Un excellent roman

Manuel a survécu au camp de concentration allemand dans lequel il a été enfermé suite à sa participation à la résistance française.
Trois mois plus tard, il a un malaise en descendant d’un train. Il tombe évanoui et, en se réveillant, a une vision de neige et de lilas. Il sera opéré d'une petite blessure, mais n'arrivera plus qu’au prix de grandes difficultés à se rendre bien compte de la réalité. Il vit sa vie comme dans un état second et navigue entre le passé, le présent et l'avenir.
Il va revivre des faits importants de la résistance, sa capture par les Allemands, la torture par la Gestapo, son envoi dans un camp de concentration. Il revivra aussi les questions des gens à son retour du camp, les questions qu'ils posent avec l'espoir fou qu'il aurait des nouvelles de ceux qui leurs sont proches, qu’il les aurait connus et qu'il pourrait leur dire qu’ils vont rentrer. La douleur sous la torture, le précieux temps qu'il faut tenter de gagner en résistant aux coups et à l’horreur. « Alors, je me suis mis à soupçonner que la torture, c’est à dire ce petit commencement de torture bien simple, c'était autre chose qu’un sujet de discussion. C’était la découverte de soi-même, dans la douleur, et la découverte que la douleur est inépuisable, qu’il y a toujours plus de douleur, d'une qualité différente, après cette douleur qu’on est arrivé à surmonter. »
Manuel aide également le parti communiste espagnol clandestin. Il passe des informations, des tracts et bien d'autres choses entre la France et l’Espagne. Là aussi il risque sa liberté et même sa vie. Et il est toujours à la recherche de lui-même, de sa vie, de sa mémoire. Et pourquoi ce souvenir de neige et de lilas qui le poursuit ?. D’où lui vient ce souvenir ?. C’est dans l'action, et l’action seule, qu'il a l’impression de se retrouver.
Un jour, dans un train, il écoute des femmes parler d'une autre femme, qui semble désespérée. Elle aurait été amoureuse d'un homme qui vient de mourir dans un accident de voiture. Elles ne connaissent plus son nom, mais c'était dans Match, et il était écrivain. Cela elles le savent, mais plus le nom… Cet homme, cet écrivain, c’était Camus.
Il est à nouveau en mission en Espagne, accompagné d’une femme. Les choses tournent mal pour leur contact, suite à la faiblesse d'un chaînon et le contact était, pour le moment, encore libre mais. « Il croyait être libre. Mais déjà, à Séville, le piège était en place, son heure était venue, et il marchait dans le désert d'une liberté perdue. Déjà tous les rouages obscurs et mesquins d'une sorte de destin s'étaient mis en marche, déclenchés par la faiblesse d’un copain, sa peur, son désespoir. Par petites étapes, calmement, inexorablement, Pedro marchait vers ce rendez-vous truqué, cette liberté devenue piège. »
Manuel rencontrera Hemingway et sera invité à dîner avec lui et sa femme Mary chez Ordonnez. Ils avaient assisté ensemble à Madrid, quelques semaines auparavant, à une corrida où Ordonnez, poussé par la foule, avait pris tant de risques qu'il s’était fait encorner à la cuisse. Ce soir, celui du dîner, il boitait lourdement. Ce dîner se passait après la parution du livre d’Hemingway « Un été dangereux ».
Manuel va-t-il retrouver toute sa mémoire, va-t-il à nouveau percevoir toute la vie comme une réalité ? Il lui faudra pour cela retrouver ce qu'était cette vision de la neige et du lilas…
Un très grand roman qui nous est donné par un très grand européen. Semprun est un homme d'une culture profonde et éclectique. Espagnol de naissance et de coeur, français par éducation, il connaît aussi l’allemand et apprécie les grands auteurs et musiciens de ce pays.
Homme de gauche, il se dévouera à sa cause jusqu'au jour où il découvrira les multiples abus commis en son nom. Il a passé deux ans à Buchenwald pour ses activités de résistant en France.

• 

  L'évanouissement de Jorge Semprún

  de Semprún, Jorge
  Gallimard
  ISBN : 9782070258734 ; 20,30 € ; 28/04/1967 ; 220 p. ; Broché

  Go Amazon