Sibylline 15/07/2005 @ 21:20:26
Bonjour à tous
D'abord, excusez-moi mon français. Je suis Argentine, mais je vais vivre au Québec prochainement. Je suis étudiante de français à l'Université de Buenos Aires et je suis en train de faire un travail de dissertation sur une phrase extraite de Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar. Je l'ai déjà lu et j'ai choisi "il y a plus d'une sagesse, et toutes sont nécessaires au monde, il n'est pas mauvais qu'elles alternent" page 290 Edition Gallimard, à la fin de "Disciplina Augusta".
Je suis ingénieur eléctronique et c'est la première fois que je lis Yourcenar. J'aime beaucoup Mémoires d'Hadrien. Je voudrais connaître l'opinion que vous avez sur la phrase citée ci-dessus. Merci beaucoup. Miriam.

Bonjour Mir,
Je n'ai pas lu ce livre, mais tu as drôlement bien choisi ta phrase. Ce que j'en pense? Que, plutôt que "il n'est pas mauvais qu'elles alternent", je dirais, "il serait bon qu'elles cohabitent." ;-)))
Bienvenues sur CL

Provis

avatar 17/07/2005 @ 17:19:34
Je crois qu’il ne faut pas sortir cette phrase de son contexte, sinon on pourrait être tenté, comme Sib, d’améliorer Yourcenar.. :o)

Rappelons que quatre grands empereurs se sont succédés de 98 à 180, Trajan, Hadrien, Antonin et Marc-Aurèle. Hadrien (fils adoptif de Trajan), qui déjà a adopté Antonin comme successeur, devine toutes les qualités du jeune Annius Verus, et recommande donc à Antonin d’adopter Annius Verus comme son propre successeur.
Hadrien savait juger les hommes, et Annius Verus succédant à Antonin deviendra le grand Marc-Aurèle (voir par exemple « La dynastie des Antonins (96-192) » sur Google).

Dans le texte de Marguerite Yourcenar, c’est Hadrien qui s’exprime, comme s‘il s’adressait directement à Annius Verus : « … Tu ne m’as pas caché ton dédain mélancolique pour ces splendeurs qui durent peu, pour cette cour qui se dispersera après ma mort. Tu ne m’aimes guère ; ton affection filiale va plutôt à Antonin ; tu flaires en moi une sagesse contraire à celle que t’enseignent tes maîtres, et dans mon abandon aux sens une méthode de vie opposée à la sévérité de la tienne, et qui pourtant lui est parallèle. N’importe : il n’est pas indispensable que tu me comprennes. Il y a plus d’une sagesse, et toutes sont nécessaires au monde ; il n’est pas mauvais qu’elles alternent. »

Annius Verus était un stoïque, sévère, austère, dur avec lui-même, alors qu’Hadrien était un bon vivant, jouissant de tous les plaisirs qui lui étaient offerts. Hadrien pensait que le caractère et l’éducation d’Annius Verus transparaîtraient un jour dans sa façon de gouverner, qui alors trancherait avec la sienne. Cette différence pressentie ne gênait pas Hadrien, lui pour qui différent ne veut dire ni opposé, ni ennemie. La tolérance et l’ouverture d’esprit étaient parmi les vertus du grand homme, même si Marguerite Yourcenar l’a fait un peu plus admirable qu’il n’était.. :o)..
Il me semble donc que la phrase en question n’est pas une grande maxime philosophique, lapidaire et de portée générale ; quand on lit « il n’est pas mauvais qu’elles alternent », il s’agit de sagesse bien sûr, mais aussi en l’occurrence de sagesse de modes de gouvernement, qui peuvent alterner d’un empereur à un autre. Le principe d'alternance avant la lettre ? .. :o)..
Voilà mon avis, je ne sais pas s'il faut aller chercher beaucoup plus loin.. Cela dit, Les "Mémoires d’Hadrien" et "L’œuvre au noir" sont parmi mes plus beaux souvenirs de lecture, et Marguerite Yourcenar est l'un de mes écrivains préférés..

C’est un vrai plaisir de te voir sur ce site, Mir.. Le goût de la différence est une vertu chère à CL.. :o)

Fee carabine 17/07/2005 @ 18:38:15
C'est un reproche qui est souvent fait à Marguerite Yourcenar de manquer d'émotions ou de faire preuve de froideur. Et c'est ce que j'avais ressenti avec les 1ers livres d'elle que j'avais lus ("Souvenirs Pieux" et "Les mémoires d'Hadrien", je pense...). Et puis j'ai lu sa traduction des "Vagues" de Virginia Woolf (parue au livre de poche) et surtout la préface que Marguerite Yourcenar avait écrite pour ce livre. Son analyse du style de Virginia Woolf - la rigueur, la précision du vocabulaire... - est en fait très révélatrice de l'approche de Marguerite Yourcenar elle-même, comme si, sous couvert de parler d'une autre romancière, elle se dévoilait beaucoup elle-même. Je n'ai pas mon exemplaire des "Vagues" sous la main pour vous recopier les passages en question, mais en substance, Marguerite Yourcenar écrit qu'il importe d'autant plus de donner une expression rigoureuse aux émotions lorsque celles-ci sont les plus fortes et les plus violentes, sous peine autrement de se laisser submerger complètement par ces émotions.

Ca a complètement changé ma façon de l'aborder, et dans tous les livres d'elle que j'ai lus par la suite, j'ai eu l'impression non pas de froideur, mais d'une extrême tension, du feu couvant sous la glace et un équilibre très instable... Et quand on arrive à percevoir ce feu sous la glace, elle devient tout à fait passionnante...

Sibylline 18/07/2005 @ 08:27:14
Je crois qu’il ne faut pas sortir cette phrase de son contexte, sinon on pourrait être tenté, comme Sib, d’améliorer Yourcenar.. :o))

Tu pousses un peu, Provis, je n'ai sûrement pas eu la prétention d'"améliorer" Yourcenar. Juste discuter un peu ici, un soir qu'il n'y avait personne sur les fuseaux. ;-)))

Provis

avatar 18/07/2005 @ 18:34:30
Tu pousses un peu, Provis, je n'ai sûrement pas eu la prétention d'"améliorer" Yourcenar. Juste discuter un peu ici, un soir qu'il n'y avait personne sur les fuseaux. ;-)))
Oui Sib, désolé !! J'avoue avoir cédé à la facilité d'une entrée en matière toute faite .. :o)

Mir 24/07/2005 @ 18:50:08
Merci pour votre réponse. Je comprends l'idée de l'autheur dans cette partie du roman et je suis d'accord avec vous. Mais, est-ce qu'on peut dire qu'il y a plus d'une sagesse?. C'est `a dire, extrait du contexte, y a-t-il plusieurs sagesses chez l'homme?

Provis

avatar 25/07/2005 @ 18:35:23
Merci pour votre réponse. Je comprends l'idée de l'autheur dans cette partie du roman et je suis d'accord avec vous. Mais, est-ce qu'on peut dire qu'il y a plus d'une sagesse?. C'est `a dire, extrait du contexte, y a-t-il plusieurs sagesses chez l'homme?
Je ne sais pas si je comprends bien ta question, Mir, mais si la sagesse est un état d’esprit qui conduit à se désintéresser des choses superflues, alors oui, la sagesse me paraît unique. Pourtant, ce même état d’esprit peut conduire à des choix de vie bien différents, suivant les gens, les circonstances.. par là, la sagesse revêt des aspects variés, multiples, personnels.. Alors non, sûrement il n’y a pas qu’une façon d’être sage..
Voilà ce qu’on appelle un avis pondéré, et sage ?? :o))

Antinea
avatar 20/02/2007 @ 22:42:33
En "feuillant" CL et mes souvenirs d'école je tombe sur Marguerite Yourcenar et son Hadrien ... Cela me rappelle un roman lourd, très (trop) précis dans les détails (médicaux, géographiques ... ), qui sent le travail (et chasse le naturel), pas très digeste (le roman commence d'ailleurs avec une indigestion du-dit empereur). Je me rappelle avoir souffert en lisant ce livre (pour les classes littéraires de BCPST), mais aussi avoir reconnu que ces Mémoires sont un monument, justement de part le travail colossal de son auteure (et sa lourdeur !). Bref, je mets ici cet avis tout personnel et un peu mitigé: bravo pour le chef d'oeuvre historique, le puits de connaissance, mais ouh là là que c'est pesant ! A lire en connaissance de cause.

Vda
avatar 28/02/2007 @ 09:17:52
cet avis tout personnel et un peu mitigé: bravo pour le chef d'oeuvre historique, le puits de connaissance, mais ouh là là que c'est pesant ! A lire en connaissance de cause.


pesant ? selon moi il s'agit plutôt de densité. Le livre n'est pas très long (comparé aux pavés qui peuvent sortir actuellement sur le "marché" du livre).
Yourcenar, c'est une rencontre, on accroche ou pas à son écriture, à sa pudeur (il n'y a qu'à lire sa non-autobiographie pour comprendre), à son esprit qui élève le lecteur accroché.
Elle est de ces auteurs qu'on lit et relit avec délectation.
Mais, bah, des goûts ...

Truhl 19/10/2007 @ 21:04:14
Ce n'est pas la "froideur" de l'écriture de Yourcenar qui suscite le plus de réserves chez moi.

Yourcenar n'est pas Céline, son carburant pas la haine, la rage, le désespoir, sa prose n'a pas le caractère torrentiel de celle du Docteur Destouches, on est tous d'accord, même si la comparaison est arbitraire, sa pertinence toute relative...

Donc oui, comme d'autres ici, je trouve une sécheresse certaine à l'écriture de Yourcenar. C'est un sentiment, éminement subjectif. Forcément.

En revanche, je prends un plaisir intellectuel intense à la lire. Ca n'a rien d'un "faux compliment", mon plaisir est réel. Yourcenar est une érudite, c'est peu de le dire. Et tout cela, c'est extrêmement vivifiant. Ca n'est pas rien.

Non ce qui me gêne le plus, et si je n'avais pas ce plaisir - cérébral mais réel - à la lire, me la rendrait insupportable, c'est que je trouve on écriture très, très affectée. Froide MAIS affectée. Froide parce qu'affectée. Précieuse, ampoulée.

Que dit Hadrien que nous n'ayons lu ailleurs, sur l'expérience de la vie, sur les bilans qu'on dresse à sa fin, les reculs qu'on y prend, les renoncements apaisés auxquels on parvient (ou pas) qu'on n'ai pu lire ailleurs, en plus émouvant, et surtout, en plus honnête? En plus honnête, mais tout aussi précis? En plus libre? En plus...puissant? En moins complaisant?

Je sens le travail, considérable, dans les écrits de Yourcenar. Je ne perçois pas le don.

Justinien 29/04/2008 @ 19:03:52
Tu as raison mais au moins avec Yourcenar c'est sobre et c'est bien de sobriété dont manquent 90% des écrivains.
Son défaut, elle parle trop bien de l'homme au point que toute description de paysages devient lourdeur. Et malheureusement dans les Mémoires ces dernières sont courantes.

Maria-rosa 13/05/2008 @ 11:01:48
Oui, on peut qualifier l'écriture de Yourcenar de froide, ampoulée, glacée, précieuse et tout ce qu'on veut. Mais, pour ma part, ce fut, il y a longtemps une découverte étonnée et émerveillée. Il me semble que si j'avais lu ses livres à vingt ans par exemple, eh bien, je n'aurais pas du tout accroché. Il me fallait avoir un peu mieux connu la vie, ses bonheurs, ses doutes et ses déraillements parfois.
Marguerite Yourcenar est toute en retenue, en "vibrations" contrôlées. Et pourtant, l'émotion surgit toujours mais après, même bien longtemps après la lecture. C'est une sensation bizarre et que je n'ai jamais éprouvée avec aucun autre écrivain.

Débézed

avatar 13/05/2008 @ 11:44:18
Je n'ai lu que "L'oeuvre au noir", mais quelle lecture ! Yourcenar a une culture et une sensibilité étonnante elle ne connaît pas l'histoire, elle sent l'histoire, elle vit l'histoire ! L'émotion qu'elle nous transmet s'appuie peut-être trop sur un socle intellectuel trop complexe et trop érudit, mais pour ceux qui connaisse un peu plus l'histoire que ce que l'école nous en a appris c'est un émerveillement et un grand frisson ! On vit littéralement avec ces personnages et on reste ébahi devant son érudition !

Jules
07/10/2008 @ 18:21:30
En lisant toutes ces interventions, pour ou contre, je suis vraiment heureux !

Voici, à mes yeux, un des premiers intérêts de ce site: créer de telles discussions littéraires. Encore faut-il que l'auteur et le livre s'y prêtent...

En tout cas, merci à tous, car j'ai eu un véritable plaisir à lire tout cela. Chaque avis m'a intéressé.

Débézed

avatar 08/10/2008 @ 00:17:17
Le plaisir de lire un tel livre et le plaisir de partager cet instant de bonheur avec d'autres !

Hexagone
avatar 08/10/2008 @ 10:19:00
J'arive un peu tard dans le fil, et c'est aussi l'interêt de ce site de pouvoir rebondir sur des discusions qui datent un peu. Ayant vu une excellente critique de ce livre, Mémoires d'HAdrien, j'ai voulu le lire. J'ai pris mon courage à deux mains, lu une centaine de page mais impossible d'aller plus loin. Rien à dire sur le talent, mais un barrière infranchissable pour moi se dresse à la lecture, comme avec Céline, j'ai récidivé sans jamais y parvenir.
Peut être plus tard, au profit de l'évolution de mes lectures.

Prince jean 09/10/2008 @ 01:12:40
J'arive un peu tard dans le fil, et c'est aussi l'interêt de ce site de pouvoir rebondir sur des discusions qui datent un peu. Ayant vu une excellente critique de ce livre, Mémoires d'HAdrien, j'ai voulu le lire. J'ai pris mon courage à deux mains, lu une centaine de page mais impossible d'aller plus loin. Rien à dire sur le talent, mais un barrière infranchissable pour moi se dresse à la lecture, comme avec Céline, j'ai récidivé sans jamais y parvenir.
Peut être plus tard, au profit de l'évolution de mes lectures.


lis cet essai 'mon beau chateau'.
c'est tres beau, tres bien écrit et accessible.
sinon, je suis comme toi. Yourcenar me gonfle.
en meme temps, il faut pas s'en rendre malade. C'est un auteur important, mais y en a d'autres.
y a des gens qui n'arrivent pas à entrer dans l'univers de Tolstoi, Céline, Proust, Joyce, Dostoievski, qui sont des écrivains bien plus important que Yourcenar.

Naturev
avatar 09/10/2008 @ 16:32:03
Chez moi ça ne passe pas, elle m'ennuye et je trouve son écriture trop académique et compliquée.

J'ai lu les Mémoires d'Hadrien et je me suis ennuyé. Ensuite j'ai essayé deux fois L'oeuvre au noir mais sans passer le cap des 100 pages.


Je ne dirai pas compliquée, mais académique oui. Car je trouve que sont style comme son approche des choses sont d'un grand classicisme. On y ressent toute une éducation portée par la culture de l'antiquité des littéraires de langue de française. Mais pour ma part, je trouve cela très agréable de temps en temps (et c'est une communication avec une pensée et une culture qui n'est pas encore si éloignée de nous).

Je n'ai pas lu "l'œuvre au noir", mais les "Mémoires d'Hadrien" si, et le sujet aidant, cela ressort fortement. Le nombre de ses œuvres s'inspirant de l'antiquité sont là aussi pour le montrer je pense.

Perso, j'aurai tendance à prêter pour une première lecture de cette grande dame les "nouvelles orientales". Compilation de nouvelles, le lecteur peut "s'apprendre" à Yourcenar par petite touche, alors que le "pavé" Hadrien peut rebuter celui qui à besoin d'un temps d'adaptation.

Vda
avatar 09/10/2008 @ 22:50:23
Yourcenar a une culture et une sensibilité étonnante elle ne connaît pas l'histoire, elle sent l'histoire, elle vit l'histoire ! L'émotion qu'elle nous transmet s'appuie peut-être trop sur un socle intellectuel trop complexe et trop érudit, mais pour ceux qui connaissent un peu plus l'histoire que ce que l'école nous en a appris c'est un émerveillement et un grand frisson ! On vit littéralement avec ces personnages et on reste ébahi devant son érudition !


Là, j'ai du mal à comprendre les "trop". Est-il possible qu'un écrivain soit trop complexe, trop érudit ? Si chaque page dégouline de "voyez comme je suis savant, voyez comme j'en sais des choses que vous ignorez", d'accord. Mais on est loin de ce schéma avec Marguerite Yourcenar. Elle est si imprégnée des Humanités qu'elle pense avec elles et son écriture est toute empreinte de ce substrat.
Il ne saurait être de trop en ces temps de roman disette, où une maigrelette expérience personnelle sert à couvrir d'encre des pages nombrilistes.
Ne pas connaître tout ce que connais l'auteur n'est pas un handicap à la lecture. Yourcenar ne fait pas de private joke. Il y a la lecture, le plaisir de se couler dans une musique, de se laisser entraîner par les charmes du classicisme. Un précédent intervenant à parler d'une écriture classique. Sans doute est-ce l'un des adjectifs qui caractérisent le mieux l'écriture, le style de Yourcenar.

Les écrivains mineurs des uns sont les écrivains majeurs des autres. Comment être d'accord unanimement sur un panthéon d'auteurs ? Yourcenar mineure ? Pas pour moi.

Début Précédente Page 2 de 2
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier