Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser

Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Arts, loisir, vie pratique => Arts (peinture, sculpture, etc...)

Critiqué par Poet75, le 3 mars 2024 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (50 351ème position).
Visites : 1 259 

Une histoire de transmission

C’est le succès littéraire surprise du moment : ce roman, dans lequel il est surtout question de visites de musées, de descriptions d’œuvres d’art et de commentaires à leur sujet, se vend, paraît-il, comme des petits pains ! Écrit par un historien de l’art, qui connaît donc parfaitement le sujet qu’il aborde, le livre se présente à la fois comme un ouvrage de vulgarisation et comme une passionnante enquête, très érudite sans être jamais rébarbative, sur l’histoire de l’art, le tout prenant la forme d’un véritable roman, car il y est question d’une histoire d’apprentissage et de transmission (et de découverte de soi) entre un grand-père et sa petite-fille.
L’histoire est habilement conçue. C’est celle de Mona, fillette de neuf ou dix ans au début du récit, qui, un jour, perd momentanément la vue. Inquiets, ses parents la font examiner par un médecin pour qui les causes de cette cécité temporaire doivent être recherchées plus avant au moyen d’une série d’examens. Cependant, pressentant qu’il peut s’agir d’un psycho-traumatisme, le docteur propose de faire suivre l’enfant par un pédopsychiatre. C’est alors qu’intervient le grand-père : c’est lui qui est chargé, chaque mercredi, de conduire la petite Mona à ses rendez-vous. En vérité, le malicieux aïeul propose à l’enfant une tout autre thérapie : chaque mercredi sera consacré à une visite de musée et à la découverte et à la contemplation d’une œuvre d’art, ce qui permettra à Mona de se gorger de beauté avant de perdre, éventuellement, la vue. La fillette accepte avec enthousiasme en jurant de garder le secret.
La structure du roman est, dès lors, établie. Il se compose de 52 chapitres, tous construits de manière identique, chacun d’eux étant centré sur la visite d’une œuvre d’art, accompagnée d’un dialogue explicatif et instructif entre le grand-père et la petite-fille avec, à la clé, à chaque fois, une sorte de leçon à garder précieusement. Chaque chapitre débute par le récit des moments de vie de Mona soit avec ses parents, soit à l’école, soit avec le médecin. Au fil des pages, on apprend aussi combien Mona était attachée à sa grand-mère Colette, dont l’histoire et le décès tiennent une place de plus en plus grande et déterminante dans ce récit. Chaque chapitre se poursuit avec la description détaillée d’une œuvre d’art, puis avec les dialogues qui en découlent, le grand-père situant chaque œuvre dans l’époque de sa création ainsi que dans la vie de son auteur, la petite Mona donnant proposant à l’aïeul le fruit de ses perceptions, de ses réflexions ou de ses questionnements.
Le livre se présente donc à la fois comme un véritable roman, à l’histoire touchante et délicate, et comme une œuvre didactique, un enseignement sinon sur l’histoire de l’art, en tout cas sur ses grandes évolutions, avec, toujours, cependant, le souci d’en préserver l’unité, de rappeler les liens entre les œuvres récentes et les œuvres anciennes. Impossible, on l’imagine, pour le grand-père et sa petite-fille, de visiter tous les musées du monde. Nous devons donc nous contenter de trois musées parisiens, le Louvre, Orsay et Beaubourg, et de 52 œuvres, autant que de semaines dans une année. De Sandro Botticelli jusqu’à Pierre Soulages, en passant par beaucoup de grands noms de peintres, sculpteurs et autres artistes avec, remarquons-le, un nombre conséquent de femmes, le livre a le grand mérite de nous inciter, nous les lecteurs, à voir, à revoir, tout comme la petite Mona, chacune des œuvres dont il est question, y compris celles que nous croyons connaître le mieux, comme l’incontournable Joconde. Que nous soyons familiers ou non des œuvres choisies par Thomas Schlesser, il y a fort à parier que la lecture de ce livre suscitera le désir de s’approprier ou de se réapproprier ces œuvres, de les contempler une fois encore avec, probablement, avec un regard renouvelé. L’ouvrage aura alors atteint son but : non pas seulement délivrer un enseignement, ni même retenir chacune des leçons proposées par le romancier, mais, se laisser regarder par chacune des œuvres autant que nous les regardons nous-mêmes. De tels échanges, on ne peut sortir que durablement enrichis.

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le verbe de la Moraline

3 étoiles

Critique de Homo.Libris (Paris, Inscrit le 17 avril 2011, 58 ans) - 30 septembre 2024

Mona, dix ans, est menacée de cécité complète à plus ou moins court terme. Son grand-père, amateur d'art, décide de lui présenter chaque semaine pendant une année une oeuvre choisie (peintures et sculptures) des musées du Louvre, d'Orsay, et de Beaubourg, pour qu'elle s'imprègne de la beauté avant de vivre dans l'obscurité.
Le livre est donc divisé en cinquante-deux chapitres, chacun d'eux étant dévolu à une oeuvre. Chaque chapitre est construit peu ou prou en quatre parties : introduction sous forme d'une tranche de vie de Mona accompagnée d'une petite fable moralisatrice (niveau CE2), présentation de l'oeuvre choisie, commentaire et interprétation de cette oeuvre (incluant sentiments du grand-père – l'auteur- et sensations de la petite-fille), courte conclusion pour clore le chapitre. Toutes les oeuvres sont illustrées en miniature sur la jaquette du livre – il eut été plus judicieux de les présenter en plus grand format au début de chaque chapitre, mais le coût du livre s'en serait ressenti !).

Les petites fables moralisatrices sont pour la plupart niaiseuses, lénifiantes, voire bêtifiantes, écrites dans un pur style gnangnan. D'autre part, il est étonnant pour un auteur qu'on devine érudit d'utiliser un vocabulaire imprécis, voire approximatif : confusion entre dentition et denture (p.71), entre échange et conversation (p. 75), Allemand et Allemagne (p.174), etc.

Côté "leçon d'histoire de l'art".
Thomas-Schlesser oublie qu'une des propriétés de l'art, notamment pictural ou sculptural, c'est qu'il y a autant d'interprétations d'une oeuvre que d'observateurs. Or il ressort de ce livre, une absolue certitude de détenir la vraie vérité universelle, que ce soit dans l'interprétation des oeuvres commentées que dans les petites leçons de morale annexes. D'autant plus étonnant que l'auteur stipule (p. 216) : "Les gens doivent avoir le droit de penser et de dire absolument ce qu'ils veulent" (p. 216) ; est-ce vraiment le cas dans les sociétés occidentales actuelles ? Allez hop, je replace une de mes citations préférées : "Ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres" Léo Ferré.
L'auteur est trop sûr de savoir ce que les artistes ont voulu mettre dans leurs oeuvres - une seule fois dans ce livre j'ai relevé un peu d'humilité : "Pour ma part, je crois que …" (p. 93)-. Certaines de ses assertions m'ont fortement intriguées : j'ai beaucoup de mal à croire que le serment des Horaces (tableau de Jacques-Louis David) représente "l'idéal des Lumières, […] fondé sur l'appel à la raison, au civisme, à l'égalité pour toutes et tous, contre les intérêts égoïstes, l'arbitraire du pouvoir et l'obscurantisme […]" (p.150), étonnante interprétation donc quand on sait que les Horaces étaient une triade de guerriers romains engagés contre les Curiaces, champions albains, dans un combat sanguinaire pour l'hégémonie absolue de l'une des deux cités dans le Latium, quand on sait que l'Horace vainqueur tua sa soeur amoureuse d'un Curiace, ennemi de la patrie, et quand on connait la suite de la carrière du peintre David !
Autre sujet d'étonnement, le choix des oeuvres. Bien sûr, l'art est très subjectif, les goûts et les affinités ne se discutent pas, et l'auteur est maître de ses choix. Mais montrer un tableau d'une bête écorchée à une jeune fille menacée de cécité pour qu'elle se souvienne de la beauté visuelle, me laisse un peu pantois ! Fort heureusement, cette jeune enfant est d'une maturité étonnante pour son âge … ce qui est très arrangeant pour la démonstration, mais très éloigné de la réalité quotidienne… Ah, vivre dans les tableaux et oublier la noirceur des trottoirs …

Bon, tout n'est pas négatif dans ce livre. Son intérêt principal tient dans les nombreuses informations ampliatives sur la vie des artistes, leur oeuvre, leurs fréquentations, l'environnement socio-historique de la conception des oeuvres présentées, etc. Mais, quant à écrire un "catalogue" d'oeuvres choisies, tout cela aurait pu faire l'objet d'une simple brochure "L'art pour les nuls", sans les fioritures romancées pour le moins malencontreuses.
L'auteur émet également plusieurs remarques judicieuses : "Il est impossible de regarder un tableau ancien en faisant comme si nous ne connaissions rien de ce qui lui a succédé. Les millions d'images postérieures jusqu'à aujourd'hui orientent rétrospectivement notre opinion." (p. 185)

Dernière remarque : si l'auteur est pointu en Histoire de l'Art, en revanche, ses données sur L Histoire sont pour beaucoup approximatives ou pour le moins régurgitées à la va-vite, voire des clichés colportés par différents régimes dont l'intérêt est évidemment d'en dénigrer d'autres par des mensonges. Quelques exemples parmi d'autres : "les Huns est un peuple du moyen-âge" – avant Attila, ces braves gens n'existaient pas !- ; "L'agneau renvoie dans la tradition des juifs et des chrétiens […] au sacrifice du Messie" – chez les Juifs ? le Messie est venu et a été sacrifié ? - ; "Louis-Napoléon […] s'accapare le pouvoir et devient tyrannique" - grand poncif du révisionnisme historique de la troisième république qui a tout de même commencée par les présidences de Thiers puis de McMahon, deux royalistes purs et durs, tenant de l'Ordre Moral, dont le régime n'a pas été un exemple flagrant de politique libérale.

Une découverte en demi-teinte

7 étoiles

Critique de Hervé28 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans) - 4 mars 2024

Attiré par le battage médiatique fait autour de ce livre, je me suis précipité chez mon libraire pour l'acheter mais le tirage était déjà épuisé.
C'est dire l'intérêt du public pour cet auteur quasiment inconnu. Après avoir enfin attendu, j'ai enfin pu récupérer mon exemplaire.
J'ai trouvé la démarche de l'auteur, originale et intrigante. La découverte de 52 œuvres sur autant de chapitres , en compagnie de Mona et de son grand-père est pour le lecteur que je suis, très intéressante. Il faut souligner au passage, la qualité éditoriale du livre, qui en dépliant la couverture, nous permet de découvrir les œuvres citées, même si je n'ai pu m'empêcher d'aller sur internet pour mieux visualiser certains tableaux ,les reproductions étant parfois trop petites (comment feront-ils pour l'édition de poche?).
A travers une déambulation à travers les musées du Louvre, d'Orsay et de Beaubourg, Thomas Schlesser nous donne presqu' envie de retourner au musée pour admirer ces toiles ou sculptures plus ou moins connues. Pari réussi donc pour l'auteur... mais j'avoue être moins enthousiaste que certains sur les qualités littéraires de l'ouvrage.
En effet, les dialogues du grand-père avec sa petite fille Mona, ne reflètent en rien les paroles que peuvent échanger deux personnes de cet âge. Ici, Mona s'exprime beaucoup plus comme une jeune adulte que comme une môme de CM2. Même le grand-père lui parle comme à une adulte. Ce point m'a dérangé tout au long de ma lecture.
Mais aussi, le côté répétitif des chapitres (moment de vie de Mona, description du tableau ou de la sculpture, et petite leçon de vie ou de morale) finit par lasser.

En fermant ce livre, j'ai eu la même impression que j'avais eu quelques années plus tôt avec "le monde de Sophie" où l'auteur finalement réalisait un ouvrage de vulgarisation de la philosophie.

Alors oui, le but de l'auteur est atteint, faire découvrir, ou plutôt redécouvrir , l'intérêt de l'Art à travers les yeux de Mona, mais je reste un peu déçu sur la forme.

A lire tout de même.

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