Jeux de massacre de Eugène Ionesco

Jeux de massacre de Eugène Ionesco

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre , Littérature => Francophone

Critiqué par Septularisen, le 18 janvier 2023 (Inscrit le 7 août 2004, - ans)
La note : 8 étoiles
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QUEL VISIONNAIRE CE IONESCO!

Au début de l’histoire nous sommes dans une ville moyenne (dont nous ne connaîtrons jamais le nom…), près de Brest en Bretagne (France), dans les années 1880-1920. C’est jour de marché et nous sommes sur la place principale de la ville. De nombreuses personnes vaquent à leurs occupations et font leurs commissions.

Tout à coup, un homme qui voulait confier sa poussette avec ses deux jumeaux à sa voisine, - le temps d’un apéritif avec un ami -, constate qu’ils sont morts. Il accuse tout de suite sa belle-mère qui a gardé les enfants plus tôt dans la matinée… Mais, les unes après les autres, toutes les personnes présentes sur la place s’écroulent prises d’atroces douleurs, et meurent en moins d’une minute.

Très vite une mystérieuse maladie se répand à travers la ville, n’épargnant personne. Les autorités réagissent, la ville est mise en quarantaine, personne ne peut y entrer ou en sortir, les entrées de la ville étant gardées par les militaires. Un couvre-feu est décrété, et les habitants sont priés de rester enfermés chez eux. Les habitants se retrouvent prisonniers de la ville et confrontés à eux-mêmes… Mais, malgré toutes ces mesures, la maladie continue de se répandre, la science est impuissante, les autopsies des cadavres ne donnent rien… Bientôt des dizaines de milliers de victimes jonchent les rues de la ville…

Si «Rhinocéros» (1) et «La cantatrice chauve» (2), sont les pièces «monuments» d’Eugène IONESCO (1909 – 1994), ce ne doit pas être non plus «l’arbre qui cache la forêt»! La preuve cette très belle pièce, d’une actualité brûlante et d’une modernité étonnante, pourtant écrite en 1970: «Jeux de massacre»!

On l’aura compris, la pièce a pour thème principal une épidémie, qui tout au long de la représentation, sera uniquement nommée: «La maladie». L’épidémie qui menace les habitants de la ville est foudroyante. Entre l'apparition des premiers symptômes et la mort dans d’atroces souffrances, il ne s’écoule qu’une minute. La pièce en elle-même se compose de courts sketches (parfois de seulement quelques pages…), rapides, qui nous donnent à voir les réactions des personnes face à cette épidémie, de toutes les catégories socio-professionnelles… Paysans, politiciens, riches, bourgeois, intellectuels, soldats, médecins, vieillards, pauvres...

Très vite la politique s'en mêle, il y a ceux qui veulent tirer profit de la maladie (cela ne vous rappelle rien?..), et ceux qui dénoncent un complot, une conspiration des autres (cela ne vous rappelle rien?..), au milieu il y a le peuple qui dénonce la mauvaise gestion de la maladie (cela ne vous rappelle rien?..), et bien sûr les médecins qui fort de leur science promettent de sauver tout le monde (cela ne vous rappelle rien?..), il y a ceux qui l'accéptent et se resignent et ceux qui la refusent et se révoltent (cela ne vous rappelle rien?..), les gens sont priés de rester chez eux (cela ne vous rappelle rien?..), les autoritées veillent et n'hésitent pas a intervenir très brutalement (cela ne vous rappelle rien?..) ... Il y a même ceux qui, - excusez du peu -, bravent les interdits et le couvre-feu, pour aller au bal clandestin du quartier (cela ne vous rappelle rien?..)… Le tout, rappelons-le écrit en… 1970!

C’est très court (une centaine de pages), le rythme est incroyable, les petits sketchs se déroulant a une vitesse effrénée, il y a même un moment ou la scène qui est divisée en deux plateaux différents, et ou la pièce se déroule en même temps avec des personnages différents. Cela se lit rapidement en quelques heures, mais malgré tout, je dois dire que c'est très bien écrit! Ce n’est bien sûr pas sans rappeler l'autre pièce du même auteur sur le même thème, a savoir: «Rhinocéros» (1), mais en beaucoup plus tragique et beaucoup plus «noir» et sans le côté burlesque. Cela ressemble plus ou moins à «La peste» (3), d’Albert CAMUS (1913 – 1960).

Je finis ébloui par le talent de l’auteur, je ne peux que conseiller la lecture de cette pièce. Que dire de plus? Peut-être : «Quel visionnaire ce IONESCO!..»?


Rappelons que la pièce «Jeux de massacre» a été mise en scène pour la première fois en 1970 au Théâtre Montparnasse à Paris.

(1) : Cf. ici sur CL : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/6149
(2) : Cf. ici sur CL : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/2022
(3) : Cf. ici sur CL : https://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/1621

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