"Un qui m’intrigue, c’est Joseph. Il a des allures vraiment mystérieuses et j’ignore ce qui se passe au fond de cette âme silencieuse et forcenée. Mais sûrement, il s’y passe quelque chose d’extraordinaire. Son regard, parfois, est lourd à supporter, tellement lourd que le mien se dérobe sous son intimidante fixité. Il a des façons de marcher lentes et glissées, qui me font peur. On dirait qu’il traîne rivé à ses chevilles un boulet, ou plutôt le souvenir d’un boulet… Est-ce le bagne qu’il rappelle ou le couvent ?… Les deux, peut-être. Son dos aussi me fait peur et aussi son cou large, puissant, bruni par le hâle comme un vieux cuir, raidi de tendons qui se bandent comme des grelins. J’ai remarqué sur sa nuque un paquet de muscles durs, exagérément bombés, comme en ont les loups et les bêtes sauvages qui doivent porter, dans leurs gueules, des proies pesantes. [...]"
Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre
Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre
"Pourtant, je me méfie de cet homme. Cet homme m’inquiète et, en même temps, il m’intéresse prodigieusement. Souvent, j’ai vu des choses effrayantes passer dans l’eau trouble, dans l’eau morte de ses yeux… Depuis que je m’occupe de lui, il ne m’apparaît plus tel que je l’avais jugé tout d’abord à mon entrée dans cette maison, un paysan grossier, stupide et pataud. J’aurais dû l’examiner plus attentivement. Maintenant, je le crois singulièrement fin et retors, et même mieux que fin, pire que retors… je ne sais comment m’exprimer sur lui… Et puis, est-ce l’habitude de le voir, tous les jours ?… Je ne le trouve plus si laid, ni si vieux… L’habitude agit comme une atténuation, comme une brume, sur les objets et sur les êtres. Elle finit, peu à peu, par effacer les traits d’un visage, par estomper les déformations ; elle fait qu’un bossu avec qui l’on vit quotidiennement n’est plus, au bout d’un certain temps, bossu… Mais il y a autre chose ; il y a tout ce que je découvre en Joseph de nouveau et de profond… et qui me bouleverse. Ce n’est pas l’harmonie des traits, ni la pureté des lignes qui crée pour une femme, la beauté d’un homme. C’est quelque chose de moins apparent, de moins défini… une sorte d’affinité et, si j’osais… une sorte d’atmosphère sexuelle, âcre, terrible ou grisante, dont certaines femmes subissent, même malgré elles, la forte hantise… Eh bien, Joseph dégage autour de lui cette atmosphère-là… L’autre jour, je l’ai admiré qui soulevait une barrique de vin… Il jouait avec elle ainsi qu’un enfant avec sa balle de caoutchouc. Sa force exceptionnelle, son adresse souple, le levier formidable de ses reins, l’athlétique poussée de ses épaules, tout cela m’a rendue rêveuse. L’étrange et maladive curiosité, faite de peur autant que d’attirance, qu’excite en moi l’énigme de ces louches allures, de cette bouche close, de ce regard impressionnant, se double encore de cette puissance musculaire, de cette carrure de taureau. Sans pouvoir me l’expliquer davantage, je sens qu’il y a entre Joseph et moi une correspondance secrète… un lien physique et moral qui se resserre un peu plus tous les jours… "
Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre
Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre
"Malgré les parfums, ça ne sent pas bon... Tout ce qu'un intérieur respecté, tout ce qu'une famille honnête peuvent cacher de saletés, de vices honteux, de crimes bas, sous les apparences de la vertu... ah ! je connais ça !... Ils ont beau être riches, avoir des frusques de soie et de velours, des meubles dorés ; ils ont beau se laver dans des machins d'argent et faire de la piaffe... je les connais !... Ca n'est pas propre... Et leur cœur est plus dégoûtant que ne l'était le lit de ma mère..."
Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre
Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre
"Cependant les Vityliens, réunis sur le haut rocher, discutaient à grands cris. Qu’était ce bâtiment signalé par le caloyer ?
- C’est un chébec ! disait l’un des marins. Je viens de voir les voiles carrées de son mât de misaine !
- Eh non ! répondait un autre, c’est une pinque ! Voyez son arrière relevé et le renflement de son étrave !
- Chébec ou pinque ! Eh ! qui prétendrait pouvoir les distinguer l’un de l’autre à pareille distance ?
- Ne serait-ce pas plutôt une polacre à voiles carrées ? fit observer un autre marin, qui s’était fait une longue-vue de ses deux mains à demi fermées.
- Que Dieu nous vienne en aide ! répondit le vieux Gozzo. Polacre, chébec ou pinque, ce sont autant de trois-mâts, et mieux valent trois mâts que deux, lorsqu’il s’agit d’atterrir sur nos parages avec une bonne cargaison de vins de Candie ou d’étoffes de Smyrne ! »
Sur cette observation judicieuse, on regarda plus attentivement encore. Le navire se rapprochait et grossissait peu à peu ; mais, précisément parce qu’il serrait le vent de très près, on ne pouvait l’apercevoir par le travers. Il eût donc été malaisé de dire s’il portait deux ou trois mâts, c’est-à-dire si l’on pouvait espérer que son tonnage fût ou non considérable.
- Eh ! la misère est pour nous et le diable s’en mêle ! dit Gozzo, en lançant un de ces jurons polyglottes dont il accentuait toutes ses phrases. Nous n’aurons là qu’une felouque…
- Ou même un speronare ! » s’écria le caloyer, non moins désappointé que ses ouailles.
Cependant, le soleil commençait à disparaître derrière l’horizon dans l’ouest de la mer Ionienne ; mais le crépuscule d’octobre devait laisser assez de lumière, pendant une heure encore, pour que ce navire pût être reconnu avant la nuit close. D’ailleurs, après avoir doublé le cap Matapan, il venait d’arriver de deux quarts afin de mieux ouvrir l’entrée du golfe, et il se présentait dans de meilleures conditions au regard des observateurs.
Aussi, ce mot : sacolève ! s’échappa-t-il, un instant après, de la bouche du vieux Gozzo.
Une sacolève ! s’écrièrent ses compagnons, dont le désappointement se traduisit par une bordée de jurons. "
Jules Verne et sa gourmandise du vocabulaire maritime dans l'Archipel en Feu
- C’est un chébec ! disait l’un des marins. Je viens de voir les voiles carrées de son mât de misaine !
- Eh non ! répondait un autre, c’est une pinque ! Voyez son arrière relevé et le renflement de son étrave !
- Chébec ou pinque ! Eh ! qui prétendrait pouvoir les distinguer l’un de l’autre à pareille distance ?
- Ne serait-ce pas plutôt une polacre à voiles carrées ? fit observer un autre marin, qui s’était fait une longue-vue de ses deux mains à demi fermées.
- Que Dieu nous vienne en aide ! répondit le vieux Gozzo. Polacre, chébec ou pinque, ce sont autant de trois-mâts, et mieux valent trois mâts que deux, lorsqu’il s’agit d’atterrir sur nos parages avec une bonne cargaison de vins de Candie ou d’étoffes de Smyrne ! »
Sur cette observation judicieuse, on regarda plus attentivement encore. Le navire se rapprochait et grossissait peu à peu ; mais, précisément parce qu’il serrait le vent de très près, on ne pouvait l’apercevoir par le travers. Il eût donc été malaisé de dire s’il portait deux ou trois mâts, c’est-à-dire si l’on pouvait espérer que son tonnage fût ou non considérable.
- Eh ! la misère est pour nous et le diable s’en mêle ! dit Gozzo, en lançant un de ces jurons polyglottes dont il accentuait toutes ses phrases. Nous n’aurons là qu’une felouque…
- Ou même un speronare ! » s’écria le caloyer, non moins désappointé que ses ouailles.
Cependant, le soleil commençait à disparaître derrière l’horizon dans l’ouest de la mer Ionienne ; mais le crépuscule d’octobre devait laisser assez de lumière, pendant une heure encore, pour que ce navire pût être reconnu avant la nuit close. D’ailleurs, après avoir doublé le cap Matapan, il venait d’arriver de deux quarts afin de mieux ouvrir l’entrée du golfe, et il se présentait dans de meilleures conditions au regard des observateurs.
Aussi, ce mot : sacolève ! s’échappa-t-il, un instant après, de la bouche du vieux Gozzo.
Une sacolève ! s’écrièrent ses compagnons, dont le désappointement se traduisit par une bordée de jurons. "
Jules Verne et sa gourmandise du vocabulaire maritime dans l'Archipel en Feu
"Ce n'est qu'une mythologie sans grand intérêt d'imaginer que l'Etat, en tant que tel peut disparaître."
Raymond Aron, in Introduction à la philosophie politique
Raymond Aron, in Introduction à la philosophie politique
"Dans la petite histoire d'une vallée on peut retrouver la grande histoire tourmentée d'un pays, comme l'on voit une goutte d'eau refléter un monde"
Albéric Cahuet, "Pontcarral"
Albéric Cahuet, "Pontcarral"
C'est le 24 mars 1984 que Louis Creed connut sa dernière journée de véritable bonheur. Sept semaines séparaient encore les Creed des événements tragiques que le destin tenait suspendus au-dessus de leurs têtes comme la lame d'une gigantesque guillotine mais par la suite, lorsqu'il revint en esprit sur ce qui s'était passé durant ce laps de temps, Louis n'y trouva rien d'aussi saillant ni d'aussi coloré que cette journée-là. Même si cette tragédie n'était pas survenue, il en eût sans doute conservé un souvenir ému jusqu'à la fin de ses jours. Mais il est vrai aussi que les journées authentiquement bonnes, bonnes de bout en bout, sont bien exceptionnelles. Dans le meilleur des cas, l'existence d'un individu ordinaire ne doit guère en comporter plus d'une trentaine au total. Louis Creed en concluait que Dieu, dans son infinie sagesse, se montrait infiniment moins parcimonieux lorsqu'il s'agissait de prodiguer aux pauvres humains leur ration de plaies et de calamités.
C'est le 24 mars 1984 que Louis Creed connut sa dernière journée de véritable bonheur. Sept semaines séparaient encore les Creed des événements tragiques que le destin tenait suspendus au-dessus de leurs têtes comme la lame d'une gigantesque guillotine mais par la suite, lorsqu'il revint en esprit sur ce qui s'était passé durant ce laps de temps, Louis n'y trouva rien d'aussi saillant ni d'aussi coloré que cette journée-là. Même si cette tragédie n'était pas survenue, il en eût sans doute conservé un souvenir ému jusqu'à la fin de ses jours. Mais il est vrai aussi que les journées authentiquement bonnes, bonnes de bout en bout, sont bien exceptionnelles. Dans le meilleur des cas, l'existence d'un individu ordinaire ne doit guère en comporter plus d'une trentaine au total. Louis Creed en concluait que Dieu, dans son infinie sagesse, se montrait infiniment moins parcimonieux lorsqu'il s'agissait de prodiguer aux pauvres humains leur ration de plaies et de calamités.
Il s'agit ici d'un extrait du roman ''Simetièrre'' de Stephen King.
Le coeur d'un homme est plus rocailleux qu'un sol acide, un homme cultive son jardin et il l'entretien tout comme on moissone ce que l'on à semé, on ne récolte que ce que l'on mérite.
Stephen King, in ''Simetièrre''.
Stephen King, in ''Simetièrre''.
De toute sa vie il ne s'était jamais senti aussi seul, aussi détaché de tout. Il avait l'impression de flotter dans le vide comme un astronaute qui s'est trop écarté de son vaisseau durant une sortie et qui dérive lentement au milieu des ténèbres immenses de l'espace intersidéral, sachant que l'oxygène de son scaphandre ne tardera pas à s'épuiser.
De toute sa vie il ne s'était jamais senti aussi seul, aussi détaché de tout. Il avait l'impression de flotter dans le vide comme un astronaute qui s'est trop écarté de son vaisseau durant une sortie et qui dérive lentement au milieu des ténèbres immenses de l'espace intersidéral, sachant que l'oxygène de son scaphandre ne tardera pas à s'épuiser.
Stephen King, in Simetierre.
C'est le 24 mars 1984 que Louis Creed connut sa dernière journée de véritable bonheur. Sept semaines séparaient encore les Creed des événements tragiques que le destin tenait suspendus au-dessus de leurs têtes comme la lame d'une gigantesque guillotine mais par la suite, lorsqu'il revint en esprit sur ce qui s'était passé durant ce laps de temps, Louis n'y trouva rien d'aussi saillant ni d'aussi coloré que cette journée-là. Même si cette tragédie n'était pas survenue, il en eût sans doute conservé un souvenir ému jusqu'à la fin de ses jours. Mais il est vrai aussi que les journées authentiquement bonnes, bonnes de bout en bout, sont bien exceptionnelles. Dans le meilleur des cas, l'existence d'un individu ordinaire ne doit guère en comporter plus d'une trentaine au total. Louis Creed en concluait que Dieu, dans son infinie sagesse, se montrait infiniment moins parcimonieux lorsqu'il s'agissait de prodiguer aux pauvres humains leur ration de plaies et de calamités.
Quel style !
"J'aime m'asseoir au bord du fleuve, contempler les étoiles et m'endormir en paix"
Jéromine Pasteur, Chaveta
Jéromine Pasteur, Chaveta
"Un homme qui aspire à de grandes choses regarde tous ceux qu’il rencontre sur sa route soit comme moyens, soit comme cause de retard et comme obstacle, ou comme un lit de repos momentané. La bonté de haute marque envers ses prochains qui lui est propre n'est possible que quand il est arrivé sur sa hauteur et qu'il domine. L'impatience et la conscience qu'il a d'être jusque là - toujours condamné à la comédie — lui gâtent tout commerce : ce genre d’homme connaît la solitude et ce qu’elle a de plus empoisonné."
Nietzsche.
Nietzsche.
Une sorcière veut la tranquillité, s'entendre avec tout le monde, être heureuse et s'amuser pendant qu'elle est en vie, n'ayant plus peur de la mort ; en vieillissant, elle attend même la mort qu'elle voit comme un lieu de paix et de repos où l'on redevient jeune, prête à retourner sur terre pour un nouveau cycle.
Gerald Brousseau Gardner, Sorcellerie aujourd'hui, page 168.
Gerald Brousseau Gardner, Sorcellerie aujourd'hui, page 168.
Avant que vous ne puissiez faire du mal à votre ennemi à l'aide d'une statuette de cire, vous devez être dans une colère vraie et spontanée, comme celle qu'il faudrait pour abattre physiquement votre ennemi.
Gerald B. Gardner Sorcellerie aujourd'hui, page 185.
Gerald B. Gardner Sorcellerie aujourd'hui, page 185.
Il faut avoir de hautes vertus morales : ce n'est qu'en atteignant l'état sublime de la perfection que l'homme pourra jouir des prodiges de la nature.
Auteur inconnu, Encyclopédie de la magie, page 75.
Auteur inconnu, Encyclopédie de la magie, page 75.
Epitaphe de la sépulture de Jean de La Fontaine :
"....il passa la moitié de sa vie à dormir et l'autre à ne rien faire...."
"....il passa la moitié de sa vie à dormir et l'autre à ne rien faire...."
Où était la nature et la terre, l'eau et la vie, je vis un désert sans fin, semblable à quelque cratère, si dépourvu de raison, d'âme et de lumière que l'esprit ne pouvait le concevoir, à quelque niveau de conscience que ce fût et que, si l'on en approchait, l'esprit reculait, pris de vertige. C'était là une vision si claire, si réelle, si essentielle, qu'elle en était presque abstraite dans sa pureté. C'était là une chose que je comprenais, c'était ainsi que je menais ma vie, ce que je bâtissais avec mes moindres gestes, c'était ma façon d'aborder le tangible. C'était la géographie autour de laquelle gravitait ma réalité : il ne m'était jamais, jamais venu à l'esprit que les gens pussent être bons, ou qu'un homme pût changer, ou que le monde pût être meilleur au travers de ce plaisir que l'on prend à tel sentiment, telle apparence ou tel geste, à recevoir l'amour ou l'amitié de son prochain. Rien n'était affirmatif, le terme de "bonté d'âme" ne correspondait à rien, c'était un cliché vide de sens, une sorte de mauvaise plaisanterie. Le sexe, c'est la mathématique. L'individualité n'a plus lieu d'être. Que signifie l'intelligence? Définissez ce qu'est la raison. Le désir... un non-sens. L'intellect n'est pas un remède. La justice, morte. La peur, le reproche, l'innocence, la compassion, le remords, le gaspillage, l'échec, le deuil, toutes choses, toutes émotions que plus personne ne ressent vraiment. La pensée est vaine, le monde dépourvu de sens. Dieu ne vit pas. On ne peut croire en l'amour. La surface, la surface, la surface, voilà ce dans quoi on trouve une signification... C'est ainsi que vis la civilisation, un colosse déchiqueté...
Bret Easton Ellis dans ''American psycho'', pages 481 et 482, aux éditions Salvy, isbn 9782905899316
Bret Easton Ellis dans ''American psycho'', pages 481 et 482, aux éditions Salvy, isbn 9782905899316
On demandait constamment à Pierre, le chauffeur du général Joffre : "Quand est-ce que cette guerre va finir, Pierre ? Que dit le Général ? Est-ce qu’il en a parlé ?" Mais le général se taisait.
Un jour, à la question rituelle : Oui, il m’en a parlé. - Et qu’est-ce qu’il a dit ? - Il a dit : "Pierre, Quand est-ce que cette guerre va finir ?"
Francoise Mallet-Joris, La Maison de Papier
Un jour, à la question rituelle : Oui, il m’en a parlé. - Et qu’est-ce qu’il a dit ? - Il a dit : "Pierre, Quand est-ce que cette guerre va finir ?"
Francoise Mallet-Joris, La Maison de Papier
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