Les Pieds nus de lumière de Kenji Miyazawa
Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Nouvelles , Enfants => Contes et légendes
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Des contes merveilleux, ancrés dans la vie quotidienne des campagnes japonaises mais universels par leur beauté et leurs résonances parfois pleines d'une lancinante tristesse
J’ai découvert ce recueil de Kenji Miyazawa (1896-1933), que je ne connaissais pas, au hasard d’une boîte à livres de rue et je ne remercierai jamais assez la bonne âme qui eut la gentillesse de l’offrir en partage. L’écriture de Miyazawa m’a réellement subjugué par une capacité extraordinaire à brasser le merveilleux, le fantastique, le mythologique, le poétique - et même le scientifique - comme si le monde réel était soudain ré-enchanté par la révélation d'autres mondes ignorés et cachés en son sein. Pourtant, si l’œuvre est un recueil de contes (d’une quinzaine de pages en moyenne) qui peuvent plaire aussi bien à un public adulte qu'à un jeune public, l’ambiance n’est pas celle des contes de fées européens et distille parfois une atmosphère angoissante, car la mort, la solitude et même la cruauté sont très présentes au cœur des récits. Il n'y a toutefois aucune noirceur morbide : le ton reste toujours lumineux et léger, et n'est pas non plus exempt d'humour.
Mon ressenti de lecteur est en fait très proche de mon ressenti de spectateur devant des dessins animés japonais comme « Le voyage de Chihiro » ou « Le tombeau des lucioles ». J’avais jusqu’à présent cru que les chefs d’œuvre du studio Gubi reflétaient l’imagination extraordinairement fertile de ses créateurs : je m’aperçois qu’ils reflètent surtout une dimension de l’âme japonaise, également présente dans ces œuvres écrites au début du vingtième siècle. A moins que le studio Gubi ne puise directement dans les contes de Miyazawa ? Miyazawa est un auteur prolifique mais il n’accéda à la reconnaissance qu’après sa mort, grâce aux efforts de ses proches pour faire découvrir ses textes. Cette gloire posthume atteinte grâce à l'admiration d'un cercle de lecteurs, sa capacité à faire résonner d’autres dimensions au sein de notre monde mais aussi ses dates biographiques, me font un peu songer à Lovecraft (dont il est un exact contemporain) mais le préfacier du recueil – Ko Kuriyagawa - préfère dresser un parallèle, pour moi encore plus surprenant, avec Rimbaud. En effet, pour lui, Miyazawa n’est pas un conteur : il est un « poète voyant » dont l’écriture, loin d’être un simple exercice d’imagination et de fantaisie, dévoile des dimensions cachées du cosmos qu’il perçoit « réellement », et dont l’hypersensibilité synesthésique transcende la rationalité étroite et crée des rapports de liens entre toutes choses, qui doivent être ressentis intuitivement et non être intellectuellement analysés. Ce parallèle avec Rimbaud m’a semblé excessivement forcé même si l’écriture de Miyazawa, qui ne se revendiquait pas poète, est indéniablement d’une grande beauté et d’une grande puissance poétiques, notamment quand il évoque la nature.
Le ressort des contes de Miyazawa est l’anthropomorphisme. Tout est doué de parole et manifeste une personnalité complexe : un homme, un animal, une plante et même un simple caillou. Sans emphase, mais avec une extraordinaire subtilité et finesse dans l’évocation des êtres et des paysages, Miyazawa décrit des scènes parfois comiques parfois tragiques mais toujours pleines de merveilles, qui laisse une impression durable. Le dernier conte, qui donne son titre au recueil, tranche sur les autres textes par sa dimension mystique pour évoquer la mort d’un enfant avec une douceur qui m’a irrésistiblement fait songer au « Tombeau des lucioles ».
Le recueil contient les contes suivants, que je présente en essayant de ne pas trop en dire pour ne pas en déflorer le charme :
- « Les nuits à la belle étoile du savant professeur Chêne » : un géologue part dans les montagnes à la recherche d’opales et surprend, en rêve, les dialogues d’une chaîne de volcans puis ceux de cailloux et de débris rocheux dans une carrière de pierres, avant de s’engager dans une caverne qui lui fait remonter le temps…
- « Le dieu de la terre et le renard » : la jalousie d'un dieu chtonien et d'un renard tous deux amoureux d’une jolie fille-arbre
- « Griserie au vin de tulipe » : un jardinier remercie un réparateur de parapluie et rémouleur ambulant en lui montrant une magnifique tulipe blanche, qui irradie une lumière qui semble transformer le paysage et lui donner vie
- « Le milan teinturier » : une chouette raconte à un voyageur comment les oiseaux acquirent leurs couleurs chatoyantes
- « Chez le lynx » : deux chasseurs égarés en montagne et affamés découvrent un étrange restaurant tenu par un lynx...
- « Narao et les 3 singes » : un jeune garçon est attiré par 3 petits singes soldats dans une autre dimension dont il est libéré par un Homme-des-Montagnes (sorte de géant des forêts et des montagnes)
- « Une fin d’octobre » : des enfants travaillent aux champs avec leurs mères et grands-mères, rencontrent un étrange voyageur et sont surpris par l’orage
- « L’Homme-des-Montagnes et le grémil » : des notables invitent un Homme-des-Montagnes dans un restaurant cossu pour qu’il leur explique les secrets oubliés de la teinture au grémil, plante traditionnelle revenue à la mode
- « Le professeur boîte à oiseaux et la souris Fouh » : une boîte à oiseaux prétentieuse et imbue de principes devient, pour son malheur, le tuteur d’une petite souris
- « Le printemps à l’école agricole de Ihatovo » : conte sans schéma narratif, qui célèbre le soleil et les travaux aux champs, même les plus pénibles (il est à noter que Miyazawa était ingénieur agronome de formation)
- « Le lynx et les glands » : un homme est invité par un lynx pour l’aider à arbitrer un litige entre des glands qui se chamaillent pour savoir qui est le plus remarquable
- « Les tomates jaunes » : un écolier écoute le récit d’un colibri empaillé qui lui raconte l’histoire de deux enfants qui crurent que des tomates d'or avaient poussé dans leur jardin
- « les magnolias » : un homme découvre une vallée profonde et isolée, couverte d’arbres aux magnifiques fleurs blanches
- « L’étoile du faucon de la nuit » : l'engoulevent, moqué par les autres oiseaux, quitte la Terre et devient une étoile du ciel
- « La Malibran et la jeune fille » : dialogue entre une cantatrice et une jeune admiratrice, qui rêve de devenir son élève
- « Les pieds nus de lumière » : deux enfants sont surpris par une terrible tempête de neige et connaissent une expérience mystique à mi-chemin entre la vie et la mort
Les éditions
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Les Pieds nus de lumière
de Miyazawa, Kenji Kuriyagawa, Ko (Préfacier) Morita, Hélène (Traducteur)
le Livre de poche
ISBN : 9782253933724 ; 2,85 € ; 26/02/2003 ; 253 p. ; Broché
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