Paysage perdu de Joyce Carol Oates

Paysage perdu de Joyce Carol Oates
(The lost landscape)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Poet75, le 16 février 2024 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 249ème position).
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Souvenirs d'une grande écrivaine

On se doutait que, dans l’abondante production littéraire de Joyce Carol Oates, un nombre important de romans et de nouvelles se nourrissaient d’éléments autobiographiques. Ce livre en apporte la confirmation. Mais surtout, pour tous ceux qui apprécient cette romancière et pour ceux qui voudraient la découvrir, il s’agit là, plutôt que d’une autobiographie en bonne et due forme, d’un florilège de souvenirs sur son enfance, son adolescence et sa prime jeunesse dont la sincérité et la justesse de ton confinent à la perfection. La petite fille de la couverture, au sourire espiègle et aux yeux qui pétillent de malice, nous invite à entrer dans son monde, un monde d’abord restreint, celui de la ferme familiale, sise dans l’Etat de New-York, là où, enfant d’une famille pauvre venue, du côté maternel, de Hongrie mais entourée de parents aimants et aimés, la petite Joyce découvrit son environnement, la végétation, les poiriers dont on récoltait les fruits pour les vendre, les animaux, poules et coqs en particulier.
Joyce Carol Oates se plaît à égrener nombre des souvenirs précieusement conservés de sa proximité avec ses parents, entre autres son père qui, féru de boxe, parvint à lui transmettre sa passion. L’écrivaine raconte aussi comment, très tôt, en lisant Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles puis De l’autre Côté du Miroir de Lewis Carroll, elle fut séduite par la puissance de l’écrit, des histoires racontées dans les livres. Mais elle évoque également ces faits douloureux et bien réels : l’histoire d’une camarade d’école, Cynthia, élève douée qui, cependant, en vint à se suicider à l’âge de dix-huit ans ; celle de sa sœur cadette Lynn Ann, née dix-huit ans après elle, dont on diagnostiqua qu’elle souffrait d’un autisme sévère qui la rendait violente au point que les parents, à leur corps défendant, durent accepter de se séparer d’elle pour la placer dans un foyer. Au passage, l’écrivaine pointe du doigt les médecins qui eurent le front de suggérer que sa mère était responsable de l’autisme de Lynn Ann, des médecins, des psychanalystes misogynes, parmi lesquels le « père de la gynécologie moderne », le Dr Sims : c’est un comble !
Si ces pages consacrées, les unes à Cynthia, les autres à Lynn Ann, comptent parmi les plus touchantes de l’ouvrage, d’autres, bien moins dramatiques, n’en sont pas moins précieuses à divers titres. Joyce Carol Oates raconte ses années d’université, sa rencontre avec Raymond Smith, l’homme dont elle tomba aussitôt amoureuse et qu’elle épousa, ainsi que ses débuts d’écrivaine. Elle se plaît aussi à se remémorer, assez longuement, comment, petite fille, elle fréquenta d’abord, sur l’invitation d’une camarade, l’église méthodiste, avant de devoir, avec ses parents et à la suite d’une sorte de marchandage avec un curé, intégrer l’église catholique locale. La messe en latin et tout le catéchisme catholique (le catalogue des péchés mortels et des péchés véniels dont il fallait s’accuser !) lui parurent terriblement rébarbatifs et l’on ne s’étonne pas qu’elle en vint, plus tard, à prendre ses distances d’avec tout ce fatras hypocrite. Plus tard encore, explique-t-elle, en lisant certaines œuvres de Nietzsche, elle trouva, écrit-elle, « l’arme qu’il me fallait pour contrer mes années de passivité forcée de quasi chrétienne ».
Ce livre, passionnant de bout en bout, ne manquera pas de susciter l’intérêt de celles et ceux qui sont déjà familiers de l’œuvre de Joyce Carol Oates. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore lue, il pourrait servir de porte d’entrée.

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Les éditions

  • Paysage perdu [Texte imprimé], de l'enfant à l'écrivain Joyce Carol Oates traduit de l'anglais (États-Unis) par Claude Seban
    de Oates, Joyce Carol Seban, Claude (Traducteur)
    Points / Points (Paris)
    ISBN : 9782757871041 ; 8,70 € ; 11/04/2019 ; 456 p. ; Poche
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Un métier, une passion

9 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 23 août 2024

Il est des autobiographies qu’on n’a pas envie de lire : le personnage nous intéresse peu, le récit est trop nombriliste, trop mal écrit…
Et puis, il y a les écrivains talentueux qui en font un roman passionnant.
Joyce Carol Oates raconte ses souvenirs personnels bien sûr et les conditions de vie de son époque dans un petit village rural à l’ouest de l’état de New York où elle vivait dans la ferme familiale, avec les beaux-parents de sa mère, ses parents, et son ami Heureux, un poulet apprivoisé jusqu’à l’âge de 5 ans.
On ne s’ennuie jamais à la lecture de son récit, aux nombreuses anecdotes, accompagné de photos personnelles, mais aussi de réflexions sur la précarité de la vie professionnelle, la pauvreté, l’enseignement dans les campagnes, la condition féminine, la religion...
Au travers des grandes étapes de sa vie, elle raconte les événements et les lectures qui ont jalonné son existence et qui ont fait d’elle une écrivaine de renommée internationale.
Comme le jour de ses six ans, où sa grand-mère paternelle a posé le premier jalon de ce qui deviendrait sa passion, son métier, en l’emmenant s’inscrire à la bibliothèque, où elle découvrira Alice au pays des merveilles. Et c’est elle aussi qui, quelques années plus tard, lui offrira sa première machine à écrire.
Puis ses études à l’université, la vie difficile d’une étudiante boursière au milieu de jeunes gens de familles aisées. Le suicide d’une amie, la jalousie d’une autre, l’entrée dans un monde où elle sent qu’elle n’est pas à sa place.
Puis la naissance de sa petite sœur autiste sévère le jour de ses dix-huit ans, son mariage…
" Nous avons eu de la chance, et nous avons été heureux, et je crois que nous l’avons toujours su."

Et c’est un peu surprise que j’ai découvert qu’à quelques milliers de kilomètres et vingt années de différence, je partageais de nombreuses constatations et certaines idées.
"Il y avait en ce temps-là une insouciance et une fougue qui, dans notre époque plus précautionneuse où les parents ont tendance à surprotéger leurs enfants, nous paraissent bien lointaines. Rappelez vous que c’était une époque où les ceintures de sécurité n’existaient pas et où quasiment tout le monde fumait."

Consciente que sa mémoire a refusé certains souvenirs, (comme la mort d’Heureux le poulet ), elle pense au passé tu de ses parents, ces secrets de famille que les enfants "savent".
"Un écrivain est peut-être quelqu’un qui, dans l’enfance, apprend à chercher et à déchiffrer des indices ; quelqu’un qui écoute avec attention ce qui est dit afin d’entendre ce qui ne l’est pas ; quelqu’un qui devient sensible aux nuances, aux sous-entendus et aux expressions fugitives des visages."

On dit souvent que les grands auteurs, les grands artistes sont des personnes qui ont vécu de grands malheurs, Joyce Carol Oates en est un contre-exemple parfait, choisissant de survoler les mauvais moments et de ne s’étendre que sur les moments de bonheur.
Alors que l’enfance de l’autrice semble pour le lecteur, difficile, dans une ferme, à l’école, dans une période de récession économique, celle-ci nous donne une superbe leçon de vie, "se souvenir des belles choses."
Superbe

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