille ou non, Je comprends que cela puisse déranger, et c’est sans doute le but. Mais le personnage, tout nazi qu’il soit, a également ses doutes. Il sait qu’il est un salaud, que tout cela est abominable et absurde, et pourtant continue dans cette voie qu’il a choisie, par sincérité au départ puis ensuite comme on peut être attiré par le vide, à la fois acteur et observateur, quand bien même il supporte difficilement toutes les atrocités résultant de la guerre et de la purification ethnique. Humain en somme, avec ses petites lâchetés, ses petites saletés… C’est aussi absolument passionnant, et la le style narratif froid et clinique n’enlève rien à l’horreur de ce dont le personnage est témoin, car oui, c’est sûr, il faut parfois avoir le cœur bien accroché… Ce dont nous parle l’auteur n’est pas uniquement la cruauté de cette époque mais la cruauté de la vie tout court… et c’est au fond le fil rouge de histoire, parfaitement symbolisée par la rencontre de Aue avec le vieux sage dans le Caucase, un des moments-clé du livre. Quelle conclusion peut-on tirer au sortir de cette épopée âpre, parfois alourdie par la longue énumération des protagonistes mais très captivante sur le fond ? L’auteur ne livre pas de réponses mais nous laisse avec ce constat amer : l’humanité est seule, seule face à son destin, dans un monde insensé et cruel, comme le résume si bien la scène finale où Aue se retrouve seul et hagard dans un zoo en ruine au milieu des animaux errants et agonisants… Je ne sais pas si on peut parler de chef d’œuvre, mais le Goncourt est largement mérité pour cette histoire très forte, dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Un livre fort, une véritable expérience à lui tout seul dans les profondeurs les plus nauséabondes de l’âme humaine, une peu comme une pièce interdite dont on sait qu’on va y trouver des secrets désagréables mais dans laquelle on ne peut s’empêcher de pénétrer. A chacun ensuite de tirer ses propres conclusions, la mienne étant que le fait d’accepter notre propre inhumanité peut peut-être nous rendre plus humain. Mais ne serais-je pas trop optimiste ?…
Un héros nazi ? (oxymore ?)
Critique de Meuhlodi (, Inscrite le 4 avril 2008, 38 ans) - 4 avril 2008
Qu'elles soient bonnes ou mauvaises, je suis plutôt d'accord avec elles.
Deux points n'ont pas été évoqués et m'ont pourtant beaucoup marquée.
La comparaison au communisme est omniprésente. Et je pense qu'en effet, le discours va plus loin que le "vous auriez fait pareil". Le héros est un nazi convaincu, tout en n'étant pas un sadique antisémite. Son attachement au national-socialisme est déroutant.
J'avais au collège une prof d'histoire, communiste jusqu'au bout des ongles, qui s'obstinait à détacher la théorie communiste (tout le monde vit en harmonie, c'est la fraternité, c'est beau) et ce que les vilains bolcheviques staliniens en avaient fait. Et après tout, n'est-ce pas possible de le faire aussi pour le nazisme ? C'est en tous cas la question que pose le narrateur. Est-ce que ses convictions étaient si absurdes que ça ?
Là, je sens, vous avez tiqué. Oui, oui, moi aussi.
Mais après tout, l'avis du narrateur n'engage que lui. Et il est parfois très visible que l'auteur ne partage pas certains avis de son héros. Il lui oppose notamment des détracteurs auquel il est bien incapable de répondre autrement que par des arguments bidons (je suis une fan de Herr Voss ^^). Alors du coup, on ne sait plus trop quoi penser.
Je pense que c'est ça, la véritable thèse de l'auteur. Qu'il ne sait pas quoi penser. Que personne ne sait quoi penser dans le fond.
Le livre m'a rappelé mes horribles adieux à la philosophie, quand près avoir lu Schopenhauer et Nietzsche, je me suis dit qu'il valait mieux que je rentre chez moi et que je fasse des traductions ou des équations. Et c'est justement, Schopenhauer et Nietzsche, qui avec les Grecs étaient à la base de la "philosophie" nazie.
Comment décider de ce qui est bien, ou de ce qui n'est pas bien, lorsqu'on n'a pas de repère ?
D'autre part, il est un point sur lequel le narrateur s'emmêle les pinceaux, c'est justement celle des races et donc celle des juifs. Là, je dirais qu'il explique mal. D'une part parce qu'il n'est pas sûr lui-même, et qu'il change d'avis au cours du livre. D'autre part parce que les autorités nazies elles-mêmes s'embrouillent, parce que les gens ne sont pas d'accord entre eux, parce que les gens changent d'avis eux aussi, parce que les avis les plus courants et les plus farfelus se mélangent au gré des discours officiels et des discussions autour d'une bouteille de vodka. Il n'y a plus rien qui tient en place. Peut-être tout simplement parce que c'est inepte. Après tout, ce n'est peut-être pas la peine de chercher plus loin.
En définitive, j'ai essayé de chercher à qui ce personnage du héros me faisait penser.
On aurait pu le croire, mais en fait pas du tout à celui de "La mort est mon métier".
Non, ce serait bien plutôt celui de "L'étranger". Même si le héros des Bienveillantes est plus cynique, plus conscient, moins anti-héros que cet autre personnage. Mais pour ma part je n'ai jamais été satisfaite des analyses de "L'étranger" que j'ai pu trouver, le personnage me semblait bien plus complexe que ça, et donc l'idée me plaît, je m'y tiens.
Choc
Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 41 ans) - 2 avril 2008
Un parcours d'Untersturmführer à Obersturmbannführer.
Critique de Eloriaz (Montréal, Inscrit le 7 janvier 2008, 32 ans) - 9 janvier 2008
La lecture m'a paru dès le départ lourde et parfois difficile à suivre ou à cerner, si l'on considère en plus que les pages sont immenses et que l'écriture est d'une taille minuscule relativement à l'absence quasi complète de paragraphes. Comme on l'a déjà cité quelque part, ce n'est pas un livre à la portée de tous. Plusieurs scènes d'exterminations décrites peuvent être choquantes, sans compter certaines phrases qui relèvent de scatologie évidente. Personnellement, cela ne m'a pas rebuté, non pas que j'y suis indifférent, mais que de tels propos dans un tel sujet ne me semblaient pas tout à fait déplacés. Le langage se devait, selon moi, d'être cru, sans euphémismes.
Le protagoniste des Bienveillantes, Maximilien Aue, s'avère comme un personnage à la fois intéressant à suivre mais aussi complexe, presque ambigu, comme on a déjà dit ci-dessous. D'ailleurs, la fin du récit nous prouve justement cette ambiguïté, qui nous fait douter lors de certaines parties du roman, mais je n'en dirai pas plus. J'ai remarqué que certaines critiques, pas seulement sur ce site, protestaient contre les extraits oniriques d'Aue, notamment le chapitre "Air" ou la divagation du personnage à la suite de l'accident à Stalingrad.
Je suis d'accord sur le fait que choisir une personnalité de cette sorte n'est pas du tout commun, et qu'un homme dont la normalité serait plus que normale aurait peut-être aidé à éclaircir un peu plus l'histoire, quant au fait de vivre la vie d'un bourreau par rapport à quelqu'un de très ordinaire. Par contre, je n'ai pas pour autant trouvé que les passages comme dans le chapitre "Air" étaient tout à fait inutiles - même si, je l'accorde, certains se propulsaient presque à l'extrême. Cela nous montre, au contraire, toute la pression qu'a subi un officier SS, en l'occurrence Aue, et qui finit par se "dégonfler", pour ainsi dire, pour se transformer en une pure et simple indifférence. Lorsqu'il apprend que les Russes sont en route, dans la manoir de sa sœur, on démontre son flegme total, le "je m'en fous", comme si tout ce qu'il avait pu voir de ses yeux ne lui faisaient plus d'effet, ce qui mène à l'excès de folie (cela ne s'applique bien sûr pas à son voyage dans le coma). C'est la même chose pour plusieurs des autres officiers SS, Thomas Hauser par exemple, qui ne ressent pas de si grand regret face à la perte et qui en rit presque, même après tout ce qu'il a fait pour le national-socialisme (il n'adopte pas cette attitude en allant chercher Aue en Poméranie, mais le fait plus vers la fin) . Voilà pourquoi je trouve que ce n'était pas inutile. Encore une fois, tout est une question d'opinion en ce qui concerne l'idée, mais je ne pense pas que Littell aurait écrit ce chapitre dans le seul but d'expliquer l'amour fou qu'Aue porte à sa sœur jumelle. Toutefois, peut-être est-ce le cas.
Évidemment, tout au long du récit, les questions nous viennent à la tête comme des étincelles sautillantes: Qu'aurais-je fait à leur place, moi? Des sales types, le sont-ils vraiment tous? Et ce mal, est-il aussi banal que ça?
Une œuvre qui mérite, à mon avis, d'être lue d'un œil plus découvreur que critique.
Monumental
Critique de Fa (La Louvière, Inscrit le 9 décembre 2004, 49 ans) - 13 septembre 2007
Tout est dans ce roman. Une documentation solide, un personnage complexe, torturé, horrible, et finalement terriblement humain.
Les critiques précédentes ont repris le résumé de cet ouvrage. Inutile dès lors que je m'y attarde.
Pour moi "les bienveillantes" constitue à la fois la description à traits forcés de l'histoire d'un nazi, partie du système, un remarquable condensé de certains aspects de la seconde guerre mondiale, un roman psychologique aussi, le Sieur Aue n'étant pas toujours un exemple d'équilibre.
Il va de la démarche scientifique, à l'incongruité ou à l'insolite, ce qui rend finalement le récit plus humain encore.
Par de nombreux aspects, le livre fait froid dans le dos : sommes nous certains de ne pas suivre la barbarie lorsqu'elle nous entoure? Qu'aurions nous faits si nous avions été allemands durant cette sinistre époque? Je ne reviendra pas sur ses aspects les plus horribles . Mais telle fut la guerre, telle fut la barbarie nazie.
Il y a dans ce roman un côté, on l'aura deviné, profondément glauque, morbide, horrible et fascinant : j'ai tourné ces pages lourdes, chargées, avec entrain, comme attiré par le vide.
Monumental. Ma meilleure lecture depuis plus de cinq ans.
Au-delà des homélies...
Critique de JolWeb (, Inscrit le 29 juin 2007, 32 ans) - 29 juin 2007
Passées les premières excitations d’avoir enfin le roman tant attendu, on parcourt les premières pages, et on est rapidement rebuté par une mise en page souffrant d’un manque d’aération certain. On croirait presque que l’éditeur a voulu faire des économies de papier et d’encre. Puis on évoque un choix personnel de l’auteur ; tout comme celui de conserver les grades allemands tels quels dans le récit, on est alors forcé de se rendre à chaque fois à la laborieuse liste de traductions se trouvant à la toute fin du livre. On se lasse très vite de toutes ses contraintes qui ne nous poussent pas dans le sens de la lecture attentive et, a contrario, peu à peu, inexorablement, on décroche. Et ce n’est ni le style exécrable (longueurs, lourdeurs, et j’en passe), ni l’écriture sans talent particulier qui nous ramènera dans la trame.
Le leitmotiv moralisateur des Bienveillantes, « tout homme peut devenir un monstre », a un air de déjà entendu, de déjà lu, quantités de fois, surtout dans ce contexte de seconde guerre mondiale. C’est là, précisément, que l’on se questionne légitimement sur la véritable originalité de ces écrits. Des récits relatant les horreurs de cette guerre à la bestialité sans nom, il y en a foule, parfois mieux rédigés, et surtout plus humains.
Au final, on en ressort avec un désagréable goût amer dans la bouche : cette saveur, c’est tout simplement celle d’avoir l’intime certitude de s’être fait avoir. Voilà, il fallait bien désigner un Goncourt en 2006. Et le choix s’est porté sur une œuvre insipide, qui donne l’illusion d’être « érudite », mais qui ne l’est certainement pas (il suffit de se plonger dans les critiques des historiens, qui n’hésitent pas à la qualifier parfois de « canular »), et qui ne brille certainement par son style médiocre et âcre.
Superbe pied de nez à l'éthique 'bien-pensante'
Critique de Louis La Voyelle (, Inscrit le 14 mars 2006, 49 ans) - 15 mai 2007
Je ne pus que penser à d'autres lectures récentes ou de mon enfance, Levi, Merle, Céline, Gary, Kirtesz, ...
Et puis rapidement je suis pris par le livre que deux longues soirées m'ont permis de boucler.
L'écriture de Littell est simple, agréable et visuelle...
Elle évoque tout de suite celle de Zola et d'autres naturalistes.
Certes Littell n'a pas inventé un style: ce n'est pas Céline.
Littell n'a pas vécu non plus les horreurs évoquées, ses mots n'ont pas la terrible et sublime intensité des écrivains survivants non plus. L'histoire des bienveillantes, n'est pas un roman construit sur le témoignage comme ceux des contemporains des faits.
Ce roman en superposant deux histoires horribles, celle d'un psychopathe et le nazisme mélange deux histoires, mélange la responsabilité individuelle et celle du groupe. En faisant survivre Max Aue, il nous inspire une réflexion sur l'éthique, sur la responsabilité, sur le poids de la faute, sur la nécessité de punir.
Atmosphère dramatique, mais pas nauséeuse, grâce à quelques notes d'humour décalé comme lorsque Max Aue pince ironiquement le nez d’Hitler, ridiculisant tout le système mis en place, ridiculisant l'homme aussi, ou la barbarie. Humour ironisant sur la bêtise populaire, la fausse science (la science humaine et tous les instruments de mensonge dont elle se dote), véritable pied de nez au déterminisme économique et social...
Pied de nez aussi à tout nos bien-pensants qui accusent encore une droite d'être extrême.
Plus prudemment, l'auteur montre aussi que tous les hommes sont des loups en devenir capables de la même horreur. Enfin un auteur qui ose même si trop discrètement dénoncer l'autre crime contre l'humanité trop innocenté:
L'horreur soviétique et le système coercitif mis en place et hérité des mêmes méthodes et surtout du même type de déterminisme social.
Au-delà de son rôle de fresque historique, la lecture du roman inspire également de nombreuses réflexions sur la norme, l'attitude par rapport au pouvoir, l'identité, l'éducation, le mal radical et la lutte pour la survie à laquelle tous les personnages et les masses anonymes se livrent, lutte qui fait voler en éclat toutes les éthiques et théories déterministes et darwinistes. Celui qui survit n'est ni le plus apte ni le moins vertueux, dans l'apocalypse des ruines de Berlin, mais un homme déboussolé qui ne doit sa survie qu'au hasard.
Un document !
Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 11 mai 2007
Et je pense que l'auteur a très bien restitué l'état d'esprit des officiers supérieurs, et des soldats allemands ; mais aussi du peuple allemand tout entier ou, du moins, de ses élites.
Tout au long du récit, nous rencontrons, outre les plus hauts gradés allemands, des gens du plus haut niveau intellectuel de la société allemande. Et il apparaît que tous ces gens appellent de tous leurs voeux l'avènement de l'Ordre nouveau, dont ils seraient les maîtres et dont les Juifs feraient les frais !
Mais pourquoi les Juifs ? Cette question apparaît en filigrane tout au long du récit. Elle est souvent posée, et si les hypothèses sont multiples, la réponse n'est jamais donnée. C'est la volonté du Führer. Et le Führer est génial, point.
Et chacun exécute les ordres à sa manière : le narrateur, un intellectuel de haut niveau, voudrait que ça se passe proprement. Le Docteur Speer, un grand industriel, voudrait qu'on emploie la main-d'oeuvre juive dans les fabriques d'armes jusqu'à ce qu'ils meurent d'épuisement. Eichmann, grand responsable devant son maître de la "question juive", entend exécuter les ordres, en bon comptable, sans réfléchir. Dans la troupe on exécute les ordres sans penser, un bon soldat ne pense pas !
C'est incroyable, c'est extraordinaire, mais c'est comme ça ! A quelques rares exceptions près, je crois que cet état d'esprit, au début de la guerre, correspond exactement à la réalité allemande.
Ce n'est qu'après Stalingrad et lors des bombardements de Berlin, quand la défaite se profile, que certains réaliseront qu'ils ont commis un crime abominable et qu'ils vont devoir expier.
Ce livre est fascinant de bout en bout.
Malheureusement, et on se demande pourquoi, l'auteur a voulu que son héros soit affublé de perversions sexuelles invraisemblables. Ça nous vaut quelques pages à la limite de la pornographie et c'est regrettable, ce livre n'avait vraiment pas besoin de ça.
Cette restriction faite, ce livre est grandiose. Il met en lumière une des plus grandes catastrophes de l'humanité, si pas la plus grande. Il devrait passionner tous ceux qui veulent en savoir plus sur ce qui s'est passé dans cette Allemagne nazie en ce terrible XXème siècle.
Long, long...
Critique de Le rat des champs (, Inscrit le 12 juillet 2005, 74 ans) - 5 avril 2007
Merle nous présente le cas pathétique d'un pauvre type pas très malin qui s'engage dans la SS pour bosser tout simplement, parce qu'il est la victime d'une crise économique, due aux sanctions économiques prises contre les Allemands à la fin de la guerre de 14-18, ce qui ne veut pas dire qu'il excuse son pitoyable héros, loin de là.
Au contraire, Littell nous présente un intellectuel, universitaire, et on comprend plus difficilement comment il peut tomber là-dedans. Surtout qu'il explique, le bougre qu'il n'est pas obligé, que la SS peut le muter à un poste administratif s'il refuse de participer à des tueries. Il ne hait pas les juifs comme certains de ses collègues et à certains moments, il fait même preuve d'une certaine humanité et en tous cas d'une grande culture, alors on ne comprend pas très bien...
Là où Robert Merle a fait un portrait criant de vérité d'un petit assassin minable, qui pourrait être n'importe qui, Jonathan Littell nous montre un intellectuel homosexuel, maître de lui, qui agit sans haine, et dont on ne comprend alors pas les motivations. Je ne ferai ici qu'évoquer le côté glauque et grossier du personnage de Maximilien Aue, tellement peu compatible avec son éducation raffinée, par exemple quand il parle du sperme présent dans son cul après un rapport homosexuel. En tous cas, autant le pitoyable héros de Merle est criant de vérité, autant le brillant intellectuel qui s'encanaille est peu crédible.
Des deux livres ressort le même message, la même question lancinante: "Et vous, frères humains qui me lisez, qu'auriez-vous fait à ma place?" On ne peut donc pas parler d'originalité dans le chef de Littell en l’occurrence. Si on retire toutes les aventures de guerre de Aue, qui n'apportent rien de nouveau sous le soleil, que reste-t-il? La superbe première partie, nommée "Toccata", où tout est dit brillamment, intelligemment en une démonstration implacable sur la responsabilité et la conscience.
En dehors de ça, il faut reconnaître que l'auteur s'est extrêmement bien documenté, et que la réalité historique est décrite avec minutie et exactitude, ce qui est remarquable pour un écrivain né après les événements décrits.
Au total le bilan de ce livre me semble plus que mitigé et je n'arrive pas à comprendre comment il a pu recevoir une récompense aussi prestigieuse que le Goncourt, mais ceci comme disait Kipling est une autre histoire.
Bouleversant de vérités plurielles
Critique de Ddh (Mouscron, Inscrit le 16 octobre 2005, 82 ans) - 23 mars 2007
L’auteur fait réfléchir le lecteur en lui décrivant les malheurs des bombardements de Berlin, l’horreur à Stalingrad, les alliances pro-allemandes de certaines peuplades russes antisémites et anti-bolchéviques, la puissance de la hiérarchie qui se couvre contre la justice…
Maximilien Aue, ce personnage ambigu est hautement dangereux. Il faut que le lecteur ait l’esprit critique pour ne pas se laisser séduire par son argumentation. Mais en réalité, qui est ce Maximilien Aue ?
Homosexuel qui vit son homosexualité dans la clandestinité car elle est à l’encontre même de l’idéologie nazie. Il n’hésite pas non plus à rejoindre les lieux « branchés ».
Inceste car il a une attirance maladive vis-à-vis d’Una sa sœur jumelle. Il en a la nostalgie et se livre à des plaisirs solitaires.
Meurtrier de Juifs, sa mère, son beau-père et son meilleur ami !
Il s’agit donc d’un personnage hors du commun. Et pourtant…
Il doit s’occuper de rechercher les Juifs et il le fait scrupuleusement dans le respect des ordres reçus, fidèle à sa hiérarchie.
Il est convaincu que les Juifs doivent participer économiquement à la victoire allemande en travaillant dans les usines d’armement ou autres. Ils doivent être mieux nourris pour qu’ils puissent travailler plus longtemps. Ils doivent être triés : il est inutile que les vieux, les femmes soient mieux traités puisqu’improductifs. Il faut laisser les femmes avec leurs enfants pour éviter des lamentations inutiles.
Il ne veut pas de brutalités ni d’exécutions sommaires en sa présence mais connaît la destination des fours crématoires !
Il se scandalise du manque d’hygiène à Auschwitz : la mortalité nuit à la production !
Pornographie guerrière
Critique de Oxymore (Nantes, Inscrit le 25 mars 2005, 52 ans) - 16 mars 2007
D'abord, soyons clairs, ce roman n'est physiquement pas à la portée de tous. Ce n'est pas un poche et qui plus est son volume et son poids empêchent même toute lecture-loisir dans le bus ou dans la salle d'attente d'un dentiste; faut quand même se coller 994 pages (sans compter les annexes) sur un thème très lourd et peu propice à vous donner envie d'aller gambader dans les prés.
Passées les impressions d'ordre pratique, je dois bien avouer être passé par tous les sentiments à la lecture de ce livre: horreur, dégoût, passion, intérêt et j'en passe. Au final c'est bien ce que l'on attend d'un livre; qu'il nous transporte et nous fasse vivre. C'est terrible toute cette MORT ambiante dans un livre et toute cette VIE qu'il procure dans la multiplicité des tableaux dressés, des sentiments évoqués, des situations vécues, des pays traversés. Pourtant, il me semble qu'il n'y a rien d'antinomique ici puisque finalement la vie l'a emportée et comme l'espérait Zweig à la veille de sa mort, on a vu l'aurore après la longue nuit.
Je m'interroge encore plus aujourd'hui sur les raisons pour lesquelles certains ont littéralement flingué Les bienveillantes (je pense à Yann Moix notamment). En effet on peut très bien détester un livre, là n'est pas la question; mais lui reprocher un certain voyeurisme malsain, une horreur néfaste n'apportant rien et une écriture médiocre et sans intérêt, là je ne comprend pas.
D'abord, le roman est placé du côté du bourreau (max Aue) puisque le narrateur est un officier SS qui, de surcroît, n'est pas un plénipotentiaire quelconque mais un officier de terrain. le décor est posé. On sait qu'on va découvrir l'horreur de la guerre. Alors à ces esprits là il faudra leur redire encore: non la guerre n'a jamais été propre, oui les massacres étaient arbitraires, oui on assassinait femmes et enfants, non tous n'étaient pas prédestinés à être bourreaux (la confrontation avec la folie en a gagné beaucoup). Qu'a t-il cru cet écrivaillon de Moix ? Qu'il fallait y mettre la forme ? Qu'à Stalingrad la neige était blanche et que tous ces morts ressemblaient au dormeur du val, paisiblement couché le sourire aux lèvres ? Passons....
Ensuite, j'ai trouvé que l'écriture était très belle, efficace et chirurgicale. J'accorde volontiers un excès, quelque fois néfaste, de germanismes et grades militaires que Littell aurait pu nous traduire. C'eût été plus simple et plus fluide à la lecture; malgré tout je m'y suis fait. Pour en revenir à l'écriture, elle s'est abaissée à moi; j'ai mis en forme le verbe de Littell. Soudain les mots ont pris leur sens; j'ai ainsi ressenti bien souvent l'odeur de la poudre et du sang, je suis tombé maintes fois aux côtés d'un cadavre dans une fosse commune, j'ai senti l'odeur si singulière d'un corps en putréfaction, les relents émétiques provoqués par les odeurs d'excréments.
Non ce n'est pas gai vraiment, mais qui a dit que la guerre l'était ? Contrairement à Moix qui considère que ce roman n'a rien apporté et pouvait éviter de tomber dans une certaine forme de complaisance (quel imbécile!), je pense au contraire que ce roman a pu rappeler à beaucoup à quel point l'horreur d'une guerre ne se résume pas à des chiffres évoqués au journal de 20h et que derrière ces chiffres se trouvent des hommes massacrés, des femmes violées et des enfants dépecés. Alors oui, ça choque, ça donne envie de vomir et ça dérange certaines consciences mais pourtant c'est ainsi.
Enfin, Les bienveillantes nous confronte avec la part sombre de l'homme. Au départ rien ne prédisposait Max Aue à être bourreau. Nombreux étaient ces allemands se reconnaissant dans les thèmes du NSDAP de Hitler: réhabilitation de l'Allemagne bafouée, combat contre le chômage, redonner le pouvoir au peuple (Völkisch) etc.... point de solution finale ni de jusqu'au-boutisme aveugle. C'est ce qui rend ce livre dérangeant peut-être; on voudrait croire que ceux qui ont gazé des juifs, des tziganes, des communistes etc.... n'étaient pas des hommes mais des monstres. Ils nous ressemblent trop, ils ont des familles, des loisirs, vont en vacances, rient.... ils jouissent de la vie en somme et ce qui nous les rend insupportables.
Certes Max Aue possède une belle part de vices (sexualité refoulée et ambiguë), ses idées politiques sont claires mais pour autant il a des regrets à de nombreuses reprises, il s'interroge sur la question juive et admet une erreur fatale dans leur traitement. De plus on assiste à sa chute, ses rapports avec sa soeur, sa mère et son beau-père nous éclairent sur le fond de cet homme perdu, en désespérance mais aussi capable de sentiments humains.
En somme, Les bienveillantes est un livre très important, qui relate sur le vif l'horreur des ces hommes qui pensaient être supérieurs à d'autres et qui, à ce titre, ont commis tout ce qu'il y a de plus abject. Mais c'est aussi l'histoire d'un homme qui laisse sa part d'humanité, de perfectibilité lui laisser entrevoir le fond de l'abîme, le remords et le poids de la conscience; ses sentiments inscrits comme un sceau marqué au fer rouge au plus profond de son âme.
L'intelligence inhumaine
Critique de Soili (, Inscrit le 28 mars 2005, 51 ans) - 4 mars 2007
Dans un tel livre , minutieusement documenté, les écueils à éviter étaient nombreux dès le départ, plusieurs furent évités, pas tous.
Ce roman me laisse un sentiment mitigé avec à la fois des qualités indéniables mais également des défauts probablement inévitables dans ce genre de roman.
Tout d'abord, je regrette l'utilisation un peu excessive de termes et de sigles allemands qui pour certains du moins auraient pu être traduits sans en altérer ni le sens ni la force.
Ensuite , le personnage de Maximilien Aue est tout sauf banal donc, et c'est je pense un travers important, empêche des réflexions personnelles autrement plus profondes et dérangeantes que s'il avait été au départ dans une certaine "normalité". Ses actions ne sont pas seulement le fait d'être né d'un côté de la barrière plutôt que d'un autre, sa vie si elle en eut été changée n'aurait pas pour autant pu se dérouler de façon anodine quelles que fussent les circonstances.
Cette personne ne considère pas ce qu'elle fait comme condamnable personnellement et se dédouane en mettant son attitude et son action sous le couvert de l'action collective, attitude communément adoptée par de nombreux accusés lors des procès de Nuremberg, il ne fait qu'obéir aux ordres sans se remettre en cause personnellement.
Même si inconsciemment son corps rejette ses actes par des manifestations physiques peu ragoûtantes (qu'il n'est à mon avis pas nécessaire de détailler), ses réflexions personnelles sont limitées et se plient aux ordres de ses supérieurs .
La volonté de l'auteur d'en faire une personne cultivée montre que l'inhumanité ne résulte pas du seul fait d'imbéciles aux attitudes bestiales et primitives mais pour en arriver à de telles extrémités, il fallait que certains mettent leur intelligence au profit des volontés les plus abjectes.
Alors, d'un point de vue physique, ces personnes étaient humaines certes mais d'un point de vue moral, ces personnes n'avaient rien d'humain.
Il faut reconnaitre à l'auteur un travail remarquable de documentation, de recherches historique qui en font un livre exceptionnel d'un point de vue historique, livre qui a été reconnu par Jorge Semprun comme un livre d'une grande qualité.
Donc , même si ce livre peut choquer par sa crudité de nombreux lecteurs (concernés ou pas par la Shoah), il n'en reste pas moins un document rare à un moment où les témoignages directs vont peu à peu s'éteindre. Un livre à lire et encore plus probablement un livre à relire.
Un monument
Critique de Bernard2 (DAX, Inscrit le 13 mai 2004, 75 ans) - 7 février 2007
Monument par le volume : un « pavé », 900 pages en petits caractères.
Défaut majeur hélas, la lecture est beaucoup trop aride. Sans doute l'auteur l'a-t-il voulu, mais est-ce le bon choix ? Pratiquement pas de paragraphes, des phrases interminables (page 715, une phrase... de trois pages ! totalement incompréhensible), des descriptions fastidieuses, où l'on se perd. Certes, c'est une façon de faire passer le désordre mental du personnage du livre. Mais bien des fois, j'ai failli laisser tomber la lecture. Et les petits caractères fatiguent les yeux. Il suffisait de ne pas faire qu'un seul tome. C'est une erreur impardonnable.
Comment se frayer un chemin entre les balles...
Critique de Poupi (Montpellier, Inscrit le 11 août 2005, 34 ans) - 31 janvier 2007
Première qualité indéniable de ce roman-fleuve, comme dit Francesco, c’est l’étonnante documentation et l’érudition de l’auteur. Une interview de Jonathan Littell m’a appris que s’il n’a mis que 4 mois à écrire ce livre, il a passé les cinq dernières années à voyager, se documenter, poser les fondations de son récit, interrogé les livres et visiter les vestiges du système concentrationnaire. Sur ce coup, chapeau bas !
Seconde qualité : quelle densité, et quelle passionnant récit. Il y a de tout, des discussions interminables sur les langues d’Europe de l’Est, des débats sur la question juive, des descriptions de magnifiques paysages, des réflexions philosophiques sur la condition de l’homme, l’intérêt des camps de concentration. J’ai beaucoup aimé la réflexion de Aue sur un de ses rêves, une société où les gens se mettent d’eux-mêmes à part quand ils sentent le moment venu, et le compare à ce qu’il vit. Beaucoup de courses, de poursuites, de scènes de combat d’une violence inouïe, et une histoire riche, sans aucune platitude dans son déroulement.
Bref, j’ai adoré, malgré le poids considérable de cette œuvre sur la conscience, « Les Bienveillantes ». Je le conseille, car c’est un roman qui prête bien à réfléchir sur l’absurdité de cette guerre, l’absurdité de la Shoah, ainsi que sur la fatalité qui a joué sur cette période. Beaucoup ont œuvré pour la gloire, pour servir, sans conscience du Mal qu’ils libéraient. Comme l’écrit Max Aue, ils sont des monstres parce qu’ils sont nés en Allemagne, alors qu’ils seraient des héros s’ils étaient nés en Amérique. En somme, ce roman est une lecture indispensable à qui souhaite réfléchir sur la question.
TOUT ça POUR ça
Critique de JOIDéMO (, Inscrit le 12 février 2006, 59 ans) - 27 janvier 2007
Faut-il 894 pages pour nous narrer l'inhumanité latente de l'humain qui se réveille ici dans l'Allemagne nazie?
Au premier? je réponds par la négative, c'est un livre indigeste qui vous emporte vers la nausée octante, plus que vers le chef-d'oeuvre !
Au second? idem; pas cher pour près de 900 pages , exorbitant quant aux pages exploitables (donnant corps à la petite histoire du narrateur).
Alors, oui c'est bien écrit, brillant quant aux connaissances dignes d'un grand érudit, mais on s'emmerde grave, les grades militaires pleuvent comme à Gravelotte , la merde en tant que vidage de boyaux est le fil jaune du récit, soit par peur, soit par stress, soit par le biais du rêve!
Le thème de : tout homme peut devenir un monstre est banal, voire classique, même si c'est vrai, l'ensemble est mal traité, il y a mêmes des raccourcis faciles! inouï de dire cela dans un roman aussi grassouillet.
Si vous voulez le lire un conseil démarrez la lecture à la page 315 si vous aimez vous pourrez y revenir à ces 315 pages.
La fin est grotesque
Trois étoiles , une pour l'érudition, une pour l'écriture, une pour le style!
Si vous connaissez votre histoire 39/45 et l'horreur de la solution finale, passez votre temps à lire autre chose!
Décevant roman fleuve
Critique de Francesco (Bruxelles, Inscrit le 16 février 2001, 79 ans) - 27 janvier 2007
Bien sûr au départ l'idée était originale pour l'auteur de se mettre dans la peau d'un officier supérieur nazi qui décrit ses états d'âme et ses réflexions philosophiques et littéraires face à l'horrible machine d'extermination des juifs.
Mais que de longueurs , de digressions sur la hiérarchie militaire et de descriptions érotiques voire pornographiques sur les relations sexuelles de l'auteur avec sa soeur et d'autres hommes comme il était homosexuel , chose qui était particulièrement condamnée par Hitler!!
Donc un témoignage certes poignant et véridique sur ce qui s'est passé mais bien trop long et parfois ennuyant sans style digne de ce nom!
Au coeur de la tourmente
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 26 janvier 2007
Les premières pages m’ont donné du fil à retordre mais je me suis familiarisée avec tous ces grades SS et le reste de la lecture en a été facilité. Littell possède sans nul doute un vrai talent de raconteur et le récit est prenant. Il se plaît à nous donner de multiples détails sur l’organisation du Reich ce qui donne au livre une certaine valeur éducative et historique.
Une foule de personnages évoluent mais il y en a tellement qu’on s’y perd. Et puis, certains disparaissent un certain temps du récit pour revenir plus loin donc il peut être très utile de prendre des notes. Le personnage de Aue est intéressant mais ambigu. Est-il humain ou totalement dépourvu de sens moral ? Est-ce une machine au service de son parti ou est-il simplement pris dans un engrenage dont il ne peut plus sortir ? C’est un être torturé, amoureux fou de sa sœur et ayant des relations sexuelles fréquentes avec des jeunes hommes. Mais, est-il vraiment un homosexuel ou est-ce seulement une réaction à l’impossibilité pour lui d’épouser la seule femme de sa vie : sa sœur ? Un personnage difficile à cerner et dont les motivations ne sont pas clairement définies contrairement à son ami Thomas, dévoré d’ambition et dont les intrigues sont sa spécialité. Thomas veut profiter de son poste pour pouvoir jouir des nombreux plaisirs que la vie lui offre sans penser au lendemain. Il paiera cher l’amitié qu’il porte à Aue.
Si le livre plonge le lecteur dans la tourmente de la guerre d’une façon magistrale et fort réaliste, la fin est plutôt rocambolesque et enlève de la crédibilité à cette œuvre immense qui mérite d’être lue pour la réflexion qu’elle suscite et aussi par certains passages très beaux sur l’absurdité de la guerre et la domination du plus fort sur le plus faible. Un livre choc dont la lecture vous fera vivre des moments intenses et inoubliables.
Pas de haine, pas d'amour. De la méthode
Critique de CH (, Inscrit le 2 janvier 2007, 71 ans) - 14 janvier 2007
Max Aue manque de racines et de repères. Enfant alsacien, de père allemand absent et d’une mère française, il doit se construire par lui-même. Ceci est d’autant plus difficile qu’il est jumeau d’une sœur qui représente, à travers des épisodes incestueux son idéal féminin.
D’une érudition acquise durant son éducation classique et frais émoulu de faculté de droit, il est modelé par les événements externes. Et les subit et assume totalement.
Engagé dans un corps SS par concours de circonstances, il va continuer à être ballotté de rencontres en rencontres, de pays en pays, d’événements en événements et d’horreur en horreur.
Par expérience, il apprend qu’il vaut mieux faire des rapports qui sont en ligne avec ce que sa hiérarchie attend et qu’il est plus opportun de faire ce qui flatte, sans juger ni préjuger.
Bon soldat, quoi.
Et le voyage commence dans l'espace: La France, l'Allemagne, La Pologne, l'Ukraine, La Russie.
Et le voyage traverse le temps de la Guerre, avec ses actions contre les civils, ses combats contre l’ennemi, ses blessures, ses errances et retraites.
Et le voyage traverse le temps des déviances. Ses rafles et exécutions, Ses bordels, ses actions contre les civils.
Il va jusqu’à l’ineffable, l’horreur des exécutions de masse, des fosses communes, des charniers, des coups de grâce sur amoncellement de corps, des usines à mort.
Et l’effroyable, est qu’il n’y a pas de haine, pas de compassion.
Le travail doit être fait… et bien fait ; et pour cela, il faut de la méthode, de la rationalisation, de l’optimisation.
Les phases sont analysées, et améliorées, les pertes d’efficacité revues et corrigées là où elles peuvent l’être.
Les chambres à gaz remplacent les balles, car meilleur rendement. Les conditions d’humidité sont un paramètre de vitesse d’efficience du gaz? Alors on les contrôle.
Le matériau est humain. Hommes, femmes, enfants. On peut parler avec eux….. puis les détruire.
Si ce matériau a un rendement pour produire du travail, pour autant qu’il y ait un ratio d’apport de nutriment (calories), alors essayons de lui apporter. Sinon, remplaçons le faible par du neuf, le moindre mal en terme de productivité.
L’horreur, c’est que Max raisonne est qu’il est pragmatique, raisonne, en face de chaque situation. Et il exécute ou fait exécuter.
Ses connaissances et ses raisonnements sont ceux du 20ème siècle, comme les nôtres.
Ils pourraient être nôtres.
Max Aue n’est pas mort.
Dans tous les conflits post seconde guerre mondiale, Max Aue est présent. Il construit des murs de ségrégations, il déporte des populations, il tue des innocents, il humilie des prisonniers, il cautionne des parodies de procès. Il établit de faux rapports qui serviront justifier ses actes à venir. Il est de toutes les guerres militaires ou civiles, de toutes les invasions. Et combien de fois en sommes-nous complices par notre silence?
Pour qui a travaillé dans une multinationale ou un grand groupe industriel, la réflexion peut être extrapolée sur les rapports des maisons de consulting qui suggèrent de rapporter plus de cash flow ou de bonus aux actionnaires en rationalisant par des suppressions d’emploi qui ne rapportent pas à court terme. On va supprimer des postes dans les frais fixes. Et un comptable ou un informaticien qui gicle. Trop d’ingénieurs par rapport au quota de personnel travaillant en production ? On règle la situation en une discussion avec le RH. Et une pré-retraite ou un licenciement en plus! Les subsistants n’ont qu’à se répartir ses tâches, sans tenir compte de la charge actuelle. Sans tenir compte du stress, de la dépression, de la dégradation des rapports. On mettra plutôt un temporaire que de créer un travail fixe en cas de besoin. Il faut de l’efficacité : Alors retirons les travaux sans valeurs ajoutées et restructurons !
C’est l’étude qui le dit, c’est le besoin de rester compétitif qui le veut, c’est la mondialisation qui le dicte. Nous n’en sommes pas responsable ! Personne n’est responsable. Le directeur général doit donner des comptes au conseil de direction, c’est le directeur des ressources humaines qui doit atteindre ses objectifs, c’est le chef de département qui n’a pas le choix, c’est le contremaître qui doit en répondre, etc.
Comme pour Max Aue, pas de haine, de la méthode
livre laborieux à lire et indigeste.
Critique de Nana31 (toulouse, Inscrite le 29 janvier 2006, 55 ans) - 7 janvier 2007
Bien sûr il y a des scènes qui ne peuvent nous laisser indifférents et qui sont à la limite du soutenable.
Comment cela a-t-il pu exister?
C'est un livre très intéressant qui a dû demander beaucoup de travail et de recherches mais, à mon goût trop difficiles et trop lourd à lire.
Je suis entièrement d'accord avec Hexagone et Peche07 qui n'ont mis que 3 étoiles.
De là à crier au chef d'oeuvre...
Critique de Peche07 (, Inscrite le 22 février 2006, 66 ans) - 7 janvier 2007
frères humains
Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 31 décembre 2006
Les bienveillantes est un ouvrage d'un lourdeur littéraire et physique évidente.
Pour tout dire ce livre ne m'a pas plus ému que cela. Bien sûr les descriptions font détourner le regard avec horreur, et on recentre sa lecture à tout instant sur les litanies du protagonistes, et sur ces vicissitudes quotidiennes.
Factuellement on n'apprend pas grand chose sur les arcanes du nazisme, tout n'a-t-il pas été dit ? Les frasques sexuelles du héros alimentent son déséquilibre mental, jusqu'à une éventuelle chute qui n'en finit pas de se profiler.
En somme, un livre dont l'existence n'est en rien justifiée, sinon de relancer les débats sur cette période de l'histoire.
Le style ne m'a pas fait pénétrer dans le récit et c'est avec ardeur que j'ai dû relancer à chaque fois la lecture.
Aucune empathie ni antipathie avec l'ouvrage qui ne me paraît pas essentiel et dont la récompense suprême par le prix Goncourt m'est incompréhensible.
Où est la limite du mal pour certains hommes ?
Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 11 décembre 2006
Neuf cents pages avec un texte plus serré que des sardines dans leur boîte. Et écrit petit, pour ne rien arranger. Il y a plus de 10 Nothomb dans ce livre !
Qu’est ce que j’ai aimé ?
A nouveau j’estime inutile de parler de l’histoire en elle-même puisque c’est fait dans la critique de base.
Ce livre semble très bien documenté, pour autant que je sois compétent pour en juger. D’accord qu’il s’agit d’un roman, mais il me semblerait très risqué de la part de l’auteur d’écrire des bêtises sur un sujet qui a été aussi étudié que celui-là.
A peine quelques pages tournées, je trouve qu’on est saisi par le roman et qu’il n’est plus possible de l’abandonner. Mais cela nous fera passer de très sales moments !... C’est la première fois que j’ai senti un nœud à l’estomac en lisant des phrases et qu’il prenait des proportions telles que je me suis demandé si j’allais arriver à continuer. C’était lors de l’exécution d’un très grand nombre de Juifs dans un ravin, là où Aue est obligé d’y aller aussi lui-même. Insoutenable !... Horrible, plus horrible qu’Horrible !... Comment l’homme peut-il en arriver là !... La pire des bêtes n’envisagerait pas de telles choses !...
Mais on suit Aue parce que c’est un être tout à fait particulier. Par moment il semble totalement insensible et spectateur non engagé. Il fait ce qu’il a à faire, comme un bon employé ferait sa comptabilité. Mais à d’autres moments il est au bord de dégueuler tant le spectacle est dur. Mais il passera toujours outre au nom des intérêts vitaux du Reich et aux crimes que celui-ci exigerait. Et là, il en est convaincu, aussi horrible soit ce qu’il fait ou voit. Il croit profondément dans la national socialisme, en la race allemande et en Adolf !...
Ses moments d’humanité sont courts même si, et là se trouve un paradoxe, nous n’arrivons pas tout à fait à le classer en bonne position parmi les assassins de la pire espèces. C’est aussi un homme dérangé par de lourds problèmes psychologiques tant vis-à-vis de son père que de sa mère et surtout envers sa sœur. Une excuse ?... Non, pas tellement et il n’en cherche d’ailleurs pas… Il ira jusqu’au bout de ce qu’il estime être son devoir dans l’horreur et l’inhumanité.
Ce livre est bon et intelligent, il nous donne des éclairages des choses parfois différentes et loin d’être sans intérêts aucuns. Pourquoi alors ais-je été heureux de le fermer ?...
Parce qu’il m’a fait vivre pendant des heures dans une ambiance horriblement lourde, à la limite du supportable, tout y était noir, même pas gris !...
Tout en lui reconnaissant de grandes qualités, j’étais heureux de sortir de cette ambiance d’horreur humaine. Et comme il est dit quelque part dans le livre, lors de faits particulièrement horribles, ils sont « humains » ces faits, appartiennent totalement aux hommes comme cela peut être le cas du bien.
Le mal, vu de l’intérieur
Critique de Manu_C (, Inscrit le 19 août 2004, 55 ans) - 22 novembre 2006
Littell nous livre une vision de l’intérieur des motivations et des techniques d’exécution de cette machine à détruire qu’est la Waffen SS de 1941 jusqu’à Mai 1945. Je ne vous résumerai pas plus l’ouvrage, les nombreuses critiques précédentes l’ont fait de façon exhaustive ; je préfère aborder les dimensions ou sujets qui prêtent à critique et qui pourront se terminer sur le forum :
Certains ont souligné l’absence d’éclairage, dans le récit, sur les motivations de cette industrie, je pense au contraire que l’ouvrage délivre beaucoup d’éléments sur le sujet sans peut-être sans en analyser toute la complexité mais Aue le dit, lorsque l’on doute sur ce que l’on doit faire : « Il faut agir comme on pense que le Führer l’aurait souhaité ». La clef de voûte du système est là, la direction est donnée et l’ensemble des forces se mettent en ordre de marche pour contribuer à cet objectif sans pour autant être déresponsabilisé ni disculpé :
• Aue, également, le dit dans une tranchée ukrainienne : « celui qui regarde est aussi coupable que celui qui exécute ».
• Et tout au long du livre, jamais il ne remet en cause le principe de la solution finale convaincu par sa nécessité parce que dictée par le Führer et la doctrine nationale socialiste; pour autant il n’y met pas plus de passion qu’un fonctionnaire auquel on a confié une tâche et qui l’accompli au mieux en fonction des moyens dont il dispose (selon ses termes et le quasi portrait d’Eichmann qu’il nous en fait), il faut simplement que sa finalité serve le Reich. Littell met d’ailleurs en scène deux types d’exécutants, les froids fonctionnaires organisateurs, planificateurs et à la tête de cette industrie (avec ses essais et ses balbutiements) et les autres dans les camps, au contact direct de ceux qui sont condamnés à une mort certaine, avec l’expression du rapport de force qui en découle, postes assumés par « la lie de la SS » selon Aue parce que les plus déstabilisant « humainement » et également révélateurs de la faiblesse de la doctrine.
Certains ont également reproché à Littell d’avoir choisi un pervers psychotique pour acteur principal de son récit et par là même donner des circonstances quasi atténuantes au personnage, ou du moins donner des éléments pour le déresponsabiliser ; là aussi, je doute ; je pense au contraire que Aue est tiraillé en permanence sur le sujet de la solution finale entre la doctrine et des sentiments personnels ; l’épisode de l’ethnie Tat en est l’exemple flagrant, il fera tout son possible ou presque pour démontrer leur caractère non juif … sans y mettre plus de passion que cela, mais le mot d’ordre est l’extermination des juifs et dans le cas des Tats, il existe un doute et donc un risque de condamner des « innocents » - ce qui démontre, une nouvelle fois que le caractère « coupable » des juifs a été admis et n’est pas discutable et qu’il légitime la solution finale. Et si Aue est rongé par des psychoses, elles semblent alimentées par son travail mais pas le motiver.
Aue ensuite évolue peu vis-à-vis de la solution finale et il faut attendre le début de la débâcle allemande pour percevoir le changement qui s’opère : on sent une prise de conscience de l’horreur qu’il a côtoyé mais de repentir, jamais ; et là aussi, cette prise de conscience est amoindrie par les circonstances : dans ses délires psychotiques fusionnels impliquant sa sœur, Aue comprend ce qu’il ne vivra jamais (la maternité) mais réalise enfin, partiellement, ce que les gazés ont vécu.
Cet épisode de la débâcle allemande (le retour vers Berlin et les deniers jours berlinois) apporte un éclairage particulier ; Aue présente les russes comme des bouchers prenant leur revanche sur l’opération Barbarossa et on atteint dans ces pages des niveaux d’horreur comparables au nettoyage ethnique de l’Ukraine, à mon sens. La particularité de cette dernière phase du livre est cet éternel détachement de Aue vis-à-vis de cette horreur comme si passé un certain seuil, elle était descriptible mais non perçue ou occultée; j’ai eu l’impression de retrouver les scènes de combat de « La ligne rouge » de James Joyce et cette apathie dans laquelle sombrent les soldats comme si la seule façon de conserver quelques capacités était de faire abstraction de la boucherie qui vous entoure. Cet épisode n’est pas le seul où Littell établit une comparaison entre l’Allemagne Nazie et l’URSS, un long interrogatoire à Stalingrad d’un officier soviétique permet d’apprécier les similitudes entre les deux modèles : l’un vertical fondé sur la race, l’autre horizontal sur les classes sociales mais aux finalités trop semblables. Mais Aue le dit dès le départ, l’histoire est écrite par les vainqueurs (comment les nazis l’auraient écrite ? ça fait froid dans le dos…)
Faut-il lire ce livre ? Je pense que oui ; il est long, il est dense et il est très dur d’un point de vue contenu mais, a posteriori, aucune des longueurs n’était inutile. Au-delà d’une intrigue presque secondaire et d’une personnalité discutable (Aue), on apprend beaucoup et cela m’aura fait réfléchir sur trois points :
1 – Définitivement, il ne faut pas oublier ce qui s’est passé, car cela peut revenir (on l’a vu, à une échelle et sous des formes différentes, au Rwanda, en Bosnie et au Kosovo il n’y a pas si longtemps)
2 – Qu’aurais-je fait dans ce contexte ?
3 – Comment vais-je en parler à mes enfants quand il sera temps ?
Sur ce sujet, différent et plus court, je vous conseille « La Question Humaine » de François Emmanuel.
Prix goncourt bien mérité
Critique de Gab (bruxelles, Inscrite le 31 décembre 2004, 50 ans) - 8 novembre 2006
A lire absolument! A la mémoire de ceux qui ne sont plus, pour ne pas oublier...
Les bourreaux ne meurent jamais, mais...
Critique de Jlc (, Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans) - 7 novembre 2006
Et quoi, je serais donc le frère de cet ignoble individu ? Non, non et non, voyons, je n’aurais pu qu’avoir une autre attitude si j’avais vécu en Allemagne à cette époque. Et pourtant j’ai suivi tout au long de neuf cents pages le chemin du SS Max Aue. Chemin d’écoeurement, chemin de honte, de dégoût, d’indignation, d’effroi. Mais aussi chemin de questionnement, de doutes. Comment, confortablement installé devant la clavier de mon ordinateur, puis je être si sûr que ?... Et finalement chemin de révolte.
Certains se sont complus à relever que le SS Aue est un mélomane averti. Et pourtant il abat froidement un organiste qui joue divinement Bach. Ils mettent en évidence la culture de ce fin lettré. Oui mais dans les débris de Berlin, tout en lisant Flaubert il tue son ami. Ainsi donc la culture ne nous protège en rien du mal. Mais ne le savions nous pas déjà ? Le SS Aue est une ordure qui lit et parle le grec ancien, seul moyen de communiquer avec un vieillard qui, dans une scène inoubliable, renverse les rôles en refusant celui de victime pour mieux dominer son bourreau avant d’être abattu. La culture est une circonstance aggravante devant un tel comportement.
Et c’est là, à mon avis, que se trouve la force de ce roman, dans le fait que l’imaginable puisse être raconté. Nous avons sur cette époque, ce drame absolu, des témoignages, des images, des récits. Ils sont, à l’évidence, indispensables à la compréhension de ce qui s’est passé, si la chose est possible. Mais ce livre se situe ailleurs en mettant en scène le bourreau. Or si l’on sait bien que les bourreaux ne meurent jamais, on sait aussi qu’ils mentent toujours. Le SS Aue, lui ne ment pas car il est la créature d’un romancier et c’est ici tout le pouvoir de la littérature, comme l’a montré, en d’autres circonstances, Maria Vargas Llosa dans « La vérité par le mensonge ». Cet être imaginé est plus vrai et tout cas plus crédible que bien des confessions qui ne sont que vérités incertaines passées au crible d’un ego oublieux ou faussement repentant.
Depuis Hannah Arendt, on sait que le mal peut être banal. A cet égard « Les bienveillantes » est tout à fait remarquable en montrant le côté bureaucratique de l’organisation SS dont les membres ont « une mentalité de subalterne » pour reprendre la formule d’Arendt parlant d’Eichmann, je crois. Cette bureaucratie médiocre ne gère pas une administration ou une production, elle gère une abomination dans une normalité totalement effrayante. On a mis en évidence, presque pour l’excuser, que le SS Aue s’insurge contre la condition faite aux prisonniers. Mais ce n’est que pour mieux servir le Reich et sa folie en lui fournissant des esclaves plus productifs. Le SS Aue est parfaitement cynique comme l’est l’organisation à laquelle il appartient corps et âme.
« Les bienveillantes » n’est ni un témoignage, ni un roman historique. C’est le roman d’un psychopathe, d’un pervers entièrement responsable … Je voudrais ici signaler ce qui me parait la principale faiblesse de ce roman, hors du commun : oui le mal est banal, oui ceci aurait pu nous arriver mais le roman aurait gagné en force si Jonathan Littell avait imaginé un homme tout à fait normal ce que manifestement il n’est pas quand on parcourt sa vie, des souvenirs douteux sublimés de l’enfance aux cauchemars de l’adulte. Certains lecteurs ne vont-ils pas trouver dans cette anormalité une excuse qui expliquerait le nazisme ? Ceci serait très dangereux comme l’idée selon laquelle c’est le hasard qui fait le bourreau ou le héros, plus que le libre arbitre, la volonté, le courage. Ainsi nous ne serions pas responsables, ce serait seulement la faute du destin ? Trop facile et fondamentalement faux et cette époque fut celle aussi de ceux qui refusèrent, qui résistèrent, qui se turent comme, pour rester dans le seul domaine de la littérature, les héros du très beau livre d’Hans Fallada « Seul dans Berlin ».
Ce roman a d’autres faiblesses déjà mentionnées par les lecteurs précédents : l’emploi de germanismes non expliqués par l’éditeur, certains passages beaucoup trop longs (le livre n’aurait rien perdu en densité avec deux cents pages de moins) ou abscons pour les non initiés (les Tats sont-ils des Juifs ou des Turcs ?), la partie policière de l’intrigue que j’ai trouvée totalement artificielle.
Le style a été décrit comme plat. En fait il m’a paru adapté au récit et au sens que Littell a voulu lui donner avec tout à la fois cette écriture plate que l’on emploie pour rédiger un audit ou un rapport (ce qui était le métier du SS Aue), mais aussi cette poésie des paysages, la première promenade dans Stalingrad ou encore, dans un tout autre domaine, cette chute vertigineuse dans l’abjection mentale, physique et verbale. « Les bienveillantes » est manifestement un livre important, même s’il ne révolutionne pas le genre littéraire et n’a pas la dimension artistique d’œuvres auxquelles il a été un peu vite et très médiatiquement comparé.
J’ai déjà dit que le SS Aue est un cynique. Mais qui sommes nous ? Qu’avons-nous fait depuis Auschwitz ? La guerre froide, les drames coloniaux et post coloniaux, la torture, le terrorisme, le racisme, les génocides, la faim dans le monde. Faut-il continuer l’énumération ? N’aurions nous donc rien appris, rien retenu ? Dans cette responsabilité collective, devant notre inertie, n’avons-nous pas une culpabilité individuelle ? « Les bienveillantes », roman de l’apocalypse, appartient à cette catégorie de livres qui ne laissent pas intacts et qui contribuent à l’accomplissement personnel, pour faire de nous, à l’inverse du SS Aue, ce que la littérature peut faire de mieux : nous sentir plus frères humains. Certes les bourreaux ne meurent jamais, mais l’espérance humaine non plus.
Mon frère ?
Critique de StellaMaris (, Inscrite le 7 juin 2006, 63 ans) - 28 octobre 2006
Au fil de l’histoire, on retrouve Aue à Stalingrad, dans un décor hallucinant, à enquêter jusque sur le front pour alimenter son prochain rapport au Reichsführer, on le voit dans la légion Wallonie où il rencontre le Belge Léon Degrelle, engagé dans la SS et occupé à gagner ses galons en combattant les Russes. Aue va aussi à Paris, la ville de son cœur, car francophone autant que germanophone, ses meilleurs souvenirs y sont indissolublement liés. La France contient aussi une partie de son secret, peu à peu dévoilé. On le retrouve enfin dans le bunker de Hitler, où se déroule une scène étrange, mélange de fantasme et de réalité.
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Le premier livre de Jonathan Littell est une somme sur la Seconde guerre mondiale, qui a nécessité cinq ans de travail, de nombreux voyages sur place, des rencontres et des témoignages. Le lecteur qui s’intéresse à la période retrouvera en filigrane quelques unes des sources de l’auteur, les œuvres d’Anthony Beevor sur Stalingrad ou sur la chute de Berlin, le fameux Hitler de Ian Kershaw… L’idée initiale de Littell tient dans une photographie, celle d’une jeune paysanne russe coupable de sabotage, pendue par les nazis, découverte ensuite par les Soviétiques et érigée en héroïne par Staline. « Ce qui est extraordinaire dans cette image c’est qu’on perçoit à quel point cette femme a pu être belle », explique-t-il. Horreur et beauté. Mais le fils du grand reporter de Newsweek Robert Littell, diplômé de l’université Yale, a aussi été inspiré par La destruction des Juifs d’Europe, de Raul Hillberg, le meilleur ouvrage historique décrivant le processus du génocide et Les jours de notre mort, de David Rousset, qui décrit la vie dans les camps de concentration, de la culture solide qui le protège des erreurs historiques.
Les superlatifs ne manquent pas pour qualifier Les Bienveillantes et son auteur a été comparé au Dostoïevski des Frères Karamazov ou au Flaubert de L’Education sentimentale. N’ayons pas peur des mots lorsqu’ils sont justes. Mais ne manquons pas non plus de saluer le souffle qui anime ce roman, chose trop rare dans la littérature contemporaine. Le lecteur est maintenu en haleine tout au long du livre, jusqu’à l’antépénultième page qui possède, elle aussi, son coup de théâtre. Cette verve mise au service de descriptions parfois insoutenables est l’un des étonnants caractères de l’ouvrage, rédigé en français quoique son auteur soit américain. La critique s’est faite quasi unanime pour tresser des lauriers à Jonathan Littell. Seule ombre au tableau, l’avis du Pr Peter Schöttler, directeur de recherche au CNRS, qui s’en prend d’abord à l’utilisation que fait le jeune auteur de la langue allemande, relevant ici et là des impropriétés et des erreurs. « Le phénomène complexe et difficile de la Shoah est réduit à sa dimension meurtrière et presque entièrement « expliqué » en termes d’inhumanité, de sadisme et de perversité », écrit-il dans son article du quotidien Le Monde. Il a raison, mais l’objectif de Littell a moins été de brosser une explication que de faire entrer son lecteur dans une logique de bourreau.
Glauque et fascinant
Critique de BONNEAU Brice (Paris, Inscrit le 21 mars 2006, 40 ans) - 24 octobre 2006
J’ai beaucoup aimé, je ne le cacherai pas plus longtemps. Je ne sais pas trop comment parler de ce livre, c’est assez difficile. On me demande souvent, dans le bus, au Starbucks, etc, “ahhh, vous avez Les Bienveillantes ! Et bien, alors, c’est comment ? Parce que j’hésite beaucoup…”. J’ai du en faire vendre une dizaine rien qu’avec les gens qui venaient me demander mon avis.
Alors, qu’en dire ? Ce livre est phénoménal, pour sûr. Le sujet, déjà, ne peut pas laisser insensible. Narrer la seconde guerre mondiale du point de vue “des méchants”, c’est assez rare pour être relevé. Etablir une oeuvre de fiction construite sur l’Histoire, et pas la plus belle, ce n’est pas rien non plus. On suit ici la vie d’un officier SS jusqu'à la chute de Berlin, sur 900 pages, et parfois ce qu’on lit fait mal.
Je ne ferais que deux reproches à Littell. Si je peux me permettre. La première, est particulièrement pénible dans la progression de la lecture au départ, c’est l’emploi de germanisme : les grades, les ministères, les tactiques, … tout est en allemand dans le texte, et le lecteur est prié de se reporter en fin d’ouvrage pour comprendre. Au départ, c’est chiant, on tient 900 pages à bout de bras, on en a marre de chercher à la fin. Mais passé un certain cap de lecture, on se familiarise avec le tout. Le second truc, c’est que dans la vie du Dr Aue, le personnage principal, tout n’est pas rose. Il est un peu psychopathe sur les bords, et quand Littell se lance dans 20 pages de délire sexuel et psychotique, je vous assure, il faut tenir le cap.
Le tout se lit très facilement, et le bouquin crée une sorte de fascination assez étrange, je lisais dès qu’il m’était possible de lire, partout et en tout temps. On ne se sent alourdi par le récit que lorsqu’il digresse un peu. D’un point de vue historique, ma culture générale ne me permet pas de remettre en cause les éléments cités dans le livre, mais je trouve l’ensemble merveilleusement documenté. Une Siren m’a laissé entendre que Littell s’était fasciné sur le sujet. Je n’en doute absolument pas.
Si vous aimez lire, si vous avez de la patience et de la force dans les bras, lancez-vous dans la lecture de cette oeuvre singulière, parfois glaçante d’effroi, toujours intéressante, étrangement fascinante. Je vous le recommande, dites-leur que vous venez de ma part…
Une Grande Œuvre qui décrit bien mais explique mal !
Critique de Mayft (Toulouse, Inscrit le 17 mars 2006, 42 ans) - 9 octobre 2006
Toutefois, je trouve qu’il y a comme une contradiction entre la psychologie du personnage de ce SS-Offizier Maximilien Aue et l’idée que l’auteur lui-même à travers les analyses de son personnage sur la mentalité et les raisons profondes de crimes nazis : Max Aue souffre certainement de troubles psychiques et psychologiques (et notamment d’un trouble de l’identité sexuelle ou simplement du genre), c’est un assassin… un malade ! Or Jonathan Littell a essayé de démontrer dans tout le roman, avec Max Aue comme exemple, que c’est précisément une erreur de penser que le Troisième était composé de malades/fous/déments sadiques (et je le comprends bien et le crois d’ailleurs). La première partie du livre « Toccata » expose bien cette idée/argument qu’il se démène sur 894 pages à développer et expliquer en même temps qu’il décrit (très minutieusement d’ailleurs), pourtant l’avant-dernière partie « Air » démantèle cette argumentation car Max est un malade… Et je ne peux pas croire que ce soit une belle collection de dégénérés mentaux qui aient par pure frénésie organisé et exécuté un plan meurtrier d’une telle envergure ! En concevant Max Aue tel qu’il est s’est comme tiré lui-même une balle dans le pied… à moins qu’à la fin il ait commencé à douter de sa propre théorie de sa propre idée et qu’il l’ait en conséquence ‘nuancée’ de la sorte !
Frères humains qui êtes capables du pire
Critique de Channe01 (, Inscrite le 21 juin 2005, 70 ans) - 8 octobre 2006
10 jours entre parenthèse avec « Les bienveillantes ». 10 jours c’est si peu. Et ça m’a semblé si long. Vouloir fermer les yeux et ne pas pouvoir. Vouloir oublier et ne pas pouvoir. Le livre, pesant dans les mains. Les mots pesant sur le cœur.
Entendre les actualités, celles d’aujourd’hui et se dire, comment échapper à une nouvelle horreur…. Comment désapprendre à obéir aveuglément ? Comment recevoir les informations pour qu’elles ne soient pas de la propagande ? Comment faire le tri dans cette saturation d’informations pour que cela ne revienne plus jamais. Car l’horreur vient si facilement au pouvoir. Pour le bien de tous, on en sacrifie quelques uns… Pour le bien de tous, on envisage le pire. On compte, on décompte, on gère les humains comme une marchandise.
N’est ce pas ce que l’on fait aussi de nos jours, on gère les humains. On gère les catastrophes, on gère l’humanitaire. On gère les crises. Il y a la colonne des investissements, des bénéfices, les pertes et profits.
Et là, le système est poussé jusqu’au-delà de l’absurde.
Le personnage, pour lequel on n’a aucune empathie, suit son plan de carrière. Il applique la loi selon les critères en vigueur. Il ne remet rien en question ou pas longtemps. Il faut bien suivre la loi.
Bien sûr, il aime mieux ne pas participer de trop près. Mais il raisonne. Tous sont coupables. Mais il ne fait que son travail. Il veut le faire bien. Il rationalise. Comment utiliser la marchandise humaine jusqu’à épuisement de la ressource en investissant le moins possible en nourriture et vêtement ?
Au final, tous les humains sont susceptibles de basculer dans l’horreur indicible, d’accomplir l’horreur indicible. C’est ça le drame.
Ce livre que certains remettent en question parce qu’il ne faudrait pas écrire ou faire œuvre de création à partir de la Shoah, ce livre documenté, à tel point qu’on aurait aimé que l’éditeur nous mette des notes en bas de page, ce livre pourra témoigner que cela a bien existé… Parce que tous n’ont pas envie de lire les travaux des historiens.
Et ce n’est pas seulement la Shoah qui est évoquée, c’est toutes la seconde guerre mondiale et ses compromissions qui font que l’horreur peut s’accomplir. De part et d’autre, Hitler et Staline, à qui sera le plus terrible, le plus efficacement terrible…
Je pense que cette œuvre s’inscrit bien dans l’après 11 septembre 2001. Sur nos écrans de télévision, chaque jour, nous avons notre quota d’horreur et nous pourrions devenir insensibles. Là, avec les mots, les mots précis, on se prend en pleine figure, les pages noires et rouges de la deuxième guerre mondiale avec pour conclusion que l’horreur reste toujours dans le domaine du possible…
Il me faudra relire ce livre. C’est la raison pour laquelle je vais l’acheter. Le relire, mais autrement. Parce que j’ai perçu plusieurs niveaux de lectures. Mais là, je l’ai pris comme un coup de poing, comme une torchère qui m’a flambée.
Il me faudra le relire, mais en me préparant. Et le documentaire de Lanzmann qui dénigre ce roman, me sera précieux.
Ces deux objets, le livre et le film pouvant témoigner pour après demain, quand personne ne pourra plus dire, j’y étais et j’ai vu. Il faut bien y penser dès maintenant.
Si vous ne pouvez lire ce livre dans son intégralité, il est présenté comme une œuvre musicale, une suite, lisez au moins les 30 pages de la Toccata… Ensuite, c’est à vous de décider….
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