Shakespeare dans une baignoire de Pierre Soletti

Shakespeare dans une baignoire de Pierre Soletti

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Débézed, le 8 mars 2023 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
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L'art en vers

J’ai découvert Pierre Soletti, avec son frère Patrice, en lisant un récit de voyage mis en pages, poèmes et dessins, et en musique dans le Projet Delta(s), un ensemble livre, CD, DVD qui raconte le retour de leur grand oncle sur ses terres natales dans le delta de l’Ebre en Catalogne. Aujourd’hui, je retrouve Pierre, le poète, seul dans un ouvrage dont il convient tout d’abord de souligner la très belle qualité matérielle. Un livre grand format confectionné avec un papier de très belle qualité pour accueillir des poèmes souvent très courts, qui n’occupent que le centre de la page, Une mise en page moderne, très aérée, originale qui laisse une large place aux illustrations : photos, dessins, reproductions, graphes…

Dans cet ouvrage en forme de recueil, Pierre Soletti raconte dans des poèmes de diverses formes et longueurs ce qu’il a éprouvé en contemplant l’œuvre d’Ernest Pignon Ernest dont j’ai souvent admiré l’immense fresque ornant un mur du centre-ville de Belfort. Il évoque ensuite son admiration pour Ingres et son fameux violon (« peint-il ses notes comme il joue du pinceau ? ») et une étude pour Jésus parmi les docteurs. « ingres ultramoderne malgré lui / ingres pour moi / est moderne par malentendu / par la lecture / que j’en fais ».

Pierre se passionne pour les arts en général, il a évoqué son intérêt pour la peinture avec Ernest Pignon Ernest et Ingres mais il est aussi féru de littérature, son art de prédilection, notamment la poésie et le théâtre, ce n’est donc pas étonnant qu’il consacre une bonne partie de ce recueil à Shakespeare. Shakespeare qu’il traque dans tous les documents qu’il peut dénicher pour découvrir le personnage plutôt que l’homme qui était un casanier peu intéressant selon la légende qu’il a laissé. « Shakespeare / écrit des pièces pour / quitter la sienne / sa mansarde étroite ». Le personnage iconoclaste qui a bousculé les règles du théâtre classique, l’intéresse davantage, « Il marche sur les frontières / il ne respecte aucune unité /ni de temps ni de lieu / … ». « On laisse faire les poètes / qui refont le monde /on ne sait jamais / … ».

Pierre essaie de donner une image de Shakespeare plus proche de ce qu’il a été que de ce que la légende et l’enseignement scolaire en ont transmis. Selon lui, malgré sa médiocrité en orthographe, il aurait été un grand créateur de mots, un inventeur du langage, un roi du néologisme, « Il aurait inventé / plus de 2000 mots / & bon nombre d’expressions / … ». Pierre relate les différentes façon dont il écrivait, par exemple, le silence : « silencio / silenzio / silens / cilensz ». La forme des mots semblait moins lui importer que leur sens et leur charge affective, émotionnelle, dramatique, sensuelle, … Maître du drame, Shakespeare avait aussi un réel talent pour des formes littéraire plus proche de celles que nous pratiquons actuellement. Par exemple, j’ai bien aimé ce joli clin d’œil qui associe l’œuvre, Roméo et Juliette, son auteur et les moyens de communication moderne, un véritable aphorisme surréaliste : « … / son portable sonne / pendant sa lecture / Shakespeare répond / c’est Juliette // elle ne veut pas mourir / … ».

Pour conclure ce recueil, Pierre nous offre encore une autre pirouette, il invite Shakespeare à la table de Robert Wyatt, le célèbre batteur chanteur de rock, car le dramaturge aime le dernier disque du rockeur. C’est Pierre qui le dit et moi j’aime ces raccourcis et ces rencontres incongrues, impensables, surréalistes dans le monde de l’art car l’art il n’y a pas d’âge, ni d’époque, il n’y a que du talent. Merci Pierre de nous le rappeler. « Robert Wyatt / vole // il boit des pintes / avec Shakespeare // dans un pub / au coin de la rue / au coin d’une rue / en tout cas // Shakespeare aime / Bottom / il le lui dit ». De là à évoquer une proximité politique, je ne m’y hasarderais pas mais Pierre y croit : « … / Shakespeare est communiste / Robert Wyatt / est poésiquement de même ». Alors…

Ce recueil nous a baladé de la peinture à la tragédie en passant par le rock and roll en faisant tourner le disque du temps et des talents qui se rencontrent et se percutent, laissons à l’auteur le soin de conclure : « le disque / a fini de tourner / sur le plateau / la mer a rangé / ses cheveux / nous voilà / revenus sur terre / sensiblement / différent ». Et pourtant, nous étions si bien là-haut entre William et Robert, derrière Ernest et Jean-Auguste-Dominique…

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