Le vedanta de Swami Vivekananda

Le vedanta de Swami Vivekananda

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités , Sciences humaines et exactes => Philosophie , Littérature => Asiatique

Critiqué par Eric Eliès, le 28 juin 2021 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 9 étoiles
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Les fondements spirituels et philosophiques de l'hindouisme moderne

Figure marquante de la spiritualité indienne né en 1863 à Calcutta, Swami Vivekananda a entrepris, à la fin du 19ème siècle, de faire connaître l'hindouisme à l'Occident et a tenté de concilier des traditions et concepts millénaires avec les enseignements de la science moderne. Voyageant beaucoup, il eut une grande influence (notamment sur Romain Rolland) et a beaucoup œuvré pour l'indépendance de l'Inde. Cet ouvrage est le texte d'une conférence prononcée à Lahore en 1897, où Vivekananda expose les grandes théories spirituelles de l'Inde et les confronte à la pensée occidentale, en adoptant parfois un ton très tranché et presque radical.

Ce livre, que j'ai lu quand j'avais une vingtaine d'années et que ma récente lecture des poèmes de René Daumal inspirés par l'hindouisme m'a remis en mémoire et redonné envie de lire, m'avait profondément impressionné pour deux raisons. Tout d'abord, il présente de manière remarquable, à la fois précise et accessible pour un lecteur occidental, les concepts de l'hindouisme et du bouddhisme. Ensuite, avec des réflexions étonnamment modernes et originales (pour un occidental habitué à la scission des différents domaines de la spéculation intellectuelle) sur la portée des théories scientifiques, il réfute la valeur des religions monothéistes fondées sur un Dieu personnel, créateur et juge de sa création (concept qu'il juge totalement puéril) et déclare que la recherche et les hypothèses scientifiques incarnent, à ses yeux, la métaphysique occidentale parce qu'en expliquant les lois et la nature des choses, elles fondent aussi un rapport au monde et interrogent notre place dans l'univers.

Dans l'hindouisme, le corps et l’esprit sont des entités instables. De même que le corps, flux incessant de molécules (vieillissement, renouvellement cellulaire, etc.), évolue et se transforme, l’esprit (que Swami Vivekânanda assimile à l’ensemble des évènements physiologiques du cerveau et du système nerveux) est un flux incessant de sentiments, d’émotions et d’états d’âme. Pourtant, nous savons que nous existons en tant que personne. Le sentiment de notre unité ne pouvant venir ni du corps ni de l’esprit, ce que nous sommes en tant que personne n'est donc ni corporel ni spirituel : il est "Atman". Par ailleurs, nous percevons les autres comme des êtres dotés d’unité : il y a donc, en plus des communications physiques et mentales, une communication entre Atman, via un medium appelé Paramâtman (qu'on peut assimiler à Dieu, comme une sorte d'âme universelle mettant les Atman en sympathie). Tous les Atman sont liés. La science européenne a découvert récemment l’évolution des espèces, qu’elle explique par un processus de sélection naturelle. Dans l'hindouisme, l’évolution des espèces s'explique par la libération progressive d’une énergie, immuable en chaque être vivant, liée à l’Atman : elle est potentielle chez l’amibe et totalement exprimée chez le bouddha mais le bouddha existe déjà, à l’état latent, dans l’amibe. Tout est semblablement divin, au-delà des apparences. Le concept clef de cette philosophie est la théorie de la Mâyâ, qui est l’ensemble des combinaisons possibles "espace/temps/causalité" produisant des combinaisons "nom/forme", qui créent des distinctions entre les êtres. Elle peut être surmontée par un processus en 3 étapes :
1/ individualisation des objets [Dieu extérieur à l’Univers]
2/ mise en corrélation des objets [Dieu devenant puissance se manifestant universellement : théorie de la Chandi, ou Mère divine]
3/ découverte de l’unicité des objets [Tout est Dieu, au-delà du nom et de la forme]

Dans le bouddhisme, l’homme est une succession anarchique d’états mentaux dont la cessation constitue le Nirvana. La phrase de Bouddha « Ce que vous pensez, vous l’êtes » signifie que l’homme est sans unité, changeant comme ce qu’il pense. Les bouddhistes nient le sentiment d’unité et estiment fallacieux de supposer l’existence de substances improuvables ; néanmoins, même si les sectes bouddhistes ne croient pas en Dieu, certaines, comme les Jaïn, croient en des âmes. Pour Vivekananda, la philosophie des bouddhistes est parfaitement cohérente mais elle est plus faible que l'hindouisme, où l’individualité ne s’exprime pas dans l'effacement du singulier (= ce qui ne cesse de changer) mais dans l’élévation à l'universel (= ce qui ne change pas). On devient un individu quand on peut dire "Je suis l’Univers" au terme d'un processus de dépassement des perceptions sensorielles (moshka = libération) pour accéder à la béatitude du témoin embrassant l’Univers.

Pour Vivekananda, l'hindouisme et le bouddhisme sont les seules spiritualités valables. Il considère, avec des mots parfois très durs et presque méprisants, que les religions monothéistes déresponsabilisent l’homme et le rendent lâche en l’enfermant dans un idéal d’adoration servile ("l’adoration béate d’un chien rampant devant son maître"). En outre, il déclare même qu'elles sont nuisibles car l’idée d'un Dieu personnel, omniscient et omniprésent, a rendu nécessaire l’existence des prêtres, intercesseurs entre les hommes et Dieu, et a ainsi divisé les hommes (car les privilèges des prêtres ont engendré la tyrannie du clergé). Affirmant que le seul secours de l’homme, c’est l’homme lui-même, Vivekananda va jusqu'à déclarer que le temps de la prière est du temps perdu pour l’action.

Néanmoins, Vivekananda considère que le bouddhisme et l'hindouisme doivent évoluer pour intégrer les concepts de la pensée occidentale, notamment la connaissance apportée par la recherche scientifique, qui provoque un conflit entre la science et la religion dû à la découverte de causalités naturelles (internes à la nature des choses) qui démentent les "vérités dogmatiques" bâties sur des causalités externes (anges, démons, etc.). En conséquence, il est nécessaire que les hommes de foi épousent le même processus de rigueur que la science moderne. Qui ne fait pas cet effort est un lâche (s’il le fait en conscience) ou un ignorant. Cette nouvelle voie religieuse, que promeut Vivekananda à travers ses conférences, est l’advantaïsme, qui enseigne que tout est Dieu et que l’infini est donc en chacun de nous. Vivekananda souligne avec insistance qu'il s'agit d'une morale de la force, tournée vers l'action (et non de la faiblesse, comme la morale chrétienne qui, selon Vivekananda, incite aux lamentations et au renoncement) et longtemps restée l’apanage de sectes recluses cherchant un épanouissement spirituel vers la liberté. Pour Vivekananda, il faut désormais que l’advantaïsme se réalise pleinement dans la société, en Inde pour sauver l’hindouisme et le peuple prisonnier de querelles de dogmes et de principes alors qu’il meurt de faim, mais aussi en Occident, où un renouveau spirituel est nécessaire pour mettre fin au culte de l’argent.

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