Je m’accuse
Antonio Bertoli, Ed. Maelstrom, 2007
JE m’accuse de l’Eau et du Feu, du Ciel et de la Terre
Je m’accuse de l’air et du verbe, de la respiration et de la brume
Je m’accuse d’avoir aimé le bois, épuisé la rose, goûté au va-et-vient de la colère
Je m’accuse de l’inconsistance de la poésie, de ce qui n’est pas lisible
Je m’accuse d’avoir oublié le visage de mon père, de ne pas me souvenir du mien
JE m’accuse des rois et des reines, du pape, de l’herbe folle, du miroir brisé, de la langue du rabbin
Je m’accuse d’avoir aimé l’orbite vide d’une poupée, un crucifix, la poésie
Je m’accuse d’avoir écrit des lettres d’amour au moins cinq cents fois
Je m’accuse d’avoir commis l’adultère pendant trente ans avec un être ailé
Je m’accuse de lui avoir donné tout ce que je possédais et de m’être ainsi ruiné
JE m’accuse des saisons, des influences de la lune et des tempêtes solaires
Je m’accuse de toutes les révolutions qui ont échoué et des mouvements artistiques
Je m’accuse de toutes les guerres et de toutes les religions et de tous les régimes
Je m’accuse de la démocratie et de l’imposture
JE m’accuse du génocide, de la mort de Dieu et de la mort de l’art
Je m’accuse de la mort de ma mère et de celle de mon père
Je m’accuse de la maladie de la hyène qui rit sur le dos de la mort
Je m’accuse de l’indifférence des passants, de dieu et des étoiles
Je m’accuse des yeux verts du vent
Je m’accuse de la jeunesse, de la maturité, de la vieillesse
Je m’accuse des mystères, des arcanes et des mythes
Je m’accuse du sang et de son tumulte
Je m’accuse de l’apparence et de la répétition
Je m’accuse du sable, de la farine et du lait du moulin d’Hamlet
Je m’accuse de l’oubli dans lequel nous sommes tombés, du trou noir de la mémoire
Je m’accuse d’avoir toujours cherché à vivre et de faire vivre bien
Je m’accuse d’avoir toujours cru dans l’art uniquement comme art de vivre
Je m’accuse d’avoir toujours écrit par amour
JE m’accuse de ce monde, de la carte céleste où sont tracés nos destins
Je m’accuse de manger de la poussière d’étoiles au moins deux fois par jour
Je m’accuse d’être heureux
Je m’accuse d’être amoureux et pas uniquement de femmes
Je m’accuse du plaisir éprouvé, que j’éprouve et que j’éprouverai
Je m’accuse de ne pas lire les journaux et leur négativité
Je m’accuse de ne pas regarder la télévision
Je m’accuse d’être un homme
Je m’accuse d’être un révolutionnaire, un néophyte, un postulant, un ami, un prophète
Je m’accuse d’exister, de boire, de manger, dormir, et faire l’amour
Je m’accuse des soirées passées seul, en compagnie, seul en compagnie
Je m’accuse d’aimer la beauté, de ne pas connaître la vérité
JE m’accuse des crapauds et des impies
Je m’accuse de la graminée et des orages
Je m’accuse de la grande mer agitée qui lèche le rivage dont elle est amoureuse
Je m’accuse du dieu des murs et des étangs
Je m’accuse de la pensée qui vide le cœur
Je m’accuse de la coupe pleine du cœur et de son saint sang
Je m’accuse des cinq plaies
Je m’accuse des sept plaisirs, des douze mois, des vingt-deux arcanes
Je m’accuse du temps qui s’écoule et de la mémoire
Je m’accuse d’avoir écrit des poésies, supplications, injures
Je m’accuse de ne jamais avoir refusé une goutte d’eau à une fleur
Je m’accuse de mes lèvres et du doigt sur elles
Je m’accuse mille fois d’espérances, mille fois de foi, mille fois de la neige et de la pluie
Je m’accuse du vert des prés, du blanc de la lune, du rouge de la passion
Je m’accuse du plaisir de ma peau et sous ma peau
Je m’accuse d’Arthur Rimbaud, Antonin Artaud, Breton,
Dylan Thomas, Ginsberg, Enrique Lihn, Yeats, Caravaggio,
Campana, Antonio Porchia, Lautréamont, Arrabal,
Jodorowsky, Ferlinghetti
Je m’accuse du toujours pour toujours
Toujours pour toujours
Je m’accuse
De tout et de tous, de quiconque et de quoi que ce soit
JE m’accuse…
***
Version originale en italien
Je m'accuse
Io mi accuso dell'Acqua e del Fuoco, del Cielo e della Terra
Mi accuso dell'aria e del verbo, del respiro e della nebbia.
Mi accuso di aver amato il legno, spossato a fondo la rosa, gustato l'andirivieni della collera.
Mi accuso dell'inconsistenza della poesia, di ciò che non è leggibile.
Mi accuso di aver scordato il volto di mio padre, di non ricordare il mio.
Io mi accuso dei re e delle regine, del papa, dell'erba matta, dello specchio infranto, della lingua del rabbino.
Mi accuso di aver amato l'orbita vuota di una bambola, un crocefisso, la poesia.
Mi accuso di aver scritto lettere d'amore almeno cinquecento volte.
Mi accuso di aver commesso adulterio per trent'anni anni con un essere alato
Mi accuso di avergli dato tutti i miei averi e di essere quindi caduto in rovina.
Io mi accuso delle stagioni, degli influssi della luna e delle tempeste solari
Mi accuso di tutte le rivoluzioni fallite e dei movimenti artistici
Mi accuso di tutte le guerre e di tutte le religioni e di tutti i regimi
Mi accuso della democrazia e dell'impostura
Io mi accuso del genocidio, della morte di Dio e della morte dell'arte
Mi accuso della morte di mia madre e di mio padre
Mi accuso del morbo della iena che ride sulle spalle della morte
Mi accuso dell'indifferenza dei passanti, di dio e delle stelle
Mi accuso degli occhi verdi del vento
Mi accuso della giovinezza, della maturità, della vecchiaia.
Mi accuso dei misteri, degli arcani e dei miti
Mi accuso del sangue e del suo tumulto
Mi accuso dell'apparenza e della ripetizione
Mi accuso della sabbia, della farina e del latte del mulino di Amleto
Mi accuso dell'oblio in cui siamo caduti, del buco nero della memoria
Mi accuso di aver sempre cercato di vivere e far vivere bene
Mi accuso di aver sempre creduto nell'arte solo come arte di vivere
Mi accuso di aver sempre scritto per amore
Io mi accuso di questo mondo, della mappa celeste in cui sono tracciati i nostri destini
Mi accuso di mangiare polvere di stelle e cantare almeno due volte al giorno
Mi accuso di essere felice
Mi accuso di essere innamorato e non solo di donne
Mi accuso del piacere provato, che provo e che proverò
Mi accuso di non leggere i giornali e la loro negatività
Mi accuso di non guardare la televisione
Mi accuso di essere un uomo
Mi accuso di essere un rivoluzionario, un neofita, un postulante, un amico, un profeta
Mi accuso di esistere, di bere, mangiare, dormire e di fare l'amore
Mi accuso delle sere passate da solo, in compagnia, da solo in compagnia
Mi accuso di amare la bellezza, di non conoscere la verità
Io mi accuso dei rospi e degli empi
Mi accuso della gramigna e dei temporali
Mi accuso del grande mare impacciato che lecca la riva di cui è innamorato
Mi accuso del dio dei muri e degli acquitrini
Mi accuso del pensiero che svuota il cuore
Mi accuso della piena coppa del cuore e del suo sangue santo
Mi accuso delle cinque piaghe
Mi accuso dei sette piaceri, dei dodici mesi, dei ventidue arcani
Mi accuso del tempo che cola e della memoria
Mi accuso di aver scritto poesia, suppliche, ingiurie
Mi accuso di non aver mai rifiutato una goccia d'acqua a un fiore
Mi accuso delle mie labbra e del dito su di esse
Mi accuso mille volte di speranza, mille volte di fede, mille volte della neve e della pioggia
Mi accuso del verde dei prati, del bianco della luna, del rosso della passione
Mi accuso del piacere della mia pelle e sotto la mia pelle
Mi accuso Arthur Rimbaud, Antonin Artaud, Breton, Dylan
Thomas, Ginsberg, Enrique Lhin, Yeats, Caravaggio, Campana,
Antonio Porchia, Lautréamont
Mi accuso del sempre per sempre
Sempre per sempre
Io mi accuso
Di tutto e di tutti, di chiunque e di qualsiasi cosa
Io mi accuso.
Antonio Bertoli, Ed. Maelstrom, 2007
JE m’accuse de l’Eau et du Feu, du Ciel et de la Terre
Je m’accuse de l’air et du verbe, de la respiration et de la brume
Je m’accuse d’avoir aimé le bois, épuisé la rose, goûté au va-et-vient de la colère
Je m’accuse de l’inconsistance de la poésie, de ce qui n’est pas lisible
Je m’accuse d’avoir oublié le visage de mon père, de ne pas me souvenir du mien
JE m’accuse des rois et des reines, du pape, de l’herbe folle, du miroir brisé, de la langue du rabbin
Je m’accuse d’avoir aimé l’orbite vide d’une poupée, un crucifix, la poésie
Je m’accuse d’avoir écrit des lettres d’amour au moins cinq cents fois
Je m’accuse d’avoir commis l’adultère pendant trente ans avec un être ailé
Je m’accuse de lui avoir donné tout ce que je possédais et de m’être ainsi ruiné
JE m’accuse des saisons, des influences de la lune et des tempêtes solaires
Je m’accuse de toutes les révolutions qui ont échoué et des mouvements artistiques
Je m’accuse de toutes les guerres et de toutes les religions et de tous les régimes
Je m’accuse de la démocratie et de l’imposture
JE m’accuse du génocide, de la mort de Dieu et de la mort de l’art
Je m’accuse de la mort de ma mère et de celle de mon père
Je m’accuse de la maladie de la hyène qui rit sur le dos de la mort
Je m’accuse de l’indifférence des passants, de dieu et des étoiles
Je m’accuse des yeux verts du vent
Je m’accuse de la jeunesse, de la maturité, de la vieillesse
Je m’accuse des mystères, des arcanes et des mythes
Je m’accuse du sang et de son tumulte
Je m’accuse de l’apparence et de la répétition
Je m’accuse du sable, de la farine et du lait du moulin d’Hamlet
Je m’accuse de l’oubli dans lequel nous sommes tombés, du trou noir de la mémoire
Je m’accuse d’avoir toujours cherché à vivre et de faire vivre bien
Je m’accuse d’avoir toujours cru dans l’art uniquement comme art de vivre
Je m’accuse d’avoir toujours écrit par amour
JE m’accuse de ce monde, de la carte céleste où sont tracés nos destins
Je m’accuse de manger de la poussière d’étoiles au moins deux fois par jour
Je m’accuse d’être heureux
Je m’accuse d’être amoureux et pas uniquement de femmes
Je m’accuse du plaisir éprouvé, que j’éprouve et que j’éprouverai
Je m’accuse de ne pas lire les journaux et leur négativité
Je m’accuse de ne pas regarder la télévision
Je m’accuse d’être un homme
Je m’accuse d’être un révolutionnaire, un néophyte, un postulant, un ami, un prophète
Je m’accuse d’exister, de boire, de manger, dormir, et faire l’amour
Je m’accuse des soirées passées seul, en compagnie, seul en compagnie
Je m’accuse d’aimer la beauté, de ne pas connaître la vérité
JE m’accuse des crapauds et des impies
Je m’accuse de la graminée et des orages
Je m’accuse de la grande mer agitée qui lèche le rivage dont elle est amoureuse
Je m’accuse du dieu des murs et des étangs
Je m’accuse de la pensée qui vide le cœur
Je m’accuse de la coupe pleine du cœur et de son saint sang
Je m’accuse des cinq plaies
Je m’accuse des sept plaisirs, des douze mois, des vingt-deux arcanes
Je m’accuse du temps qui s’écoule et de la mémoire
Je m’accuse d’avoir écrit des poésies, supplications, injures
Je m’accuse de ne jamais avoir refusé une goutte d’eau à une fleur
Je m’accuse de mes lèvres et du doigt sur elles
Je m’accuse mille fois d’espérances, mille fois de foi, mille fois de la neige et de la pluie
Je m’accuse du vert des prés, du blanc de la lune, du rouge de la passion
Je m’accuse du plaisir de ma peau et sous ma peau
Je m’accuse d’Arthur Rimbaud, Antonin Artaud, Breton,
Dylan Thomas, Ginsberg, Enrique Lihn, Yeats, Caravaggio,
Campana, Antonio Porchia, Lautréamont, Arrabal,
Jodorowsky, Ferlinghetti
Je m’accuse du toujours pour toujours
Toujours pour toujours
Je m’accuse
De tout et de tous, de quiconque et de quoi que ce soit
JE m’accuse…
***
Version originale en italien
Je m'accuse
Io mi accuso dell'Acqua e del Fuoco, del Cielo e della Terra
Mi accuso dell'aria e del verbo, del respiro e della nebbia.
Mi accuso di aver amato il legno, spossato a fondo la rosa, gustato l'andirivieni della collera.
Mi accuso dell'inconsistenza della poesia, di ciò che non è leggibile.
Mi accuso di aver scordato il volto di mio padre, di non ricordare il mio.
Io mi accuso dei re e delle regine, del papa, dell'erba matta, dello specchio infranto, della lingua del rabbino.
Mi accuso di aver amato l'orbita vuota di una bambola, un crocefisso, la poesia.
Mi accuso di aver scritto lettere d'amore almeno cinquecento volte.
Mi accuso di aver commesso adulterio per trent'anni anni con un essere alato
Mi accuso di avergli dato tutti i miei averi e di essere quindi caduto in rovina.
Io mi accuso delle stagioni, degli influssi della luna e delle tempeste solari
Mi accuso di tutte le rivoluzioni fallite e dei movimenti artistici
Mi accuso di tutte le guerre e di tutte le religioni e di tutti i regimi
Mi accuso della democrazia e dell'impostura
Io mi accuso del genocidio, della morte di Dio e della morte dell'arte
Mi accuso della morte di mia madre e di mio padre
Mi accuso del morbo della iena che ride sulle spalle della morte
Mi accuso dell'indifferenza dei passanti, di dio e delle stelle
Mi accuso degli occhi verdi del vento
Mi accuso della giovinezza, della maturità, della vecchiaia.
Mi accuso dei misteri, degli arcani e dei miti
Mi accuso del sangue e del suo tumulto
Mi accuso dell'apparenza e della ripetizione
Mi accuso della sabbia, della farina e del latte del mulino di Amleto
Mi accuso dell'oblio in cui siamo caduti, del buco nero della memoria
Mi accuso di aver sempre cercato di vivere e far vivere bene
Mi accuso di aver sempre creduto nell'arte solo come arte di vivere
Mi accuso di aver sempre scritto per amore
Io mi accuso di questo mondo, della mappa celeste in cui sono tracciati i nostri destini
Mi accuso di mangiare polvere di stelle e cantare almeno due volte al giorno
Mi accuso di essere felice
Mi accuso di essere innamorato e non solo di donne
Mi accuso del piacere provato, che provo e che proverò
Mi accuso di non leggere i giornali e la loro negatività
Mi accuso di non guardare la televisione
Mi accuso di essere un uomo
Mi accuso di essere un rivoluzionario, un neofita, un postulante, un amico, un profeta
Mi accuso di esistere, di bere, mangiare, dormire e di fare l'amore
Mi accuso delle sere passate da solo, in compagnia, da solo in compagnia
Mi accuso di amare la bellezza, di non conoscere la verità
Io mi accuso dei rospi e degli empi
Mi accuso della gramigna e dei temporali
Mi accuso del grande mare impacciato che lecca la riva di cui è innamorato
Mi accuso del dio dei muri e degli acquitrini
Mi accuso del pensiero che svuota il cuore
Mi accuso della piena coppa del cuore e del suo sangue santo
Mi accuso delle cinque piaghe
Mi accuso dei sette piaceri, dei dodici mesi, dei ventidue arcani
Mi accuso del tempo che cola e della memoria
Mi accuso di aver scritto poesia, suppliche, ingiurie
Mi accuso di non aver mai rifiutato una goccia d'acqua a un fiore
Mi accuso delle mie labbra e del dito su di esse
Mi accuso mille volte di speranza, mille volte di fede, mille volte della neve e della pioggia
Mi accuso del verde dei prati, del bianco della luna, del rosso della passione
Mi accuso del piacere della mia pelle e sotto la mia pelle
Mi accuso Arthur Rimbaud, Antonin Artaud, Breton, Dylan
Thomas, Ginsberg, Enrique Lhin, Yeats, Caravaggio, Campana,
Antonio Porchia, Lautréamont
Mi accuso del sempre per sempre
Sempre per sempre
Io mi accuso
Di tutto e di tutti, di chiunque e di qualsiasi cosa
Io mi accuso.
...D'où peut venir cette saudade
Qui ne quitte jamais le cœur
Et qui envahit ma pensée
Sans que j'en sache la raison?
N'est-ce donc que la rue déserte
Et la campagne sans fin
Qui m'ont donné la paix confuse
Qui pleure au fond de moi?
Fernando PESSOA
Qui ne quitte jamais le cœur
Et qui envahit ma pensée
Sans que j'en sache la raison?
N'est-ce donc que la rue déserte
Et la campagne sans fin
Qui m'ont donné la paix confuse
Qui pleure au fond de moi?
Fernando PESSOA
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, j’ai en moi tous les rêves du monde.
Fenêtres de ma chambre,
De ma chambre abritant l’un de ces millions au monde dont nul ne sait qui il est.
(Et si on le savait, que saurait-on ?),
Vous donnez sur le mystère d’une rue constamment remplie de gens qui se croisent,
Sur une rue inaccessible à la moindre pensée,
Réelle, impossiblement réelle, exacte, inconnaissablement exacte,
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres,
Avec la mort qui met du moisi sur les murs et des cheveux blancs sur les hommes,
Avec le Destin conduisant la charrette de tout sur la route de rien.
(texte original en portugais) :Tabacaria
Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
A parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo.
Janelas do meu quarto,
Do meu quarto de um dos milhões do mundo que ninguém sabe quem é
(E se soubessem quem é, o que saberiam ?),
Dais para o mistério de uma rua cruzada constantemente por gente,
Para uma rua inacessível a todos os pensamentos,
Real, impossívelmente real, certa, desconhecidamente certa,
Com o mistério das coisas por baixo das pedras e dos seres,
Com a morte a pôr umidade nas paredes e cabelos brancos nos homens,
Com o Destino a conduzir a carroça de tudo pela estrada de nada.
Fernando PESSOA
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, j’ai en moi tous les rêves du monde.
Fenêtres de ma chambre,
De ma chambre abritant l’un de ces millions au monde dont nul ne sait qui il est.
(Et si on le savait, que saurait-on ?),
Vous donnez sur le mystère d’une rue constamment remplie de gens qui se croisent,
Sur une rue inaccessible à la moindre pensée,
Réelle, impossiblement réelle, exacte, inconnaissablement exacte,
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres,
Avec la mort qui met du moisi sur les murs et des cheveux blancs sur les hommes,
Avec le Destin conduisant la charrette de tout sur la route de rien.
(texte original en portugais) :Tabacaria
Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
A parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo.
Janelas do meu quarto,
Do meu quarto de um dos milhões do mundo que ninguém sabe quem é
(E se soubessem quem é, o que saberiam ?),
Dais para o mistério de uma rua cruzada constantemente por gente,
Para uma rua inacessível a todos os pensamentos,
Real, impossívelmente real, certa, desconhecidamente certa,
Com o mistério das coisas por baixo das pedras e dos seres,
Com a morte a pôr umidade nas paredes e cabelos brancos nos homens,
Com o Destino a conduzir a carroça de tudo pela estrada de nada.
Fernando PESSOA
Je te l'ai dit
Je te l'ai dit pour les nuages
Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l'oeil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l'ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.
Paul ELUARD -L'Amour de la Poésie
Je te l'ai dit pour les nuages
Je te l'ai dit pour l'arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l'oeil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l'ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.
Paul ELUARD -L'Amour de la Poésie
'Tavalod è-digar' (Autre naissance)
Tout mon être est un verset de l'obscurité
Qui en soi-même te répète
Et te mènera à l'aube des éclosions et des croissances éternelles
Je t'ai soupiré et soupiré
Dans ce verset je t'ai, à l'arbre, à l'eau et au feu, greffé.
La vie peut-être
Est une longue rue que chaque jour traverse une femme avec un panier
La vie peut-être
Est une corde avec laquelle un homme d'une branche se pend
La vie peut-être est un enfant qui revient de l'école
La vie peut-être c'est allumer une cigarette
dans la torpeur entre deux étreintes
Ou le regard distrait d'un passant
Qui soulève son chapeau
Et à un autre passant, avec un sourire inexpressif, dit : "Bonjour."
La vie peut-être est cet instant sans issue
Où mon regard dans la prunelle de tes yeux se ruine
Et il y a là une sensation
Qu'à ma compréhension de la lune et ma perception des ténèbres je mêlerai.
Dans une chambre à la mesure d'une solitude
Mon coeur
A la mesure d'un amour
Regarde
Les prétextes de son bonheur
Le beau déclin des fleurs dans le vase
La pousse que dans le jardin tu as plantée
Et le chant des canaris
Qui chantent à la mesure d'une fenêtre.
Ah...
C'est mon lot
C'est mon lot
Mon lot
C'est un ciel qu'un rideau me reprend
Mon lot c'est de descendre un escalier abandonné
Et de rejoindre une chose dans la pourriture et la mélancolie
Mon lot c'est une promenade nostalgique dans le jardin des souvenirs
Et de rendre l'âme dans la tristesse d'une voix qui me dit :
"Tes mains
Je les aime".
Mes mains je les planterai dans le jardin
Je reverdirai, je le sais, je le sais, je le sais
Et les hirondelles dans le creux de mes doigts couleur d'encre
Pondront.
A mes oreilles en guise de boucles
Je pendrai deux cerises pourpres et jumelles
Et à mes ongles je collerai des pétales de dahlia.
Il est une rue là-bas
Où des garçons qui étaient de moi amoureux, encore
Avec les mêmes cheveux en bataille, leurs cous graciles
et leurs jambes grêles,
Pensent aux sourires innocents d'une fillette qu'une nuit
le vent a emportée avec lui.
Il est une ruelle
Que mon coeur a volée aux quartiers de mon enfance.
Volume en voyage
Sur la ligne du temps
Volume qui engrosse la sèche ligne du temps
Volume d'une image vigile
Qui revient du festin d'un miroir
Et c'est ainsi
Que l'un meurt
Et que l'autre reste.
Au pauvre ruisseau qui coule dans un fossé
Nul pêcheur ne pêchera de perles.
Moi
Je connais une petite fée triste
Qui demeure dans un océan
Et joue son coeur dans un pipeau de bois
Doucement doucement
Une petite fée triste
Qui la nuit venue d'un baiser meurt
Et à l'aube d'un baiser renaît.
Foroukh FARROKHZÂD
Tout mon être est un verset de l'obscurité
Qui en soi-même te répète
Et te mènera à l'aube des éclosions et des croissances éternelles
Je t'ai soupiré et soupiré
Dans ce verset je t'ai, à l'arbre, à l'eau et au feu, greffé.
La vie peut-être
Est une longue rue que chaque jour traverse une femme avec un panier
La vie peut-être
Est une corde avec laquelle un homme d'une branche se pend
La vie peut-être est un enfant qui revient de l'école
La vie peut-être c'est allumer une cigarette
dans la torpeur entre deux étreintes
Ou le regard distrait d'un passant
Qui soulève son chapeau
Et à un autre passant, avec un sourire inexpressif, dit : "Bonjour."
La vie peut-être est cet instant sans issue
Où mon regard dans la prunelle de tes yeux se ruine
Et il y a là une sensation
Qu'à ma compréhension de la lune et ma perception des ténèbres je mêlerai.
Dans une chambre à la mesure d'une solitude
Mon coeur
A la mesure d'un amour
Regarde
Les prétextes de son bonheur
Le beau déclin des fleurs dans le vase
La pousse que dans le jardin tu as plantée
Et le chant des canaris
Qui chantent à la mesure d'une fenêtre.
Ah...
C'est mon lot
C'est mon lot
Mon lot
C'est un ciel qu'un rideau me reprend
Mon lot c'est de descendre un escalier abandonné
Et de rejoindre une chose dans la pourriture et la mélancolie
Mon lot c'est une promenade nostalgique dans le jardin des souvenirs
Et de rendre l'âme dans la tristesse d'une voix qui me dit :
"Tes mains
Je les aime".
Mes mains je les planterai dans le jardin
Je reverdirai, je le sais, je le sais, je le sais
Et les hirondelles dans le creux de mes doigts couleur d'encre
Pondront.
A mes oreilles en guise de boucles
Je pendrai deux cerises pourpres et jumelles
Et à mes ongles je collerai des pétales de dahlia.
Il est une rue là-bas
Où des garçons qui étaient de moi amoureux, encore
Avec les mêmes cheveux en bataille, leurs cous graciles
et leurs jambes grêles,
Pensent aux sourires innocents d'une fillette qu'une nuit
le vent a emportée avec lui.
Il est une ruelle
Que mon coeur a volée aux quartiers de mon enfance.
Volume en voyage
Sur la ligne du temps
Volume qui engrosse la sèche ligne du temps
Volume d'une image vigile
Qui revient du festin d'un miroir
Et c'est ainsi
Que l'un meurt
Et que l'autre reste.
Au pauvre ruisseau qui coule dans un fossé
Nul pêcheur ne pêchera de perles.
Moi
Je connais une petite fée triste
Qui demeure dans un océan
Et joue son coeur dans un pipeau de bois
Doucement doucement
Une petite fée triste
Qui la nuit venue d'un baiser meurt
Et à l'aube d'un baiser renaît.
Foroukh FARROKHZÂD
Tout est magnifique Laventuriere ! Je t'ai piqué celui de Paul ELUARD... Merci ! :-)
Le poème
Un poème sommeille en moi
Qui exprimera mon âme entière
Je le sens aussi vague que le son et le vent
Non modelé dans sa forme accomplie
Il n'a ni stance, ni vers, ni mot
Il n'est même pas tel que je le rêve,
Rien qu'un sentiment confus de lui
Rien qu'une brume heureuse entourant la pensée
Jour et nuit dans mon mystère intime
Je le rêve, je le lis, je l'épelle
Et sa vague perfection toujours
Gravite en moi à la grange des mots
Jamais, je le sais, il ne sera écrit
Je sais et j'ignore à la fois ce qu'il est
Mais je jouis de le rêver
Car le bonheur, même faux, reste le bonheur
Fernando PESSOA in Poèmes anglais.
Un poème sommeille en moi
Qui exprimera mon âme entière
Je le sens aussi vague que le son et le vent
Non modelé dans sa forme accomplie
Il n'a ni stance, ni vers, ni mot
Il n'est même pas tel que je le rêve,
Rien qu'un sentiment confus de lui
Rien qu'une brume heureuse entourant la pensée
Jour et nuit dans mon mystère intime
Je le rêve, je le lis, je l'épelle
Et sa vague perfection toujours
Gravite en moi à la grange des mots
Jamais, je le sais, il ne sera écrit
Je sais et j'ignore à la fois ce qu'il est
Mais je jouis de le rêver
Car le bonheur, même faux, reste le bonheur
Fernando PESSOA in Poèmes anglais.
C'était en juin, dans le jardin
C'était en juin, dans le jardin,
C'était notre heure et notre jour ;
Et nos yeux regardaient, avec un tel amour,
Les choses,
Qu'il nous semblait que doucement s'ouvraient
Et nous voyaient et nous aimaient
Les roses.
Le ciel était plus pur qu'il ne le fut jamais :
Les insectes et les oiseaux
Volaient dans l'or et dans la joie
D'un air frêle comme la soie ;
Et nos baisers étalent si beaux
Qu'ils exaltaient et la lumière et les oiseaux.
On eût dit un bonheur qui tout à coup s'azure
Et veut le ciel entier pour resplendir ;
Toute la vie entrait, par de douces brisures,
Dans notre être, pour le grandir.
Et ce n'étaient que cris invocatoires,
Et fous élans et prières et voeux,
Et le besoin, soudain, de recréer des dieux,
Afin de croire.
Emile VERHAEREN
C'était en juin, dans le jardin,
C'était notre heure et notre jour ;
Et nos yeux regardaient, avec un tel amour,
Les choses,
Qu'il nous semblait que doucement s'ouvraient
Et nous voyaient et nous aimaient
Les roses.
Le ciel était plus pur qu'il ne le fut jamais :
Les insectes et les oiseaux
Volaient dans l'or et dans la joie
D'un air frêle comme la soie ;
Et nos baisers étalent si beaux
Qu'ils exaltaient et la lumière et les oiseaux.
On eût dit un bonheur qui tout à coup s'azure
Et veut le ciel entier pour resplendir ;
Toute la vie entrait, par de douces brisures,
Dans notre être, pour le grandir.
Et ce n'étaient que cris invocatoires,
Et fous élans et prières et voeux,
Et le besoin, soudain, de recréer des dieux,
Afin de croire.
Emile VERHAEREN
Pourquoi mon âme est-elle triste ?
Pourquoi gémis-tu sans cesse,
O mon âme ? réponds-moi !
D'où vient ce poids de tristesse
Qui pèse aujourd'hui sur toi ?
Au tombeau qui nous dévore,
Pleurant, tu n'as pas encore
Conduit tes derniers amis !
L'astre serein de ta vie
S'élève encore; et l'envie
Cherche pourquoi tu gémis !
La terre encore a des plages,
Le ciel encore a des jours,
La gloire encor des orages,
Le coeur encor des amours ;
La nature offre à tes veilles
Des mystères, des merveilles,
Qu'aucun oeil n'a profané,
Et flétrissant tout d'avance
Dans les champs de l'espérance
Ta main n'a pas tout glané !
Et qu'est-ce que la terre? Une prison flottante,
Une demeure étroite, un navire, une tente
Que son Dieu dans l'espace a dressé pour un jour,
Et dont le vent du ciel en trois pas fait le tour !
Des plaines, des vallons, des mers et des collines
Où tout sort de la poudre et retourne en ruines,
Et dont la masse à peine est à l'immensité
Ce que l'heure qui sonne est à l'éternité!
Fange en palais pétrie, hélas ! mais toujours fange,
Où tout est monotone et cependant tout change !
Et qu'est-ce que la vie ? Un réveil d'un moment !
De naître et de mourir un court étonnement !
Un mot qu'avec mépris l'Etre éternel prononce !
Labyrinthe sans clef ! question sans réponse,
Songe qui s'évapore, étincelle qui fuit !
Eclair qui sort de l'ombre et rentre dans la nuit,
Minute que le temps prête et retire à l'homme,
Chose qui ne vaut pas le mot dont on la nomme !
Et qu'est-ce que la gloire ? Un vain son répété,
Une dérision de notre vanité !
Un nom qui retentit sur des lèvres mortelles,
Vain, trompeur, inconstant, périssable comme elles,
Et qui, tantôt croissant et tantôt affaibli,
Passe de bouche en bouche à l'éternel oubli !
Nectar empoisonné dont notre orgueil s'enivre,
Qui fait mourir deux fois ce qui veut toujours vivre !
Et qu'est-ce que l'amour ? Ah ! prêt à le nommer
Ma bouche en le niant craindrait de blasphémer !
Lui seul est au-dessus de tout mot qui l'exprime !
Eclair brillant et pur du feu qui nous anime,
Etincelle ravie au grand foyer des cieux !
Char de feu qui, vivants, nous porte au rang des dieux !
Rayon! foudre des sens ! inextinguible flamme
Qui fond deux coeurs mortels et n'en fait plus qu'une âme !
Il est !... il serait tout, s'il ne devait finir !
Si le coeur d'un mortel le pouvait contenir,
Ou si, semblable au feu dont Dieu fit son emblème,
Sa flamme en s'exhalant ne l'étouffait lui-même !
Mais, quand ces biens que l'homme envie
Déborderaient dans un seul coeur,
La mort seule au bout de la vie
Fait un supplice du bonheur !
Le flot du temps qui nous entraîne
N'attend pas que la joie humaine
Fleurisse longtemps sur son cours !
Race éphémère et fugitive,
Que peux-tu semer sur la rive
De ce torrent qui fuit toujours ?
Il fuit et ses rives fanées
M'annoncent déjà qu'il est tard !
Il fuit, et mes vertes années
Disparaissent de mon regard ;
Chaque projet, chaque espérance
Ressemble à ce liège qu'on lance
Sur la trace des matelots,
Qui ne s'éloigne et ne surnage
Que pour mesurer le sillage
Du navire qui fend les flots !
Où suis-je? Est-ce moi ? Je m'éveille
D'un songe qui n'est pas fini !
Tout était promesse et merveille
Dans un avenir infini !
J'étais jeune !... Hélas ! mes années
Sur ma tête tombent fanées
Et ne refleuriront jamais !
Mon coeur était plein !... il est vide !
Mon sein fécond ... il est aride !
J'aimais !.., où sont ceux que j'aimais ?
Mes jours, que le deuil décolore,
Glissent avant d'être comptés;
Mon coeur, hélas ! palpite encore
De ses dernières voluptés !
Sous mes pas la terre est couverte
De plus d'une palme encor verte,
Mais qui survit à mes désirs ;
Tant d'objets chers à ma paupière
Sont encor là, sur la poussière
Tièdes de mes brûlants soupirs !
Je vois passer, je vois sourire
La femme aux perfides appas
Qui m'enivra d'un long délire,
Dont mes lèvres baisaient les pas !
Ses blonds cheveux flottent encore,
Les fraîches couleurs de l'aurore
Teignent toujours son front charmant,
Et dans l'azur de sa paupière
Brille encore assez de lumière
Pour fasciner l'oeil d'un amant.
La foule qui s'ouvre à mesure
La flatte encor d'un long coup d'oeil
Et la poursuit d'un doux murmure
Dont s'enivre son jeune orgueil;
Et moi! je souris et je passe,
Sans effort de mon coeur j'efface
Ce songe de félicité,
Et je dis, la pitié dans l'âme :
Amour ! se peut-il que ta flamme
Meure encore avant la beauté ?
Hélas ! dans une longue vie
Que reste-t-il après l'amour ?
Dans notre paupière éblouie
Ce qu'il reste après un beau jour !
Ce qu'il reste à la voile vide
Quand le dernier vent qui la ride
S'abat sur le flot assoupi,
Ce qu'il reste au chaume sauvage,
Lorsque les ailes de l'orage
Sur la terre ont vidé l'épi !
Et pourtant il faut vivre encore,
Dormir, s'éveiller tour à tour,
Et traîner d'aurore en aurore
Ce fardeau renaissant des jours?
Quand on a bu jusqu'à la lie
La coupe écumante de vie,
Ah ! la briser serait un bien !
Espérer, attendre, c'est vivre !
Que sert de compter et de suivre
Des jours qui n'apportent plus rien ?
Voilà pourquoi mon âme est lasse
Du vide affreux qui la remplit,
Pourquoi mon coeur change de place
Comme un malade dans son lit !
Pourquoi mon errante pensée,
Comme une colombe blessée,
Ne se repose en aucun lieu,
Pourquoi j'ai détourné la vue
De cette terre ingrate et nue,
Et j'ai dit à la fin : Mon Dieu !
Comme un souffle d'un vent d'orage
Soulevant l'humble passereau
L'emporte au-dessus du nuage,
Loin du toit qui fut son berceau,
Sans même que son aile tremble,
L'aquilon le soutient ; il semble
Bercé sur les vagues des airs ;
Ainsi cette seule pensée
Emporta mon âme oppressée
Jusqu'à la source des éclairs !
C'est Dieu, pensais-je, qui m'emporte,
L'infini s'ouvre sous mes pas !
Que mon aile naissante est forte !
Quels cieux ne tenterons-nous pas ?
La foi même, un pied sur la terre,
Monte de mystère en mystère
Jusqu'où l'on monte sans mourir !
J'irai, plein de sa soif sublime,
Me désaltérer dans l'abîme
Que je ne verrai plus tarir !
J'ai cherché le Dieu que j'adore
Partout où l'instinct m'a conduit,
Sous les voiles d'or de l'aurore,
Chez les étoiles de la nuit ;
Le firmament n'a point de voûtes,
Les feux, les vents n'ont point de routes
Où mon oeil n'ait plongé cent fois ;
Toujours présent à ma mémoire,
Partout où se montrait sa gloire,
Il entendait monter ma voix !
Je l'ai cherché dans les merveilles,
Oeuvre parlante de ses mains,
Dans la solitude et les veilles,
Et dans les songes des humains !
L'épi, le brin d'herbe, l'insecte,
Me disaient : Adore et respecte !
Sa sagesse a passé par là !
Et ces catastrophes fatales,
Dont l'histoire enfle ses annales
Me criaient plus haut : Le voilà !
A chaque éclair, à chaque étoile
Que je découvrais dans les cieux,
Je croyais voir tomber le voile
Qui le dérobait à mes yeux ;
Je disais : Un mystère encore !
Voici son ombre, son aurore,
Mon âme ! il va paraître enfin !
Et toujours, à triste pensée !
Toujours quelque lettre effacée
Manquait, hélas ! au nom divin.
Et maintenant, dans ma misère,
Je n'en sais pas plus que l'enfant
Qui balbutie après sa mère
Ce nom sublime et triomphant ;
Je n'en sais pas plus que l'aurore,
Qui de son regard vient d'éclore,
Et le cherche en vain en tout lieu,
Pas plus que toute la nature
Qui le raconte et le murmure,
Et demande : Où donc est mon Dieu ?
Voilà pourquoi mon âme est triste,
Comme une mer brisant la nuit sur un écueil,
Comme la harpe du Psalmiste,
Quand il pleure au bord d'un cercueil !
Comme l'Horeb voilé sous un nuage sombre,
Comme un ciel sans étoile, ou comme un jour sans ombre,
Ou comme ce vieillard qu'on ne put consoler,
Qui, le coeur débordant d'une douleur farouche,
Ne pouvait plus tarir la plainte sur sa bouche,
Et disait : Laissez-moi parler !
Mais que dis-je ? Est-ce toi, vérité, jour suprême !
Qui te caches sous ta splendeur ?
Ou n'est-ce pas mon oeil qui s'est voilé lui-même
Sous les nuages de mon coeur
Ces enfants prosternés aux marches de ton temple,
Ces humbles femmes, ces vieillards,
Leur âme te possède et leur oeil te contemple,
Ta gloire éclate à leurs regards !
Et moi, je plonge en vain sous tant d'ombres funèbres,
Ta splendeur te dérobe à moi !
Ah ! le regard qui cherche a donc plus de ténèbres
Que l'oeil abaissé devant toi ?
Dieu de la lumière,
Entends ma prière,
Frappe ma paupière
Comme le rocher !
Que le jour se fasse,
Car mon âme est lasse,
Seigneur, de chercher !
Astre que j'adore,
Ce jour que j'implore
N'est point dans l'aurore,
N'est pas dans les cieux !
Vérité suprême !
Jour mystérieux !
De l'heure où l'on t'aime,
Il est en nous-même,
Il est dans nos yeux !
Alphonse de LAMARTINE
Pourquoi gémis-tu sans cesse,
O mon âme ? réponds-moi !
D'où vient ce poids de tristesse
Qui pèse aujourd'hui sur toi ?
Au tombeau qui nous dévore,
Pleurant, tu n'as pas encore
Conduit tes derniers amis !
L'astre serein de ta vie
S'élève encore; et l'envie
Cherche pourquoi tu gémis !
La terre encore a des plages,
Le ciel encore a des jours,
La gloire encor des orages,
Le coeur encor des amours ;
La nature offre à tes veilles
Des mystères, des merveilles,
Qu'aucun oeil n'a profané,
Et flétrissant tout d'avance
Dans les champs de l'espérance
Ta main n'a pas tout glané !
Et qu'est-ce que la terre? Une prison flottante,
Une demeure étroite, un navire, une tente
Que son Dieu dans l'espace a dressé pour un jour,
Et dont le vent du ciel en trois pas fait le tour !
Des plaines, des vallons, des mers et des collines
Où tout sort de la poudre et retourne en ruines,
Et dont la masse à peine est à l'immensité
Ce que l'heure qui sonne est à l'éternité!
Fange en palais pétrie, hélas ! mais toujours fange,
Où tout est monotone et cependant tout change !
Et qu'est-ce que la vie ? Un réveil d'un moment !
De naître et de mourir un court étonnement !
Un mot qu'avec mépris l'Etre éternel prononce !
Labyrinthe sans clef ! question sans réponse,
Songe qui s'évapore, étincelle qui fuit !
Eclair qui sort de l'ombre et rentre dans la nuit,
Minute que le temps prête et retire à l'homme,
Chose qui ne vaut pas le mot dont on la nomme !
Et qu'est-ce que la gloire ? Un vain son répété,
Une dérision de notre vanité !
Un nom qui retentit sur des lèvres mortelles,
Vain, trompeur, inconstant, périssable comme elles,
Et qui, tantôt croissant et tantôt affaibli,
Passe de bouche en bouche à l'éternel oubli !
Nectar empoisonné dont notre orgueil s'enivre,
Qui fait mourir deux fois ce qui veut toujours vivre !
Et qu'est-ce que l'amour ? Ah ! prêt à le nommer
Ma bouche en le niant craindrait de blasphémer !
Lui seul est au-dessus de tout mot qui l'exprime !
Eclair brillant et pur du feu qui nous anime,
Etincelle ravie au grand foyer des cieux !
Char de feu qui, vivants, nous porte au rang des dieux !
Rayon! foudre des sens ! inextinguible flamme
Qui fond deux coeurs mortels et n'en fait plus qu'une âme !
Il est !... il serait tout, s'il ne devait finir !
Si le coeur d'un mortel le pouvait contenir,
Ou si, semblable au feu dont Dieu fit son emblème,
Sa flamme en s'exhalant ne l'étouffait lui-même !
Mais, quand ces biens que l'homme envie
Déborderaient dans un seul coeur,
La mort seule au bout de la vie
Fait un supplice du bonheur !
Le flot du temps qui nous entraîne
N'attend pas que la joie humaine
Fleurisse longtemps sur son cours !
Race éphémère et fugitive,
Que peux-tu semer sur la rive
De ce torrent qui fuit toujours ?
Il fuit et ses rives fanées
M'annoncent déjà qu'il est tard !
Il fuit, et mes vertes années
Disparaissent de mon regard ;
Chaque projet, chaque espérance
Ressemble à ce liège qu'on lance
Sur la trace des matelots,
Qui ne s'éloigne et ne surnage
Que pour mesurer le sillage
Du navire qui fend les flots !
Où suis-je? Est-ce moi ? Je m'éveille
D'un songe qui n'est pas fini !
Tout était promesse et merveille
Dans un avenir infini !
J'étais jeune !... Hélas ! mes années
Sur ma tête tombent fanées
Et ne refleuriront jamais !
Mon coeur était plein !... il est vide !
Mon sein fécond ... il est aride !
J'aimais !.., où sont ceux que j'aimais ?
Mes jours, que le deuil décolore,
Glissent avant d'être comptés;
Mon coeur, hélas ! palpite encore
De ses dernières voluptés !
Sous mes pas la terre est couverte
De plus d'une palme encor verte,
Mais qui survit à mes désirs ;
Tant d'objets chers à ma paupière
Sont encor là, sur la poussière
Tièdes de mes brûlants soupirs !
Je vois passer, je vois sourire
La femme aux perfides appas
Qui m'enivra d'un long délire,
Dont mes lèvres baisaient les pas !
Ses blonds cheveux flottent encore,
Les fraîches couleurs de l'aurore
Teignent toujours son front charmant,
Et dans l'azur de sa paupière
Brille encore assez de lumière
Pour fasciner l'oeil d'un amant.
La foule qui s'ouvre à mesure
La flatte encor d'un long coup d'oeil
Et la poursuit d'un doux murmure
Dont s'enivre son jeune orgueil;
Et moi! je souris et je passe,
Sans effort de mon coeur j'efface
Ce songe de félicité,
Et je dis, la pitié dans l'âme :
Amour ! se peut-il que ta flamme
Meure encore avant la beauté ?
Hélas ! dans une longue vie
Que reste-t-il après l'amour ?
Dans notre paupière éblouie
Ce qu'il reste après un beau jour !
Ce qu'il reste à la voile vide
Quand le dernier vent qui la ride
S'abat sur le flot assoupi,
Ce qu'il reste au chaume sauvage,
Lorsque les ailes de l'orage
Sur la terre ont vidé l'épi !
Et pourtant il faut vivre encore,
Dormir, s'éveiller tour à tour,
Et traîner d'aurore en aurore
Ce fardeau renaissant des jours?
Quand on a bu jusqu'à la lie
La coupe écumante de vie,
Ah ! la briser serait un bien !
Espérer, attendre, c'est vivre !
Que sert de compter et de suivre
Des jours qui n'apportent plus rien ?
Voilà pourquoi mon âme est lasse
Du vide affreux qui la remplit,
Pourquoi mon coeur change de place
Comme un malade dans son lit !
Pourquoi mon errante pensée,
Comme une colombe blessée,
Ne se repose en aucun lieu,
Pourquoi j'ai détourné la vue
De cette terre ingrate et nue,
Et j'ai dit à la fin : Mon Dieu !
Comme un souffle d'un vent d'orage
Soulevant l'humble passereau
L'emporte au-dessus du nuage,
Loin du toit qui fut son berceau,
Sans même que son aile tremble,
L'aquilon le soutient ; il semble
Bercé sur les vagues des airs ;
Ainsi cette seule pensée
Emporta mon âme oppressée
Jusqu'à la source des éclairs !
C'est Dieu, pensais-je, qui m'emporte,
L'infini s'ouvre sous mes pas !
Que mon aile naissante est forte !
Quels cieux ne tenterons-nous pas ?
La foi même, un pied sur la terre,
Monte de mystère en mystère
Jusqu'où l'on monte sans mourir !
J'irai, plein de sa soif sublime,
Me désaltérer dans l'abîme
Que je ne verrai plus tarir !
J'ai cherché le Dieu que j'adore
Partout où l'instinct m'a conduit,
Sous les voiles d'or de l'aurore,
Chez les étoiles de la nuit ;
Le firmament n'a point de voûtes,
Les feux, les vents n'ont point de routes
Où mon oeil n'ait plongé cent fois ;
Toujours présent à ma mémoire,
Partout où se montrait sa gloire,
Il entendait monter ma voix !
Je l'ai cherché dans les merveilles,
Oeuvre parlante de ses mains,
Dans la solitude et les veilles,
Et dans les songes des humains !
L'épi, le brin d'herbe, l'insecte,
Me disaient : Adore et respecte !
Sa sagesse a passé par là !
Et ces catastrophes fatales,
Dont l'histoire enfle ses annales
Me criaient plus haut : Le voilà !
A chaque éclair, à chaque étoile
Que je découvrais dans les cieux,
Je croyais voir tomber le voile
Qui le dérobait à mes yeux ;
Je disais : Un mystère encore !
Voici son ombre, son aurore,
Mon âme ! il va paraître enfin !
Et toujours, à triste pensée !
Toujours quelque lettre effacée
Manquait, hélas ! au nom divin.
Et maintenant, dans ma misère,
Je n'en sais pas plus que l'enfant
Qui balbutie après sa mère
Ce nom sublime et triomphant ;
Je n'en sais pas plus que l'aurore,
Qui de son regard vient d'éclore,
Et le cherche en vain en tout lieu,
Pas plus que toute la nature
Qui le raconte et le murmure,
Et demande : Où donc est mon Dieu ?
Voilà pourquoi mon âme est triste,
Comme une mer brisant la nuit sur un écueil,
Comme la harpe du Psalmiste,
Quand il pleure au bord d'un cercueil !
Comme l'Horeb voilé sous un nuage sombre,
Comme un ciel sans étoile, ou comme un jour sans ombre,
Ou comme ce vieillard qu'on ne put consoler,
Qui, le coeur débordant d'une douleur farouche,
Ne pouvait plus tarir la plainte sur sa bouche,
Et disait : Laissez-moi parler !
Mais que dis-je ? Est-ce toi, vérité, jour suprême !
Qui te caches sous ta splendeur ?
Ou n'est-ce pas mon oeil qui s'est voilé lui-même
Sous les nuages de mon coeur
Ces enfants prosternés aux marches de ton temple,
Ces humbles femmes, ces vieillards,
Leur âme te possède et leur oeil te contemple,
Ta gloire éclate à leurs regards !
Et moi, je plonge en vain sous tant d'ombres funèbres,
Ta splendeur te dérobe à moi !
Ah ! le regard qui cherche a donc plus de ténèbres
Que l'oeil abaissé devant toi ?
Dieu de la lumière,
Entends ma prière,
Frappe ma paupière
Comme le rocher !
Que le jour se fasse,
Car mon âme est lasse,
Seigneur, de chercher !
Astre que j'adore,
Ce jour que j'implore
N'est point dans l'aurore,
N'est pas dans les cieux !
Vérité suprême !
Jour mystérieux !
De l'heure où l'on t'aime,
Il est en nous-même,
Il est dans nos yeux !
Alphonse de LAMARTINE
Oui, je suis le rêveur ...
Oui, je suis le rêveur ; je suis le camarade
Des petites fleurs d'or du mur qui se dégrade,
Et l'interlocuteur des arbres et du vent.
Tout cela me connaît, voyez-vous. J'ai souvent,
En mai, quand de parfums les branches sont gonflées,
Des conversations avec les giroflées ;
Je reçois des conseils du lierre et du bleuet.
L'être mystérieux, que vous croyez muet,
Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire.
J'entends ce qu'entendit Rabelais ; je vois rire
Et pleurer ; et j'entends ce qu'Orphée entendit.
Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit
La nature aux soupirs ineffables. Je cause
Avec toutes les voix de la métempsycose.
Avant de commencer le grand concert sacré,
Le moineau, le buisson, l'eau vive dans le pré,
La forêt, basse énorme, et l'aile et la corolle,
Tous ces doux instruments, m'adressent la parole ;
Je suis l'habitué de l'orchestre divin;
Si je n'étais songeur, j'aurais été sylvain.
J'ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,
A force de parler doucement à la feuille,
A la goutte de pluie, à la plume au rayon,
Par descendre à ce point dans la création,
Cet abîme où frissonne un tremblement farouche,
Que je ne fais plus même envoler une mouche!
Le brin d'herbe, vibrant d'un éternel émoi,
S'apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s'apercevoir que je suis là, les roses
Font avec les bourdons toutes sortes de choses ;
Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,
J'avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,
N'a pas plus peur de moi que nous n'aurions de crainte,
Nous, si l'oeil du bon Dieu regardait dans nos trous ;
Le lys prude me voit approcher sans courroux,
Quand il s'ouvre aux baisers du jour ; la violette
La plus pudique fait devant moi sa toilette ;
Je suis pour ces beautés l'ami discret et sûr
Et le frais papillon, libertin de l'azur,
Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue,
Si je viens à passer dans l'ombre, continue,
Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,
Il lui dit: «Es-tu bête ! Il est de la maison.»
Victor HUGO
Oui, je suis le rêveur ; je suis le camarade
Des petites fleurs d'or du mur qui se dégrade,
Et l'interlocuteur des arbres et du vent.
Tout cela me connaît, voyez-vous. J'ai souvent,
En mai, quand de parfums les branches sont gonflées,
Des conversations avec les giroflées ;
Je reçois des conseils du lierre et du bleuet.
L'être mystérieux, que vous croyez muet,
Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire.
J'entends ce qu'entendit Rabelais ; je vois rire
Et pleurer ; et j'entends ce qu'Orphée entendit.
Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit
La nature aux soupirs ineffables. Je cause
Avec toutes les voix de la métempsycose.
Avant de commencer le grand concert sacré,
Le moineau, le buisson, l'eau vive dans le pré,
La forêt, basse énorme, et l'aile et la corolle,
Tous ces doux instruments, m'adressent la parole ;
Je suis l'habitué de l'orchestre divin;
Si je n'étais songeur, j'aurais été sylvain.
J'ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,
A force de parler doucement à la feuille,
A la goutte de pluie, à la plume au rayon,
Par descendre à ce point dans la création,
Cet abîme où frissonne un tremblement farouche,
Que je ne fais plus même envoler une mouche!
Le brin d'herbe, vibrant d'un éternel émoi,
S'apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s'apercevoir que je suis là, les roses
Font avec les bourdons toutes sortes de choses ;
Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,
J'avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,
N'a pas plus peur de moi que nous n'aurions de crainte,
Nous, si l'oeil du bon Dieu regardait dans nos trous ;
Le lys prude me voit approcher sans courroux,
Quand il s'ouvre aux baisers du jour ; la violette
La plus pudique fait devant moi sa toilette ;
Je suis pour ces beautés l'ami discret et sûr
Et le frais papillon, libertin de l'azur,
Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue,
Si je viens à passer dans l'ombre, continue,
Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,
Il lui dit: «Es-tu bête ! Il est de la maison.»
Victor HUGO
DÉPOSE ICI ET MAINTENANT
Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes
et donne à ta vie une autre chance
de restaurer le récit.
Toutes les amours ne sont pas trépas,
ni la terre, migration chronique.
Une occasion pourrait se présenter, tu oublieras
la brûlure du miel ancien.
Tu pourrais, sans le savoir, être amoureux
d’une jeune fille qui t’aime
ou ne t’aime pas, sans savoir pourquoi
elle t’aime ou ne t’aime pas.
Adossé à un escalier, tu pourrais
te sentir un autre dans les dualités.
Sors donc de ton moi vers un autre toi,
de tes visions vers tes pas,
et élève ton pont
car le non-lieu est le piège
et les moustiques sur la haie irritent ton dos,
qui pourraient te rappeler la vie !
Vis, que la vie t’entraîne
à la vie,
pense un peu moins aux femmes
et dépose
ici
et maintenant
la tombe que tu portes !
Mahmoud DARWICH
Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes
et donne à ta vie une autre chance
de restaurer le récit.
Toutes les amours ne sont pas trépas,
ni la terre, migration chronique.
Une occasion pourrait se présenter, tu oublieras
la brûlure du miel ancien.
Tu pourrais, sans le savoir, être amoureux
d’une jeune fille qui t’aime
ou ne t’aime pas, sans savoir pourquoi
elle t’aime ou ne t’aime pas.
Adossé à un escalier, tu pourrais
te sentir un autre dans les dualités.
Sors donc de ton moi vers un autre toi,
de tes visions vers tes pas,
et élève ton pont
car le non-lieu est le piège
et les moustiques sur la haie irritent ton dos,
qui pourraient te rappeler la vie !
Vis, que la vie t’entraîne
à la vie,
pense un peu moins aux femmes
et dépose
ici
et maintenant
la tombe que tu portes !
Mahmoud DARWICH
Si tu veux nous nous aimerons
Si tu veux nous nous aimerons
Avec tes lèvres sans le dire
Cette rose ne l’interromps
Qu’à verser un silence pire
Jamais de chants ne lancent prompts
Le scintillement du sourire
Si tu veux nous nous aimerons
Avec tes lèvres sans le dire
Muet muet entre les ronds
Sylphe dans la pourpre d’empire
Un baiser flambant se déchire
Jusqu’aux pointes des ailerons
Si tu veux nous nous aimerons.
Stéphane MALLARME
Si tu veux nous nous aimerons
Avec tes lèvres sans le dire
Cette rose ne l’interromps
Qu’à verser un silence pire
Jamais de chants ne lancent prompts
Le scintillement du sourire
Si tu veux nous nous aimerons
Avec tes lèvres sans le dire
Muet muet entre les ronds
Sylphe dans la pourpre d’empire
Un baiser flambant se déchire
Jusqu’aux pointes des ailerons
Si tu veux nous nous aimerons.
Stéphane MALLARME
C'est un festival Laventurière, merci!
C'est un festival Laventurière, merci!
Tu sais combien j'aime passionnément la poésie,Piero:je ne m'en lasse jamais!(j'en ai tout petit "Poètes en partance" toujours dans le sac!
Lire,relire mes préférés-en vers,en prose,en tout ce que l'on peut créer!-et ces centaines -milliers,plutôt!- d'autres qui permettent de découvrir tant d'autres mondes,d'hommes,de pensées,de coeurs...
Infinis et magie des lumières de la poésie éternelle...
Tes yeux m'interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée; de même la lune voudrait
connaître l'intérieur de l'océan.
J'ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C'est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux et t'en faire
un collier que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l'arracher de sa tige et la
mettre sur tes cheveux.
Mais ce n'est qu'un coeur, bien-aimée. Où sont ses rives, où sont ses racines?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n'était qu'un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire que tu pourrais
déchiffrer en un moment.
Si elle n'était que douleur, elle fondrait en larmes limpides, révélant silencieusement la
profondeur de son secret.
Ma vie n'est qu'amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon coeur est près de toi comme ta vie même, mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.
Rabindranath TAGORE
connaître l'intérieur de l'océan.
J'ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C'est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux et t'en faire
un collier que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l'arracher de sa tige et la
mettre sur tes cheveux.
Mais ce n'est qu'un coeur, bien-aimée. Où sont ses rives, où sont ses racines?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n'était qu'un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire que tu pourrais
déchiffrer en un moment.
Si elle n'était que douleur, elle fondrait en larmes limpides, révélant silencieusement la
profondeur de son secret.
Ma vie n'est qu'amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon coeur est près de toi comme ta vie même, mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.
Rabindranath TAGORE
Mondes perdus
Comment pouvez-vous rassembler les milliers de fragments
de chaque personne ?
Qu’est-ce qui ne va pas avec le gouvernail ?
Le bateau fait des cercles et il n'y a pas une seule mouette en vue.
Le monde coule :
accroche-toi, il va te laisser accroché seul dans le soleil.
Tu écris : l’encre a moins progressé que la mer immense.
ce corps qui espérait une fleur comme une branche
pour porter fruits, pour devenir flûte dans le gel -
l’imagination a jailli en une ruche bruyante
de sorte que le temps musical vient et fait mal.
Georges SEFERIS
Comment pouvez-vous rassembler les milliers de fragments
de chaque personne ?
Qu’est-ce qui ne va pas avec le gouvernail ?
Le bateau fait des cercles et il n'y a pas une seule mouette en vue.
Le monde coule :
accroche-toi, il va te laisser accroché seul dans le soleil.
Tu écris : l’encre a moins progressé que la mer immense.
ce corps qui espérait une fleur comme une branche
pour porter fruits, pour devenir flûte dans le gel -
l’imagination a jailli en une ruche bruyante
de sorte que le temps musical vient et fait mal.
Georges SEFERIS
La mer en fleurs et les montagnes au décroît de la lune ;
La grande pierre près des figuiers de Barbarie et des asphodèles ;
La cruche qui ne voulait pas tarir à la fin du jour ;
Et le lit clos près des cyprès et tes cheveux
D'or : les étoiles du Cygne et cette étoile, Aldebaran.
J'ai maintenu ma vie, j'ai maintenu ma vie en voyageant
Parmi les arbres jaunes, selon les pentes de la pluie
Sur des versants silencieux, surchargés de feuilles de hêtre.
Pas un seul feu sur les sommets. Le soir tombe.
J'ai maintenu ma vie. Dans ta main gauche, une ligne ;
Une rayure sur ton genou ; peut-être subsistent-elles encore
Sur le sable de l'été passé, peut-être subsistent-elles encore
Là où souffle le vent du Nord tandis qu'autour du lac gelé
J'écoute la voix étrangère.
Les visages que j'aperçois ne me questionnent pas ni la femme
Qui marche, penchée, allaitant son enfant.
Je gravis les montagnes. Vallées enténébrées. La plaine
Enneigée, jusqu'à l'horizon la plaine enneigée. Ils ne questionnent pas
Le temps prisonnier dans les chapelles silencieuses
Ni les mains qui se tendent pour réclamer, ni les chemins.
J'ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l'infini silence.
Je ne sais plus parler ni penser. Murmures
Comme le souffle du cyprès, cette nuit-là
Comme la voix humaine de la mer, la nuit, sur les galets,
Comme le souvenir de ta voix disant : « Bonheur ».
Je ferme les yeux, cherchant le lieu secret où les eaux
Se croisent sous la glace, le sourire de la mer et les puits condamnés
À tâtons dans mes propres veines, ces veines qui m'échappent
Là où s'achèvent les nénuphars et cet homme
Qui marche en aveugle sur la neige du silence.
J'ai maintenu ma vie, avec lui, cherchant l'eau qui te frôle,
Lourdes gouttes sur les feuilles vertes, sur ton visage
Dans le jardin désert, gouttes dans le bassin
Stagnant, frappant un cygne mort à l'aile immaculée
Arbres vivants et ton regard arrêté.
Cette route ne finit pas, elle n'a pas de relais, alors que tu cherches
Le souvenir de tes années d'enfance, de ceux qui sont partis,
De ceux qui ont sombré dans le sommeil, dans les tombeaux marins,
Alors que tu veux voir les corps de ceux que tu aimas
S'incliner sous les branches sèches des platanes, là même
Où s'arrêta un rayon de soleil, à vif,
Où un chien sursauta et où ton cœur frémit,
Cette route n'a pas de relais. J'ai maintenu ma vie. La neige
Et l'eau gelée dans les empreintes des chevaux.
Georges SEFERIS ( extrait de "Epiphania 1937")
La grande pierre près des figuiers de Barbarie et des asphodèles ;
La cruche qui ne voulait pas tarir à la fin du jour ;
Et le lit clos près des cyprès et tes cheveux
D'or : les étoiles du Cygne et cette étoile, Aldebaran.
J'ai maintenu ma vie, j'ai maintenu ma vie en voyageant
Parmi les arbres jaunes, selon les pentes de la pluie
Sur des versants silencieux, surchargés de feuilles de hêtre.
Pas un seul feu sur les sommets. Le soir tombe.
J'ai maintenu ma vie. Dans ta main gauche, une ligne ;
Une rayure sur ton genou ; peut-être subsistent-elles encore
Sur le sable de l'été passé, peut-être subsistent-elles encore
Là où souffle le vent du Nord tandis qu'autour du lac gelé
J'écoute la voix étrangère.
Les visages que j'aperçois ne me questionnent pas ni la femme
Qui marche, penchée, allaitant son enfant.
Je gravis les montagnes. Vallées enténébrées. La plaine
Enneigée, jusqu'à l'horizon la plaine enneigée. Ils ne questionnent pas
Le temps prisonnier dans les chapelles silencieuses
Ni les mains qui se tendent pour réclamer, ni les chemins.
J'ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l'infini silence.
Je ne sais plus parler ni penser. Murmures
Comme le souffle du cyprès, cette nuit-là
Comme la voix humaine de la mer, la nuit, sur les galets,
Comme le souvenir de ta voix disant : « Bonheur ».
Je ferme les yeux, cherchant le lieu secret où les eaux
Se croisent sous la glace, le sourire de la mer et les puits condamnés
À tâtons dans mes propres veines, ces veines qui m'échappent
Là où s'achèvent les nénuphars et cet homme
Qui marche en aveugle sur la neige du silence.
J'ai maintenu ma vie, avec lui, cherchant l'eau qui te frôle,
Lourdes gouttes sur les feuilles vertes, sur ton visage
Dans le jardin désert, gouttes dans le bassin
Stagnant, frappant un cygne mort à l'aile immaculée
Arbres vivants et ton regard arrêté.
Cette route ne finit pas, elle n'a pas de relais, alors que tu cherches
Le souvenir de tes années d'enfance, de ceux qui sont partis,
De ceux qui ont sombré dans le sommeil, dans les tombeaux marins,
Alors que tu veux voir les corps de ceux que tu aimas
S'incliner sous les branches sèches des platanes, là même
Où s'arrêta un rayon de soleil, à vif,
Où un chien sursauta et où ton cœur frémit,
Cette route n'a pas de relais. J'ai maintenu ma vie. La neige
Et l'eau gelée dans les empreintes des chevaux.
Georges SEFERIS ( extrait de "Epiphania 1937")
Troisième élégie
L'époque sévère
m'a détournée comme un fleuve vers
un autre lit. On m'a changé de vie.
Voici qu'elle coule à présent ailleurs.
Et je ne connais pas mes propres rives.
Ô combien de spectacles j'ai raté ;
Sans moi se levait le rideau, sans moi
il retombait. Combien de mes amis
Je n'ai jamais rencontré dans ma vie ;
Combien de silhouettes de cités
auraient pu tirer de mes yeux des larmes ;
Pourtant il est une ville que je sais,
et que je trouve en rêves à tâtons…
Combien de vers que je n'ai pas écrits !
leur chœur secret tout autour de moi rôde
et il se peut qu'un jour, sait-on jamais,
ils m'étouffent…
Je sais les causes et je sais les fins,
la vie après la fin, et d'autres choses
qu'il ne faut pas pour l'instant évoquer.
Et quelle est cette femme qui occupe
ma place à moi, cette place unique :
voici qu'elle a pris mon nom légitime ne
ne m'ayant laissé qu'un surnom que j'ai
fait tout ce qu'il était possible de faire.
Ma tombe, hélas ne sera pas la mienne.
..............................................................
Et cependant si je pouvais revenir de loin
jeter un regard sur ma vie présente,
je connaîtrais enfin la jalousie…
Anna AKHMATOVA (extrait de "Elégies du Nord" )
L'époque sévère
m'a détournée comme un fleuve vers
un autre lit. On m'a changé de vie.
Voici qu'elle coule à présent ailleurs.
Et je ne connais pas mes propres rives.
Ô combien de spectacles j'ai raté ;
Sans moi se levait le rideau, sans moi
il retombait. Combien de mes amis
Je n'ai jamais rencontré dans ma vie ;
Combien de silhouettes de cités
auraient pu tirer de mes yeux des larmes ;
Pourtant il est une ville que je sais,
et que je trouve en rêves à tâtons…
Combien de vers que je n'ai pas écrits !
leur chœur secret tout autour de moi rôde
et il se peut qu'un jour, sait-on jamais,
ils m'étouffent…
Je sais les causes et je sais les fins,
la vie après la fin, et d'autres choses
qu'il ne faut pas pour l'instant évoquer.
Et quelle est cette femme qui occupe
ma place à moi, cette place unique :
voici qu'elle a pris mon nom légitime ne
ne m'ayant laissé qu'un surnom que j'ai
fait tout ce qu'il était possible de faire.
Ma tombe, hélas ne sera pas la mienne.
..............................................................
Et cependant si je pouvais revenir de loin
jeter un regard sur ma vie présente,
je connaîtrais enfin la jalousie…
Anna AKHMATOVA (extrait de "Elégies du Nord" )
Mon enfant, nous étions des enfants,
Petits et joyeux, deux enfants, ;
Nous rampions dans le poulailler
Et nous y cachions sous la paille.
Nous chantions comme les coqs,
Et les gens qui passaient -
« Cocorico ! » Ils croyaient
Entendre les coqs.
Les caisses dans notre cour,
On en recouvrait l'intérieur
Puis on s'y mettait dedans,
Et ça faisait une belle demeure.
Le vieux chat de notre voisin
Venait souvent nous visiter :
Nous lui faisions force saluts
Révérences et compliments,
Nous enquérant de sa santé
Le traitant avec grand respect,
Et depuis nous nous comportions
De même avec plus d'un vieux chat.
On s'asseyait là, on parlait
A la façon des vieilles gens
Et l'on se plaignait en disant
Que c'était mieux au bon vieux temps.
Qu'Amour, Foi et Loyauté
Ne se trouvaient plus maintenant,
Que le café était bien cher
Et comme l'argent était rare !--
Ils sont partis, ces jeux d'enfants,
Le reste s'en va tout autant -
L'argent, et le monde, et le temps,
La Foi, l'Amour, la Loyauté.
Henri HEINE
( en V.O allemande)
Mein Kind, wie waren Kinder,
Zwei Kinder, klein und froh;
Wir krochen ins Hühnerhäuschen,
Versteckten uns unter das Stroh.
Wir krähten wie die Hähne,
Und kamen Leute vorbei -
"Kikereküh !" sie glaubten,
Es wäre Hahnengeschrei.
Die Kisten auf unserem Hofe,
Die tapezierten wir aus,
Und wohnten drin beisammen,
Und machten ein vornehmes Haus.
Des Nachbars alte Katze
Kam öfters zum Besuch;
Wir machten ihr Bückling'und Knickse
Und Komplimente genug.
Wir haben nach ihrem Befinden
Besorglich und freundlich gefragt;
Wir haben seitdem dasselbe
Mancher alten Katze gesagt.
Wir saßen auch oft und sprachen
Vernünftig, wie alte Leut',
Und klagten, wie alles besser
Gewesen zu unserer Zeit;
Wie Lieb'und Treu'und Glauben
Verschwunden aus der Welt,
Und wie so teuer des Kaffee,
Und wie so rar das Geld ! --
Vorbei sind die Kinderspiele,
Und alles rollt vorbei -
Das Geld und die Welt und die Zeiten,
Und Glauben und Lieb'und Treu'.
Petits et joyeux, deux enfants, ;
Nous rampions dans le poulailler
Et nous y cachions sous la paille.
Nous chantions comme les coqs,
Et les gens qui passaient -
« Cocorico ! » Ils croyaient
Entendre les coqs.
Les caisses dans notre cour,
On en recouvrait l'intérieur
Puis on s'y mettait dedans,
Et ça faisait une belle demeure.
Le vieux chat de notre voisin
Venait souvent nous visiter :
Nous lui faisions force saluts
Révérences et compliments,
Nous enquérant de sa santé
Le traitant avec grand respect,
Et depuis nous nous comportions
De même avec plus d'un vieux chat.
On s'asseyait là, on parlait
A la façon des vieilles gens
Et l'on se plaignait en disant
Que c'était mieux au bon vieux temps.
Qu'Amour, Foi et Loyauté
Ne se trouvaient plus maintenant,
Que le café était bien cher
Et comme l'argent était rare !--
Ils sont partis, ces jeux d'enfants,
Le reste s'en va tout autant -
L'argent, et le monde, et le temps,
La Foi, l'Amour, la Loyauté.
Henri HEINE
( en V.O allemande)
Mein Kind, wie waren Kinder,
Zwei Kinder, klein und froh;
Wir krochen ins Hühnerhäuschen,
Versteckten uns unter das Stroh.
Wir krähten wie die Hähne,
Und kamen Leute vorbei -
"Kikereküh !" sie glaubten,
Es wäre Hahnengeschrei.
Die Kisten auf unserem Hofe,
Die tapezierten wir aus,
Und wohnten drin beisammen,
Und machten ein vornehmes Haus.
Des Nachbars alte Katze
Kam öfters zum Besuch;
Wir machten ihr Bückling'und Knickse
Und Komplimente genug.
Wir haben nach ihrem Befinden
Besorglich und freundlich gefragt;
Wir haben seitdem dasselbe
Mancher alten Katze gesagt.
Wir saßen auch oft und sprachen
Vernünftig, wie alte Leut',
Und klagten, wie alles besser
Gewesen zu unserer Zeit;
Wie Lieb'und Treu'und Glauben
Verschwunden aus der Welt,
Und wie so teuer des Kaffee,
Und wie so rar das Geld ! --
Vorbei sind die Kinderspiele,
Und alles rollt vorbei -
Das Geld und die Welt und die Zeiten,
Und Glauben und Lieb'und Treu'.
(Un petit régal,cette fable...)
La critique et l'auteur
Dame critique un jour, cédant à son humeur,
Adressa ce propos à certain pauvre auteur :
« Quoi ! vous voulez faire des fables
Et prétendez écrire en vers ?
Pour traiter cent sujets divers
Connaissez-vous les termes convenables,
Les poétiques fictions,
Et les riches expressions,
Et les bons mots, et les traits agréables ?
Entendez-vous la langue des oiseaux ?
Avez-vous observé les mœurs, le caractère
Des ours, des lions, des chameaux,
Et de tant d'autres animaux
Que l'on remarque sur la Terre ?
Et pour faire dans vos tableaux
Parler les fleurs, les arbres et les plantes,
Comme créatures vivantes,
Avez-vous pris le soin de les étudier ?
Connaissez-vous la botanique ?
Avez-vous fait votre logique ?
Et savez-vous l'art d'employer
Les figures de rhétorique ? »
Hélas ! Non, dit l'auteur : je ne puis le nier,
De ces sciences-là je ne possède aucune.
Mal partagé de la fortune,
En vain mon goût les affectionna :
Je n'eus jamais le moyen de m'instruire.
Peut-être seulement, si j'ose ici le dire,
Dame nature me donna
Un peu de sens qu'encore elle borna.
- Donc vous ne pouvez bien écrire,
Et vous taire est le plus prudent.
- J'en conviendrai ; mais cependant,
Quoique bien pénétré de mon insuffisance,
Puisque je sais quelque peu griffonner,
Ne puis-je pas en conscience,
En m'appliquant à raisonner,
Confier au papier ce qu'en secret je pense ?
- Mon cher, c'est une inconséquence.
- Vous pouvez me la pardonner.
Puis au reste, si ma morale
N'a rien du tout qui vous régale,
Vous êtes libre au moins de ne pas y donner,
Et puis enfin, dame critique,
Quel est votre talent, à vous ?
- Qui ? moi : je déchire, je pique ;
Et peu d'auteurs sont exempts de mes coups,
- J'entends : dans votre humeur caustique,
Vous percez tout de votre dard fatal.
Et bien, contentez-vous. Quant à moi, je préfère,
Du moins si je ne puis bien faire,
M'amuser sans faire de mal.
Pierre BLANCHARD
("Fables en vers" -1836)
La critique et l'auteur
Dame critique un jour, cédant à son humeur,
Adressa ce propos à certain pauvre auteur :
« Quoi ! vous voulez faire des fables
Et prétendez écrire en vers ?
Pour traiter cent sujets divers
Connaissez-vous les termes convenables,
Les poétiques fictions,
Et les riches expressions,
Et les bons mots, et les traits agréables ?
Entendez-vous la langue des oiseaux ?
Avez-vous observé les mœurs, le caractère
Des ours, des lions, des chameaux,
Et de tant d'autres animaux
Que l'on remarque sur la Terre ?
Et pour faire dans vos tableaux
Parler les fleurs, les arbres et les plantes,
Comme créatures vivantes,
Avez-vous pris le soin de les étudier ?
Connaissez-vous la botanique ?
Avez-vous fait votre logique ?
Et savez-vous l'art d'employer
Les figures de rhétorique ? »
Hélas ! Non, dit l'auteur : je ne puis le nier,
De ces sciences-là je ne possède aucune.
Mal partagé de la fortune,
En vain mon goût les affectionna :
Je n'eus jamais le moyen de m'instruire.
Peut-être seulement, si j'ose ici le dire,
Dame nature me donna
Un peu de sens qu'encore elle borna.
- Donc vous ne pouvez bien écrire,
Et vous taire est le plus prudent.
- J'en conviendrai ; mais cependant,
Quoique bien pénétré de mon insuffisance,
Puisque je sais quelque peu griffonner,
Ne puis-je pas en conscience,
En m'appliquant à raisonner,
Confier au papier ce qu'en secret je pense ?
- Mon cher, c'est une inconséquence.
- Vous pouvez me la pardonner.
Puis au reste, si ma morale
N'a rien du tout qui vous régale,
Vous êtes libre au moins de ne pas y donner,
Et puis enfin, dame critique,
Quel est votre talent, à vous ?
- Qui ? moi : je déchire, je pique ;
Et peu d'auteurs sont exempts de mes coups,
- J'entends : dans votre humeur caustique,
Vous percez tout de votre dard fatal.
Et bien, contentez-vous. Quant à moi, je préfère,
Du moins si je ne puis bien faire,
M'amuser sans faire de mal.
Pierre BLANCHARD
("Fables en vers" -1836)
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