"Le corbeau" de Edgar Allan Poe (pas exactement un poème, mais...'Jamais plus !')
Bien content que Nance se souvienne du mot et de la chose, un bijou d'humour.
Quant au poème « Le Corbeau », on peut se donner le plaisir de lire « La Philosophie de la composition » (ou « La Genèse d'un poème », 1846), essai dans lequel Poe explique pourquoi (en gros : parce qu’il avait des dettes) et comment (toujours en gros : en y mettant ce que le public aimait, de l’amour et du mystère) il a écrit son texte devenu célèbre. Une sacrée leçon de littérature en même temps qu’un démenti cinglant (vous avez remarqué que les démentis sont nécessairement cinglants ?) à ce cliché du poète touché par la grâce, inspiré par les Muses et toujours un peu fou, ou drogué ou alcoolo. Non, Poe était seulement une superbe intelligence, et c’est déjà pas mal…
Deux jolis poèmes de Lewis Carroll
*************************
Chanson du jardinier fou
Il croyait voir un éléphant,
Un éléphant jouer du fifre;
Regardant mieux, il voit que c'est
Une lettre de son épouse:
« De cette vie, enfin, dit-il,
J'éprouve l'amertume! »
Il s'imaginait, voir un buffle
Gambader sur la cheminée;
Regardant mieux.; il voit que c'est
Du mari de sa soeur la nièce:
« Sortez d'ici, dit-il, sinon,
J'appelle la police! »
Il croyait voir un serpent à sonnette
Qui le questionnait en grec
Regardant mieux, il voit que c'est
Le milieu de la prochaine semaine:
« Je n'ai qu'un regret, c'est, dit-il,
Qu'il ne puisse parler! »
Il croyait voir un employé de banque
Qui de l'omnibus descendait;
Regardant mieux il voit que c'est
Un hippopo-potame:
« S'il reste, dit-il, déjeuner,
Que va dire ma femme. »
Il croyait voir un kangourou
Faire tourner un moulin à café;
Regardant mieux, il voit que c'est
Une pilule végétale.
« Pour avaler cela, dit-il,
Il faut aller bien mal! »
Il croyait voir un coche à six chevaux,
Non loin de sa couche arrêté;
Regardant mieux, il voit que c'est
Un ours décapité
« Pauvre bête, dit-il, pauvre bête stupide!
Elle attend son dîner! »
Il croyait voir un albatros
Voleter autour de la lampe;
Regardant mieux, il voit que c'est
Un timbre-poste de deux sous :
« Vous devriez, dit-il, rentrez;
Les nuits sont très humides! »
Il croyait voir un portrait d'un jardin
S'ouvrir au moyen d'une clef;
Regardant mieux, il voit que c'est
Une double règle de trois
« Ses mystères, dit-il, pour moi,
Sont clairs comme le jour. »
Il croyait voir un argument
Prouvant qu'il était le pape;
Regardant mieux, il voit que c'est
Un morceau de savon marbré:
« Grand Dieu, dit-il, une erreur si funeste
Éteint toute espérance! »
*************************
A Sea Dirge (malheureusement, je ne trouve pas de traduction)
THERE are certain things - as, a spider, a ghost,
The income-tax, gout, an umbrella for three -
That I hate, but the thing that I hate the most
Is a thing they call the Sea.
Pour some salt water over the floor -
Ugly I'm sure you'll allow it to be:
Suppose it extended a mile or more,
THAT'S very like the Sea.
Beat a dog till it howls outright -
Cruel, but all very well for a spree:
Suppose that he did so day and night,
THAT would be like the Sea.
I had a vision of nursery-maids;
Tens of thousands passed by me -
All leading children with wooden spades,
And this was by the Sea.
Who invented those spades of wood?
Who was it cut them out of the tree?
None, I think, but an idiot could -
Or one that loved the Sea.
It is pleasant and dreamy, no doubt, to float
With 'thoughts as boundless, and souls as free':
But, suppose you are very unwell in the boat,
How do you like the Sea?
There is an insect that people avoid
(Whence is derived the verb 'to flee').
Where have you been by it most annoyed?
In lodgings by the Sea.
If you like your coffee with sand for dregs,
A decided hint of salt in your tea,
And a fishy taste in the very eggs -
By all means choose the Sea.
And if, with these dainties to drink and eat,
You prefer not a vestige of grass or tree,
And a chronic state of wet in your feet,
Then - I recommend the Sea.
For I have friends who dwell by the coast -
Pleasant friends they are to me!
It is when I am with them I wonder most
That anyone likes the Sea.
They take me a walk: though tired and stiff,
To climb the heights I madly agree;
And, after a tumble or so from the cliff,
They kindly suggest the Sea.
I try the rocks, and I think it cool
That they laugh with such an excess of glee,
As I heavily slip into every pool
That skirts the cold cold Sea.
*************************
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Chanson du jardinier fou
Il croyait voir un éléphant,
Un éléphant jouer du fifre;
Regardant mieux, il voit que c'est
Une lettre de son épouse:
« De cette vie, enfin, dit-il,
J'éprouve l'amertume! »
Il s'imaginait, voir un buffle
Gambader sur la cheminée;
Regardant mieux.; il voit que c'est
Du mari de sa soeur la nièce:
« Sortez d'ici, dit-il, sinon,
J'appelle la police! »
Il croyait voir un serpent à sonnette
Qui le questionnait en grec
Regardant mieux, il voit que c'est
Le milieu de la prochaine semaine:
« Je n'ai qu'un regret, c'est, dit-il,
Qu'il ne puisse parler! »
Il croyait voir un employé de banque
Qui de l'omnibus descendait;
Regardant mieux il voit que c'est
Un hippopo-potame:
« S'il reste, dit-il, déjeuner,
Que va dire ma femme. »
Il croyait voir un kangourou
Faire tourner un moulin à café;
Regardant mieux, il voit que c'est
Une pilule végétale.
« Pour avaler cela, dit-il,
Il faut aller bien mal! »
Il croyait voir un coche à six chevaux,
Non loin de sa couche arrêté;
Regardant mieux, il voit que c'est
Un ours décapité
« Pauvre bête, dit-il, pauvre bête stupide!
Elle attend son dîner! »
Il croyait voir un albatros
Voleter autour de la lampe;
Regardant mieux, il voit que c'est
Un timbre-poste de deux sous :
« Vous devriez, dit-il, rentrez;
Les nuits sont très humides! »
Il croyait voir un portrait d'un jardin
S'ouvrir au moyen d'une clef;
Regardant mieux, il voit que c'est
Une double règle de trois
« Ses mystères, dit-il, pour moi,
Sont clairs comme le jour. »
Il croyait voir un argument
Prouvant qu'il était le pape;
Regardant mieux, il voit que c'est
Un morceau de savon marbré:
« Grand Dieu, dit-il, une erreur si funeste
Éteint toute espérance! »
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A Sea Dirge (malheureusement, je ne trouve pas de traduction)
THERE are certain things - as, a spider, a ghost,
The income-tax, gout, an umbrella for three -
That I hate, but the thing that I hate the most
Is a thing they call the Sea.
Pour some salt water over the floor -
Ugly I'm sure you'll allow it to be:
Suppose it extended a mile or more,
THAT'S very like the Sea.
Beat a dog till it howls outright -
Cruel, but all very well for a spree:
Suppose that he did so day and night,
THAT would be like the Sea.
I had a vision of nursery-maids;
Tens of thousands passed by me -
All leading children with wooden spades,
And this was by the Sea.
Who invented those spades of wood?
Who was it cut them out of the tree?
None, I think, but an idiot could -
Or one that loved the Sea.
It is pleasant and dreamy, no doubt, to float
With 'thoughts as boundless, and souls as free':
But, suppose you are very unwell in the boat,
How do you like the Sea?
There is an insect that people avoid
(Whence is derived the verb 'to flee').
Where have you been by it most annoyed?
In lodgings by the Sea.
If you like your coffee with sand for dregs,
A decided hint of salt in your tea,
And a fishy taste in the very eggs -
By all means choose the Sea.
And if, with these dainties to drink and eat,
You prefer not a vestige of grass or tree,
And a chronic state of wet in your feet,
Then - I recommend the Sea.
For I have friends who dwell by the coast -
Pleasant friends they are to me!
It is when I am with them I wonder most
That anyone likes the Sea.
They take me a walk: though tired and stiff,
To climb the heights I madly agree;
And, after a tumble or so from the cliff,
They kindly suggest the Sea.
I try the rocks, and I think it cool
That they laugh with such an excess of glee,
As I heavily slip into every pool
That skirts the cold cold Sea.
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Pour faire un poème dadaïste
Tristan Tzara, 1920
Prenez un journal.
Prenez les ciseaux.
Choisissez dans le journal un article ayant la longeur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article.
Découpez ensuite avec soin chacun de mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupière l'une après l'autre.
Copiez consciencieusement dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous resemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.
Tristan Tzara, 1920
Prenez un journal.
Prenez les ciseaux.
Choisissez dans le journal un article ayant la longeur que vous comptez donner à votre poème.
Découpez l'article.
Découpez ensuite avec soin chacun de mots qui forment cet article et mettez-les dans un sac.
Agitez doucement.
Sortez ensuite chaque coupière l'une après l'autre.
Copiez consciencieusement dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Le poème vous resemblera.
Et vous voilà un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore qu'incomprise du vulgaire.
Ce poème me fait une forte impression.
Ozymandias
- Percy Bysshe Shelley, 1818
I met a traveller from an antique land
Who said: Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desert. Near them on the sand,
Half sunk, a shatter'd visage lies, whose frown
And wrinkled lip and sneer of cold command
Tell that its sculptor well those passions read
Which yet survive, stamp'd on these lifeless things,
The hand that mock'd them and the heart that fed.
And on the pedestal these words appear:
"My name is Ozymandias, king of kings:
Look on my works, ye Mighty, and despair!"
Nothing beside remains: round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare,
The lone and level sands stretch far away.
//Traduction trouvé sur Wikipedia//
J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique
Qui disait : « Deux immenses jambes de pierre sans le tronc
Se trouvent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
Sombrant à moitié, un visage brisé est allongé, dont les sourcils sont froncés,
Et les lèvres plissées, et qui sourit froidement sur commande,
Ce qui montre que son sculpteur a bien compris ces passions,
Dont survivent encore, empreintes sur ces choses sans vie,
La main qui s'est moquée d'elles et le cœur qui les a nourrit,
Et sur le piédestal ces mots apparaissent :
"Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois :
Contemplez mes œuvres, Ô vous les puissants, et désespérez !"
Rien à côté ne reste. Autour de la décomposition
De cette colossale épave, illimitée et nue,
Seul les sables plats s'étirent au loin. »
Ozymandias
- Percy Bysshe Shelley, 1818
I met a traveller from an antique land
Who said: Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desert. Near them on the sand,
Half sunk, a shatter'd visage lies, whose frown
And wrinkled lip and sneer of cold command
Tell that its sculptor well those passions read
Which yet survive, stamp'd on these lifeless things,
The hand that mock'd them and the heart that fed.
And on the pedestal these words appear:
"My name is Ozymandias, king of kings:
Look on my works, ye Mighty, and despair!"
Nothing beside remains: round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare,
The lone and level sands stretch far away.
//Traduction trouvé sur Wikipedia//
J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique
Qui disait : « Deux immenses jambes de pierre sans le tronc
Se trouvent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
Sombrant à moitié, un visage brisé est allongé, dont les sourcils sont froncés,
Et les lèvres plissées, et qui sourit froidement sur commande,
Ce qui montre que son sculpteur a bien compris ces passions,
Dont survivent encore, empreintes sur ces choses sans vie,
La main qui s'est moquée d'elles et le cœur qui les a nourrit,
Et sur le piédestal ces mots apparaissent :
"Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois :
Contemplez mes œuvres, Ô vous les puissants, et désespérez !"
Rien à côté ne reste. Autour de la décomposition
De cette colossale épave, illimitée et nue,
Seul les sables plats s'étirent au loin. »
Après les avoir renié, je commence à découvrir, puis aimer, les poèmes d'Edgar Allan Poe. "Seul" est le dernier en date, en voici la traduction (je ne connais pas le traducteur) que je trouve littérale, mais correcte:
SEUL
Depuis l'heure de l'enfance, je ne suis pas
Semblable aux autres ; je ne vois pas
Comme les autres ; je ne sais pas tirer
Mes passions à la fontaine commune
D'une autre source provient
Ma douleur, jamais je n'ai pu éveiller
Mon coeur au ton de joie des autres
Et tout ce que j'aimai, je l'aimai seul
C'est alors -- dans mon enfance -- à l'aube
D'une vie de tumulte que fut puis
A chaque abîme du bien et du mal,
Ce mystère qui toujours me retient --
Au torrent et à la fontaine
Dans la falaise rouge de la montagne --
Dans le soleil qui roule autour de moi
En son or automnal
Dans l'éclair qui volait au ciel et passait
Près de moi pour s'enfuir,
Dans le tonnerre et dans l'orage
Et dans la nuage qui prenait la forme
(Alors que le reste du ciel était bleu)
D'un démon à mes yeux.
SEUL
Depuis l'heure de l'enfance, je ne suis pas
Semblable aux autres ; je ne vois pas
Comme les autres ; je ne sais pas tirer
Mes passions à la fontaine commune
D'une autre source provient
Ma douleur, jamais je n'ai pu éveiller
Mon coeur au ton de joie des autres
Et tout ce que j'aimai, je l'aimai seul
C'est alors -- dans mon enfance -- à l'aube
D'une vie de tumulte que fut puis
A chaque abîme du bien et du mal,
Ce mystère qui toujours me retient --
Au torrent et à la fontaine
Dans la falaise rouge de la montagne --
Dans le soleil qui roule autour de moi
En son or automnal
Dans l'éclair qui volait au ciel et passait
Près de moi pour s'enfuir,
Dans le tonnerre et dans l'orage
Et dans la nuage qui prenait la forme
(Alors que le reste du ciel était bleu)
D'un démon à mes yeux.
Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?
Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire;
Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.
Il est tombé sur nous, cet édifice immense
Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour.
La Mort devait t'attendre avec impatience,
Pendant quatre-vingts ans que tu lui fis ta cour;
Vous devez vous aimer d'un infernal amour.
Ne quittes-tu jamais la couche nuptiale
Où vous vous embrassez dans les vert du tombeau,
Pour t'en aller tout seul promener ton front pâle!
Dans un cloitre désert ou dans un vieux château?!
Que te disent alors tous ces grands corps sans vie,
Ces murs silencieux, ces autels désolés,
Que pour l'éternité ton souffle a dépeuplés ?
Que te disent les croix? que te dit le Messie?
Oh ! saigne-t-il encor, quand, pour le déclouer,
Sur son arbre tremblant, comme une fleur flétrie,
Ton spectre dans la nuit revient le secouer?
Crois-tu ta mission dignement accomplie,
Et comme l'Éternel, à la création,
Trouves-tu que c'est bien, et que ton oeuvre est bon?
Au festin de mon hôte alors je te convie.
Tu n'as qu'à te lever;-quelqu'un soupe ce soir
Chez qui le Commandeur peut frapper et s'asseoir.
(extrait de Rolla d'Alfred de Musset)
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?
Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire;
Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.
Il est tombé sur nous, cet édifice immense
Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour.
La Mort devait t'attendre avec impatience,
Pendant quatre-vingts ans que tu lui fis ta cour;
Vous devez vous aimer d'un infernal amour.
Ne quittes-tu jamais la couche nuptiale
Où vous vous embrassez dans les vert du tombeau,
Pour t'en aller tout seul promener ton front pâle!
Dans un cloitre désert ou dans un vieux château?!
Que te disent alors tous ces grands corps sans vie,
Ces murs silencieux, ces autels désolés,
Que pour l'éternité ton souffle a dépeuplés ?
Que te disent les croix? que te dit le Messie?
Oh ! saigne-t-il encor, quand, pour le déclouer,
Sur son arbre tremblant, comme une fleur flétrie,
Ton spectre dans la nuit revient le secouer?
Crois-tu ta mission dignement accomplie,
Et comme l'Éternel, à la création,
Trouves-tu que c'est bien, et que ton oeuvre est bon?
Au festin de mon hôte alors je te convie.
Tu n'as qu'à te lever;-quelqu'un soupe ce soir
Chez qui le Commandeur peut frapper et s'asseoir.
(extrait de Rolla d'Alfred de Musset)
Intéressant. Il faudrait que je lise Rolla, j'adore la période romantique, mais je connais peu celle de la France.
Voici un des poèmes préférés:
L’Eterna Volutta
de Valery Larbaud
dans A. O. Barnabooth - Poésies
Nulle des choses les plus douces,
Ni le parfum des fleurs décomposées,
Ni de la musique en pleine mer,
Ni de l’évanouissement bref
De la chute des escarpolettes
(Les yeux fermés, les jambes bien tendues),
Ni une main tiède et caressante dans mes cheveux
M’emplissant le crâne de mille petits démons
Semblables à des pensées musicales ;
Ni la caresse froides des orgues
Dans le dos, à l’église ;
Ni le chocolat même,
Soit en tablettes fondantes,
Fraîches d’abord puis brûlantes,
Grasses commes des moines,
Tendres comme le Nord !
Soit limpide et fumant
(Hausse vers moi ton baiser lourd, colorada !
Laissant du feu parfumé après lui
Et une moiteur délicate sur tout mon corps...)
Ni le fumet d’amandes de certains fards ;
Ni la vue des choses à travers des vitres rouges,
Ou mauves ou vertes
Comme chez Daniéli, à venise, au fumoir :
Ni la sensation précieuse de la peur,
Ni le parfum des laques, ni
Les cris matinaux des coqs en pleine ville —
Nul des plus beaux spectacles :
Ni la Méditerranée
Avec son odeur à elle, âcre et bleue,
Avec son froissement et son battement
Si caressants et courts
Sur les flancs des navires. —
(Oh ! nuits sur le pont, quand pas malade, avec l’officier de quart !
Et toi, vigie, ange gardien de l’équipage
Combien ai-je passé de nuits, silencieux,
À tes pieds, voyant les étoiles dans tes yeux,
Tandis que Boréas nous soufflait au visage.)
Avec ses îles,
Innombrables, diverses,
Les unes blanches avec le gris-vert des oliviers,
Les autres dorées, où l’on aperçoit des villages ;
D’autres : de longues choses bleues qui se cachent ;
Avec ses détroits pleins de musique,
Bonifacio semblable aux portes de la mort,
Messine avec le Faro, Scylla étincelant
Dans la nuit,
Les Lipari avec de rares lumières (une, haute et rouge et coulante) ;
Et tout le jour
Toute cette mer
Pareille à un grand jardin fleuri...
Non, aucune de ces choses,
Aucun de ces spectables,
Ne saurait me distraire
De la volupté éternelle de la douleur !
Vous voyez en moi un homme
Que le sentiment de l’injustice sociale
Et de la misère du monde
A rendu complètement fou !
Ah ! je suis amoureux du mal !
Je voudrais l’étreindre et m’identifier à lui ;
Je voudrais le porter dans mes bras comme le berger porte
L’agneau nouveau-né encore gluant...
Donnez-moi la vue de toutes les souffrances,
Donnez-moi le spectacle de la beauté outragée,
De toutes les actions honteuses et de toutes les pensées viles
(Je veux moi-même créer plus de douleur encore ;
Je veux souffler la haine comme un bûcher).
Je veux baiser le mépris à pleines lèvres ;
Allez dire à la Honte que je meurs d’amour pour elle ;
Je veux me plonger dans l’infamie
Comme dans un lit très doux ;
Je veux faire tout ce qui est justement défendu ;
Je veux être abreuvé de dérision et de ridicule ;
Je veux être le plus ignoble des hommes.
Que le vice m’appartienne,
Que la dépravation soit mon domaine !
Il faut que je venge tous ceux qui souffrent
(Et le bonheur n’est pas non plus dans l’innocence) ;
Je veux aller plus loin que tous
Dans l’ignominie et la réprobation,
Je veux souffrir avec tout le monde,
Plus que tout le monde !
Ne fermez pas la porte !
Il faut que j’aille me vendre à n’importe quel prix ;
Il faut que je me prostitue corps et âme ;
J’ai si faim de mépris !
J’ai si soif d’abjection !
Et tant d’autres en sont repus ; tant d’autres :
Les Pauvres !
Hélas, je suis trop riche ; le Mal
M’est à jamais interdit quoi que je fasse :
Je suis un Riche, naturellement bon et vertueux ;
Si j’étais plus riche encore, peut-être
Je pourrais acheter la Honte,
Et la douleur et la bassesse toute nue du monde ?
Mais que du moins j’entende,
Monter toujours
Le cri de la douleur du Monde.
Que mon cœur s’en remplisse ineffablement ;
Que je l’entende encore de mon tombeau,
Et que la grimace de mon visage mort
Dise ma joie de l’entendre !
Voici un des poèmes préférés:
L’Eterna Volutta
de Valery Larbaud
dans A. O. Barnabooth - Poésies
Nulle des choses les plus douces,
Ni le parfum des fleurs décomposées,
Ni de la musique en pleine mer,
Ni de l’évanouissement bref
De la chute des escarpolettes
(Les yeux fermés, les jambes bien tendues),
Ni une main tiède et caressante dans mes cheveux
M’emplissant le crâne de mille petits démons
Semblables à des pensées musicales ;
Ni la caresse froides des orgues
Dans le dos, à l’église ;
Ni le chocolat même,
Soit en tablettes fondantes,
Fraîches d’abord puis brûlantes,
Grasses commes des moines,
Tendres comme le Nord !
Soit limpide et fumant
(Hausse vers moi ton baiser lourd, colorada !
Laissant du feu parfumé après lui
Et une moiteur délicate sur tout mon corps...)
Ni le fumet d’amandes de certains fards ;
Ni la vue des choses à travers des vitres rouges,
Ou mauves ou vertes
Comme chez Daniéli, à venise, au fumoir :
Ni la sensation précieuse de la peur,
Ni le parfum des laques, ni
Les cris matinaux des coqs en pleine ville —
Nul des plus beaux spectacles :
Ni la Méditerranée
Avec son odeur à elle, âcre et bleue,
Avec son froissement et son battement
Si caressants et courts
Sur les flancs des navires. —
(Oh ! nuits sur le pont, quand pas malade, avec l’officier de quart !
Et toi, vigie, ange gardien de l’équipage
Combien ai-je passé de nuits, silencieux,
À tes pieds, voyant les étoiles dans tes yeux,
Tandis que Boréas nous soufflait au visage.)
Avec ses îles,
Innombrables, diverses,
Les unes blanches avec le gris-vert des oliviers,
Les autres dorées, où l’on aperçoit des villages ;
D’autres : de longues choses bleues qui se cachent ;
Avec ses détroits pleins de musique,
Bonifacio semblable aux portes de la mort,
Messine avec le Faro, Scylla étincelant
Dans la nuit,
Les Lipari avec de rares lumières (une, haute et rouge et coulante) ;
Et tout le jour
Toute cette mer
Pareille à un grand jardin fleuri...
Non, aucune de ces choses,
Aucun de ces spectables,
Ne saurait me distraire
De la volupté éternelle de la douleur !
Vous voyez en moi un homme
Que le sentiment de l’injustice sociale
Et de la misère du monde
A rendu complètement fou !
Ah ! je suis amoureux du mal !
Je voudrais l’étreindre et m’identifier à lui ;
Je voudrais le porter dans mes bras comme le berger porte
L’agneau nouveau-né encore gluant...
Donnez-moi la vue de toutes les souffrances,
Donnez-moi le spectacle de la beauté outragée,
De toutes les actions honteuses et de toutes les pensées viles
(Je veux moi-même créer plus de douleur encore ;
Je veux souffler la haine comme un bûcher).
Je veux baiser le mépris à pleines lèvres ;
Allez dire à la Honte que je meurs d’amour pour elle ;
Je veux me plonger dans l’infamie
Comme dans un lit très doux ;
Je veux faire tout ce qui est justement défendu ;
Je veux être abreuvé de dérision et de ridicule ;
Je veux être le plus ignoble des hommes.
Que le vice m’appartienne,
Que la dépravation soit mon domaine !
Il faut que je venge tous ceux qui souffrent
(Et le bonheur n’est pas non plus dans l’innocence) ;
Je veux aller plus loin que tous
Dans l’ignominie et la réprobation,
Je veux souffrir avec tout le monde,
Plus que tout le monde !
Ne fermez pas la porte !
Il faut que j’aille me vendre à n’importe quel prix ;
Il faut que je me prostitue corps et âme ;
J’ai si faim de mépris !
J’ai si soif d’abjection !
Et tant d’autres en sont repus ; tant d’autres :
Les Pauvres !
Hélas, je suis trop riche ; le Mal
M’est à jamais interdit quoi que je fasse :
Je suis un Riche, naturellement bon et vertueux ;
Si j’étais plus riche encore, peut-être
Je pourrais acheter la Honte,
Et la douleur et la bassesse toute nue du monde ?
Mais que du moins j’entende,
Monter toujours
Le cri de la douleur du Monde.
Que mon cœur s’en remplisse ineffablement ;
Que je l’entende encore de mon tombeau,
Et que la grimace de mon visage mort
Dise ma joie de l’entendre !
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labbé, Sonnets
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labbé, Sonnets
Tilman : seconde édition !
voir en page 1
http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…
(pour information, seulement) ;-))
voir en page 1
http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…
(pour information, seulement) ;-))
C'est un beau sonnet qui me donne le goût dans lire plus.
C'est un beau sonnet qui me donne le goût dans lire plus.
d'en lire plus
Nance, je te conseil de lire Rolla,
j'ai mis le passage sur Voltaire que Musset accuse d'avoir détruit la religion sans avoir proposé quelque chose à la place.
mais, c'est un poeme tres tres long, avec beaucoup de références historiques , culturelles, religieuses.
j'aime particulierement le passage sur Faust .
et puis, bien sur les nuits de mai avec le fameux passage du pélican qui se déchire le coeur pour nourir ses petits.
'les chants les plus beaux,sont les chants les plus tristes et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots'
j'ai mis le passage sur Voltaire que Musset accuse d'avoir détruit la religion sans avoir proposé quelque chose à la place.
mais, c'est un poeme tres tres long, avec beaucoup de références historiques , culturelles, religieuses.
j'aime particulierement le passage sur Faust .
et puis, bien sur les nuits de mai avec le fameux passage du pélican qui se déchire le coeur pour nourir ses petits.
'les chants les plus beaux,sont les chants les plus tristes et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots'
Tilman : seconde édition !
voir en page 1
http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…
(pour information, seulement) ;-))
Je l'avais déjà lu il y a quelque moi sur cette page et en relisant ce recueil que j'avais étudier dans mes jeunes années j'ai eu envie de le partager à ce moment là(et je ne me souvenais plus d'ailleurs de l'avoir lu dans cette discussion)bref Mea Culpa! ; ))))
Non, non, Tilman, tu as bien fait ! Une occasion de relire un des plus beaux poèmes du répertoire...
;-))
;-))
William Ernest Henley. 1849–1903
Invictus
OUT of the night that covers me,
Black as the Pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.
In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.
Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds, and shall find, me unafraid.
It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate,
I am the captain of my soul.
Invictus
OUT of the night that covers me,
Black as the Pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.
In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.
Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds, and shall find, me unafraid.
It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate,
I am the captain of my soul.
La traduction de poésie c'est toujours particulier mais bon...
Dans la nuit qui m'environne,
Dans les ténèbres qui m'enserrent,
Je loue les dieux qui me donnent
Une âme à la fois noble et fière.
Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller,
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout, bien que blessé.
En ce lieu d'opprobre et de pleurs,
je ne vois qu'horreur et ombres
les années s'annoncent sombres
mais je ne connaîtrai pas la peur.
Aussi étroit que soit le chemin,
Bien qu'on m'accuse et qu'on me blâme:
Je suis maître de mon destin,
Et capitaine de mon âme.
Dans la nuit qui m'environne,
Dans les ténèbres qui m'enserrent,
Je loue les dieux qui me donnent
Une âme à la fois noble et fière.
Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller,
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout, bien que blessé.
En ce lieu d'opprobre et de pleurs,
je ne vois qu'horreur et ombres
les années s'annoncent sombres
mais je ne connaîtrai pas la peur.
Aussi étroit que soit le chemin,
Bien qu'on m'accuse et qu'on me blâme:
Je suis maître de mon destin,
Et capitaine de mon âme.
Merci Math pour ce magnifique poème ! C'est beau... ;-)
Mon poème préféré (de mon poète préféré):
Brise Marine (Mallarmé)
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!
Brise Marine (Mallarmé)
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!
Étant dans ma phase poésie, j'ai relu la discussion et je voudrais remercier Didou83 de m'avoir fait découvrir Cet amour de Jacques Prévert. C'est innommable.
Étant dans ma phase poésie, j'ai relu la discussion et je voudrais remercier Didou83 de m'avoir fait découvrir Cet amour de Jacques Prévert. C'est innommable.Je crains, Nance, que tes lecteurs ne prennent ton "innommable" dans son sens.. le pire !! :o)
Ineffable ?
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