Sibylline 27/01/2006 @ 19:50:54
"Léo Ferré en avait fait une version chantée (d’une pesante insistance je trouve) "

Ah non! Bolcho! Tu ne peux pas dire ça. Ces mises en musique des poèmes de Verlaine et Rimbaud sont extraordinaires! Une vraie réussite, ce qui était loin d'être facile avec de pareils paroliers. Non, je n'en démords pas: une vraie réussite

Bolcho
avatar 27/01/2006 @ 22:09:05


Ah non! Bolcho! Tu ne peux pas dire ça.


Alors, si je ne peux pas le dire Sib, je ne le dis pas. Et même je l’enlève très officiellement.
D’ailleurs, je ne tenais pas spécialement à parler ici de Léo mais plutôt d’Arthur.
Et puis, j’avoue avoir beaucoup aimé, à sa sortie, ce disque-là de Ferré. Je viens même d’aller sur la toile pour en réécouter quelques extraits.
D’accord, ça reste une réussite.
Peut-être un peu moins pour « L’étoile a pleuré rose » : cette voix de femme qui fait des trémolos, elle me casse un peu les pieds et surtout elle me casse l’imagination. Pour moi, la femme, elle est déjà tout entière dans les quatre vers et il ne servait à rien d’aller la sonoriser en plus. C’est sans doute cela que je percevais comme une insistance. Mais il faut avouer que la mise en musique de textes versifiés est un exercice particulièrement périlleux : c’est un peu comme si l’on plaquait de la musique sur de la musique. C’est par nature insistant.
Cela dit, dont acte : Ferré est probablement celui qui a le mieux réussi et il a ainsi permis que revivent pour le plus grand nombre de si beaux textes.

Saule

avatar 27/01/2006 @ 22:22:44
Je n’ai pas l’impression, quant à moi, d’avoir tant souffert au côté des dames. Au contraire.

La souffrance ne serait pas de l'autre coté, de celui de "la Femme" ? Je veux parler du poème bien sur, pas dans ta vie.

Sibylline 28/01/2006 @ 08:31:36
Mon interprétation ( peut-être totalement infondée, mais qui a la particularité que j'ai depuis toujours compris cela comme ça): J'ai toujours considéré que "saigné noir" était une image, une licence poétique signifiant plutôt la densité et que cela vient du fond de soi, etc. Mais ce n'est ni vraiment saigné, ni vraiment noir et cela prend un autre sens qui, je le pense ne vous échappera pas.

Poupi 28/01/2006 @ 09:40:56
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

'Le dormeur du val' Arthur Rimbaud.

Parmi mes poèmes préférés!

Bolcho
avatar 28/01/2006 @ 11:07:18
Bon d’accord, le propre de la poésie est de générer une polysémie de nature à créer des « correspondances » comme disait Baudelaire. Il est donc normal et heureux que nous supputions et lancions des hypothèses dans tous les sens.
Je trouve que l’approche « saulienne » (quand on lit « l’homme a saigné noir » il faut comprendre « la femme a saigné noir ») est extrêmement aventureuse (pourquoi Rimbaud aurait-il dit l’exact contraire de ce qu’il voulait faire entendre ?) mais pourtant pas absurde : faire des correspondances, c’est mettre en relation, or nous mettons en relation en vertu de critères très variés, parmi lesquels le contraire à sa place (s’il faut répondre un mot rapidement lorsque je dis « homme », tout le monde répondra « femme » n’est-ce pas).
Quant à l’hypothèse « sibyllienne », je me rends compte à la lire que c’est sans doute celle que je faisais à 16 ans et qui m’échauffait ainsi le sang (je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui s’en rendent compte, mais pour fantasmer ainsi sur Rimbaud, il faut être singulièrement privé de canal Plus…). Mais là encore, le poète aurait dit en quelque sorte le contraire de ce qu’il voulait signifier (et sur la nature du fluide évoqué et sur sa couleur). Je vous fais grâce de mon antienne sur la correspondance des contraires qui justifierait donc aussi bien l’approche de Sibylline.
L’hypothèse que je suggérais était celle de l’Homme se déchirant en quelque sorte au contact de tant de beauté froide. Là aussi, on peut faire référence à Baudelaire :
« Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière. »
Mais elle ne convient pas trop à Rimbaud, je trouve.
On pourrait aussi, plus simplement, voir en cette traînée de sang noir sur la pâleur féminine, la simple tache de l’imperfection…masculine.
Ou une évocation de Chrétien de Troyes et des trois gouttes de sang sur la neige, expression métaphorique évoquant la rupture d’innocence, ou le désir. Rimbaud passerait de trois gouttes rouges à un saignement noir, mais il faut ce qu’il faut pour renouveler l’image.
Dommage de ne plus avoir sous la main les vrais poéteux du site (hep Kinbote ! Ola Lucien !) qui nous sentiraient ça en trois coups de cuiller à pot et qui de toute façon nous refileraient quelques hypothèses supplémentaires.
Bonne journée à tout le monde.

Saule

avatar 28/01/2006 @ 15:07:20
Bolcho, grâce à toi je vais finir par apprécier la poésie.

On pourrait aussi, plus simplement, voir en cette traînée de sang noir sur la pâleur féminine, la simple tache de l’imperfection…masculine.
Ou une évocation de Chrétien de Troyes et des trois gouttes de sang sur la neige, expression métaphorique évoquant la rupture d’innocence, ou le désir. Rimbaud passerait de trois gouttes rouges à un saignement noir, mais il faut ce qu’il faut pour renouveler l’image.

Oui il y a de ça, la profanation du corps féminin. Le corps à la divine beauté loué par l'étoile, la mer, l'infini et bêtement profané par l'Homme.
Pour les avis supplémentaires, il y aussi Mae, SJB, Fée, Mopp...?

Sibylline 28/01/2006 @ 16:44:54
"Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir
La défaite sans avenir."

Zondine 29/01/2006 @ 10:07:40
Je viens de découvrir aimé Césaire avec son excellent "cahier d'un retour au pays natal" Je ne peux pas tout publier vu que sa prose fait 65 pages, mais je dois avouer que j'ai été très émue par sa "négritude" c'est juste et formidablement lyrique.
Voici un petit extrait qui j'espère vous donnera envie de le lire entier.
Et je lui dirais encore:
Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir.
Et venant je me dirais à moi-même :
et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse.....

Saint Jean-Baptiste 29/01/2006 @ 15:02:50
Bolcho, grâce à toi je vais finir par apprécier la poésie.


Pour les avis supplémentaires, il y aussi Mae, SJB, Fée, Mopp...?

Ben oui, moi j'aurais vu aussi une espèce de souffrance imposée par l'homme à la femme.
Mais c'est un mystère de la poésie. La poésie n'est pas rationnelle et on l'aime même sans la comprendre !

Sibylline 30/01/2006 @ 21:47:04
Bolcho à cause /grâce à toi, j'ai passé le week-end à écouter Verlaine et Rimbaud. (Ah, quel délice!) Le week-end prochain, c'est Aragon.
OK? :-))

Saint Jean-Baptiste 30/01/2006 @ 22:14:50
Bolcho à cause /grâce à toi, j'ai passé le week-end à écouter Verlaine et Rimbaud. (Ah, quel délice!) Le week-end prochain, c'est Aragon.
OK? :-))

Tiens, Sib, si tu lis et si tu aimes Aragon, tu pourrais te lancer dans "La semaine Sainte" un très beau livre, un grand classique.
Ca met en scène Géricault, le peintre, et ça se passe avec en toile de fond, Les Vingt Jours, dont la semaine sainte, c'est à dire ces journées qui virent la fuite de louis XVIII devant Napoléon de retour de l'île d'Elbe après son exil.
Un très beau livre de 600 pages qui n'a pas encore eu les honneurs d'une critique sur CL !

Vda
avatar 31/01/2006 @ 22:22:16
Pour ceux qui aprécient Richard Brautigan, deux poèmes extraits du recueil Il pleut en amour

Il suffit

Les gens se figurent qu'il
Suffit d'aimer votre esprit
Pour avoir droit à votre corps,
aussi




La vie au Vingtième siècle
pour Marcia

Je vis au vingtième siècle
et toi tu es là, allongée à mes côtés. Tu
étais malheureuse au moment de t'endormir.
Je ne pouvais rien y faire.
Je me suis senti abandonné.Ton visage
est si beau que je ne peux pas m'empêcher
de le décrire encore, et il n'y a rien à
faire pour te rendre heureuse quand
tu dors.

Vda
avatar 31/01/2006 @ 22:26:04
Et puis deux quatrains de Fernando Pessoa tirés de Quatrains complets

231.
Tu m'écoutes sans m'entendre
Tu souris pour rien parce que je parle.
Beaucoup de femmes sont ainsi.
Mais cela ne me fait pas taire


2.
J'ai enfilé toutes les perles
De ce collier pour te l'offrir :
Les perles sont mes baisers,
Ma peine en est le fil.

Vda
avatar 31/01/2006 @ 22:29:56
Un de mes préférés, César de José Luis Borges

Ici, ce que les poignards ont laissé.
Ici, la pauvre chose, un homme mort,
qui s'appelait César. Le métal a creusé
au-dedans de lui ses cratères.
Ici l'atroce, ici la machine entravée,
naguère faite pour la gloire,
pour écrire l'histoire et l'achever
et pour la joie de cette vie, plénière.
Ici encore l'autre, l'empereur
prudent, refusant l'offrande des lauriers,
qui commanda batailles et bateaux
et gouverna l'Orient et le Ponant.
Ici encore l'autre, l'annoncé
dont la grande ombre sera l'orbe entier.

Clamence 12/02/2006 @ 23:25:32
Il y en a tant...Baudelaire est un de mes poètes préférés, avec Rimbaud, Hugo, et tant d'autres encore, alors je romps avec la poésie romantique , symboliste, etc..pour proposer un texte qui ne remportera sans doute pas l'adhésion de tous (mais c'est celui que je dois apprendre-un par semaine, en le tapant je m'aide un peu), mais sa nudité...si crue me touche beaucoup, et j'aime aussi la poséie du XXè :

Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...

Boris Vian

Clamence 12/02/2006 @ 23:28:03
poésie, pas poséie!!

Tistou 13/02/2006 @ 01:36:17
On en parle là, au 15/09/04, Clamence.
Si tu ne connais pas l'interprétation de Eiffel, trouve-là !

Poupi 13/02/2006 @ 08:51:11
Un de mes préférés...je ne crois pas qu'il ait déjà été mis sur ce fuseau...L'invitation au voyage, de Charles Baudelaire :

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Rha c'est vraiment superbe...A lire dans 'les Fleurs du Mal'!

Vda
avatar 13/02/2006 @ 20:50:18
rien à dire de Beaudelaire, un poète parmi les poètes Homme libre, toujours tu cheriras la mer ...

un poème de Pierre Reverdy Tard dans la nuit extrait de La liberté des mers

Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frappé trop souvent
Un coeur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement

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