Virginia de Emmanuelle Favier

Virginia de Emmanuelle Favier

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Cyclo, le 27 janvier 2022 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 612ème position).
Visites : 2 109 

une écrivaine en devenir

Emmanuelle Favier me propose un projet de même nature à propos de la jeunesse de Virginia Woolf, avant qu'elle ne devienne écrivaine. Elle s’appuie également sur les données que l’auteure a laissées dans ses journaux et dans sa correspondance. Née en 1882 dans une famille victorienne recomposée : le père, Leslie Stephen, veuf nanti d’une fille, a épousé en secondes noces une veuve, Julia Duckworth, qui a déjà deux garçons.Ensemble, ils auront quatre enfants.

Emmanuelle Favier choisit de nous raconter l’aventure de la jeune Virginia en quelque sorte de l’intérieur. Nous voyons tout d’abord la petite fille victorienne, dans cette curieuse famille où le père, professeur, écrivain et biographe (il dirige le monumental "Dictionary of national biography"), est une sommité du monde artistique et littéraire, qu'il reçoit volontiers, et la mère s’occupe de bonnes œuvres de charité. Nous découvrons des êtres vivants, très variés, parfois étranges (comme la fille aînée de Leslie, Laura, handicapée mentale qui finira par être internée) ou malsains (comme les deux demi-frères, corsetés par l’éducation victorienne, et qui abuseront de leurs jeunes demi-sœurs). Virginia, surnommée Miss Jan, a du mal à trouver sa place au sein de la famille où les filles sont privées d’éducation à l’extérieur, au contraire des garçons envoyés dans les écoles et universités les plus prestigieuses. Virginia est drôle et pleine d’humour, elle comprend vite et, heureusement, peut lire tout ce qu’elle veut dans la prestigieuse bibliothèque de son père.

Elle va devoir trouver toute seule "le pouvoir d'être soi" pour s’affranchir peu à peu des injonctions sexistes et du corset victoriens. Peu à peu, elle réfléchit sur la place de son sexe dans la société, admirera son frère Thoby et ses camarades étudiants, s’immiscera dans leurs réunions et conversations, se mettra au grec pour lire les tragiques grecs ou Thucydide dans le texte. Et enfin, grâce à sa sœur Vanessa, elle s’initiera à l’art de son époque et s’intéressera aux impressionnistes. Puis elle commencera à écrire avec ses frères et sœur dans le journal fait à la maison, puis à proposer des recensions de livres dans la presse et voir ainsi qu’elle pourrait devenir autonome financièrement.

Sa mère meurt en 1895 alors que Virginia n’a que treize ans. C’est la fin de l’enfance et des précieuses vacances en bord de mer (dont elle se souviendra dans un de ses plus beaux romans "La promenade au phare") ; elle fait une grave dépression qui lui ouvre des perspectives sur la folie : "De handicapé le cousin de trente ans a revêtu le statut plus enviable de fou. Folie qu’il faut tenir à distance coûte que coûte, bien qu’elle lui apparaisse parfois comme la seule façon valable de voir le monde, bien qu’il soit incroyable qu’il n’y ait pas plus de monde dans les asiles". L’adolescence est difficile, sous la coupe d’un père frustré et autoritaire. Quand il meurt en 1904 après une longue maladie qui interpelle la jeune femme ("il ne peut pas vivre comme cela, ce ne sont pas des façons de traiter la vieillesse"), Virginia sait qu’elle sera écrivain et pourra s'autoriser à devenir un des grands de la littérature anglaise : "Elle sait que c’est le roman qui puise dans sa poitrine, mais pas n’importe quel roman. Le roman qui dit ce que les gens ne disent pas, qui dit les interstices de silence et les doutes".

Emmanuelle Favier nous plonge dans l’intériorité de la jeune Virginia, dans la construction de son identité, ce qui n’a pas dû être simple, et dans émancipation féminine. Le lecteur d’aujourd’hui, pour peu qu’il soit comme moi passionné par les nombreux livres de l’écrivaine (romans et nouvelles, essais, journaux, correspondance : "La lettre que l’on reçoit apporte l’autre tout chaud qui palpite à l’autre bout et qui est tout entier dans la papier, dans l’encre où a puisé sa plume"), lit ce roman-biographie avec passion.

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Tristes sorts

5 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 6 février 2024

Il est des critiques plus difficiles que d’autres à écrire. Par exemple, quand on ne partage pas les avis précédents de deux passionnés de lecture.
Je suis complètement passée à côté de ce livre, et je m’y suis même ennuyée pendant la première moitié. Je rejoins Alma et Cyclo quant à la qualité de l’écriture et particulièrement le vocabulaire employé, original, suranné, ancrant le récit dans un époque et un milieu raffinés et lettrés.
J’ai beaucoup d’admiration pour le travail de l’autrice qui, telle une dentellière, retrace et brode parfois la vie d’un personnage célèbre, s’aidant des écrits, des lettres et surtout des photos.
Mais voilà, je ne connais pas la littérature classique et ce n’est pas un unique livre lu il y a plus de trente ans, qui me permet de connaître l’écrivaine.
Aurais-je été plus intéressée ? Sans nul doute. Le destin de cette enfant effacée, isolée dans cette immense famille recomposée, victime des codes stricts d’une époque qui assignait le rôle d’une femme dès sa naissance, touchée par des drames vécus dès son plus jeune âge, la mort de sa merveilleuse et (trop) belle mère, puis sa sœur sont terribles.
"La mort est là, tout le temps". 16 ans déjà, tant de deuils.
Très touchée par la douleur de cette jeune femme, j’ai aussi beaucoup d’admiration, et de reconnaissance pour elle et toutes les femmes qui ont fait évoluer la condition féminine.

La jeunesse de Virginia Woolf

9 étoiles

Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 21 février 2023

Lire VIRGINIA, c'est découvrir la jeunesse de Virginia Stephen, « avant qu'elle ne devienne Woolf »- Virginia Woolf pour la postérité- l 'écrivaine moderniste anglaise de l'entre deux guerres, auteure de 10 romans dont le célèbre MRS DALLOWAY , de six recueils de nouvelles et de nombreux ouvrages critiques .

Une biographie, construite à partir d'archives et de clichés qu 'Emmanuelle Favier interprète, et qui permettent un « regard panoramique sur toute la famille », comme en témoigne le réseau lexical de la photo qui ponctue l'ouvrage.
Elle présente méthodiquement Virginia, année après année, dans l'atmosphère culturelle d'une riche famille victorienne habitant un manoir londonien du quartier de Kensington, où se presse le tout-Londres littéraire et artistique . Une famille recomposée où vivent 9 enfants : «  la triple couvée », au sein desquels Virginia se sent souvent seule .

Elle apparaît très tôt, comme une écrivaine en devenir, aimant créer des histoires et rédiger la gazette du quotidien familial : Hyde Park Gate News qu'elle signe Miss Jane alors qu'elle n'a qu' une dizaine d'années.
L'auteure la montre hantée très jeune par des obsessions mentales traduites par une métaphore récurrente qui préfigure sa mort par noyade volontaire en 1941 : celle d'un monstre marin aux grondements sourds qui n'en finit plus d'affleurer et que seule l'écriture permet de maintenir à distance .
Plus tard , jeune fille mal dans sa peau au corps long, maigre et encombrant , elle rêve d'émancipation dans la société victorienne corsetée où « une femme ne peut être qu'épouse ou sœur »

Emmanuelle Favier intègre le parcours de son héroïne dans la marche du monde en terminant chacun des chapitres de cette biographie par une liste de personnages célèbres ou d'événements marquants qui ont marqué chacune des année, liste qu'elle conclut toujours par une clausule faisant allusions aux feuilles d'automne, métaphore classique de la fuite inéluctable du temps qui mène inexorablement à la mort .

Une riche biographie d'une grande sensibilité, rédigée d'une plume élégante, souple, et poétique. Certains la trouveront peut-être un peu maniérée voire surannée. Moi, elle m'a charmée …..

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