Maintenant, foutez-moi la paix ! de Philippe Delerm
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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Un beau portrait de Paul Léautaud, écrivain et homme complexe, à la fois féroce, caustique, détestable et émouvant dans ses contradictions et sa solitude
Ce petit livre de Philippe Delerm, dont j’ignorais la passion pour Proust et Léautaud (les deux écrivains principaux de sa « sentimenthèque », pour reprendre un joli néologisme de Patrick Chamoiseau quand il évoque les écrivains qui l’ont le plus marqué, sans pour autant être toujours ses écrivains préférés), brosse, comme à petits coups de pinceaux, un portrait subtil de Paul Léautaud, homme épris de solitude, brusque avec ses amis et amoureux des animaux, et écrivain complexe et déroutant, y compris pour ses proches, par sa franchise caustique et ironique…
Léautaud est aujourd’hui connu pour son journal en vingt volumes, dont la publication a commencé dans les dernières années de sa vie, après que ses entretiens radiophoniques avec Robert Mallet l’ont rendu brutalement célèbre auprès d’un public conquis par sa liberté de ton. Employé au « Mercure de France », il a côtoyé tous les grands écrivains du siècle et aurait pu lui-même devenir un écrivain réputé (il fut d'ailleurs pendant quelques années pressenti pour l'un des premiers prix Goncourt) mais il a, volontairement, choisi de mener une vie solitaire et presque recluse, sans confort matériel, au milieu de dizaines d’animaux, qui lui ont donné une réputation d’esprit « bohême ». Or Léautaud est tout le contraire d’un bohème : il est plutôt animé par une forte misanthropie, qui se décline de toutes les manières possibles, allant jusqu’à prendre plaisir à rudoyer les gens qui l’aiment et l’apprécient, ce qu'illustre parfaitement le titre du livre qui reprend ses dernières paroles, prononcées sur son lit de mort. Léautaud n'aime pas remercier et n'aime pas qu'on cherche à lui être agréable ; son journal montre ainsi qu'il n'a pas apprécié les multiples sollicitations et compliments suscités par la célébrité acquise à la fin de sa vie. Au contraire, il apprécie une certaine rudesse dans les sentiments et une totale franchise dans les propos, quitte à vexer des proches, ce qui, paradoxalement, a conduit ses contemporains à rechercher ses avis, car ils étaient sans complaisance. Un éloge de Léautaud avait du prix et Delerm évoque longuement le malentendu amusant entre Léautaud et Gide, qui avait pris pour lui le portrait flatteur d'un écrivain dressé par Léautaud dans une de ses chroniques, qui n'avait pas cru nécessaire de préciser, tant cela était pour lui évident, qu'il s'agissait de Stendhal ! Toutefois, Delerm, malgré sa tendresse pour Léautaud, ne fait pas mystère de ses défauts et des nombreuses considérations racistes, antisémites et misogynes qui émaillent le journal et l’apparentent au final à un anarchiste ultra-conservateur et antimoderne. Il ne tolère les femmes (malgré les attentions et même l'affection que plusieurs eurent pour lui) qu’en tant que partenaires sexuelles (et le Journal n'élude rien de ses attentes et de ses déceptions !), méprise les juifs et les "nègres", et abhorre le progrès, qu’il soit technologique (il déteste l’électricité, et regrette le temps où il s’éclairait à la bougie et se chauffait au feu de sa cheminée) ou politique (il méprise la foule et les principes démocratiques). Cela dit, Léautaud déteste également Maurras, l’Action Française et les mouvements fascisants des années 30. Les seules créatures qui trouvent grâce à ses yeux sont les animaux, qu’il chérit et dont il prend soin autant qu’il peut, accueillant et nourrissant chiens et chats errants avec un dévouement et une passion qu’il conserva tout au long de sa vie.
Alors, d’où vient la tendresse, presque l’amour, de Philippe Delerm pour Léautaud, dont l’attitude et les idées devraient plutôt susciter son aversion ? En fait, Delerm admire en Léautaud (qu’il a découvert dans son adolescence) une vie, comme celle de Proust, consacrée à l’écriture et portée par une volonté farouche de non-compromis. Léautaud admire les penseurs et moralistes du 18ème siècle (Voltaire, Chambord, etc.), Stendhal (celui du « Journal ») et Saint-Simon, dont les mémoires furent peut-être le modèle de son célèbre Journal. Le Journal ne fut publié que grâce aux soins de Marie Dormoy, alors directrice de la bibliothèque Doucet, malgré l’attitude de Léautaud, souvent injustement brutale et cassante alors que Marie Dormoy se montrait d'une patience et d'une honnêteté admirables, allant jusqu'à conserver des passages insultants envers elle (sur son physique, sur son travail, etc.) que tout autre éditeur ou éditrice aurait supprimé. Delerm, dans cet essai au ton personnel et intimiste, confie aussi une certaine tendresse pour un homme complexe, souvent contradictoire (la lecture du « Journal » montre un homme souvent péremptoire mais capable de changer d’avis du jour au lendemain) et solitaire autodidacte et élitiste, indifférent à ses contemporains sauf ceux avec lesquels il se reconnaissait une proximité d'âme. Cette austérité cache sans aucun doute des blessures jamais refermées car il fut très jeune abandonnée par sa mère, avec laquelle il tenta vainement de rester en contact, et grandit auprès d'un père volage, qui multipliait les aventures et se souciait peu de lui.
Les éditions
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Maintenant, foutez-moi la paix !
de Delerm, Philippe
Gallimard
ISBN : 9782070359837 ; 6,10 € ; 27/08/2009 ; 160 p. ; Poche
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