Quand amour chrétien rime avec charniers fuégiens

Milieu du XIXe siècle. Des missions évangélistes décident de s'installer en Patagonie avec pour but principal de convertir les Indiens « primitifs » de la région. Parmi ces missionnaires, le récit se concentre sur la vie de Duncan Mac Isaac, un pasteur méthodiste, persuadé de détenir la Vérité avec un grand V et d'œuvrer pour le Bien. La vie dans ces contrées froides et ventées est extrêmement dure et la mission de conversion se transforme rapidement en un martyre accepté. Les résultats sont médiocres, mais ne découragent pas notre homme de poursuivre son apostolat. Le lecteur suit, parallèlement aux tribulations de la mission, la correspondance épistolaire amoureuse, mais surtout caractérisée par une belle émulation fanatique, entre le pasteur et une jeune fille, Elisabeth, qu'il a laissé en Angleterre.

Au delà du destin de Duncan Mac Isaac, Saint-Loup a voulu décrire la formidable bonne conscience de ces évangélisateurs doublée par une indifférence totale vis-à-vis des populations indigènes rencontrées, celles-ci ne présentant un intérêt que dans la mesure où ce sont des âmes à convertir. Mais, les meilleures intentions du monde ont pour résultat l'extermination quasi totale des trois peuples locaux, tout d'abord, les Yagans et les Alakalufs, des pêcheurs nomades vivant dans les nombreux canaux de Patagonie, puis les Selknam en Terre de Feu.

Pour construire son récit, Saint-Loup s'est vraisemblablement appuyé sur les mémoires laissés par les protagonistes de l'époque, l'extermination des Selknam étant bien documentée grâce à un procès ayant eu lieu en 1895 au cours duquel des dizaines de personnes eurent l'obligation de témoigner. Comme le raconte l'auteur dans la suite du récit, la principale cause de l'extermination des Selknam fut la privatisation des terres de la Terre de Feu au profit de grandes estancias spécialisées dans l'élevage du mouton. Cette préemption des terres eut pour conséquence une diminution drastique des terrains de chasse des Indiens et engendra conflits et maraudages qui furent réglés sans pitié par les nouveaux propriétaires terriens. Il n'est pas certain en revanche que les missionnaires aient joué le rôle de pionnier qui est celui de Duncan Mac Isaac dans le roman.

Ces précisions historiques apportées, le récit de Saint-Loup est tout à fait prenant par les réflexions qu'il suscite. Le modus operandi de Duncan Mac Isaac est à la fois basé sur le mensonge (la fin justifie les moyens) pour persuader les indigènes que son dieu est plus efficace que le leur et sur la distribution de nourriture gratuite. Une fois, les indiens installés dans la mission, l'une des premières exigences du pasteur est de contraindre les femmes à se vêtir pour cacher leur sexe. Cette incapacité des religions du livre à accepter la naturalité et la nudité en dit davantage que de longs développements philosophiques. Dans ce cas concret, cette exigence aura des conséquences dramatiques puisque la tuberculose, une des principale causes de décès, se propagera à la fois par la surpopulation sur les lieux de mission et par le partage de vêtements infectés.

La préface rappelle que, lors de sa parution en 1953, ce livre faillit obtenir le prix Goncourt, avant que le passé de l'auteur ne soit éventé. Le prix littéraire a récompensé tellement de croûtes que cela a peu d'importance. Dans le cas de La nuit commence au Cap Horn, ni le style de Saint-Loup, ni sa capacité à créer un certain suspense ne m'ont convaincu. Ici, c'est indéniablement la force du sujet et son caractère profondément tragique qui rendent cette lecture forte et instructive.

Extrait : « Je n'ai eu le temps de vous écrire depuis ma visite à Ushuaia et mon escale aux Falklands, La mission de Beagle se meurt ravagée par les épidémies... Le nombre des conversions est maintenant très élevé. Pas un indigène ne quitte cette vallée de larmes démuni des saintes lumières. Ils sont devenus exemplaires dans l'art de mourir chrétiennement. »

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  La nuit commence au Cap Horn [Texte imprimé] Saint-Loup

  de Saint-Loup,
  Transboréal / Voyage en poche (Paris)
  ISBN : 9782361570804 ; 12,90 € ; 22/01/2015 ; 410 p. ; Broché

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