Le Concert de Ismaïl Kadaré
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Romans historiques
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Déconcertant !
C’était du temps où l’Albanie d’Eder Hoxha était dans le giron de la Chine de Mao. Avec le recul, quelle bizarrerie tout de même que cette alliance entre un pays d’un milliard d’êtres et un autre de 3 millions, dont les capitales respectives sont distantes de près de 8.000 kilomètres !
L’incongruité de cette relation, et plus particulièrement son point de chute est magistralement racontée au travers de quelques familles dont le quotidien est directement impacté par l’emprise permanente que le parti, l’armée ou plus indirectement le pouvoir chinois exercent sur leurs vies. On ressent la chape de plomb qui pèse sur les existences. Il faut faire attention à ce que l’on dit, aux actes que l’on pose et ce jusque dans la sphère privée.
Le ton est résolument burlesque pour rendre compte d’événements qui confinent à la tragédie, étudier en profondeur la psychologie des personnages, décrire des situations caricaturales.
L’auteur s’en donne à cœur joie dans le passage où une commission du pc chinois est chargée de déterminer à quoi devrait ressembler l’homme chinois nouveau, dont le nom est déjà connu : ce sera Lei Feng. Cette commission est d’ailleurs sommée d’accélérer sa « gestation », ce qui fait souffler un vent de panique parmi ses membres, pour lesquels la « grossesse » et plus encore l’ « accouchement » de l’homo sinicus s’avère particulièrement pénible et douloureux. Il faut en effet trancher sur des questions aussi délicates, parmi bien d’autres, que la taille et la stature, l’âge, le métier, la formation idéologique de ce prototype qui serait ensuite popularisé par l’appareil de propagande afin que tous les Chinois et tous les maoïstes du monde (y compris albanais donc) puissent s’y conformer.
Il y a aussi cette séance surréaliste d’autocritiques lors de laquelle des officiers de l’armée albanaise font acte de contrition suite à une tentative avortée d’encerclement par l’armée du bureau du parti, suite au refus de certains d’entre eux d’exécuter l’ordre. Cela donne des envolées du genre : « je suis coupable, je suis absolument coupable, quand bien même l’on peut dire de moi que je ne suis qu’un simple vecteur du commandement ……Pareil à un robot inconscient, sans penser que je contribuais ainsi à porter un coup au Parti, j’ai transmis l’ordre aux blindés. Mon manque de maturité idéologique, mon étude superficielle du marxisme-léninisme……. »
Quant au concert qui a donné son titre au livre, il a lieu en Chine à un moment où des officiels et des acteurs culturels albanais s’y trouvent, sur fond de fin de règne de Mao, vieux et malade. Les invités sont triés sur le volet et les regards, davantage que sur la scène, sont dirigés vers la salle et les balcons, chaque présence ou absence étant porteuse d’un message à décrypter et à interpréter. Même la couleur des costumes des acteurs est scrutée, en vue d’analyser les symboles qu’elle pourrait signifier.
Ismaël Kadaré signait là un roman qui levait de manière drôle et efficace une part du mystère qui avait entouré les deux pays dans leur période la plus fermée. Avec une petite signification supplémentaire pour moi qui l’avais acquis dans la foulée d’une visite de la maison natale de l’auteur dans la superbe ville de Gjirokaster.
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