Demian de Hermann Hesse
( Demian : die Geschichte von Emil Sinclairs Jugend)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
Moyenne des notes : (basée sur 10 avis)
Cote pondérée : (539ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 16 675 (depuis Novembre 2007)
le chemin parcouru
Lu à quinze ans pour la première fois (merci à mon athénée et à mon prof de français de l'époque), relu à vingt ans (plus par obligation cette fois), ce roman m'est retombé dans les mains par hasard à un peu plus de trente ans. Et comme pour mesurer la distance parcourue depuis mes quinze ans, il m'a semblé essentiel que je le relise à nouveau pour voir si "Demian" me semblait toujours aussi essentiel. Et, bonne nouvelle, l'effet produit est toujours aussi colossal.
Sinclair est un gosse lambda vivant dans une petite ville d'Allemagne dont on ne connaîtra pas le nom. Très tôt, il a l'impression que la vie qu'il mène - celle de ses parents - est incomplète. Schématiquement, avec une vision enfantine, il lui semble que le monde est divisé en deux : le monde lumineux (celui de ses parents où l'on est honnête, gentil avec ses soeurs, respectueux de la loi et de la religion) et le monde sombre, celui des beuveries et des excès, de la folie et des larcins de toutes sortes. Et il sent qu'il est attiré par ce monde où les passions sont exacerbées. Mais sa vision enfantine du monde est bien sûr toujours incomplète, toujours trop caricaturale et trop systématique. Et il n'aura de cesse de chercher ce qui se cache à l'intérieur de lui-même, ce qui le positionne par rapport au monde et le monde par rapport à lui.
"La vie de chaque homme est un chemin vers soi-même, l'essai d'un chemin, l'esquisse d'un sentier. Personne n'est jamais parvenu à être entièrement lui-même; chacun, cependant, tend à le devenir, l'un dans l'obscurité, l'autre dans la lumière, chacun comme il le peut."
Phrase qui m'avait semblé essentielle à la première lecture, au point de la coucher noir sur blanc et d'en faire ma devise, cette phrase du livre résume à elle seule le contenu de "Demian" et même, serais-je tenté de dire, toute la littérature de Hermann Hesse.
Sinclair n'aura de cesse de chercher les chemins vers lui-même, et, en chemin, il se trouvera un guide épisodique en la personne de Max Demian, élève bien singulier de son école, marqué par un signe infâmant mais invisible, une marque dans la façon d'être qui en fait un être à part, plus qu'humain, tellement singulier qu'il en paye le prix par son isolement du commun des mortels, mortels qui s'en protègent superstiteusement en lui affublant une marque indélébile et pourtant si discrète : le signe de Caïn.
Le chemin vers lui-même, Sinclair ne le trouvera pas dans les religions, qu'elles soient actuelles ou totalement disparues (contrairement à son ami Pistorius). Il ne le trouvera pas non plus dans l'ésotérisme (contrairement à d'autres qui croient à la magie blanche ou noire, c'est selon). Car le chemin qu'entame Sinclair est celui qui mène vers lui-même, un chemin entièrement centré sur lui et son intériorité. C'est un peu ce qui fait la force de "Demian" par rapport aux autres romans de Hermann Hesse : l'accent mis sur l'individu et les potentiels qu'il renferme. Le monde à côté n'est que décoration, mascarade, un lieu peuplé de gens qui se sont fourvoyés, un assemblement d'individus qui ont renoncé à mener à bien leur quête intérieure. Car cette quête nécessite une concentration telle que le contact avec le monde devient aussi décevant que les gens qui le peuplent.
Superbe roman, "Demian" est une quête initiatique à laquelle le lecteur finit par participer. Quand on lit le roman à quinze ans, pétri des incertitudes liées à l'adolescence ou travaillé par d'autres incertitudes plus profondes encore, "Demian" trace un chemin bien fascinant auquel on finit naturellement par aspirer. C'est d'ailleurs pourquoi on le relit avec intérêt à vingt ou trente ans : pour mesurer le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir. Parce que "Demian" est plus qu'un roman, c'est une ligne de vie dont on finit par douter qu'elle soit réellement romanesque.
Verdict de la lecture à trente ans ? Le charme agit toujours, même si c'est d'une autre manière. Les manichéismes de l'enfance sont loin. On a depuis longtemps abandonné la subdivision du monde en monde lumineux et en monde sombre. Mais on est immanquablement rattrapé par les visions du monde qui se succèdent au fur et à mesure que le héros vieillit - ce qui montre, au passage, la force du roman, qui mûrit au fil des passages sans avoir recours à des artifices faciles -. Et à un moment ou à un autre, on a immanquablement l'impression d'être en phase avec Sinclair et Demain, on acquiert la certitude d'être aussi, d'une manière ou d'une autre, marqué par le signe.
Mais résumons-nous. Plus adulte et pénétrant que l'Alchimiste de Coelho, "Demian" est un formidable roman initiatique doublé d'un roman où Hesse fait preuve d'une maîtrise parfaite de l'écriture. En plus, vous avez, de manière détournée, droit à un peu de philo (Hesse fait référence à Nietzsche à plusieurs reprises : le surhomme de Nietzsche n'est pas loin.)
Alors, pourquoi hésiter ? Moi, je suis sûr d'une chose : je le relirai dans quelques dizaines d'années. Pour voir quel chemin j'ai parcouru.
Les éditions
-
Demian [Texte imprimé], histoire de la jeunesse d'Émile Sinclair Hermann Hesse traduit de l'allemand par Denise Riboni ; texte revu et complété par Bernadette Burn ; préface de Marcel Schneider
de Hesse, Hermann Schneider, Marcel (Autre) Riboni, Denise (Autre) Burn, Bernadette (Autre)
le Livre de poche / Le Livre de poche
ISBN : 9782253022916 ; 6,20 € ; 01/10/1979 ; 219 p. ; Poche
Les livres liés
Pas de série ou de livres liés. Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série
Les critiques éclairs (9)
» Enregistrez-vous pour publier une critique éclair!
Roman d'apprentissage?
Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 9 mai 2018
Alors que les deux premiers tiers sont vraiment très prenants voire exceptionnels, Hermann Hesse achève ce morceau de bravoure littéraire par une digression métaphysique très ardue qui m'a laissé plus que perplexe. Si j'en crois les lecteurs et leur commentaires qui précèdent le mien, je ne suis pas le seul.
A multiplier la symbolique et les passages oniriques Hesse a sans doute voulu dépasser le simple roman d'apprentissage. Dommage car il tenait là sans doute un chef d'oeuvre au même titre que l'Attrape-coeur, l'histoire d'un jeune homme qui poursuit une quête afin de pouvoir se réaliser.
Sans doute trop ambitieux, ce récit m'a semé à partir de la rencontre de Sinclair avec Pistorius, l'organiste théologien, personnage énigmatique s'il en est. L'amour frustré d'Eve et du jeune héros est la seconde rencontre plutôt étrange de ce récit car extrêmement symbolique. Cet amour contrarié est gênant à plus d'un titre: glorification de l'inceste, refrènement du désir, ambiguïté des sexes...cette relation toute en symbole est sans aucun doute un cas limite de psychanalyse.
Il n'empêche, malgré ses desseins trop ambitieux, Hermann Hesse livre ici un excellent roman, très subtil est intellectuel qui mérite une seconde voire une troisième lecture pour saisir toute la portée de ce que l'auteur a voulu transmettre.
Détruire son propre œuf pour naître vraiment
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 21 février 2016
Un peu barré, le père Hermann, me direz-vous ? Chacun se fera sa propre opinion… En tout cas, l’homme, imprégné de culture orientale, était un hippie avant l’heure, et a largement contribué à l’émergence du mouvement beatnik dans les années 1950-60. N’ayant pas eu une jeunesse heureuse, entre troubles bipolaires et tentatives de suicide, il était en quête d’une expérience spirituelle authentique, dessein qui transparaîtra dans tous les écrits dont il a fait don au monde. Et dire que cet immense auteur faillit sombrer dans l’oubli… merci les Hippies !
Le regard tourné vers le dedans.
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 19 décembre 2015
Demian est tout simplement fantastique et il me semble être de loin une pointure au dessus des deux premiers.
Ce texte résiste au temps et même mieux.
Abraxas
Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 9 août 2014
Roman génial, court mais intense, sur l'initiation quelque peu déroutante (soit on choisit le bien, soit on choisit le mal, mais il faut choisir sa voie) d'un jeune homme du nom d'Emil Sinclair, par un autre jeune homme du nom de Max Demian, dans une ville allemande sans nom.
Roman publié à la base sous le pseudo d'Emil Sinclair, Hesse le republiera sous son vrai nom par la suite. C'est une de ses plus éclatantes réussites, et mon préféré des trois romans que je connait de lui (tous cités plus haut). Immense.
Demian, daimôn.
Critique de Lobe (Vaud, Inscrite le 28 juin 2011, 30 ans) - 21 décembre 2012
Ici, Sinclair grandit, perd son innocence, réfléchit, est différent. Soit. De nombreuses phrases font mouche, quelques sentiments étourdissent, et pourtant vers la fin je sentais trop de grandiloquence, comme une volonté de trop bien faire. Je n'ai pas été sensible au ton mystique, à l'ésotérisme. Sans doute ne l'ai-je pas lu au bon moment, sans doute suis-je présentement trop terre à terre. Parce qu'il faut dire et souligner plusieurs fois que Herman Hesse pose les justes mots sur les errances d'individus un peu sur la marge, et qu'il est simple de s'y reconnaitre.
Je le relirai un jour, l'esprit plus libre.
Un roman initiatique troublant et intense
Critique de Kian996 (, Inscrit le 30 juin 2012, 28 ans) - 30 juin 2012
C'est l'histoire d'un enfant Sinclair qui voit le monde en deux: Le monde lumineux et sûr de la famille et le monde dangereux sombre où il faut prendre des risques. C'est ainsi qu'il se fait malmener par Kromer durant une bonne partie du livre, celui-ci lui demande de l'argent, des ordres... Puis, un nouvel élève apparaît au lycée Max Demian un garçon singulier qui parle comme un adulte et qui a le regard illuminé. Sinclair fait sa connaissance et il révèle à Sinclair une des interprétations possibles de Caien. Petit à petit il va apprendre à Sinclair à s'écouter lui même ainsi que ses rêves.
C'est le début du cheminement vers soi. Cette première partie est un pur chef d'oeuvre de finesse et d'analyse psychologique. Après s'ensuit une deuxième partie plus mystique mais néanmoins intéressante. Sinclair va apprendre seul à se connaître et va rencontrer le prêtre qui va l'initier aussi à travers ses lectures...
Demian symbolise le tourment de la vie de Sinclair qui va lui apprendre à vivre finalement mieux que le prêtre qui voit tout à travers des métaphores religieuses dans les livres. Ce roman est à lire de toute urgence, on a du mal à lâcher ce livre tellement il est envoûtant. Il peut être le déclic de cette période de la vie si difficile l'adolescence. A lire donc...
Rien ne coûte plus à l'homme que de suivre le chemin qui mène à lui-même.
Critique de Chocolat liègeois (, Inscrite le 2 octobre 2010, 41 ans) - 2 octobre 2010
Je ne pense pas que j'aurais tant apprécié ce livre si je l'avais lu plus jeune... Il demande je pense un certain recul sur l'apprentissage, sur l'indépendance...
Je regrette cette fin un peu mystique qui ne colle pas franchement avec le discours que j'ai u dans ce roman...
A la recherche de soi-même
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 9 février 2006
En tant que lecteur de Jung je n'ai pas été dépaysé : ce roman reprend nombre d’éléments de la pensée jungienne, ce qui s'explique par le fait que Hesse venait de suivre une analyse avec un disciple de Jung. L'idée centrale est celle que la seule mission de l'homme doit être la découverte de soi-même, la recherche de ce quelqu'un qui "réside en nous et qui sait tout". C'est ce dur chemin que va suivre le narrateur, chemin difficile si il en est car il implique pour le narrateur la solitude de celui qui s'écarte du troupeau. Il doit en outre parvenir à marier le monde lumineux et le monde des ténèbres, car le sacré englobe tout autant le bien que le mal. Voila une idée qui n'est pas nouvelle, c'était déjà le thème du loup des steppes, et c'est un reproche constant que Jung fait au christianisme : celui d'avoir réservé tout le côté lumineux pour Dieu et obligé ainsi l'homme à se charger du côté sombre. C'est aussi le désastre qui guette un personnage d'Edith Wharton, dans « L'écueil », la jeune femme qui est incapable de concilier son obscur désir animal avec l'amour idéalisé.
Sur son chemin le narrateur est aidé par des personnages dont on ne sait finalement pas si ils sont réels ou symboliques (quoique un symbole puisse être réel dirait Jung). Bref c'est un roman très riche. En fonction de sa propre expérience j’imagine qu'on se retrouvera plus ou moins dans le livre, par exemple on sera ou pas convaincu par les phénomènes de communication par la pensée, les appels à l'aide mentaux, voire par ce que Jung appelle les phénomènes de "synchronicités".
Pour finir, comme B1p, je me suis trouvé une phrase à coucher noir sur blanc dont je voudrais faire ma devise. La voila : "L'amour ne doit pas prier, dit-elle, mais il ne doit pas exiger non plus. L'amour doit être assez puissant pour devenir une certitude. Alors, au lieu d'être attiré, il attire". C'est beau, non ? J'aimerais tellement y croire.
que voilà du plaisir !
Critique de Yona6 (, Inscrite le 2 février 2006, 50 ans) - 2 février 2006
C'est un roman merveilleux qui laisse des traces, preuve en est et dont on ne sort pas comme on y est entré.
C'est beau, c'est prenant, c'est magique et pénétrant.
C'est à lire, surtout
Forums: Demian
Sujets | Messages | Utilisateur | Dernier message | |
---|---|---|---|---|
merci Saule - Demian, Jung et les autres | 7 | B1p | 13 février 2006 @ 20:12 |