La blessure du blé de Éric Allard
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie
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Moissonner les mots
Quel beau titre ! L’allitération frappe d’emblée mais ne doit pas nous faire oublier la métaphore, l’appel à l’émotion, ni cette prégnance du concret qui signe la vraie poésie. Profusion, donc, dès le titre, et c’est sans doute l’une des principales qualités d’Éric Allard : la générosité, le don. Oui, ce recueil est une récolte, une moisson d’images, et la référence au blé (qui lève, nourricier…) revient comme un leitmotiv à travers ces pages, jamais gratuitement : donner du grain à moudre au sensible, l’épi d’une image…
Le livre est dédié aux parents de l’auteur. Hommage au père disparu, à la mère devenue vieille. Une présence discrète, jamais étouffante. Dans le beau texte de la page 27, La place des amours, ils apparaissent tous deux, tendrement, comme surgis du passé dans un souvenir ou dans un rêve :
Maman sait bien
où je recèle mes amours
quand la lune se lève
quand le vent remue
dans la cave à vin
les raisins de la mémoire.
Mais jamais je ne dirai
dans quelle encoignure du passé
elle a remisé
le souvenir de papa
l’embrassant du regard
pour la première fois.
« De la musique avant toute chose » : la poésie d’Éric Allard est toujours rythmée, par exemple dans la structure des textes souvent construits sur des schémas de strophes de même longueur – distiques, tercets (« faux haïkus »), quatrains ; parfois, c’est une répétition qui ponctue le texte comme un refrain :
Le don
Qu’as-tu fait du bleu
du champ de jacinthes ?
Qu’as-tu fait du blé
qui feulait dans le jaune ?
Qu’as-tu fait du rouge
qui perlait à ton cou ?
Qu’as-tu fait du rêve
qui veillait sur le vert ?
J’ai tout donné à la lumière
Pour construire mon ombre.
Le surréalisme n’est jamais loin (Allongé sur une plage d’os et de sel / je prends le soleil / pour un astre mort) : « Jamais une erreur les mots ne mentent pas » disait Eluard. Allard lâche la bride aux mots, il lui arrive même de « piétine[r] la langue » ou de « martyrise[r] le verbe ». Les jeux de mots figurent depuis toujours dans la panoplie du poète : "J’arrache le masque des horloges / indiquant leurre." Parfois aussi, ce grand lecteur nous adresse un clin d’œil, comme dans cette délicieuse variation sur Lautréamont :
Je vois derrière le temps l’histoire du poème arrêtée
par la rencontre d’une machine à feu et d’un
paratonnerre sur une table de nuit.
Les meilleures choses ont une fin. Tel le beau recueil d’Éric Allard, clos par ces vers qui résonnent longtemps en nous :
Je ferme le livre de l’oubli
sur une lueur de mémoire.
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