Poupi 14/02/2006 @ 08:06:17
Poème des 'Chatiments' de Hugo...Petite critique de Napoléon III (une par jour, lui avait dit le docteur, ca fera disparaitre les boutons!) et un éloge de Napoléon le Ier!

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d'une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant ; lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d'être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : Je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits !
Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines
Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines,
Egorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d'ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !
Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grands pas.
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : Tu n'es qu'un singe !

Génial non? :) A mi-chemin entre poème et fable!

Mae West 14/02/2006 @ 10:12:16
Bolcho, grâce à toi je vais finir par apprécier la poésie.

On pourrait aussi, plus simplement, voir en cette traînée de sang noir sur la pâleur féminine, la simple tache de l’imperfection…masculine.
Ou une évocation de Chrétien de Troyes et des trois gouttes de sang sur la neige, expression métaphorique évoquant la rupture d’innocence, ou le désir. Rimbaud passerait de trois gouttes rouges à un saignement noir, mais il faut ce qu’il faut pour renouveler l’image.

Oui il y a de ça, la profanation du corps féminin. Le corps à la divine beauté loué par l'étoile, la mer, l'infini et bêtement profané par l'Homme.
Pour les avis supplémentaires, il y aussi Mae, SJB, Fée, Mopp...?


Merci de ta confiance, je vais donc essayer de dire ce que je vois !

C'est une image terrible, qui associe le sexe féminin vu comme une blessure (par où s'opère le miracle de la vie à travers un corps de désir et d'amour) et la blessure mortelle faite au corps adolescent du christ, telle que représentée dans l'iconographie traditionnelle, ( le sang qui coule le long du flanc androgyne de celui qui donne sa Vie par amour)
Mais on peut voir aussi dans ce corps adolescent/androgyne transpercé celui du le "dormeur du val" : "il a deux trous rouges au côté droit" qui est sacrifié à l'amour de la patrie
Se superpose alors la vision de la femme dont le flanc généreux porte les enfants :
Enfants dont elle accouche, qu'elle nourrit à sa mammelle, "colombes de mai" qu'on envoie mourir à la guerre, Syb l'évoque très bien avec l'extrait de " Les corbeaux"

Ainsi dans la "chanson de la plus haute tour on trouve "la Patrie, à l'oubli livrée" comme "l'image de la Notre Dame" , "au bourdon farouche de cent sales mouches"
Les mouches noires attirées par les blessures où le sang noir coagule sur les charniers rappellent le "noir corset velu des mouches bourdonnantes " du A des "voyelles" ce qui nous ramène à l'image du triangle noir inversé, porte du mystère féminin qui ouvre sur le puits noir de l'origine du monde.
On retrouve alors L' icône "souveraine" de la Mère universelle qui, comme la mère du Christ, donne la vie d'une manière qu'on pourrait dire "indifférente" : car indifférente au fait qu' en parallèle de ce don de vie, il y a le don de mort, et que la bêtise des hommes peut amplier le noir jusqu'à la folie.

Le mystère du désir, de la gestation et de la naissance
se décline dans les trois premiers vers en dégradés de rose, qui vont du rouge au blanc, tandis que l'opposition vie/mort eros/thanatos, s' écrit noir sur blanc dans le dernier vers :

Si l'homme apporte du sang noir au flanc de la femme, ce serait donc à cause de sa manie de faire la guerre plutôt que l'amour.
Ce qui ferait penser non pas à Baudelaire, mais à Prévert
"ô Barbara, quelle connerie la guerre "

Mae West 14/02/2006 @ 14:38:30
""colombes de mai" qu'on envoie mourir à la guerre, Syb l'évoque très bien avec l'extrait de " Les corbeaux" "

"Fauvettes de mai", et non pas colombes pardon Sibylline et Arthur !
Je me suis trompée de plumage et de ramage par opposition d'idées avec la guerre !
me voilà fort marrie ;-(

Vda
avatar 18/02/2006 @ 01:58:52
Le point noir

Quiconque a regardé le soleil fixement
Croit voir devant ses yeux voler obstinément
Autour de lui, dans l'air, une tâche livide.

Ansi, tout jeune encore et plus audacieux,
Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux:
Un point noir est resté dans mon regard avide.

Depuis, mêlée à tout comme un signe de deuil,
Partout, sur quelque endroit que s'arrête mon oeil,
Je la vois se poser aussi, la tache noire!-

Quoi, toujours? Entre moi sans cesse et le bonheur!
Oh! c'est que l'aigle seul - malheur à nous, malheur!
Contemple impunément le Soleil et la Gloire.

Gérard de Nerval

TELEMAQUE 18/02/2006 @ 17:16:33
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
S'en allaient ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;

Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

José-Maria de Hérédia
LES CONQUERANTS

Vda
avatar 19/02/2006 @ 19:25:08
Soir de bataille de José-Maria de Hérédia, in Les Trophés

Le choc avait été rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encor, dans l'air où vibraient leurs voix fortes;
La chaleur du carnage et ses âcres parfums.

D'un oeil morne, comptant leurs compagnons défunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Tourbillonner au loin les archers de Phraortes;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.

C'est alors qu'apparaut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,

Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare,
Sur le ciel enflammé, l'Imperator sanglant!

Malic 22/02/2006 @ 09:27:33
Henri michaux : AGIR, JE VIENS (1ére et dernière strophe)

Poussant la porte en toi, je suis entré
Agir, je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n’est plus à l’abandon
Tu n’es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d’où tu revins hagarde n’est plus
Je t’épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l’escalier sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t’accomplit

……………………

AGIR, JE VIENS

Plus de tenailles
Plus d’ombres noires, plus de craintes
Il n’y a plus trace
Il n’y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
Où était éparpillement est soudure
Où était infection est sang nouveau
Où étaient les verrous est l’océan ouvert
L’océan porteur et la plénitude de toi
Intacte comme un œuf d’ivoire.

J'ai lavé le visage de ton avenir

Tsukiyo 23/02/2006 @ 17:14:23
Que de chagrin dans cette vie brève,
Demain, je m'en irai,
Les cheveux epars,
Sur la proue d'un esquif.

Li Po

Clamence 26/02/2006 @ 21:19:47
Pour tistou:

j'ai trouvé l'interprétation d'eiffel "je voudrai pas crever" de boris vian
merci Tistou:-)))

Tistou 26/02/2006 @ 21:30:51
Pour tistou:

j'ai trouvé l'interprétation d'eiffel "je voudrai pas crever" de boris vian
merci Tistou:-)))

Et t'as aimé ? (j'aime beaucoup l'engagement et la fougue que l'on sent dans ce groupe).

Clamence 26/02/2006 @ 21:58:17
Et t'as aimé ? (j'aime beaucoup l'engagement et la fougue que l'on sent dans ce groupe).

aimé? non! adoré... d'où le grand grand grand merci:-)))

je venais juste de me mettre à Eiffel, que j'aime beaucoup aussi, mais n'avais pas encore découvert ce texte.

Malic 02/03/2006 @ 09:59:36
J'ai adoré ce poème beau triste et doux. Merci Dirlandaise de m'avoir fait connaîitre cet auteur. Neige, mélancolie et Norvège imaginaire, tout cela m'évoque le poème le plus connu d'O. V. de Milosz, auteur Lithuanien écrivant en Français. Avec ses corbeaux, son noir printemps et ses femmes uniquement qualifiées de "lointaines", il n'est certes pas drôle mais je trouve qu'il s'en dégage une sorte de sérénité. Vive les poètes élégiaques!

LOFOTEN

Tous les morts sont ivres de pluie vieille et froide
Au cimetière étrange de Lofoten
L’horloge du dégel tictaque lointaine
Au cœur des cercueils pauvres de Lofoten

Et grace aux trous creusés par le noir printemps
Les corbeaux sont gras de froide chair humaine
Et grâce au maigre vent à la voix d’enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten

Je ne verrai très probablement jamais
Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c’est en moi comme si j’aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine

Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines
Au cimetière étranger de Lofoten
_ Le nom sonne à mon oreille étrange et doux_
Vraiment , Dites moi, dormez vous, dormez vous ?

Tu pourrais me conter des choses plus drôle
Beau claret dont ma coupe d’argent est pleine.
Des histoires plus charmantes et moins folles ;
Laisse moi tranquille avec ton Lofoten.

Il fait bon Dans le foyer doucement traîne
La voix du plus mélancolique des mois.
Ah les morts,y compris ceux de Lofoten
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi.

Jlc 02/03/2006 @ 18:47:39
Vous ne saurez jamais que vôtre âme voyage
Comme au fond de mon coeur un doux coeur adopté
Et que rien, ni le temps, d'autres amours, ni l'âge
N'empêcheront jamais que vous ayez été;

Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que le lac pensif au fond du paysage
Me redit seulement votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que j'emporte votre âme
Comme une lampe d'or qui m'éclaire en marchant;
Qu'un peu de votre voix a passé dans mon chant.

Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme
M'instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Marguerite Yourcenar

Mae West 02/03/2006 @ 19:50:32
Vous ne saurez jamais que vôtre âme voyage
Comme au fond de mon coeur un doux coeur adopté
Et que rien, ni le temps, d'autres amours, ni l'âge
N'empêcheront jamais que vous ayez été;

Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que le lac pensif au fond du paysage
Me redit seulement votre sérénité.

Vous ne saurez jamais que j'emporte votre âme
Comme une lampe d'or qui m'éclaire en marchant;
Qu'un peu de votre voix a passé dans mon chant.

Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme
M'instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Marguerite Yourcenar


C'est tout simplement magnifique

Vda
avatar 02/03/2006 @ 21:47:38
Vous ne saurez jamais que vôtre âme voyage
...
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Marguerite Yourcenar


Jlc, pourrais-tu m'indiquer dans quel ouvrage trouver ce poème ?

Jlc 02/03/2006 @ 23:30:04
[
Jlc, pourrais-tu m'indiquer dans quel ouvrage trouver ce poème ?



Je l'ai trouvé dans "Et toi mon coeur pourquoi bas-tu?" de Jean d'Ormesson.
J'aimerais d'ailleurs bien savoir où le trouver dans les oeuvres de la grande Marguerite. Je pensais initialement qu'il s'agissait d'un poème dédié à son amour de jeunesse André Fraigneau mais elle est morte avant lui.
Avis aux érudits et merci d'avance.

Vda
avatar 08/03/2006 @ 22:23:35
Les yeux des pauvres

Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd’hui. Il vous sera sans doute moins facile de comprendre qu’à moi de vous l’expliquer ; car vous êtes, je crois, le plus bel exemple d’imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.
Nous avions passé ensemble une longue journée qui m’avait paru courte. Nous nous étions boen promis que toutes nos pensées nous seraient communes à l’un et à l’autre, et que nos deux âmes désormais n’en feraient plus qu’une ; - un rêve qui n’a rien d’original, après tout, si ce n’est que, rêvé par tout les hommes, il n’a été réalisé par aucun.
Le soir, un jour fatiguée, vous voulûtes vous asseoir devant un café neuf qui formait le cion d’un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déjà glorieusement ses spendeurs inachevées. Le café étincelait. Le gaz lui-même y déployait toute l’ardeur d’un début, et éclairait de toutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors des baguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies traînés par les chiens en laisse, les dames riant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tête des fruits, des pâtés et du gibier, les Hébés et les Ganymèdes présentant à bras tendu la petite amphore à bavaroises ; toute l’histoire et toute la mythologie mises au service de la goinfrerie.
Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d’une quarantaine d’années, au visage fatigué, à la barbe grisonnante, tenant d’une main un petit garçon et portant sur l’autre bras un petit être trop faible pour marcher. Il remplissait l’office de bonne et faisait prendre à ses enfants l’air du soir. Tous en guenilles. Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces six yeux contemplaient fixement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversement par l’âge.
Les yeux du père disaient : « Que c’est beau ! que c’est beau ! on dirai que tout l’or du pauvre monde est venu se porter sur ces murs. » - Les yeux du petit garçon : « Que c’est beau ! que c’est beau ! mais c’est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous. » - Quant aux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu’une joie stupide et profonde.
Les chansonniers disent que le plaisir rend l’âme bonne et amollit le cœur. La chanson avait raison ce soir-là, relativement à moi. Non seulement j’étais attendri par cette famille d’yeux, mais je me sentais un peu honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif. Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beaux et si bizarrement doux, dans vos yeux verts habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quand vous dîtes : « Ces gens-là me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portes cochères ! Ne pourriez-vous pas prier le maître du café de les éloigner d’ici ? »
Tant il est difficile de s’entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable, même entre gens qui s’aiment !

Charles Baudelaire, in Le Spleen de Paris

Gabu33 09/03/2006 @ 17:20:18
Il s'agit d'un poème extrait du recueil Les Charités d'Alcippe.

Vda
avatar 09/03/2006 @ 22:20:05
jlc, avec retard, merci pour ta réponse, elle ne me poussera pas à acheter un d'Ormessan, mais jusqu'ici j'igonrai que Marguerite Yourcenar avait écrit des poèmes (que de lacunes !). Mais je peux citer une phrase qui m'a marquée quand je l'ai lu, long time ago : "il suffira toujours d'une fleur au printemps pour que nous pardonnions à Dieu".


Gabu33, tu as écrit :
Il s'agit d'un poème extrait du recueil Les Charités d'Alcippe.


j'avoue ne pas comprendre ce que tu veux dire par là, le poème se trouve dans mon édition du Spleen de Paris de Baudelaire édition Gallimard 1987, et la note à laquelle il renvoie indique "Epreuve de La Presse ( début octobre 1862)
La Vie parisienne, 2 juillet 1864.
Revue de Paris, 25 décembre 1864.

Vda
avatar 09/03/2006 @ 22:23:09
j'avoue ne pas comprendre ce que tu veux dire par là


je retire, je retire, une rapide recherche sur google et voilà qu'il s'agit non de Baudelaire mais de Yourcenar, en tout cas, merci à toi Gabu33 pour cette éclairage.

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