Et un sourire
La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l'affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager
Paul Eluard
Eluard : mon Maitre en poésie !
Merci Garance pour le magnifique poème de Kipling !! je le relis toujours avec délectation
L’Homme
Jeté par le hasard sur un vieux globe infime,
A l’abandon, perdu comme en un océan,
Je surnage un moment et flotte à fleur d’abîme,
Épave du néant.
Et pourtant, c’est à moi, quand sur des mers sans rive
Un naufrage éternel semblait me menacer,
Qu’une voix a crié du fond de l’Être : « Arrive !
Je t’attends pour penser. »
L’Inconscience encor sur la nature entière
Étendait tristement son voile épais et lourd.
J’apparus ; aussitôt à travers la matière
L’Esprit se faisait jour.
Secouant ma torpeur et tout étonné d’être,
J’ai surmonté mon trouble et mon premier émoi.
Plongé dans le grand Tout, j’ai su m’y reconnaître ;
Je m’affirme et dis : « Moi ! »
Bien que la chair impure encor m’assujettisse,
Des aveugles instincts j’ai rompu le réseau ;
J’ai créé la Pudeur, j’ai conçu la Justice :
Mon cœur fut leur berceau.
Seul je m’enquiers des fins et je remonte aux causes.
A mes yeux l’univers n’est qu’un spectacle vain.
Dussé-je m’abuser, au mirage des choses
Je prête un sens divin.
Je défie à mon gré la mort et la souffrance.
Nature impitoyable, en vain tu me démens,
Je n’en crois que mes vœux et fais de l’espérance
Même avec mes tourments.
Pour combler le néant, ce gouffre vide et morne,
S’il suffit d’aspirer un instant, me voilà !
Fi de cet ici-bas ! Tout m’y cerne et m’y borne ;
Il me faut l’au-delà !
Je veux de l’éternel, moi qui suis l’éphémère.
Quand le réel me presse, impérieux, brutal,
Pour refuge au besoin n’ai-je pas la chimère
Qui s’appelle Idéal ?
Je puis avec orgueil, au sein des nuits profondes,
De l’éther étoilé contempler la splendeur.
Gardez votre infini, cieux lointains, vastes mondes.
J’ai le mien dans mon cœur !
Louise Ackermann
Jeté par le hasard sur un vieux globe infime,
A l’abandon, perdu comme en un océan,
Je surnage un moment et flotte à fleur d’abîme,
Épave du néant.
Et pourtant, c’est à moi, quand sur des mers sans rive
Un naufrage éternel semblait me menacer,
Qu’une voix a crié du fond de l’Être : « Arrive !
Je t’attends pour penser. »
L’Inconscience encor sur la nature entière
Étendait tristement son voile épais et lourd.
J’apparus ; aussitôt à travers la matière
L’Esprit se faisait jour.
Secouant ma torpeur et tout étonné d’être,
J’ai surmonté mon trouble et mon premier émoi.
Plongé dans le grand Tout, j’ai su m’y reconnaître ;
Je m’affirme et dis : « Moi ! »
Bien que la chair impure encor m’assujettisse,
Des aveugles instincts j’ai rompu le réseau ;
J’ai créé la Pudeur, j’ai conçu la Justice :
Mon cœur fut leur berceau.
Seul je m’enquiers des fins et je remonte aux causes.
A mes yeux l’univers n’est qu’un spectacle vain.
Dussé-je m’abuser, au mirage des choses
Je prête un sens divin.
Je défie à mon gré la mort et la souffrance.
Nature impitoyable, en vain tu me démens,
Je n’en crois que mes vœux et fais de l’espérance
Même avec mes tourments.
Pour combler le néant, ce gouffre vide et morne,
S’il suffit d’aspirer un instant, me voilà !
Fi de cet ici-bas ! Tout m’y cerne et m’y borne ;
Il me faut l’au-delà !
Je veux de l’éternel, moi qui suis l’éphémère.
Quand le réel me presse, impérieux, brutal,
Pour refuge au besoin n’ai-je pas la chimère
Qui s’appelle Idéal ?
Je puis avec orgueil, au sein des nuits profondes,
De l’éther étoilé contempler la splendeur.
Gardez votre infini, cieux lointains, vastes mondes.
J’ai le mien dans mon cœur !
Louise Ackermann
Quelle beauté ces poèmes! la poésie est un baume, on croit souvent qu'elle est inaccessible, en fait elle nous aide à vivre! Ils sont souvent au fond de nous, ces mots, et le poète, avec sa baguette magique, arrive à nous les offrir tous!
Garance, le poème de Kipling devrait être affiché dans toutes les classes, à la place de la photo du président de la république!!
Garance, le poème de Kipling devrait être affiché dans toutes les classes, à la place de la photo du président de la république!!
Merci Zagreus de nous offrir les poèmes de deux poétesses :
Louise Ackermann et Andrée Chedid. Depuis je me suis penchée sur les deux et c'est un vrai régal....
J'aime beaucoup ce fil....
Louise Ackermann et Andrée Chedid. Depuis je me suis penchée sur les deux et c'est un vrai régal....
J'aime beaucoup ce fil....
la poésie est un baume, on croit souvent qu'elle est inaccessible, en fait elle nous aide à vivre! Ils sont souvent au fond de nous, ces mots, et le poète, avec sa baguette magique, arrive à nous les offrir tous!
Je ressens la même chose Piero... Je lis de la poésie tous les matins, c'est un bienfait précieux pour le coeur et l'esprit...
Merci Zagreus de nous offrir les poèmes de deux poétesses :
Louise Ackermann et Andrée Chedid. Depuis je me suis penchée sur les deux et c'est un vrai régal....
La poésie féminine est trop peu connues hélas... J'aime beaucoup aussi Sylvia Plath (comme le montre mon avatar)...
La poésie féminine est trop peu connues hélas... J'aime beaucoup aussi Sylvia Plath (comme le montre mon avatar)...
Cet avatar est merveilleux il y a tellement d'amour et de tendresse dans ces deux regards.
Allez, je vais me pencher un peu plus sur cette Sylvia Plath, des fois qu'elle me donne le secret de ce regard là...:-)))
heuh, en fait en me penchant sur sa biographie il semble que ces regards n'aient pas duré bien longtemps puisque tout à mal fini....
Misère...
Misère...
heuh, en fait en me penchant sur sa biographie il semble que ces regards n'aient pas duré bien longtemps puisque tout à mal fini....
Misère...
Restent leurs œuvres...
Winter Trees
The wet dawn inks are doing their blue dissolve.
On their blotter of fog the trees
Seem a botanical drawing.
Memories growing, ring on ring,
A series of weddings.
Knowing neither abortions nor bitchery,
Truer than women,
They seed so effortlessly!
Tasting the winds, that are footless,
Waist-deep in history.
Full of wings, otherworldliness.
In this, they are Ledas.
O mother of leaves and sweetness
Who are these pietas?
The shadows of ringdoves chanting, but easing nothing.
Version française:
Arbres d’hiver
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier-
Mémoire accroissant cercle à cercle
Une série d’alliances.
Purs de clabaudages et d’avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple !
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l’histoire-
Et longés d’ailes, ouvert à l’au-delà.
En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié ?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.
Sylvia Plath
The wet dawn inks are doing their blue dissolve.
On their blotter of fog the trees
Seem a botanical drawing.
Memories growing, ring on ring,
A series of weddings.
Knowing neither abortions nor bitchery,
Truer than women,
They seed so effortlessly!
Tasting the winds, that are footless,
Waist-deep in history.
Full of wings, otherworldliness.
In this, they are Ledas.
O mother of leaves and sweetness
Who are these pietas?
The shadows of ringdoves chanting, but easing nothing.
Version française:
Arbres d’hiver
Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.
Posé sur son buvard de brume
Chaque arbre est un dessin d’herbier-
Mémoire accroissant cercle à cercle
Une série d’alliances.
Purs de clabaudages et d’avortements,
Plus vrais que des femmes,
Ils sont de semaison si simple !
Frôlant les souffles déliés
Mais plongeant profond dans l’histoire-
Et longés d’ailes, ouvert à l’au-delà.
En cela pareils à Léda.
Ô mère des feuillages, mère de la douceur
Qui sont ces vierges de pitié ?
Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.
Sylvia Plath
Edge
The woman is perfected.
Her dead
Body wears the smile of accomplishment,
The illusion of a Greek necessity
Flows in the scrolls of her toga,
Her bare
Feet seem to be saying:
We have come so far, it is over.
Each dead child coiled, a white serpent,
One at each little
Pitcher of milk, now empty.
She has folded
Them back into her body as petals
Of a rose close when the garden
Stiffens and odors bleed
From the sweet, deep throats of the night flower.
The moon has nothing to be sad about,
Staring from her hood of bone.
She is used to this sort of thing.
Her blacks crackle and drag.
Version française:
Tout au bord
La femme s'est accomplie
son corps mort
porte le sourire de l'accomplissement
l'illusion d'une obligation grecque
coule dans les rouleaux de sa toge
Ses nus
pieds semblent vouloir dire :
Nous sommes arrivés si loin, tout est fini.
Chaque enfant mort est enroulé, un serpent blanc,
Près de chacun une cruche de lait
maintenant vide.
Elle les a repliés contre son corps
comme les pétales
d'une rose refermée quand le jardin
se fige et que les parfums saignent
des douces, profondes, gorges de la fleur de la nuit.
La lune n'a pas à s'en désoler,
fixant le tout de sa cagoule d'os.
Elle a tant l'habitude de cela.
Sa noirceur crépite et se traîne.
Sylvia Plath
The woman is perfected.
Her dead
Body wears the smile of accomplishment,
The illusion of a Greek necessity
Flows in the scrolls of her toga,
Her bare
Feet seem to be saying:
We have come so far, it is over.
Each dead child coiled, a white serpent,
One at each little
Pitcher of milk, now empty.
She has folded
Them back into her body as petals
Of a rose close when the garden
Stiffens and odors bleed
From the sweet, deep throats of the night flower.
The moon has nothing to be sad about,
Staring from her hood of bone.
She is used to this sort of thing.
Her blacks crackle and drag.
Version française:
Tout au bord
La femme s'est accomplie
son corps mort
porte le sourire de l'accomplissement
l'illusion d'une obligation grecque
coule dans les rouleaux de sa toge
Ses nus
pieds semblent vouloir dire :
Nous sommes arrivés si loin, tout est fini.
Chaque enfant mort est enroulé, un serpent blanc,
Près de chacun une cruche de lait
maintenant vide.
Elle les a repliés contre son corps
comme les pétales
d'une rose refermée quand le jardin
se fige et que les parfums saignent
des douces, profondes, gorges de la fleur de la nuit.
La lune n'a pas à s'en désoler,
fixant le tout de sa cagoule d'os.
Elle a tant l'habitude de cela.
Sa noirceur crépite et se traîne.
Sylvia Plath
.....Bonjour et bonne continuation sur le forum!:-)))
Liberté
Le vent impur des étables
Vient d'Ouest, d'Est, du Sud, du Nord.
On ne s'assied plus aux tables
Des heureux, puisqu'on est mort.
Les princesses aux beaux râbles
Offrent leurs plus doux trésors.
Mais on s'en va dans les sables
Oublié, méprisé, fort.
On peut regarder la lune
Tranquille dans le ciel noir.
Et quelle morale ?... aucune.
Je me console à vous voir,
À vous étreindre ce soir
Amie éclatante et brune.
Ballade des mauvaises personnes
Qu'on vive dans les étincelles
Ou qu'on dorme sur le gazon
Au bruit des râteaux et des pelles,
On entend mâles et femelles
Prêtes à toute trahison,
Les personnes perpétuelles
Aiguisant leurs griffes cruelles,
Les personnes qui ont raison.
Elles rêvent (choses nouvelles !)
Le pistolet et le poison.
Elles ont des chants de crécelles
Elles n'ont rien dans leurs cervelles
Ni dans le coeur aucun tison,
Froissant les fleurs sous leurs semelles
Et courant des routes (lesquelles ?)
Les personnes qui ont raison.
Malgré tant d'injures mortelles
Les roses poussent à foison
Et les seins gonflent les dentelles
Et rose est encore l'horizon ;
Roses sont Marie et Suzon !
Mais, les autres, que veulent-elles ?
Elles ne sont vraiment pas belles,
Les personnes qui ont raison.
ENVOI
Prince, qui, gracieux, excelles
À nous tirer de la prison,
Chasse au loin par tes ritournelles
Les personnes qui ont raison.
Charles Cros
Liberté
Le vent impur des étables
Vient d'Ouest, d'Est, du Sud, du Nord.
On ne s'assied plus aux tables
Des heureux, puisqu'on est mort.
Les princesses aux beaux râbles
Offrent leurs plus doux trésors.
Mais on s'en va dans les sables
Oublié, méprisé, fort.
On peut regarder la lune
Tranquille dans le ciel noir.
Et quelle morale ?... aucune.
Je me console à vous voir,
À vous étreindre ce soir
Amie éclatante et brune.
Ballade des mauvaises personnes
Qu'on vive dans les étincelles
Ou qu'on dorme sur le gazon
Au bruit des râteaux et des pelles,
On entend mâles et femelles
Prêtes à toute trahison,
Les personnes perpétuelles
Aiguisant leurs griffes cruelles,
Les personnes qui ont raison.
Elles rêvent (choses nouvelles !)
Le pistolet et le poison.
Elles ont des chants de crécelles
Elles n'ont rien dans leurs cervelles
Ni dans le coeur aucun tison,
Froissant les fleurs sous leurs semelles
Et courant des routes (lesquelles ?)
Les personnes qui ont raison.
Malgré tant d'injures mortelles
Les roses poussent à foison
Et les seins gonflent les dentelles
Et rose est encore l'horizon ;
Roses sont Marie et Suzon !
Mais, les autres, que veulent-elles ?
Elles ne sont vraiment pas belles,
Les personnes qui ont raison.
ENVOI
Prince, qui, gracieux, excelles
À nous tirer de la prison,
Chasse au loin par tes ritournelles
Les personnes qui ont raison.
Charles Cros
..et,puis,ce beau poème de Verhaeren qui en dit tant..non???..
Le départ
Traînant leurs pas après leurs pas
Le front pesant et le cœur las,
S’en vont, le soir, par la grand’ route,
Les gens d’ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.
Les gens d’ici n’ont rien de rien,
Rien devant eux
Que l’infini de la grand’ route.
Chacun porte au bout d’une gaule,
Dans un mouchoir à carreaux bleus,
Chacun porte dans un mouchoir,
Changeant de main, changeant d’épaule,
Chacun porte
Le linge usé de son espoir.
Les gens s’en vont, les gens d’ici,
Par la grand’ route à l’infini.
L’auberge est là, près du bois nu,
L’auberge est là de l’inconnu ;
Sur ses dalles, les rats trimbalent
Et les souris.
L’auberge, au coin des bois moisis,
Grelotte, avec ses murs mangés,
Avec son toit comme une teigne,
Avec le bras de son enseigne
Qui tend au vent un os rongé.
Les gens d’ici sont gens de peur :
Ils font des croix sur leur malheur
Et tremblent ;
Les gens d’ici ont dans leur âme
Deux tisons noirs, mais point de flamme,
Deux tisons noirs en croix.
Les gens d’ici sont gens de peur ;
Et leurs autels n’ont plus de cierges
Et leur encens n’a plus d’odeur :
Seules, en des niches désertes,
Quelques roses tombent inertes
Autour d’un Christ en plâtre peint.
Les gens d’ici ont peur de l’ombre sur leurs champs,
De la lune sur leurs étangs,
D’un oiseau mort contre une porte ;
Les gens d’ici ont peur des gens.
Les gens d’ici sont malhabiles,
La tête lente et les cerveaux débiles
Quoique tannés d’entêtement ;
Ils sont ladres, ils sont minimes
Et s’ils comptent c’est par centimes,
Péniblement, leur dénuement.
Avec leur chat, avec leur chien,
Avec l’oiseau dans une cage,
Avec, pour vivre, un seul moyen :
Boire son mal, taire sa rage ;
Les pieds usés, le cœur moisi,
Les gens d’ici,
Quittant leur gîte et leur pays,
S’en vont, ce soir, vers l’infini.
Les mères traînent à leurs jupes
Leur trousseau long d’enfants bêlants,
Trinqueballés, trinqueballants ;
Les yeux clignants des vieux s’occupent
À refixer, une dernière fois,
Leur coin de terre morne et grise,
Où mord l’averse, où mord la bise,
Où mord le froid.
Suivent les gars des bordes,
Les bras maigres comme des cordes,
Sans plus d’orgueil, sans même plus
Le moindre élan vers les temps révolus
Et le bonheur des autrefois,
Sans plus la force en leurs dix doigts
De se serrer en poings contre le sort
Et la colère de la mort.
Les gens des champs, les gens d’ici
Ont du malheur à l’infini.
Leurs brouettes et leurs charrettes
Trinqueballent aussi,
Cassant, depuis le jour levé,
Les os pointus du vieux pavé :
Quelques-unes, plus grêles que squelettes,
Entrechoquent des amulettes
À leurs brancards,
D’autres grincent, les airs criards,
Comme les seaux dans les citernes ;
D’autres portent de vieillottes lanternes.
Les chevaux las
Secouent, à chaque pas,
Le vieux lattis de leur caresse ;
Le conducteur s’agite et se tracasse,
Comme quelqu’un qui serait fou,
Lançant parfois vers n’importe où,
Dans les espaces,
Une pierre lasse
Aux corbeaux noirs du sort qui passe.
Les gens d’ici
Ont du malheur - et sont soumis.
Et les troupeaux rêches et maigres,
Par les chemins râpés et par les sablons aigres,
Également sont les chassés,
Aux coups de fouet inépuisés.
Des famines qui exterminent :
Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche,
Bœufs qui meuglent vers la mort proche,
Vaches lentes et lourdes
Aux pis vides comme des gourdes.
Ainsi s’en vont bêtes et gens d’ici,
Par le chemin de ronde
Qui fait dans la détresse et dans la nuit,
Immensément, le tour du monde,
Venant, dites, de quels lointains,
Par à travers les vieux destins,
Passant les bourgs et les bruyères,
Avec, pour seul repos, l’herbe des cimetières,
Allant, roulant, faisant des nœuds
De chemins noirs et tortueux,
Hiver, automne, été, printemps,
Toujours lassés, toujours partant
De l’infini pour l’infini.
Tandis qu’au loin, là-bas,
Sous les cieux lourds, fuligineux et gras,
Avec son front comme un Thabor ;
Avec ses suçoirs noirs et ses rouges haleines
Hallucinant et attirant les gens des plaines,
C’est la ville que la nuit formidable éclaire,
La ville en plâtre, en stuc, en bois, en fer, en or,
- Tentaculaire.
Émile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées
Le départ
Traînant leurs pas après leurs pas
Le front pesant et le cœur las,
S’en vont, le soir, par la grand’ route,
Les gens d’ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.
Les gens d’ici n’ont rien de rien,
Rien devant eux
Que l’infini de la grand’ route.
Chacun porte au bout d’une gaule,
Dans un mouchoir à carreaux bleus,
Chacun porte dans un mouchoir,
Changeant de main, changeant d’épaule,
Chacun porte
Le linge usé de son espoir.
Les gens s’en vont, les gens d’ici,
Par la grand’ route à l’infini.
L’auberge est là, près du bois nu,
L’auberge est là de l’inconnu ;
Sur ses dalles, les rats trimbalent
Et les souris.
L’auberge, au coin des bois moisis,
Grelotte, avec ses murs mangés,
Avec son toit comme une teigne,
Avec le bras de son enseigne
Qui tend au vent un os rongé.
Les gens d’ici sont gens de peur :
Ils font des croix sur leur malheur
Et tremblent ;
Les gens d’ici ont dans leur âme
Deux tisons noirs, mais point de flamme,
Deux tisons noirs en croix.
Les gens d’ici sont gens de peur ;
Et leurs autels n’ont plus de cierges
Et leur encens n’a plus d’odeur :
Seules, en des niches désertes,
Quelques roses tombent inertes
Autour d’un Christ en plâtre peint.
Les gens d’ici ont peur de l’ombre sur leurs champs,
De la lune sur leurs étangs,
D’un oiseau mort contre une porte ;
Les gens d’ici ont peur des gens.
Les gens d’ici sont malhabiles,
La tête lente et les cerveaux débiles
Quoique tannés d’entêtement ;
Ils sont ladres, ils sont minimes
Et s’ils comptent c’est par centimes,
Péniblement, leur dénuement.
Avec leur chat, avec leur chien,
Avec l’oiseau dans une cage,
Avec, pour vivre, un seul moyen :
Boire son mal, taire sa rage ;
Les pieds usés, le cœur moisi,
Les gens d’ici,
Quittant leur gîte et leur pays,
S’en vont, ce soir, vers l’infini.
Les mères traînent à leurs jupes
Leur trousseau long d’enfants bêlants,
Trinqueballés, trinqueballants ;
Les yeux clignants des vieux s’occupent
À refixer, une dernière fois,
Leur coin de terre morne et grise,
Où mord l’averse, où mord la bise,
Où mord le froid.
Suivent les gars des bordes,
Les bras maigres comme des cordes,
Sans plus d’orgueil, sans même plus
Le moindre élan vers les temps révolus
Et le bonheur des autrefois,
Sans plus la force en leurs dix doigts
De se serrer en poings contre le sort
Et la colère de la mort.
Les gens des champs, les gens d’ici
Ont du malheur à l’infini.
Leurs brouettes et leurs charrettes
Trinqueballent aussi,
Cassant, depuis le jour levé,
Les os pointus du vieux pavé :
Quelques-unes, plus grêles que squelettes,
Entrechoquent des amulettes
À leurs brancards,
D’autres grincent, les airs criards,
Comme les seaux dans les citernes ;
D’autres portent de vieillottes lanternes.
Les chevaux las
Secouent, à chaque pas,
Le vieux lattis de leur caresse ;
Le conducteur s’agite et se tracasse,
Comme quelqu’un qui serait fou,
Lançant parfois vers n’importe où,
Dans les espaces,
Une pierre lasse
Aux corbeaux noirs du sort qui passe.
Les gens d’ici
Ont du malheur - et sont soumis.
Et les troupeaux rêches et maigres,
Par les chemins râpés et par les sablons aigres,
Également sont les chassés,
Aux coups de fouet inépuisés.
Des famines qui exterminent :
Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche,
Bœufs qui meuglent vers la mort proche,
Vaches lentes et lourdes
Aux pis vides comme des gourdes.
Ainsi s’en vont bêtes et gens d’ici,
Par le chemin de ronde
Qui fait dans la détresse et dans la nuit,
Immensément, le tour du monde,
Venant, dites, de quels lointains,
Par à travers les vieux destins,
Passant les bourgs et les bruyères,
Avec, pour seul repos, l’herbe des cimetières,
Allant, roulant, faisant des nœuds
De chemins noirs et tortueux,
Hiver, automne, été, printemps,
Toujours lassés, toujours partant
De l’infini pour l’infini.
Tandis qu’au loin, là-bas,
Sous les cieux lourds, fuligineux et gras,
Avec son front comme un Thabor ;
Avec ses suçoirs noirs et ses rouges haleines
Hallucinant et attirant les gens des plaines,
C’est la ville que la nuit formidable éclaire,
La ville en plâtre, en stuc, en bois, en fer, en or,
- Tentaculaire.
Émile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées
Un beau texte,non...
A méditer...peut-être..?
Savoir
Savoir parler pour ne rien dire
Et faire en sorte qu’on vous admire
Je vous le dis en aparté
C’est là un gage de succès
Savoir prier. À rien ne croire
Savoir satisfaire aux regards
Je vous l’accorde sans ambages
Ça ne ternit point le plumage
Savoir pleurer au cinéma
Avec un coeur sec comme du bois
Il n’y a point contradiction
Entre ces deux situations
Savoir juger sans s’engager
Savoir promettre sans aider
Voilà judicieuse morale
Qui ne vous fera aucun mal
Savoir mettre ses intérêts
Plus haut que quelque liberté
C’est d’une sage politique
Et qui vous sera bénéfique
Savoir penser : “Comme il canule !”
Dire : “Près de vous on se sent nul”
C’est là compliment bien tourné
Qu’à bon escient il faut placer…
Savoir…
Savoir parler…
Savoir parler pour ne rien dire…
Esther Granek, Je cours après mon ombre, 1981
A méditer...peut-être..?
Savoir
Savoir parler pour ne rien dire
Et faire en sorte qu’on vous admire
Je vous le dis en aparté
C’est là un gage de succès
Savoir prier. À rien ne croire
Savoir satisfaire aux regards
Je vous l’accorde sans ambages
Ça ne ternit point le plumage
Savoir pleurer au cinéma
Avec un coeur sec comme du bois
Il n’y a point contradiction
Entre ces deux situations
Savoir juger sans s’engager
Savoir promettre sans aider
Voilà judicieuse morale
Qui ne vous fera aucun mal
Savoir mettre ses intérêts
Plus haut que quelque liberté
C’est d’une sage politique
Et qui vous sera bénéfique
Savoir penser : “Comme il canule !”
Dire : “Près de vous on se sent nul”
C’est là compliment bien tourné
Qu’à bon escient il faut placer…
Savoir…
Savoir parler…
Savoir parler pour ne rien dire…
Esther Granek, Je cours après mon ombre, 1981
Le poème magnifique de Verhaeren fait référence aux émigrés flamands partant vers la Wallonie pour trouver du travail!
Oui, à méditer Laventurière sur bien des plans!
Oui, à méditer Laventurière sur bien des plans!
Merci Laventurière :o)
Le poème magnifique de Verhaeren fait référence aux émigrés flamands partant vers la Wallonie pour trouver du travail!
Oui, à méditer Laventurière sur bien des plans!
J'ai toujours beaucoup aimé Verhaeren et celui-ci me touche particulièrement-humainement.
D'ailleurs,il fait partie d'un minuscule recueil dans la collec"¨Poésies-"chez Gallimard intitulé:"Poètes en partance"...un petit trésor pour moi:ça va de soi!
Le Sixième Sens:
De flairer la Mort partout, ça frappe mon sens olfactif,
Ca m'fiche des nausées dans l'cou et des puanteurs dans l'pif,
Car ça chlingue et ça pue, ça se sent, la charogne,
Ca se sent qu'on zigouille et qu'on tue et qu'on cogne,
Mais le Monde enrhumé assiste à la séance,
Se bouche les naseaux et perd son premier sens!
De zieuter la Mort partout, ça frappe mon sens oculaire,
Ca me transforme en hibou aux pupilles hospitalières,
Car ça s'mate et ça s'lorgne et ça s'voit, la charogne,
Ca se voit qu'on zigouille et qu'on tue et qu'on cogne,
Mais le Monde bigleux assiste à la séance,
Se bouche les lampions et perd son deuxième sens!
D'esgourder la Mort partout, ça frappe mon sens auditif,
Ca m'dilate les feuilles de chou et ça m'rend l'tympan convulsif,
Car ça s'ouït, ça s'écoute, ça s'entend, la charogne,
Ca s'entend qu'on zigouille et qu'on tue et qu'on cogne,
Mais le Monde sourdingue assiste à la séance,
Se bouche les étiquettes et perd son troisième sens!
D'grignoter la Mort partout, ça frappe mon sens gustatif,
Ca m'met les crocs en cachous et la bave en vomitif,
Car ça s'goûte, ça se taste, ça s'déguste, la charogne,
Ca s'déguste qu'on zigouille et qu'on tue et qu'on cogne,
Mais le Monde sans goût assiste à la séance,
Se bouche la ganache, perd son quatrième sens!
De tâter la Mort partout, ça frappe mon sens touchatif,
Ca m'fiche les bras en saindoux et les pognes en boules de suif,
Car ça s'touche, ça s'titille, ça s'tripote, la charogne,
Ca s'tripote qu'on zigouille et qu'on tue et qu'on cogne,
Mais le Monde manchot assiste à la séance,
Se bouche les menottes et perd son cinquième sens,
Mais le Monde en torpeur s'endort à la séance
Bien assis sur son cœur, assis sur son bon sens!
Henri Tachan
Ouh,là,Pieronnelle:oui,ça t'cogne tous les sens un texte pareil..
Mais existe-t-il en version chant puisque Tachan est chanteur?
Oui bien sûr c'est même avant tout une chanson mais on ne peut l'écouter je crois sur internet. Le GRAND Tachan est tombé un peu dans les oubliettes... Pourtant tous ces textes sont très forts.
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