Feuillets de plomb de René Welter

Feuillets de plomb de René Welter

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 9 avril 2021 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 8 étoiles
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Une poésie écrite à la limite du dicible des mots

L’écriture poétique de René Welter, dont j’ai déjà présenté sur CL le recueil « Célébrer vivre » écrit à quatre mains avec le poète varois Marcel Migozzi, est apurée à l’extrême du dicible. La disposition des vers très courts, qui tiennent en deux-trois syllabes, impose une lecture verticale davantage qu’horizontale, composant sur la page des formes de stèles qui font presque songer à la poésie asiatique. Ce ressenti est accentué par les encres de Serge Plagnol, peintre méditerranéen dont les illustrations ont ici des accents de calligraphie abstraite.

deuxième
poteau

quatrième
vague

tu vois
ce que

je veux
dire

à l’aube
la balle

plombée
comme

la dernière
lettre

Cette écriture minimaliste est difficile d'accès car elle recèle une part importante d’implicite cachée dans les blancs du poème, qui se dérobe à la lecture, un peu comme si les mots n’étaient que les arêtes émergées d’un iceberg dont la masse, enfouie dans la profondeur du papier, reste invisible au regard… Aussi, contrairement aux avant-dire usuels, qui sont souvent des exercices de style un peu convenus, la courte préface de Gaspard Hons revêt une importance capitale car elle éclaire la genèse du recueil, guide le lecteur désorienté et lui dévoile l’essence de ces poèmes aux vers si lapidaires et si proches du silence qu’ils couraient le risque de ne pas être entendus.

confiés
à l’ultime

brin
qui témoignera

contre
le marbre

muet

René Welter, à mots ténus, évoque l’Holocauste et dit sobrement, avec le moins de mots possibles et parfois sans verbe, le peu qu’il reste aux survivants qui ont traversé la fin du monde. La nuit, la mort, le plomb, le feu, les ruines, les cendres… hantent le recueil, comme des leitmotivs amplifiés par le rythme saccadé des vers. Cette poésie, que Gaspard Hons, dans sa préface, situe dans le sillage de celle de Paul Celan, ne cherche pas la puissance d’impact : elle distille, par la répétition et le martèlement, la sensation d’une souffrance sourde et lancinante, qui ne s’éteint pas.

tout code
barre

rappelle
le numéro

qui
continue

à brûler
sous la peau

de l’avant
bras

Elle n’a pas non plus la véhémence d’Yves Heurté qui, dans son recueil « Dans la gueule d’ombre » (que j'ai présenté sur CL), essayait, avec une ferveur engagée et presque militante, de toucher et ébranler la conscience du lecteur. Sans emphase, sans lyrisme, sans image poétique, sans clameur de dénonciation ou de protestation, René Welter évoque la douleur du survivant, qui n’oublie pas l’épreuve subie et songe à ceux qui sont morts, et le devoir du témoin de parler en leur nom.

qui pourra
encore

parler
sous peu

de cendre
en leur

nom

Le souvenir des amis disparus hante aussi les derniers poèmes de la section «à main courante » qui, avec la même écriture sobre et retenue, célèbre et rend hommage à la poétesse luxembourgeoise José Ensch, dont la mort semble avoir suscité chez René Welter un devoir de mémoire tournant autour d'un secret précieusement gardé.

après
dans les épreuves

on remplace
le présent

par le passé
écrire simple

aurait été
trahir

le nom
scellé

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