Le marchand de Venise de William Shakespeare
( The merchant of Venice)
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre , Littérature => Anglophone
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Quand Le Grand Will fait la nique au "politiquement correct"
Bassanio, un gentilhomme vénitien, a hérité une confortable fortune de ses parents, mais il a mené grand train et se retrouve endetté au moment où commence "Le marchand de Venise". Il ne lui reste plus qu'une chose à faire: épouser une riche héritière pour renflouer ses caisses, la belle Portia par exemple, que Bassanio trouve en outre fort à son goût (et c'est réciproque...). Las, pour conquérir Portia, Bassanio doit quitter Venise pour se rendre sur les terres que celle-ci a hérité de son père, à Belmont, et il doit réussir l'épreuve que le testament du père de Portia impose à tous ceux qui prétendent à la main de la jeune femme. Et pour entreprendre ce voyage, Bassanio a besoin d'un équipage et il a besoin d'argent... Bassanio se tourne alors vers son ami, le riche marchand Antonio qui, ne disposant pas des fonds nécessaires, lui offre cependant de se porter garant pour que Bassanio puisse contracter un emprunt auprès de l'usurier Shylock. Il s'agit là d'une garantie d'un genre particulier car, en cas de défaut de paiement, Antonio s'engage à céder à Shylock une livre de sa propre chair, "prélevée au plus près du coeur".
A partir d'ici, je pourrai m'étendre longuement sur les intrigues sentimentales qui lient Bassanio à Portia, Lorenzo et Gratiano (des amis de Bassanio) à Jessica et Nerissa, voire Bassanio à Antonio (?). Mais il faut bien dire que s'agissant de nous conter les heurs et malheurs des couples en train de se former, Shakespeare a déjà été mieux inspiré, que ce soit sur le mode romantique avec "Roméo et Juliette" ou sur le mode comique avec "Beaucoup de bruit pour rien". Je pourrai m’étendre aussi sur l'ensemble des relations de nature commerciale qui sous-tendent l'intrigue du "Marchand de Venise"- les dettes qu'il faut bien rembourser un jour ou l'autre, les contrats de mariage et les testaments - un sujet qui n'est certes pas dénué d'intérêt. Mais autant en venir tout de suite au personnage qui porte véritablement toute la pièce: Shylock, l'usurier, le Juif. Avec Shylock, Shakespeare réussit en effet un extraordinaire personnage de "méchant". Shylock le Juif est depuis des années la victime de brimades et de moqueries de la part des marchands chrétiens, et il s'en plaint dans une tirade vibrante, que je ne résiste pas à l'envie de reproduire ici, en Anglais tout d'abord, en Français ensuite:
"I am a Jew... Hath not a Jew eyes ? Hath not a Jew hands, organs, dimensions, senses, affections, passions ? Fed with the same food, hurt with the same weapons, subject to the same diseases, healed by the same means, warmed and cooled by the same winter and summer, as a Christian is ? If you prick us, do we not bleed ? If you tickle us, do we not laugh ? If you poison us, do we not die ? And if you wrong us, shall we not revenge ? If we are like you in the rest, we will resemble you in that..."
"Je suis juif... un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes, des proportions, des sens, des émotions, des passions ? N'est-il pas nourri de même nourriture, blessé des mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, réchauffé et refroidi par le même été, le même hiver, comme un chrétien ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Si vous nous faites tort, ne nous vengerons-nous pas ? Si nous vous ressemblons dans le reste, nous vous ressemblerons aussi en cela... Si un Juif fait tort à un chrétien, où est l'humanité de celui-ci ? Dans la vengeance. Si un chrétien fait tort à un Juif, où est la patience de ce dernier selon l'exemple chrétien ? Eh bien, dans la vengeance. La vilenie que vous m'enseignez je la pratiquerai et ce sera dur, mais je veux surpasser mes maîtres..."
Et en effet, Shylock est bien décidé à se venger des vexations endurées, et si Antonio ne paie pas sa dette au jour dit, nul doute que Shylock ne lui réclame cette livre de chair "prélevée au plus près du coeur" avec une cruauté proprement implacable. Shylock, vraiment, est un extraordinaire personnage de "méchant", un de ces personnages qui ont le don de plonger une certaine critique anglo-saxonne bien-pensante dans un profond embarras*. C'est que voilà le grand Will a tout le moins suspect d'anti-sémitisme, avec ce personnage de méchant juif. Comment expliquer cela à nos chères petites têtes blondes? Peut-on se contenter d'excuser la cruauté de Shylock à cause des brimades qui lui ont été infligées? Non, sans doute**... Et voilà qui est décidément fort embarrassant... Et qui est une raison en soi pour lire "Le marchand de Venise", si le seul plaisir de rire et de se laisser emporter, séduire, émouvoir par les innombrables trouvailles du Grand Will ne vous suffit pas!
* A ce titre, la "mise en perspective"du "Marchand de Venise" par Alexander Legatt, professeur à l'Université de Toronto, reprise à la fin de l'édition de la pièce par la Folger Shakespeare Library (isbn 0743477561) vaut son pesant d'or.
** A ce sujet, certains spécialistes de Shakespeare tireraient profit de la lecture de Simone Weil: "(...) sauf les âmes qui sont assez proches de la sainteté, les victimes sont souillées par la force comme les bourreaux. Le mal qui est à la poignée du glaive est transmis à la pointe. Et les victimes, ainsi mises au faîte et enivrées par le changement, font autant de mal ou plus, puis bientôt retombent." (in "La pesanteur et la grâce", p.199)
Les éditions
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Le marchand de Venise [Texte imprimé], texte original Shakespeare trad. de Jean Grosjean préf. par John Russell Brown notice par R. G. Cox
de Shakespeare, William Brown, John Russell (Préfacier) Grosjean, Jean (Traducteur)
Flammarion / G.F..
ISBN : 9782080708458 ; 7,00 € ; 01/01/1999 ; 286 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (2)
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(Ben) correct
Critique de DomPerro (, Inscrit le 4 juillet 2006, - ans) - 9 novembre 2007
Le contrat liant Shylock et Antonio est tordant ! Hahaha !
Voici un extrait qui s'applique bien ici :
''Comme le premier sot venu peut jouer sur les mots ! Je crois que bientôt la meilleure grâce de l'esprit sera le silence, et qu'il n'y aura plus de mérite à parler que pour les perroquets.''
Amen.
Le Grand Willy dérape
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 9 mai 2005
J'ai trouvé cette pièce assez violente. Sur le coup, j'ai voulu crier au secours !
Mais il n'est parfois pas si mauvais de montrer le mal sans fard ni euphémisme pour le dénoncer.
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