Nein, Nein, Nein!: La dépression, les tourments de l'âme et la Shoah en autocar de Jerry Stahl

Nein, Nein, Nein!: La dépression, les tourments de l'âme et la Shoah en autocar de Jerry Stahl
(Nein, Nein, Nein ! One Man's Tale of Depression, Psychic Torment, and a Bus tour of the Holocaust)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Voyages et aventures

Critiqué par Poet75, le 28 octobre 2024 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans)
La note : 8 étoiles
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La Shoah en autocar!

Attention ! Ce livre est un carnet de voyage qui peut, qui doit plutôt, ou qui devrait engendrer chez le lecteur toutes sortes d’impressions mélangées, dominées par une sensation de malaise irréfrénable. L’auteur, Jerry Stahl, en effet, y raconte comment, alors qu’il touchait le fond d’une dépression qui ne cessait de le miner, il entreprit de participer à un voyage organisé, en car, sur les lieux de l’Holocauste. En somme, un roadtrip dans les camps de la mort de Pologne et d’Allemagne ! Oui, on peut trouver ce genre de proposition, aussi étonnant que cela puisse paraître, chez certains tours opérateurs !
Le livre narre donc ce voyage dans les principaux camps de concentration nazis d’Auschwitz-Birkenau, Buchenwald et Dachau avec un passage par Nuremberg où furent édictées les lois raciales du troisième reich (comme Jerry Stahl lui-même, je ne mets pas de majuscules à ces mots) et où fut tourné, en 1935, le documentaire de Léni Riefenstahl, Le Triomphe de la Volonté.
Quel que soit le lieu visité, Jerry Stahl ne se dépare jamais de son humour grinçant. Mais il émaille aussi son texte de considérations et de réflexions des plus pertinentes, ne ménageant rien ni personne, ni l’agencement des lieux de mémoires, ni les divers employés qui y travaillent, ni les touristes avec qui il voyage, ni lui-même. Plusieurs constatations surgissent à ces occasions, entre autres l’ignorance crasse des hommes et des femmes d’aujourd’hui sur ce qui s’est réellement passé à l’époque du nazisme.
L’auteur est effaré par ce qu’il découvre dans les différents lieux, comme ce restaurant qui a été construit au camp d’Auschwitz : « En règle générale, écrit-il, les cimetières ne sont pas équipés de bars-restaurants ». Et, plus loin : « … difficile de ne pas imaginer la réaction du père Kolbe et de ses comparses en Cellule de la Faim si on les ramenait d’entre les morts pour les laisser déambuler jusqu’à Calzone-ville. » À Buchenwald, Jerry Stahl évoque longuement la figure d’Ilse Koch, surnommée « la chienne de Buchenwald », qui fit l’objet, aussi incroyable que cela puisse paraître, d’un film en 1975. À Dachau, il n’y a pas de restaurant mais une boutique de souvenirs ( !) et des lieux de culte catholique et protestant, ce qui suscite les interrogations de Jerry Stahl : « Loin de moi l’envie de minimiser les souffrances des catholiques, précise-t-il. L’Enfer reste l’Enfer. Je m’interroge juste… Est-ce malvenu d’évoquer le traumatisme engendré par la passivité des dirigeants catholiques ? » Et de rappeler le silence de Pie XII, tout comme l’antisémitisme de Martin Luther, ce qui, ajoute-t-il, rend encore plus admirable le courage d’un Dietrich Bonhoeffer (l’exception qui confirme la règle).
Jerry Stahl ne se pose pas en accusateur, cependant, ou, quoi qu’il en soit, il n’est pas plus tendre avec lui-même qu’avec les autres. Lui-même est habité, tout au long du voyage, par de la honte et il lui faut bien reconnaître son incapacité à éprouver ce qui conviendrait en de tels lieux. Certes, Dachau apparaît aujourd’hui comme « semi-aseptisé » mais cela ne suffit pas à expliquer combien ce qu’on ressent est peu de chose au regard des événements effroyables qui se déroulèrent dans ces camps. Il y a comme une incapacité non seulement à se le représenter mais à l’endurer d’une manière ou d’une autre. En vérité, conclut l’auteur, « c’est presque insultant pour les morts de croire qu’il serait possible et convenable de ressentir quelque chose qui soit digne de ce qu’ils ont enduré. »
Néanmoins, le voyage n’aura pas été vain si l’on en juge par ce qu’écrit Jerry Stahl à la fin de son ouvrage : «… j’aimerais que la douleur et la souffrance causées par la Shoah (…) puissent servir de passerelle vers le martyre enduré par d’autres. » Ajoutons, comme le suggère Jerry Stahl, que cela peut aussi éclairer sur ce qui se passe aujourd’hui, entre autres aux États-Unis avec Donald Trump. Dans une postface en forme de dialogue avec Ben Stiller, Jerry Stahl rappelle qu’au moment où il écrivait son livre, « le phénomène Trump était en marche » et qu’on aurait bien tort de le prendre à la légère : « … Hitler aussi était un rigolo de kermesse, et ça échappe à pas mal de monde. Les gens ne le prenaient pas au sérieux. Ils le trouvaient ridicule. »
Enfin, et c’est le plus important, même si Jerry Stahl a été habité par la honte, le voyage n’a pas été inutile pour lui-même : « Tout ce que je sais, c’est que depuis mon retour d’Europe de l’Est, (…) je n’ai jamais autant aimé mes enfants… ni craint mes voisins, mon pays, le siècle où je vis. » « … la Shoah, ajoute-t-il pour finir, n’était guère une exception. L’exception, ce sont les laps de temps entre chaque holocauste. Alors un conseil : savourez-les, ces moments. »

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