L'enlèvement sans clair de lune ou les propos et les amours de M. Théodore Decalandre de Tristan Derème
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Concentré de fantaise étincelante
Théodore Decalandre est un personnage créé par Tristan Derême comme un double de lui-même, l’identité des initiales étant limpide. Plus âgé, donc plus mûr,et plus raisonnable, il raconte néanmoins ses souvenirs de jeunesse dans lesquels on peut lire ceux de l’auteur lui-même.
L’abondante préface (un quart de l’ouvrage) utilise un procédé insolite, puisqu’elle est signée du personnage lui-même, qui se permet quelques rosseries à l’égard de son créateur, dans un savoureux exercice d’autodérision. C’est un extrait de cette même préface qui décrit le mieux la forme de pensée et d’écriture à l’œuvre tout au long de cet ouvrage, entre récit, essai et témoignage. Ainsi nous lisons :
« D´une pensée en jaillit une autre et mille autres, comme d´une graine sort une tige, des rameaux, des feuilles, des fleurs, des fruits, des couleurs, des parfums et toutes les musiques au vent léger qui émeut les branches. Ainsi, que l’on médite d´un tabouret ou d´un volcan, que l´on considère le bec d´un bouvreuil ou les profondeurs obscures de la mer, le moindre objet comme le plus vaste est un égal tremplin pour la pensée qui veut bondir et rebondir et s´enivrer aux nappes du temps et de l´espace. »
Il faut donc comprendre et apprécier cette écriture arborescente, voire effervescente, pour estimer à leur juste valeur ces épisodes parfois relativement mineurs qui sont le point de départ de développements brillants et spirituels. Car c’est bien d’un certain esprit à la française qu’il s’agit ici : ni vraiment du franc comique, ni non plus de l’humour à l’anglaise, mais un ton de fantaisie léger, sans posture, « sans rien en lui qui pèse ou qui pose » pour paraphraser le poète, comme le fait d’ailleurs Derême dont la plume est littéralement guidée par la poésie. Sa prose, outre qu’elle est farcie de vers de toutes provenances, semble contaminée par les innombrables réminiscences poétiques dont son esprit est littéralement pétri. Ainsi dans cet extrait : « D’un verre de cristal, il aspirait je ne sais quel horrible mélange qui n’était point noir, certes, ni sans honneur, sans doute, mais dont la teint évoquait à la fois la peau d’aubergine et la topaze. », il est permis de retrouver le célèbre alexandrin de Stéphane Mallarmé : « Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange. » C’est un perpétuel jeu d’allusions et de clins d’œil adressés au lecteur connaisseur. La poésie est d’ailleurs au cœur des "propos" de Monsieur Decalandre, notamment lorsqu’il proclame : « Je ne sais ce que vaut ma méthode, mais vous pensez comme moi qu’il n’est pas de poésie sans une règle et que l’expression "vers-libre" est synonyme de l’expression "rond-carré". »
Autres points de départ de ces réflexions, le cadeau que Decalandre fit à Francis Carco d’un poisson rouge qui vingt ans plus tard nageait toujours dans son bocal, pour une raison toute drolatique, ou, dernière aventure narrée, la déconvenue du jeune homme qui projetait d’enlever sa fiancée une nuit de pleine lune, mais qui échoua, pour la raison que suggère le titre, mésaventure dont il se remit car, dit le poète :
« Si l’on mourait pour une arête dans le corps,
Tous les poissons, depuis des siècles, seraient morts. »
Les éditions
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L'enlèvement sans clair de lune ou les propos et les amours de M. Théodore Decalandre
de Derème, Tristan
Emile-Paul Frères
ISBN : SANS000066298 ; 01/01/1925 ; 151 p.
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