Ma propriété
Ma propriété n'a pas de mur,
C'est l'espace.
Et tout ce qui s'y passe.
À moi, plaine ardente et bois obscurs.
Pauvres à millions, murez-vous dans vos murs !
J'ai bâton, blouse et chapeau de paille,
Gros sabots, vieux livre et jeune chien,
Tous les jours dès l'aube avec la caille,
Je m'en vais pour visiter mon bien.
Que je vais en bon propriétaire,
Folle avoine, épi jaune et lin bleu
À l'envi s'inclinent vers la terre.
Disons tout : le vent s'y prête un peu !
L'Opéra n'a pas de voix plus fraîches
Que mes bois, ni plus de décors,
De ma stalle, en mousse, en feuilles sèches
J'applaudis d'invisibles ténors !
Vos trésors, mais j'en fais ma risée,
Diamants, service de vermeil,
Venez voir mes gouttes de rosée,
Où se joue un rayon de soleil.
D'un coteau je plonge en ton domaine,
Gros bourgeois, mes yeux sont des voleurs,
Puis la brise, en complice, m'amène
Le parfum de tes tilleuls en fleurs.
Tout le sol métré par le cadastre
Est à vous, mais pour loger mes vers,
En posant mes jalons d'astre en astre,
Chaque soir j'arpente l'univers.
Ma propriété n'a pas de mur,
C'est l'espace.
Et tout ce qui s'y passe.
Ma propriété n'a pas de mur.
Pauvres à millions, murez-vous dans vos murs !
Eugène POTTIER
Ma propriété n'a pas de mur,
C'est l'espace.
Et tout ce qui s'y passe.
À moi, plaine ardente et bois obscurs.
Pauvres à millions, murez-vous dans vos murs !
J'ai bâton, blouse et chapeau de paille,
Gros sabots, vieux livre et jeune chien,
Tous les jours dès l'aube avec la caille,
Je m'en vais pour visiter mon bien.
Que je vais en bon propriétaire,
Folle avoine, épi jaune et lin bleu
À l'envi s'inclinent vers la terre.
Disons tout : le vent s'y prête un peu !
L'Opéra n'a pas de voix plus fraîches
Que mes bois, ni plus de décors,
De ma stalle, en mousse, en feuilles sèches
J'applaudis d'invisibles ténors !
Vos trésors, mais j'en fais ma risée,
Diamants, service de vermeil,
Venez voir mes gouttes de rosée,
Où se joue un rayon de soleil.
D'un coteau je plonge en ton domaine,
Gros bourgeois, mes yeux sont des voleurs,
Puis la brise, en complice, m'amène
Le parfum de tes tilleuls en fleurs.
Tout le sol métré par le cadastre
Est à vous, mais pour loger mes vers,
En posant mes jalons d'astre en astre,
Chaque soir j'arpente l'univers.
Ma propriété n'a pas de mur,
C'est l'espace.
Et tout ce qui s'y passe.
Ma propriété n'a pas de mur.
Pauvres à millions, murez-vous dans vos murs !
Eugène POTTIER
L’amour de l’amour
Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.
Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures,
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels,
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.
Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ;
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse,
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.
Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange,
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau,
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange,
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !
Aimez l'antique amour du règne de Saturne,
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne,
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !
Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme,
Lui dont la caravane humaine allait rêvant,
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme,
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.
Il revient ; le voici : son aurore éternelle
A frémi comme un monde au ventre de la nuit,
C'est le commencement des rumeurs de son aile ;
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.
Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.
Il palpite toujours sous les tentes de toile,
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ;
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.
La source le pleurait, car il sera la mousse,
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit,
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.
Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez !
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche,
Amour dans les déserts, amour dans les cités !
Amour sur l'Océan, amour sur les collines !
Amour dans les grands lys qui montent des vallons !
Amour dans la parole et les brises câlines !
Amour dans la prière et sur les violons !
Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !
Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !
Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !
II
Mais adorez l'Amour terrible qui demeure
Dans l'éblouissement des futures Sions,
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
Germain NOUVEAU
("Poésies d'Humilis" )
Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve
Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ;
C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève,
Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.
Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures,
Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels,
Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures,
Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels.
Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse
Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ;
C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse,
Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau.
Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange,
Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau,
Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange,
Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau !
Aimez l'antique amour du règne de Saturne,
Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché,
Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne,
Un baiser invisible aux lèvres de Psyché !
Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme,
Lui dont la caravane humaine allait rêvant,
Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme,
Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent.
Il revient ; le voici : son aurore éternelle
A frémi comme un monde au ventre de la nuit,
C'est le commencement des rumeurs de son aile ;
Il veille sur le sage, et la vierge le suit.
Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes,
C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois,
C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes
Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits.
Il palpite toujours sous les tentes de toile,
Au fond de tous les cris et de tous les secrets ;
C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ;
L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts.
La source le pleurait, car il sera la mousse,
Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit,
Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce
Qui fera reculer toute ombre et toute nuit.
Le voici qui retourne à nous, son règne est proche,
Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez !
Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche,
Amour dans les déserts, amour dans les cités !
Amour sur l'Océan, amour sur les collines !
Amour dans les grands lys qui montent des vallons !
Amour dans la parole et les brises câlines !
Amour dans la prière et sur les violons !
Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres !
Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts !
Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres !
Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix !
Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles !
Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux !
Amour dans les couvents : anges, battez des ailes !
Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous !
II
Mais adorez l'Amour terrible qui demeure
Dans l'éblouissement des futures Sions,
Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure
Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
Germain NOUVEAU
("Poésies d'Humilis" )
La vie est une belle poésie.
La vie est une belle poésie
Habillée sans costard ni cravate
Se foutant des énarques peints de gris
Portant fringues et cuir pour savates
La vie est une belle poésie
A dire les mots de la séduction
Courir après l'amour et les amis
Croire aux rêves fous de la déraison
La vie est une belle poésie
Qui chante aux coeurs sans soucis de rimes
Inventant le plaisir et l'harmonie
Loin des marchands des bords de l'abîme
La vie est une belle poésie
Un rêve à vivre de réalité
A coups reçus et pleurs versés aussi
Aux amours à la tendresse données
La vie est une belle poésie
A la violence d'un miel de bonheur
A tordre le cou aux coupes zizis
Dire non aux savants bonimenteurs
La vie est une belle poésie
Où seuls comptent les mots de tous les jours
Où l'on est géant humain en sursis
Si fier et si grand d'inventer l'amour
La vie est une belle poésie
Habillée sans costard ni cravate
Se foutant des énarques peints de gris
Portant fringues et cuir pour savates.
Jean-Marc Buttin.
La vie est une belle poésie
Habillée sans costard ni cravate
Se foutant des énarques peints de gris
Portant fringues et cuir pour savates
La vie est une belle poésie
A dire les mots de la séduction
Courir après l'amour et les amis
Croire aux rêves fous de la déraison
La vie est une belle poésie
Qui chante aux coeurs sans soucis de rimes
Inventant le plaisir et l'harmonie
Loin des marchands des bords de l'abîme
La vie est une belle poésie
Un rêve à vivre de réalité
A coups reçus et pleurs versés aussi
Aux amours à la tendresse données
La vie est une belle poésie
A la violence d'un miel de bonheur
A tordre le cou aux coupes zizis
Dire non aux savants bonimenteurs
La vie est une belle poésie
Où seuls comptent les mots de tous les jours
Où l'on est géant humain en sursis
Si fier et si grand d'inventer l'amour
La vie est une belle poésie
Habillée sans costard ni cravate
Se foutant des énarques peints de gris
Portant fringues et cuir pour savates.
Jean-Marc Buttin.
Aimons toujours ! Aimons encore !...
Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
L'amour, c'est le cri de l'aurore,
L'amour c'est l'hymne de la nuit.
Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l'astre dit aux nuages,
C'est le mot ineffable : Aimons !
L'amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c'est le bonheur !
Aime ! qu'on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l'âme
A la jeunesse de ton front !
Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu'on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !
Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !
Soyons le miroir et l'image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu'un !
Les poètes cherchent les belles.
La femme, ange aux chastes faveurs,
Aime à rafraîchir sous ses ailes
Ces grand fronts brûlants et réveurs.
Venez à nous, beautés touchantes !
Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
Ange ! viens à moi quand tu chantes,
Et, quand tu pleures, viens à moi !
Nous seuls comprenons vos extases.
Car notre esprit n'est point moqueur ;
Car les poètes sont les vases
Où les femmes versent leur coeurs.
Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l'onde
Tout ce qui n'est que vanité,
Je préfère aux biens dont s'enivre
L'orgueil du soldat ou du roi,
L'ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.
Toute ambition allumée
Dans notre esprit, brasier subtil,
Tombe en cendre ou vole en fumée,
Et l'on se dit : " Qu'en reste-t-il ? "
Tout plaisir, fleur à peine éclose
Dans notre avril sombre et terni,
S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
Et l'on se dit : " C'est donc fini ! "
L'amour seul reste. O noble femme
Si tu veux dans ce vil séjour,
Garder ta foi, garder ton âme,
Garder ton Dieu, garde l'amour !
Conserve en ton coeur, sans rien craindre,
Dusses-tu pleurer et souffrir,
La flamme qui ne peut s'éteindre
Et la fleur qui ne peut mourir !
Victor HUGO
Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
L'amour, c'est le cri de l'aurore,
L'amour c'est l'hymne de la nuit.
Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l'astre dit aux nuages,
C'est le mot ineffable : Aimons !
L'amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le coeur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c'est le bonheur !
Aime ! qu'on les loue ou les blâme,
Toujours les grand coeurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l'âme
A la jeunesse de ton front !
Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu'on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !
Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !
Soyons le miroir et l'image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l'ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu'un !
Les poètes cherchent les belles.
La femme, ange aux chastes faveurs,
Aime à rafraîchir sous ses ailes
Ces grand fronts brûlants et réveurs.
Venez à nous, beautés touchantes !
Viens à moi, toi, mon bien, ma loi !
Ange ! viens à moi quand tu chantes,
Et, quand tu pleures, viens à moi !
Nous seuls comprenons vos extases.
Car notre esprit n'est point moqueur ;
Car les poètes sont les vases
Où les femmes versent leur coeurs.
Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l'onde
Tout ce qui n'est que vanité,
Je préfère aux biens dont s'enivre
L'orgueil du soldat ou du roi,
L'ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.
Toute ambition allumée
Dans notre esprit, brasier subtil,
Tombe en cendre ou vole en fumée,
Et l'on se dit : " Qu'en reste-t-il ? "
Tout plaisir, fleur à peine éclose
Dans notre avril sombre et terni,
S'effeuille et meurt, lis, myrte ou rose,
Et l'on se dit : " C'est donc fini ! "
L'amour seul reste. O noble femme
Si tu veux dans ce vil séjour,
Garder ta foi, garder ton âme,
Garder ton Dieu, garde l'amour !
Conserve en ton coeur, sans rien craindre,
Dusses-tu pleurer et souffrir,
La flamme qui ne peut s'éteindre
Et la fleur qui ne peut mourir !
Victor HUGO
INVICTUS
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.
William Ernest Henley, 1875
Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.
William Ernest Henley, 1875
ELEGIES A CELLES QUI PLEURENT
Vous surtout que je plains si vous n' êtes chéries,
vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes
soeurs :
c' est à vous qu' elles vont, mes lentes rêveries,
et de mes pleurs chantés les amères douceurs.
Prisonnière en ce livre une âme est contenue.
Ouvrez, lisez : comptez les jours que j' ai soufferts.
Pleureuses de ce monde où je passe inconnue,
rêvez sur cette cendre et trempez-y vos fers.
Chantez ! Un chant de femme attendrit la souffrance.
Aimez ! Plus que l' amour la haine fait souffrir.
Donnez ! La charité relève l' espérance :
tant que l' on peut donner on ne veut pas mourir !
Si vous n' avez le temps d' écrire aussi vos larmes,
laissez-les de vos yeux descendre sur ces vers.
Absoudre, c' est prier. Prier, ce sont nos armes.
Absolvez de mon sort les feuillets entr' ouverts !
Pour livrer sa pensée au vent de la parole,
s' il faut avoir perdu quelque peu sa raison,
qui donne son secret est plus tendre que folle :
méprise-t-on l' oiseau qui répand sa chanson ?
Marceline Desbordes-Valmore
Vous surtout que je plains si vous n' êtes chéries,
vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes
soeurs :
c' est à vous qu' elles vont, mes lentes rêveries,
et de mes pleurs chantés les amères douceurs.
Prisonnière en ce livre une âme est contenue.
Ouvrez, lisez : comptez les jours que j' ai soufferts.
Pleureuses de ce monde où je passe inconnue,
rêvez sur cette cendre et trempez-y vos fers.
Chantez ! Un chant de femme attendrit la souffrance.
Aimez ! Plus que l' amour la haine fait souffrir.
Donnez ! La charité relève l' espérance :
tant que l' on peut donner on ne veut pas mourir !
Si vous n' avez le temps d' écrire aussi vos larmes,
laissez-les de vos yeux descendre sur ces vers.
Absoudre, c' est prier. Prier, ce sont nos armes.
Absolvez de mon sort les feuillets entr' ouverts !
Pour livrer sa pensée au vent de la parole,
s' il faut avoir perdu quelque peu sa raison,
qui donne son secret est plus tendre que folle :
méprise-t-on l' oiseau qui répand sa chanson ?
Marceline Desbordes-Valmore
Las de l'amer...
Las de l'amer repos où ma paresse offense
Une gloire pour qui jadis j'ai fui l'enfance
Adorable des bois de roses sous l'azur
Naturel, et plus las sept fois du pacte dur
De creuser par veillée une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid de ma cervelle,
Fossoyeur sans pitié pour la stérilité,
- Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité
Par les roses, quand, peur de ses roses livides,
Le vaste cimetière unira les trous vides ? -
Je veux délaisser l'Art vorace d'un pays
Cruel, et, souriant aux reproches vieillis
Que me font mes amis, le passé, le génie,
Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie,
Imiter le Chinois au coeur limpide et fin
De qui l'extase pure est de peindre la fin
Sur ses tasses de neige à la lune ravie
D'une bizarre fleur qui parfume sa vie
Transparente, la fleur qu'il a sentie, enfant,
Au filigrane bleu de l'âme se greffant.
Et, la mort telle avec le seul rêve du sage,
Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grands cils d'émeraude, roseaux.
Stéphane MALLARME
Las de l'amer repos où ma paresse offense
Une gloire pour qui jadis j'ai fui l'enfance
Adorable des bois de roses sous l'azur
Naturel, et plus las sept fois du pacte dur
De creuser par veillée une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid de ma cervelle,
Fossoyeur sans pitié pour la stérilité,
- Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité
Par les roses, quand, peur de ses roses livides,
Le vaste cimetière unira les trous vides ? -
Je veux délaisser l'Art vorace d'un pays
Cruel, et, souriant aux reproches vieillis
Que me font mes amis, le passé, le génie,
Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie,
Imiter le Chinois au coeur limpide et fin
De qui l'extase pure est de peindre la fin
Sur ses tasses de neige à la lune ravie
D'une bizarre fleur qui parfume sa vie
Transparente, la fleur qu'il a sentie, enfant,
Au filigrane bleu de l'âme se greffant.
Et, la mort telle avec le seul rêve du sage,
Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grands cils d'émeraude, roseaux.
Stéphane MALLARME
Je te vois, rose, livre entrebâillé
Je te vois, rose, livre entrebâillé,
qui contient tant de pages
de bonheur détaillé
qu'on ne lira jamais. Livre-mage,
qui s'ouvre au vent et qui peut être lu
les yeux fermés ...,
dont les papillons sortent confus
d'avoir eu les mêmes idées.
Rainer Maria RILKE
Je te vois, rose, livre entrebâillé,
qui contient tant de pages
de bonheur détaillé
qu'on ne lira jamais. Livre-mage,
qui s'ouvre au vent et qui peut être lu
les yeux fermés ...,
dont les papillons sortent confus
d'avoir eu les mêmes idées.
Rainer Maria RILKE
J'arrive où je suis étranger
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Louis ARAGON
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Louis ARAGON
C'est là qu'il faut aller quand on se sent dépris...
C'est là qu'il faut aller quand on se sent dépris
De la vie et de tout et même de soi-même;
Ville morte où chacun est seul, où tout est gris,
Triste comme une tombe avec des chrysanthèmes.
C'est là qu'il faut aller se guérir de la vie
Et faire enfin le doux geste dont on renonce;
Il en émane on ne sait quoi qui pacifie;
Quel beau cygne est entré dans l'âme qui se fonce ?
On souffrait dans son âme, on souffrait dans sa chair;
Mais il advient qu'un peu de joie encore pleuve
Avec le carillon intermittent dans l'air...
C'est là qu'il faut aller quand on a l'âme veuve !
Georges RODENBACH
C'est là qu'il faut aller quand on se sent dépris
De la vie et de tout et même de soi-même;
Ville morte où chacun est seul, où tout est gris,
Triste comme une tombe avec des chrysanthèmes.
C'est là qu'il faut aller se guérir de la vie
Et faire enfin le doux geste dont on renonce;
Il en émane on ne sait quoi qui pacifie;
Quel beau cygne est entré dans l'âme qui se fonce ?
On souffrait dans son âme, on souffrait dans sa chair;
Mais il advient qu'un peu de joie encore pleuve
Avec le carillon intermittent dans l'air...
C'est là qu'il faut aller quand on a l'âme veuve !
Georges RODENBACH
Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes...
Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes,
Pour déjà se créer une autre vie, un autre ciel
Où l'âme n'ait plus rien retenu du réel
Que les choses selon sa nuance et qu'elle aime :
Des cloches effeuillant leurs lourds pétales noirs
Dans l'âme qui s'allonge en canaux de silence,
Et des cygnes parés comme des reposoirs.
Ah ! toute cette vie, en moi, qui recommence,
Une vie idéale en des décors élus
Où tous les jours pareils ont des airs de dimanches,
Une vie extatique où ne cheminent plus
Que des rêves, vêtus de mousselines blanches...
Or ces rêves triés ont de câlines voix,
Voix des cygnes, voix des cloches, voix de la lune,
Qui chantonnent ensemble et n'en forment plus qu'une
En qui l'âme s'exalte et s'apaise à la fois.
De même la Nature a fait comme notre âme
Et choisi, elle aussi, des bruit qu'elle amalgame,
Se berçant aux frissons des arbres en rideau,
Lotionnant sa plaie aux rumeurs des écluses...
Voix chorale qui sait, pour ses peines confuses,
Unifier des bruits de feuillage et d'eau !
G.Rodenbach
Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes,
Pour déjà se créer une autre vie, un autre ciel
Où l'âme n'ait plus rien retenu du réel
Que les choses selon sa nuance et qu'elle aime :
Des cloches effeuillant leurs lourds pétales noirs
Dans l'âme qui s'allonge en canaux de silence,
Et des cygnes parés comme des reposoirs.
Ah ! toute cette vie, en moi, qui recommence,
Une vie idéale en des décors élus
Où tous les jours pareils ont des airs de dimanches,
Une vie extatique où ne cheminent plus
Que des rêves, vêtus de mousselines blanches...
Or ces rêves triés ont de câlines voix,
Voix des cygnes, voix des cloches, voix de la lune,
Qui chantonnent ensemble et n'en forment plus qu'une
En qui l'âme s'exalte et s'apaise à la fois.
De même la Nature a fait comme notre âme
Et choisi, elle aussi, des bruit qu'elle amalgame,
Se berçant aux frissons des arbres en rideau,
Lotionnant sa plaie aux rumeurs des écluses...
Voix chorale qui sait, pour ses peines confuses,
Unifier des bruits de feuillage et d'eau !
G.Rodenbach
JAN. 1818
Quand des peurs me hantent de cesser d'être
avant que ma plume n'ait glané les fruits de mon
cerveau
avant que des piles de livres ne m'emprisonnent dans
leurs pages comme en de riches greniers la moisson aboutie,
quand je regarde,sur la face étoilée de la nuit
les nuages - symboles géants de haute-romance
et pense que peut-être je ne vivrai jamais assez
longtemps pour fixer leurs ombres, d'une main douée de chance;
et quand je sens, ô douce créature d'une seule heure
que je ne poserai plus jamais les yeux sur toi
que jamais je ne savourerai le féerique pouvoir
de l'amour insouciant - alors
sur la rive du vaste monde, debout,
je médite
et l'amour et la gloire s'abîment dans le néant.
John KEATS
Quand des peurs me hantent de cesser d'être
avant que ma plume n'ait glané les fruits de mon
cerveau
avant que des piles de livres ne m'emprisonnent dans
leurs pages comme en de riches greniers la moisson aboutie,
quand je regarde,sur la face étoilée de la nuit
les nuages - symboles géants de haute-romance
et pense que peut-être je ne vivrai jamais assez
longtemps pour fixer leurs ombres, d'une main douée de chance;
et quand je sens, ô douce créature d'une seule heure
que je ne poserai plus jamais les yeux sur toi
que jamais je ne savourerai le féerique pouvoir
de l'amour insouciant - alors
sur la rive du vaste monde, debout,
je médite
et l'amour et la gloire s'abîment dans le néant.
John KEATS
Ode à un rossignol
Mon cœur souffre et la douleur engourdit
Mes sens, comme si j’avais bu d’un trait
La ciguë ou quelque liquide opiacé
Et coulé, en un instant, au fond du Léthé :
Ce n’est pas que j’envie ton heureux sort,
Mais plutôt que je me réjouis trop de ton bonheur,
Quand tu chantes, Dryade des bois aux ailes
Légères, dans la mélodie d’un bosquet
De hêtres verts et d’ombres infinies,
L’été dans l’aise de ta gorge déployée.
Oh, une gorgée de ce vin !
Rafraîchi dans les profondeurs de la terre,
Ce vin au goût de Flore, de verte campagne,
De danse, de chant provençal et de joie solaire !
Oh, une coupe pleine du Sud brûlant,
Pleine de la vraie Hippocrène, si rougissante,
Où brillent les perles des bulles au bord
Des lèvres empourprées ;
Oh, que je boive et que je quitte le monde en secret,
Pour disparaître avec toi dans la forêt obscure :
Disparaître loin, m’évanouir, me dissoudre et oublier
Ce que toi, ami des feuilles, tu n’a jamais connu,
Le souci, la fièvre, le tourment d’être
Parmi les humains qui s’écoutent gémir.
Tandis que la paralysie n’agite que les derniers cheveux,
Tandis que la jeunesse pâlit, spectrale, et meurt ;
Tandis que la pensée ne rencontre que le chagrin
Et les larmes du désespoir,
Tandis que la Beauté perd son œil lustral,
Et que l’amour nouveau languit en vain.
Fuir ! Fuir ! m’envoler vers toi,
Non dans le char aux léopards de Bacchus,
Mais sur les ailes invisibles de la Poésie,
Même si le lourd cerveau hésite :
Je suis déjà avec toi ! Tendre est la nuit,
Et peut-être la Lune-Reine sur son trône,
S’entoure-t-elle déjà d’une ruche de Fées, les étoiles ;
Mais je ne vois ici aucune lueur,
Sinon ce qui surgit dans les brises du Ciel
à travers les ombres verdoyantes et les mousses éparses.
Je ne peux voir quelles fleurs sont à mes pieds,
Ni quel doux parfum flotte sur les rameaux,
Mais dans l’obscurité embaumée, je devine
Chaque senteur que ce mois printanier offre
à l’herbe, au fourré, aux fruits sauvages ;
à la blanche aubépine, à la pastorale églantine ;
Aux violettes vite fanées sous les feuilles ;
Et à la fille aînée de Mai,
La rose musquée qui annonce, ivre de rosée,
Le murmure des mouches des soirs d’été.
Dans le noir, j’écoute ; oui, plus d’une fois
J’ai été presque amoureux de la Mort,
Et dans mes poèmes je lui ai donné de doux noms,
Pour qu’elle emporte dans l’air mon souffle apaisé ;
à présent, plus que jamais, mourir semble une joie,
Oh, cesser d’être - sans souffrir - à Minuit,
Au moment où tu répands ton âme
Dans la même extase !
Et tu continuerais à chanter à mes oreilles vaines
Ton haut Requiem à ma poussière.
Immortel rossignol, tu n’es pas un être pour la mort !
Les générations avides n’ont pas foulé ton souvenir ;
La voix que j’entends dans la nuit fugace
Fut entendue de tout temps par l’empereur et le rustre :
Le même chant peut-être s’était frayé un chemin
Jusqu’au cœur triste de Ruth, exilée,
Languissante, en larmes au pays étranger ;
Le même chant a souvent ouvert,
Par magie, une fenêtre sur l’écume
De mers périlleuses, au pays perdu des Fées.
Perdu ! Ce mot sonne un glas
Qui m’arrache de toi et me rend à la solitude !
Adieu ! L’imagination ne peut nous tromper
Complètement, comme on le dit - ô elfe subtil !
Adieu ! Adieu ! Ta plaintive mélodie s’enfuit,
Traverse les prés voisins, franchit le calme ruisseau,
Remonte le flanc de la colline et s’enterre
Dans les clairières du vallon :
était-ce une illusion, un songe éveillé ?
La musique a disparu : ai-je dormi, suis-je réveillé ?
John Keats ("Les odes" )
Mon cœur souffre et la douleur engourdit
Mes sens, comme si j’avais bu d’un trait
La ciguë ou quelque liquide opiacé
Et coulé, en un instant, au fond du Léthé :
Ce n’est pas que j’envie ton heureux sort,
Mais plutôt que je me réjouis trop de ton bonheur,
Quand tu chantes, Dryade des bois aux ailes
Légères, dans la mélodie d’un bosquet
De hêtres verts et d’ombres infinies,
L’été dans l’aise de ta gorge déployée.
Oh, une gorgée de ce vin !
Rafraîchi dans les profondeurs de la terre,
Ce vin au goût de Flore, de verte campagne,
De danse, de chant provençal et de joie solaire !
Oh, une coupe pleine du Sud brûlant,
Pleine de la vraie Hippocrène, si rougissante,
Où brillent les perles des bulles au bord
Des lèvres empourprées ;
Oh, que je boive et que je quitte le monde en secret,
Pour disparaître avec toi dans la forêt obscure :
Disparaître loin, m’évanouir, me dissoudre et oublier
Ce que toi, ami des feuilles, tu n’a jamais connu,
Le souci, la fièvre, le tourment d’être
Parmi les humains qui s’écoutent gémir.
Tandis que la paralysie n’agite que les derniers cheveux,
Tandis que la jeunesse pâlit, spectrale, et meurt ;
Tandis que la pensée ne rencontre que le chagrin
Et les larmes du désespoir,
Tandis que la Beauté perd son œil lustral,
Et que l’amour nouveau languit en vain.
Fuir ! Fuir ! m’envoler vers toi,
Non dans le char aux léopards de Bacchus,
Mais sur les ailes invisibles de la Poésie,
Même si le lourd cerveau hésite :
Je suis déjà avec toi ! Tendre est la nuit,
Et peut-être la Lune-Reine sur son trône,
S’entoure-t-elle déjà d’une ruche de Fées, les étoiles ;
Mais je ne vois ici aucune lueur,
Sinon ce qui surgit dans les brises du Ciel
à travers les ombres verdoyantes et les mousses éparses.
Je ne peux voir quelles fleurs sont à mes pieds,
Ni quel doux parfum flotte sur les rameaux,
Mais dans l’obscurité embaumée, je devine
Chaque senteur que ce mois printanier offre
à l’herbe, au fourré, aux fruits sauvages ;
à la blanche aubépine, à la pastorale églantine ;
Aux violettes vite fanées sous les feuilles ;
Et à la fille aînée de Mai,
La rose musquée qui annonce, ivre de rosée,
Le murmure des mouches des soirs d’été.
Dans le noir, j’écoute ; oui, plus d’une fois
J’ai été presque amoureux de la Mort,
Et dans mes poèmes je lui ai donné de doux noms,
Pour qu’elle emporte dans l’air mon souffle apaisé ;
à présent, plus que jamais, mourir semble une joie,
Oh, cesser d’être - sans souffrir - à Minuit,
Au moment où tu répands ton âme
Dans la même extase !
Et tu continuerais à chanter à mes oreilles vaines
Ton haut Requiem à ma poussière.
Immortel rossignol, tu n’es pas un être pour la mort !
Les générations avides n’ont pas foulé ton souvenir ;
La voix que j’entends dans la nuit fugace
Fut entendue de tout temps par l’empereur et le rustre :
Le même chant peut-être s’était frayé un chemin
Jusqu’au cœur triste de Ruth, exilée,
Languissante, en larmes au pays étranger ;
Le même chant a souvent ouvert,
Par magie, une fenêtre sur l’écume
De mers périlleuses, au pays perdu des Fées.
Perdu ! Ce mot sonne un glas
Qui m’arrache de toi et me rend à la solitude !
Adieu ! L’imagination ne peut nous tromper
Complètement, comme on le dit - ô elfe subtil !
Adieu ! Adieu ! Ta plaintive mélodie s’enfuit,
Traverse les prés voisins, franchit le calme ruisseau,
Remonte le flanc de la colline et s’enterre
Dans les clairières du vallon :
était-ce une illusion, un songe éveillé ?
La musique a disparu : ai-je dormi, suis-je réveillé ?
John Keats ("Les odes" )
"The Meeting of the Waters" (1808 - in "Irish Melodies", volume 1)
Thomas Moore
There is not in the wide world a valley so sweet
As that vale in whose bosom the bright waters meet; (*)
Oh! the last rays of feeling and life must depart,
Ere the bloom of that valley shall fade from my heart.
Yet it was not that nature had shed o'er the scene
Her purest of crystal and brightest of green;
'Twas not her soft magic of streamlet or hill,
Oh! no, -- it was something more exquisite still.
'Twas that friends, the beloved of my bosom, were near,
Who made every dear scene of enchantment more dear,
And who felt how the best charms of nature improve,
When we see them reflected from looks that we love.
Sweet vale of Avoca! how calm could I rest
In thy bosom of shade, with the friends I love best,
Where the storms that we feel in this cold world should cease,
And our hearts, like thy waters, be mingled in peace.
(*) Il s'agit des rivières Avon et Avoca
Traduction des strophes 1 et 4 :
La réunion des eaux
Il n'y a pas de vallée aussi douce dans le monde
Que cette vallée dont les eaux brillantes se rencontrent en son cœur
Oh ! Les dernières lueurs de sentiment et la vie doivent s’en aller,
Avant que la fleur de cette vallée ne s'efface de mon cœur.
[...]
Douce Vallée d'Avoca ! Comment pourrais-je me reposer
Au sein de l’ombre, avec mes amis chers,
Où les tempêtes que nous ressentons dans ce monde froid devraient cesser
Et nos cœurs, comme vos eaux, être en paix.
Thomas Moore
There is not in the wide world a valley so sweet
As that vale in whose bosom the bright waters meet; (*)
Oh! the last rays of feeling and life must depart,
Ere the bloom of that valley shall fade from my heart.
Yet it was not that nature had shed o'er the scene
Her purest of crystal and brightest of green;
'Twas not her soft magic of streamlet or hill,
Oh! no, -- it was something more exquisite still.
'Twas that friends, the beloved of my bosom, were near,
Who made every dear scene of enchantment more dear,
And who felt how the best charms of nature improve,
When we see them reflected from looks that we love.
Sweet vale of Avoca! how calm could I rest
In thy bosom of shade, with the friends I love best,
Where the storms that we feel in this cold world should cease,
And our hearts, like thy waters, be mingled in peace.
(*) Il s'agit des rivières Avon et Avoca
Traduction des strophes 1 et 4 :
La réunion des eaux
Il n'y a pas de vallée aussi douce dans le monde
Que cette vallée dont les eaux brillantes se rencontrent en son cœur
Oh ! Les dernières lueurs de sentiment et la vie doivent s’en aller,
Avant que la fleur de cette vallée ne s'efface de mon cœur.
[...]
Douce Vallée d'Avoca ! Comment pourrais-je me reposer
Au sein de l’ombre, avec mes amis chers,
Où les tempêtes que nous ressentons dans ce monde froid devraient cesser
Et nos cœurs, comme vos eaux, être en paix.
"The Meeting of the Waters" (1808 - in "Irish Melodies", volume 1)
Thomas Moore
There is not in the wide world a valley so sweet
As that vale in whose bosom the bright waters meet; (*)
Oh! the last rays of feeling and life must depart,
Ere the bloom of that valley shall fade from my heart.
Yet it was not that nature had shed o'er the scene
Her purest of crystal and brightest of green;
'Twas not her soft magic of streamlet or hill,
Oh! no, -- it was something more exquisite still.
'Twas that friends, the beloved of my bosom, were near,
Who made every dear scene of enchantment more dear,
And who felt how the best charms of nature improve,
When we see them reflected from looks that we love.
Sweet vale of Avoca! how calm could I rest
In thy bosom of shade, with the friends I love best,
Where the storms that we feel in this cold world should cease,
And our hearts, like thy waters, be mingled in peace.
(*) Il s'agit des rivières Avon et Avoca
Traduction des strophes 1 et 4 :
La réunion des eaux
Il n'y a pas de vallée aussi douce dans le monde
Que cette vallée dont les eaux brillantes se rencontrent en son cœur
Oh ! Les dernières lueurs de sentiment et la vie doivent s’en aller,
Avant que la fleur de cette vallée ne s'efface de mon cœur.
[...]
Douce Vallée d'Avoca ! Comment pourrais-je me reposer
Au sein de l’ombre, avec mes amis chers,
Où les tempêtes que nous ressentons dans ce monde froid devraient cesser
Et nos cœurs, comme vos eaux, être en paix.
C'est très beau,Blue ,comme tout ce que tu postes.
Je regrette souvent de ne pouvoir lire et comprendre le gaëlic mais j'espère pouvoir un jour...
Ah!L'Irlande ,mystérieuse ,toute en poésie pure ,un pays pour poètes et des voyages en soi si loin...
(J'ai une version bilingue de Yeats et j'aimerais en acheter une de Keats mais je crois qu'il faudrait aller faire un tour vers les Costwolds pour saisir la (les) beauté(s) de leurs textes.
Et,à ce sujet, à props de l'autre forum,je vous parlerai de "mes" voyages savoureux:là,j'y tiens absolument!)
QUAND TU SERAS VIEILLE
Quand tu seras vieille et grise et pleine de sommeil,
Quand, ta tête inclinée près du feu, tu prendras ce livre,
Et lentement, liras et reverras le doux regard
De tes yeux d’autrefois, et de leurs ombres profondes.
Combien ont aimé tes moments de joie prodigue,
Et aimèrent ta beauté d’un amour sincère ou faux,
Mais un seul aima l’âme du pèlerin en toi,
Et aima les défaites de ton visage changeant ;
Et quand courbée sur la hampe incandescente,
Tu murmureras comment l’amour te quitta
Comment il s’envola au-dessus des montagnes
Et cacha son visage dans un amas d’étoiles.
William Butler YEATS
Quand tu seras vieille et grise et pleine de sommeil,
Quand, ta tête inclinée près du feu, tu prendras ce livre,
Et lentement, liras et reverras le doux regard
De tes yeux d’autrefois, et de leurs ombres profondes.
Combien ont aimé tes moments de joie prodigue,
Et aimèrent ta beauté d’un amour sincère ou faux,
Mais un seul aima l’âme du pèlerin en toi,
Et aima les défaites de ton visage changeant ;
Et quand courbée sur la hampe incandescente,
Tu murmureras comment l’amour te quitta
Comment il s’envola au-dessus des montagnes
Et cacha son visage dans un amas d’étoiles.
William Butler YEATS
Il voudrait avoir les voiles du ciel
Si j’avais les voiles brodés des cieux
Ouvrés de lumières d’or et d’argent
Les voiles bleus, diaphanes et sombres
De la nuit, de la lumière et de la pénombre
J’étendrais ces voiles sous tes pieds :
Mais je suis pauvre et je n’ai que mes rêves ;
J’ai étendu mes rêves sous tes pieds ;
Marche doucement car tu marches sur mes rêves.
(VO)
He wishes for the Cloths of Heaven
Had I the heaven’s embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half-light,
I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.
William Butler YEATS
Si j’avais les voiles brodés des cieux
Ouvrés de lumières d’or et d’argent
Les voiles bleus, diaphanes et sombres
De la nuit, de la lumière et de la pénombre
J’étendrais ces voiles sous tes pieds :
Mais je suis pauvre et je n’ai que mes rêves ;
J’ai étendu mes rêves sous tes pieds ;
Marche doucement car tu marches sur mes rêves.
(VO)
He wishes for the Cloths of Heaven
Had I the heaven’s embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half-light,
I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.
William Butler YEATS
Echo
Je désire dessiner l’écho
Sur la soie de la mémoire
Sur le bois de l’attente.
Je désire écouter l’absence
Pendant qu’elle explique à l’inquiétude ses raisons
Et qu’elle entre avec elle dans un débat tenace et stérile.
Je désire dormir
Sans que mes yeux ne perdent le plaisir d’observer la vie
Pendant qu’elle accompagne les passant au matin
Vers leurs petites affaires quotidiennes.
Je désire être ici
Et là
Prêter attention à la pierre de l’oubli
Lorsqu’elle tombe lourde dans le puits des jours prochaines
Et lorsqu’elle annonce de haut
Que les miroirs de l’âme
Ecrivent tout ce qu’on n’a pas dit
Tout ce dont on n’a pas entendu le tintement.
Rasem Almadhoon
Je désire dessiner l’écho
Sur la soie de la mémoire
Sur le bois de l’attente.
Je désire écouter l’absence
Pendant qu’elle explique à l’inquiétude ses raisons
Et qu’elle entre avec elle dans un débat tenace et stérile.
Je désire dormir
Sans que mes yeux ne perdent le plaisir d’observer la vie
Pendant qu’elle accompagne les passant au matin
Vers leurs petites affaires quotidiennes.
Je désire être ici
Et là
Prêter attention à la pierre de l’oubli
Lorsqu’elle tombe lourde dans le puits des jours prochaines
Et lorsqu’elle annonce de haut
Que les miroirs de l’âme
Ecrivent tout ce qu’on n’a pas dit
Tout ce dont on n’a pas entendu le tintement.
Rasem Almadhoon
Idées perdues
Idées perdues,
Dans l’espace solitaire que vous composez
J’épouse votre mouvement,
Dans mon espace à moi composé par moi-même,
Comme en une cité que chacun viendrait de quitter
A jamais,
Avec l’absolue conviction de non-retour
(chose qui, je le sais, ne saurait arriver).
Humbles idées,
Reléguées dans l’indéfini, hors de toute relation,
Pour la triste et noble raison
Que je n’ai plus de sens.
Mimoza AHMETI
Idées perdues,
Dans l’espace solitaire que vous composez
J’épouse votre mouvement,
Dans mon espace à moi composé par moi-même,
Comme en une cité que chacun viendrait de quitter
A jamais,
Avec l’absolue conviction de non-retour
(chose qui, je le sais, ne saurait arriver).
Humbles idées,
Reléguées dans l’indéfini, hors de toute relation,
Pour la triste et noble raison
Que je n’ai plus de sens.
Mimoza AHMETI
(Un de mes poètes préférés :Nâzim HIKMET,homme de tous les courages)
Voilà
Je suis dans la clarté qui s’avance.
Mes mains sont pleines de désirs, le monde est beau.
Mes yeux ne se lassent pas de voir les arbres,
Les arbres si pleins d’espoir, les arbres si verts.
Un sentier ensoleillé s’en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l’infirmerie.
Je ne sens pas l’odeur des médicaments.
Les œillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà, être captif, là n’est pas la question,
La question est de ne pas se rendre…
Voilà
Je suis dans la clarté qui s’avance.
Mes mains sont pleines de désirs, le monde est beau.
Mes yeux ne se lassent pas de voir les arbres,
Les arbres si pleins d’espoir, les arbres si verts.
Un sentier ensoleillé s’en va à travers les mûriers.
Je suis à la fenêtre de l’infirmerie.
Je ne sens pas l’odeur des médicaments.
Les œillets ont dû fleurir quelque part.
Et voilà, mon amour, et voilà, être captif, là n’est pas la question,
La question est de ne pas se rendre…
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