Le soleil s'est réfugié dans les cailloux de Anne-Lise Blanchard, Katharine Cooper (Dessin)

Le soleil s'est réfugié dans les cailloux de Anne-Lise Blanchard, Katharine Cooper (Dessin)

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Débézed, le 29 octobre 2021 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
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L"innocence assassinée

Voici quelques jours, Anne-Lise me laissait, avec son recueil de haïkus, dans la douce atmosphère chère à Kawabata, aujourd’hui elle m’entraîne dans le tourbillon de feu et de sang qui embrase une fois de plus le Moyen-Orient. Dans sa préface, elle explique sa démarche envers les chrétiens de Syrie écrasés sous les bombes des Occidentaux et martyrisés par les djihadistes. Le 8 septembre 2013, Maaloula, une bourgade syrienne, est prise par Al Nostra la branche syrienne d’Al Qaïda, dont les sicaires détruisent le patrimoine religieux et persécutent ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu fuir. En août 2014, Anne-Lise se rend en Syrie avec la toute jeune association « SOS Chrétiens d’Orient », là-bas elle constate l’immensité des dégâts, la violence des persécutions et le dédain de l’Occident pour cette population pluri millénaire qui parle encore la langue du Christ.

Le soutien à cette population devient sa cause, elle s’engage sans retenue, sa meilleure arme reste sa plume qui lui sert notamment à témoigner, à faire connaître le malheur de ce peuple martyrisé, à convaincre ceux qui disposent de la force et du pouvoir de venir à leur secours. Ce recueil concourt à son témoignage et à son désir de conviction. Elle l’a partagé en deux parties : sur les pages de gauche, entre guillemets, ce qui pourrait être des citations, des propos entendus ou lus, même sur les murs des villes où elle a écrit, sur les pages droites, des poèmes qu’elle a composés en Syrie ou au Liban, elle indique sous chacun d’eux le lieu où elle l’a écrit.

Sur les pages de gauche, elle laisse transpirer la violence inouïes infligées à ce peuple de misère :

« Tu te convertis à l’Islam ou on te coupe la tête. »
« Nous sommes heureux de nous repaître du sang des chrétiens. »

Et d‘autres citations plus cruelles encore.

Elle donne aussi la parole à ceux qui veulent vivre dans le pays de leurs pères :

« Nos fils défendent le pays, ils me protègent moi et ma famille, alors que les terroristes viennent du bout du monde, pour tuer. »

Dans ses poèmes, elle n’évoque jamais ni esprit de vengeance, ni volonté de répondre à la violence par la violence, elle témoigne seulement de la violence reçue, de l’odieux contraste existant entre la candeur d’un enfant, la douceur d’une jeune femme, la fragilité d’en petit animal ou d’une plante et la violence de la mort qu’on lui a infligée :

« Sous les gravats / un dessin d’enfant / page froissée / d’une frêle vie /dont les murs / ne recueilleront plus / les rires. »
« Du bruit torride / de fer et de feu / il a protégé sa petite sœur / La glorieuse armée libre / les a glanés // … »

Lire ce recueil est une grande émotion littéraire tant les vers d’Anne-Lise sont d’une telle finesse, d’une justesse incroyablement en accord avec ce qu’elle dénonce, c’est aussi une épreuve douloureuse de voir tant de douceur et de tendresse martyrisées. Comment supporter qu’on assassine tant d’innocence. Elle nous entraîne au cœur de ce drame humain tellement abominable avec des vers si soyeux qu’on ne peut résister à un trop plein d’émotion. Je ne connais pas suffisamment tous les tenants et aboutissants de ce drame humain pour en parler valablement, je veux juste m’incliner devant la douleur de ce peuple en cours de destruction.

« On nous fait la guerre, nous faisons faire la paix. On cherche à détruire, nous cherchons à bâtir. On cherche à nous expatrier, nous luttons pour rester. »

Comme beaucoup, j’ose encore espérer qu’un jour très proche les forces en présence prendront conscience de l’horreur de leurs actes et de l’imbécilité de leurs motivations. Anne-Lise a pris la plume pour dire avec tout son talent, ses vers ciselés et sa profonde conviction que l’espoir était encore possible. Comme Ferrat quand il chante Aragon, je crois que « Le poète a toujours raison, qui voit plus haut que l'horizon. Et le futur est son royaume » donc Anne-Lise a bien raison de croire en ce peuple qu’elle soutient de tous ses mots pour le sortir de ses maux. Même, s’il n’y a que quelques mois, une amie libanaise de Balbek me disait : « … Nous les libanais on n’espère plus. Le changement est trop loin encore et presque impossible. Rien n’y va depuis un certain temps, la corruption règne partout … ».

Rêvons, tout de même, un peu au jour où les conflits seront réglés par des poètes … !

Ad Solem

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