De Marquette à Veracruz de Jim Harrison

De Marquette à Veracruz de Jim Harrison
( True North)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Fee carabine, le 25 août 2004 (Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 15 avis)
Cote pondérée : 8 étoiles (255ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 9 756  (depuis Novembre 2007)

A la recherche du Nord perdu

"My father woke from his latest faint. His face was too bruised for clear speech and now rather than wailing he bleated. His eyes made his request clear and I pushed him gently over the back of the boat. It was quite some time before he completely sunk. I would study the stinking fish scales and bits of dried viscera on the boat's bottom and then look up and he would still be there floating in the current. And then finally I was pleased to see him sink. What a strange way to say goodbye to your father."

Le "meurtre" du père, voici à peu de choses près la fin de "De Marquette à Veracruz", une fin que Jim Harrison nous jette comme un coup de poing dans la figure à la toute première page de son nouveau roman, une page qui fait figure de présage funeste, vision d'horreur à peine aperçue, le temps d'un - mauvais - rêve. Et la page 3 nous ramène vingt ans en arrière, dans les années soixante, où l'on fait la connaissance de David Burkett quatrième du nom, héritier à son corps défendant d'une lignée de grands prédateurs. Car "prédateurs" est bien le terme qui convient pour décrire les trois premiers David Burkett, qui ont bâti la fortune familiale sur la sur-exploitation des ressources naturelles de la rive sud du Lac Supérieur, dans le nord du Michigan, ressources d'un sol frauduleusement arraché à ses propriétaires légitimes - les indiens Anishinabe. Tous les moyens sont bons pour permettre aux patriarches de la famille Burkett de satisfaire leur avidité de pouvoir et d'argent (et bizarrement, le mot français "avidité" me paraît moins fort que le mot anglais "greed", omniprésent dans ce livre, en véritable leitmotiv). Rien ne peut mettre un frein à cette avidité dévorante, ni la beauté de la forêt primitive - rasée en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, ni les risques encourus par les travailleurs des exploitations forestières ou minières - somme toute, ils ne sont que quantité négligeable... Si j'ajoute que David Burkett III est en outre un grand coureur de jupons, et même de très jeunes jupons, vous comprendrez sans peine que David Burkett IV, adolescent au moment où nous faisons sa connaissance dans les années soixante, doux rêveur, amateur de pêche à la mouche et profondément amoureux des magnifiques paysages de sa région natale, se trouve confronté à une grave crise d'identité. Une crise qui le lance dans le projet titanesque de découvrir la source du mal dans l'histoire de sa famille. Rien de moins!

"De Marquette à Veracruz" est avant tout un roman d'apprentissage dont le héros tente vaille que vaille de se distancier d'un héritage familial qui lui répugne. C'est aussi un extraordinaire catalogue des névroses contemporaines et de tous les moyens que les hommes ont inventé pour s'en évader ne serait-ce qu'un instant, l'alcool, les anti-dépresseurs, le sexe pour un moment d'oubli et puis la religion dont on change comme on change de chemise. J'ai cru un instant, à la fin de la première partie, que "De Marquette à Veracruz" allait sombrer dans le grand-guignol... Et puis non, Jim Harrison côtoye l'abîme mais il n'y tombe pas, pas plus que son héros, personnage impossible, irritant à force de s'apitoyer sur lui-même mais attachant en diable. "De Marquette à Veracruz" est sans aucun doute un bon cru de Jim Harrison. Un très bon cru même jusqu'aux dix dernières pages, dont je ne sais que penser, et une fin expédiée en deux coups de cuillère à pot, bâclage ou vision de cauchemar dont la réalité s'estompe en un battement de paupières, je ne me sens pas capable de trancher... Quant à l'issue de la quête de David Burkett IV et à la signification de la scène initiale, ma foi, je vous laisse le découvrir en lisant "De Marquette à Veracruz"...

Note sur l'édition en V.O.:

En V.O., "True North" est paru chez Anansi (ISBN 0887841821) et est imprimé sur papier recyclé. L'éditeur nous précise que ce choix a permis d'éviter la consommation de 74 arbres (adultes), 119 848 litres d'eau et 15 534 kWh, ainsi que la production de 1604 kg de résidus solides et 3159 kg de gaz à effet de serre...
Ceci pour l'anecdote, mais c'est aussi un argument supplémentaire pour convaincre ceux d'entre vous qui hésiteraient à lire Jim Harrison en V.O. ;-).

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Les éditions

  • De Marquette à Veracruz [Texte imprimé] Jim Harrison trad. de l'anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent
    de Harrison, Jim Matthieussent, Brice (Traducteur)
    Christian Bourgois / Fictives (Paris).
    ISBN : 9782267017311 ; 25,00 € ; 27/08/2004 ; 485 p. ; Broché
  • De Marquette à Veracruz [Texte imprimé] Jim Harrison traduit de l'américain par Brice Matthieussent
    de Harrison, Jim Matthieussent, Brice (Traducteur)
    10-18 / 10-18. Série Domaine étranger
    ISBN : 9782264041159 ; 9,60 € ; 13/12/2005 ; 485 p. ; Poche
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Les livres liés

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Jeter le fardeau familial par dessus bord

8 étoiles

Critique de Millepages (Bruxelles, Inscrit le 26 mai 2010, 65 ans) - 19 janvier 2013

Que faire lorsqu'on est le premier d'une lignée familiale à posséder une conscience ?
Et que l'on s'aperçoit que ses ancêtres, jusques et y compris son propre père ont été des monstres de vénalité, d'injustice, d'exploitation, d'immoralité, de déviances, usant et abusant de leur pouvoir, laissant les plus faibles qui eurent le malheur de se trouver sur leur chemin dans la détresse économique et morale la plus sombre ?
Se réfugier dans la religion en se refusant tous les plaisirs du monde et en bannissant tout écart de conduite ?
Comme David Burkett, on peut essayer, mais ça ne marche qu'un temps, toutes les tentations sont là pour lui faire comprendre qu'il n'a pas à se sacrifier pour des maux dont il n'est nullement responsable et qu'il n'aurait pas pu empêcher.
L'idée lui vient alors de se documenter et d'écrire un livre sur l'histoire scandaleuse de sa propre famille.
Pour ce faire, Il va tout d'abord s'extirper d'un univers familial composé d'un père obsédé sexuel, d'une mère shootée à l'alcool et aux médicaments et d'une soeur déjà bien meurtrie et rebelle en diable pour s'isoler dans le grand Nord, sur les rives des grands lacs, accompagnés tantôt d'un oncle pour le moins excentrique et imprévisible, tantôt d'une petite chienne qui sera sa plus fidèle compagne pendant de longues années.
Outre de nombreuses conquêtes féminines faisant l'objet de quelques pages d'un érotisme bien maîtrisé, trois ou quatre femmes vont avoir une influence décisive sur le cours de la pensée et de l'existence de David.
C'est un beau roman, situé pour l'essentiel dans un milieu naturel dont la pureté contraste avec la noirceur d'un passé lourd à porter.
Et dont tous les personnages sont d'une touchante humanité, telle qu'on a tour à tour envie de les plaindre, de les gifler, de les consoler, de les secouer, de leur parler....

Les racines du mal

8 étoiles

Critique de Heyrike (Eure, Inscrit le 19 septembre 2002, 57 ans) - 22 juin 2011

L'univers de David Burkett est axé sur sa propre existence, coincé entre un père alcoolique et pédophile et une mère alcoolique et névrosée, il cherche à échapper à ce qu'il croit être une malédiction familiale. Pour conjurer le mauvais sort, il se réfugie dans la religion, tout en faisant vœu de chasteté. Un vœu pieux qui vole en éclat à la vue du cul de Laurie, la meilleure amie de sa sœur Cynthia. Pour s'affranchir de l'ignoble passé de ses ancêtres qui exploitèrent sans scrupules les forêts du Michigan, il entreprend de retracer l'histoire de sa famille pour découvrir les racines du mal. Cynthia est une jeune fille plus forte et rebelle que son frère, elle a su faire face à son père qu'elle n'hésite pas à affronter ouvertement.

David va s'enfoncer dans ses méditations, qui le mènent au bord de la dépression et de l'introspection narcissique. Il parcourt sans relâche la forêt, les rivières et les grands lacs, seuls endroits où il pense pouvoir y trouver des réponses. Malgré ses amis qui l'entourent, il cultive un sentiment de solitude qui menace de le couper de sa propre existence. Car là est bien le problème pour David, bien que n'ayant pas réussi à couper le lien avec ce père qu'il méprise, il rêve de le précipiter du haut de la conception qu'il se fait de la dignité humaine sans prendre conscience que ce lien risque de l'entraîner par le fond en même temps.

L'errance de David l'amènera à faire des rencontres qui l'aideront à garder la tête hors de l'eau, structurant au fil de temps une histoire qui n'est pas la sienne mais dont il souhaitait s'emparer afin d'en racheter les fautes originelles.

Un très bon roman de Jim Harrison, dans lequel il aborde les thèmes qui lui sont chers, la nature, le sexe et la nourriture, composant une nouvelle fois un hymne à la vie. Les portraits de femme sont toujours magnifiques, elles sont pleines de vie et toujours en mesure de comprendre, bien mieux que les hommes, ce qui régit les liens ténus qui unissent les êtres entre eux.

C'est aussi une invitation à découvrir son pays dans ce qu'il recèle de plus beau et de plus obscur : "…on découvre maints univers différents aux Etats-Unis dès qu'on s'écarte des autoroutes et qu'on ne regarde pas la télévision".

Néanmoins, j'ai trouvé la fin un peu étrange et précipitée.

Une vie sans Carla !

10 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 20 février 2011

Qu'ajouter aux superbes critiques (méritées) faites à ce roman ?

Jim Harrison est un immense écrivain , soyons-en certains !

David Burkett ( le narrateur ) consacre sa vie à dénoncer les pillages de la nature effectués depuis 3 générations par quelques grands propriétaires terriens .
La surexploitation , le viol de ces magnifiques forêts du Michigan au bénéfice de quelques familles ( dont la sienne ) devenues immensément riches .
David qui veut " tuer le père " et s'éloigner de ses parents qui ne se sont jamais comportés comme des adultes responsables .
David qui peine à aimer les femmes qui traverseront sa vie .
David qui créera une complicité sans faille avec Carla ; sa chienne fidèle .
David qui devra se résoudre à "accepter ses parents" comme ils sont et les accompagner jusqu'à la mort .

Jim Harrison a su peindre de façon magistrale cette région du Michigan ( la ville de Marquette ) , les grands lacs , les forêts (les souches) le froid.
Ses passions pour le vin et la pêche sont omniprésentes au fil du roman .
L'histoire simple et profonde d'une relation père/fils , du sens de la vie , de l'amour de sa terre.
Les chapitres sont émaillés de repères littéraires ( romanciers et poètes y sont cités régulièrement )

Vous l'aurez compris , il s'agit d'une oeuvre magistrale de la 1ère à la dernière phrase .
Les 5 étoiles attribuées ne reflètent pas la valeur de ce roman qui est " hors concours " .

True North

9 étoiles

Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 20 novembre 2010

Je n'aurais pas pu rêver mieux pour la lecture de ce roman : être dans le Michigan, dans les couleurs d'automne, face aux lacs grands comme des mers. C'était... parfait.
Grandiose pour un livre tout pareil.
Mais que dire de plus qui ne l'ait déjà été? Je m'accorde à ceux qui auront eu les mots justes pour décrire ce roman qui se lit comme une vie, avec sa densité, ses digressions, ses incertitudes, ses errances.
David Burkett n'est pas à proprement parler un personnage attachant: souvent en retrait de lui-même, malgré cette marche initiatique dans laquelle il s'est lancé, hésitant, balbutiant, fier et honteux, assuré et désemparé à la fois.
Mais qu'importe tant son cheminement nous porte d'un bout à l'autre: profond, ancré, sensible et rude à la fois, il nous offre cette route du Nord vers le Nord où toutes les douleurs sont à guérir.
Passionnant et d'une profondeur sans faille, ce roman est un vrai régal. Même la plus petite digression, même l'événement le plus anodin, ont leur place dans ce récit-puzzle d'une vie qui se cherche, portant à bras le corps le fardeau lourd du passé familial.
Se déconstruire pour mieux se construire... sans doute.

Sous le charme....comme toujours!

8 étoiles

Critique de Spirit (Ploudaniel/BRETAGNE, Inscrit le 1 février 2005, 64 ans) - 23 février 2010

(Je ne dirai pas grand chose car beaucoup a été dit plus haut et de bien meilleures façons que je ne pourrais le faire.)

Je rapproche le style de Jim Harrison de celui d'un maitre Maçon, comme lui il dresse ses personnages et ses histoires pierre/mot après pierre/mot jusqu'à ce que se dresse devant nous un édifice solide, plein de grâce et d'humanité et qui restera bien après que le dernier être humain ne vive sur cette terre. Bienheureux sont les extra- terrestres qui découvriront ces mots, ces histoires, ces êtres humains, ils en sauront bien plus sur la nature humaine qu'après avoir compulsé des tonnes d'archives. Heureux seront ceux là qui n'auront qu'a se délecter de ces lectures...

Quel écrivain !

10 étoiles

Critique de Jeanmarc3247 (Vinalmont, Inscrit le 16 mars 2006, 60 ans) - 3 novembre 2006

Oui, quel écrivain !
Ses personnages et leur évolution sont tout simplement magnifiques!
Burkett père est un prédateur pervers jusqu'au bout des ongles, se présentant en victime et tentant d'assassiner même le père de la très jeune fille qu'il a violée. Le fils de ce prédateur semble englué dans cet héritage paternel dont il n'arrive pas à se détacher... Il se sent l'obligation d'expier les fautes de son père.
La femme de Burkett père, par contre, évolue, divorce et finit par reconnaître que par sa simple présence auprès de son mari, elle a participé à cette perversité... Sa fille se montre également capable de rompre radicalement avec son père et sa mère, au point que quelques années plus tard, on peut dire qu'il n'y a plus chez elle aucun trait de caractère ni de son père ni de sa mère.
Le contraste est saisissant: les deux femmes sont ici les plus courageuses: elles peuvent rompre et évoluer. Les deux hommes évoluent peu et restent emprisonnés dans leur logique...
Au milieu de tout cela, un merveilleux hymne à la nature décrite avec précision, et vivante comme jamais.
Chapeau bas, Monsieur Harrison!

Oh si! Un écrivain majeur!

10 étoiles

Critique de Philduch (Aix en Provence, Inscrit le 17 février 2006, 57 ans) - 6 octobre 2006

Pas un écrivain majeur, Jim Harrison? Comment Maria-Rosa peut-elle nous balancer un tel jugement en 4 lignes et sans même une phrase construite pour se justifier? De Marquette à Veracruz est un roman d'une incroyable densité. Essayons de prendre les choses dans l'ordre. Les personnages, d'abord. Certes, David Burkett peut agacer, mais quel portrait! Ses faiblesses, ses contradictions, son long cheminement intérieur: évoqués de façon magistrale. Gravitent autour de lui mille autres personnages, tous parfaitement crédibles. Le style, ensuite. 480 pages d'une fluidité totale, pleines de poésie, d'ironie, une ode à la nature, une évocation puissante de l'Amérique dans toute sa beauté sauvage. La construction: la première page, presque psychédélique est une fin à laquelle on refuse de croire avant d'arriver au bout de la lecture. Les différentes parties sont imbriquées les unes dans les autres. Certains aspects de la vie de David sont résumés en une demie page, comme un coup de projecteur, puis explicités plus loin dans l'histoire. Le message, enfin: total, plongée époustouflante dans les méandres de l'âme humaine, avec comme leitmotiv, la culpabilité, celle du péché originel. A comparer à tous les sous-produits de littérature qui trainent sur les rayons de nos librairies, ces romans de 200 pages vite empaquetés dans un style vaguement branchouille.
Un dernier mot: je conseille à Maria-Rosa de taper "Jim Harrison" sur son moteur de recherche... Heureusement, le ridicule ne tue pas!

une autre lecture de De Marquette à Véracruz

10 étoiles

Critique de Zanimarre (alby sur Chéran, Inscrit le 26 août 2005, 50 ans) - 23 septembre 2005

Le roman de Harrison raconte trente années de la vie de David Burkett quatrième du nom, David IV donc. Harrison suit son héros de Marquette, sa ville de naissance, à Veracruz, la ville mexicaine où va se dénouer le drame de sa vie. A seize ans, David IV aime la fille de l'homme de confiance de son père, elle joue à le séduire, mais il n'ose pas la toucher car elle n'a que treize ans. Une nuit, son père la viole. Il n'y aura pas de poursuites. Parce que l'argent. Dès lors, de fragile et inquiet, David IV va devenir un de ces parias malheureux, mais ripailleurs et jouisseurs qu'affectionne tant Harrison.
L'auteur raconte dans nombre de ses livres la confrontation d'individu aux sagas familiales, ainsi Dalva, ou les héros de Légendes d'automne. Depuis En marge, l'autobiographie de Harrison, on sait qu'il s'est posé la question de l'individualité en tant qu'artiste et en tant qu'homme né dans une famille aux racines européennes. De Marquette à Veracruz retrace ainsi l'histoire de la longue quête de lui-même par un homme qui se défie de son sang. Au-delà du souffle épique, le talent de Harrison est là : rendre justice avec une bienveillante délicatesse au pathétique de la nature humaine. Lorsque son père lui vole son amour, David IV sait déjà que sa famille a déboisé le Michigan sans laisser un arbre debout. Dès lors, il se sent tellement prisonnier qu'il se lance dans le projet le plus autodestructeur possible : il veut rédiger un pamphlet sur les méfaits des Burkett, et pour cela il se lance dans la cartographie, souche par souche des arbres coupés : au lieu de tracer vers le large comme le fait sa soeur, il se débat dans le roman familial. Et il le fait d'autant plus facilement qu'il peut vivre de l'argent que lui donne sa mère.
Le héros pataud de Harrison est le moyen pour l'auteur de parler, en tant qu'artiste, du rapport que ses concitoyens entretiennent avec l'argent. Il ne s'en cache pas dans l'entrevue qu'il a accordé au magazine Lire en 2004. Capitalistes prédateurs, les Burkett ne se préoccupent pas de ce qu'il y a après leur désir et David IV ne veut pas être dépositaire du pouvoir de destruction que les siens ont sur le monde. La drôlerie du livre est dans la naïveté du héros qui découvre au cours de son enquête qu'il vaut mieux demander leur avis aux arbres. Les hommes, ceux qui sont de la race des bûcherons tués à la tâche par l'appétit au gain de sa famille, David IV ne s'y frotte pas trop. Ils lui renvoient en pleine figure des vérités essentielles. Le temps de l'exploitation forestière, c'est le bon vieux temps. Quand on a des bouches à nourrir, on est content d'avoir du boulot.
Le rapport de David IV au sexe, à son sexe, est un des autres éléments de cynique drôlerie du livre. La première fois qu'il fait l'amour, il le fait dans un lac et regarde sa semence se disperser dans l'eau clair. Il perd ensuite sa femme parce qu'il est devenu stérile et qu'il refuse la légère opération qui lui permettrait de faire un enfant avec elle. Dans les périodes de dépression, il devient impuissant. Pour se sauver de sa famille, il mesure les ravages de sa famille en comptant les souches dressés, impuissantes à produire des branches et des feuilles. Et puis, dans la scène finale (qui ouvre aussi le livre), son père a les deux mains coupées, alors que David ne perd qu'une phalange de son pouce, comme s'il devait payer un peu pour les crimes de son père, comme s'il devait payer pour avoir désiré une si jeune femme. Harrison déploie toute une symbolisme de la castration, qui trouve son origine dans le père qui vole et viole la femme aimée, et la clef du livre est là, dans une phrase toute simple, qui bouleverse par son évidence : si tu refuses de mettre au monde ce qui est en toi, ce que tu ne mets pas au monde te détruiras. Leçon de vie, illustrée par la vie d'un homme racontée par un homme qui a déjà eu une vie. Qu'est-ce que les capitalistes prédateurs ont à mettre au monde ? Des plantes en pot, saisonnières, comme la mère de David IV ?

Pas un écrivain majeur

6 étoiles

Critique de Maria-rosa (Liège, Inscrite le 18 mai 2004, 69 ans) - 26 août 2005

N'en déplaise à tous ses admirateurs, Jim Harrison est loin d'être un écrivain majeur. Agréable à lire sans doute mais il manque un je ne sais quoi qui l'empêchera toujours de faire partie des plus grands.

Une vie bien mal partie

8 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 2 juin 2005

Dernier Harrison en date. Pas forcément celui qui me parait le plus ... abouti ... On y retrouve des thèmes et obsessions récurrents de Jim Harrison : la filiation (toujours douloureuse), les filles ou femmes, toujours plus équilibrées, matures que les garçons ou les hommes, la nature omniprésente et toujours d'une grande importance, ... Le traitement est classiquement "Harrisonien", avec des digressions exubérantes qui semblent nous emmener à mille lieux mais qui s'avèrent indispensables pour appréhender la psychologie des personnages, avec une vision très terre-à-terre, très crue, des diverses interactions entre les protagonistes. Une écriture foisonnante et très originale (oui ! bravo le traducteur !) ... Bref du Harrison. Mais pas celui qui me parait le plus abouti.

Superbe découverte

9 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 1 mars 2005

Qu'ajouter à tout ce qui a été dit, en particulier le commentaire admirable de Fée carabine et la réplique tout aussi bonne de Jules... Jules à qui je dois le bonheur d'avoir découvert ce titre et cet auteur, une oeuvre qui manquait à ma culture littéraire.
Un vrai bonheur de lecture. Il y a tellement de richesse et de thèmes abordés dans ce livre qu'il est difficile de résumer ou de parler de tout. Je me contenterai simplement d'évoquer mon ressenti.

Le personnage de David Burkett m'a superbement agacée et profondément touchée. Parce qu'il me ressemble, parce qu'il nous ressemble, nous êtres humains qui aimons nous apitoyer sur nous-mêmes et trouver des alibis à notre souffrance. Dans son cas, c'était facile, sa famille a commis les pires outrages environnementaux qui soient dans sa belle région. Mais ce qu'il pensait être au début un travail documentaire réalisable sans grosses difficultés se révèle très vite être une véritable quête initiatique qui bousculera ses certitudes, ses habitudes et lèvera de nombreux lièvres, pas dans les papiers qu'il fouille et qui regorgent finalement assez peu de scandales, mais dans la vision qu'il a de sa famille, de lui et du monde qui l'entoure.
David Burkett entame ce récit en étant narcissique, il le termine de la même façon (à propos de fin, je partage l'avis de Fée, j'ai trouvé ça un peu bâclé, comme un cinéaste à court de pellicule qui devrait boucler en cinq plans au lieu des quinze nécessaires, c'est dommage), son égocentrisme a cependant un peu changé. David est toujours au centre de son univers mais son univers s'est désormais peuplé d'êtres, la plupart du temps éphémères, comme ses conquêtes féminines. Ouvrant peu à peu les yeux sur les autres existences, David apprend la vie, péniblement certes, mais il apprend et il avance tant bien que mal. Le livre s'étire lentement, comme un gros chat devant un feu, autour de la vie d'un homme et des siens vus par lui.
J'ai particulièrement apprécié la dose d'humanisme réaliste que Harrison insuffle à son récit. Burkett n'est pas un héros, loin de là, il brille même par moments par sa faiblesse et sa lâcheté mais ce type est incroyablement humain, on se glisse si aisément dans a peau, on ressent ses douleurs et ses nombreuses interrogations. Et la certitude du début, celle liée à l'agacement ressenti face à ce personnage énervant d'égocentrisme, finit par disparaître lorsqu'on se rend compte que dans une situation identique, nous n'aurions su quoi faire. Nous sommes comme lui, humains et rien d'autre.

Ajoutons à cela les appartés avec la nature que Jim Harrison dispose ci et là, apportant à son récit une séduisante torpeur, comme un tableau qui se remplirait de couleurs sous nos yeux. Les arbres sont vivants, la neige palpable, j'ai presque entendu couler les rivières et aboyer Carla...

Je Confirme !!!!!!!!

10 étoiles

Critique de THYSBE (, Inscrite le 10 avril 2004, 67 ans) - 3 novembre 2004

Que dire de plus que ce qui a été décrit par Fee carabine, Monito, et Jules. Surtout qu’ils ont l’art et la manière de nous dépeindre ce petit chef d'oeuvre littéraire. Je rajouterai que ce roman est accessible à tous et que chacun puisera une situation, une émotion, un paysage qui lui sera probant. Nombreux sont ceux qui passent une partie de leur vie à chercher leur identité à travers une histoire familiale qui n’est pas toujours accessible.
C’est à la fois un guide touristique de la péninsule nord, écologique, sociologique et psychologique. Une grande délectation pendant 486 pages, qui passent trop vite. Un coup de chapeau aussi en passant à Brice Matthieussent, qui nous traduit si bien le langage de Jim Harisson.

waouh!!!

9 étoiles

Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 52 ans) - 27 septembre 2004

Qu'ajouter à ces critiques de "spécialistes"? Je découvre Harrisson de Marquette à Veracruz et j'en reste bouche bée. Pas moyen de lacher ce roman lu quasiment d'une seule traite.
Oui, David Burkett semble se complaire dans son mal être et oui tout cela lui confère une force d'attraction terrible. Toutes ses questions sont un peu les nôtres, une quête d'identité qui nous fait avancer...parfois très lentement, parfois très brutalement mais toujours à grand prix.
Ces paysages du Nord des Etats Unis, que je ne connais pas, si finement décrits, si amputés soient-ils au regard de la démonstration sicientifique de David, doivent, comme Vernice le conseille, être vus pour ce qu'ils sont: beaux
Enfin le rôle des femmes dans ce roman affleure, au-delà du sombre héritage familial, au-delà de la relation père-fils...Force, lucidité, clairvoyance...quel rampart, quelle protection et quelles leçons elles donnent, chacune à leur niveau, chacune avec leur sensibilité. Comme des guides, elles nous aident, comme elles aident David, à avancer

J'ai adoré !...

9 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 19 septembre 2004

Eh, oui !… Nombreux étaient ceux qui pensaient que j’aurais été le premier à faire la critique de ce livre… C’était sans compter sur Fée Carabine qui m’a grillé sur le fil, ayant la capacité de lire ce livre en VO. Si je parle anglais assez couramment, je ne m’estime pas capable de profiter des nuances d’un tel livre dans cette langue.

Fée Carabine m’a donc dépassé et pourquoi pas ? Sa critique est parfaite et je n’ai pas grand-chose à y ajouter.

Oui, David Burkett est parfois un peu énervant, enfermé qu’il est dans son « moi » stérile. Et les années ne le font pas évoluer des masses. Nous avons souvent la sensation qu’il grandit mais en tournant sur lui-même. Et pourtant il est attachant… Sa sœur Cynthia, de crispante et sale gamine, évoluera bien plus que lui, tout comme sa mère. Lui, il est davantage comme ce père qu’il hait : il évolue peu et difficilement. L’un est une crapule, l’autre est un doux rêveur qui ferait tout pour arriver à entrer dans la réalité mais n’y arrive pas.

Doux, gentil, rêveur, amateur de pêches à la mouche et fasciné par la beauté de la nature ?… Oui, il est tout cela… Mais il est aussi, comme tout adolescent, puis comme homme, aussi attiré par le sexe que son père. La vue d’un buste penché vers l’avant et d’un cul tendu vers l’arrière le trouble au plus haut point, un simple bout de cuisse dévoilé le met dans tous ses états et il est bien loin de se priver des joies du sexe. Heureusement, parce que son sexe à lui est plus sain, plus festif que celui de son père. Il n’est pas vicieux, loin de là, mais il n’empêche qu’à seize ans il est capable de bander pour une jolie gamine de douze ! Pas courant !…Mais pour lui, le sexe est aussi profondément salvateur !

Vers dix-sept ans, il envisage de se suicider et il se dit : « Si je me tuais, je ne pourrais évidemment pas amener Polly ici, et encore moins sa petite culotte blanche. Cet argument me suffisait-il pour me garder en vie ? » Nombreux sont aussi les moments où il nous semble flagrant que la religion n’est pour lui qu’une barrière (fragile) à ses obsessions. Notons au passage que le rêve qu’il fait avant que de renoncer à ce suicide ressemble assez à celui utilisé par Dostoïevski dans « Le rêve d’un homme ridicule »

Sexe salvateur ? « Les rivières sont décidément féminines et je me suis bientôt mis à imaginer les beautés possibles du corps de Vernice ; j’ai alors connu ma première érection diurne depuis six mois et ma vision tunnel s’est élargie pour englober davantage de vie autour de moi que mon esprit n’en avait enfoui. »

Terrible cette idée qu’il était condamné à ne pas pouvoir faire d’enfants sous peine de perpétuer, selon lui, une longue lignée de crapules avides, sans l’ombre d’un scrupule et prêt à tout pour s’enrichir.

Ce livre est bien trop riche d’idées que pour les évoquer toutes. Je voudrais alors tout simplement donner quelques phrases de l’auteur :

« - Mais je parie qu’en pêchant tu vas oublier tes soucis. Ou en ramant. Le corps se porte mal quand il ne se fatigue pas. »

« On ne peut pas absorber une trop grande dose de réalité. »

« … je n’ai pas supplié Dieu qu’il me débarrasse de ma lubricité. Je n’avais pas renoncé à Dieu et à Jésus, mais seulement à cette idée selon laquelle la force divine réussirait à bannir mon désir. »

« Mais chaque communauté humaine possède son chœur grec classique, qui marmonne, bavarde, gémit en arrière-fond sonore. »

« …la haine dévore l’âme avec toute l’énergie d’un chien affamé. »

« Il y a trois jours j’ai brièvement fait l’amour avec une bibliothécaire dans ses réserves et nous avons tous les deux été contents de nous. Cet acte était de toute évidence une affirmation de la vie contre les autopunitions coupables que vous avez décelées dans mon tempérament. »

« Les gens agissent rarement pour une seule raison. Nos motifs sont multiples, maladroits et confus. »

« Quand on ne peut pas pardonner à quelqu’un on devient son esclave mental. »

Quant à la nature, le livre en est rempli !…

Un excellent Jim Harrison et j’espère qu’il nous en donnera encore beaucoup d’autres…

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  Entretien avec Jim Harrison 15 Fee carabine 22 juin 2011 @ 23:29

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