Pas si calme... de Helen Zenna Smith
(Not so quiet)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Romans historiques
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La guerre est aussi une affaire de femmes
« All quiet on the Western front » est le titre anglais du célèbre roman d’Erich Maria Remarque sur la première guerre mondiale. Face au succès de cet ouvrage « ennemi », l’édition anglaise a commandé un ouvrage… ce livre, c’est Pas si tranquille (Not so quiet en version originale).
Un roman qui se distingue de ceux de Barbusse, Dorgelés, Genevoix, Remarque car il apporte un regard totalement différent et complémentaire : un regard de femme de d’abord, un regard de non combattant ensuite. Quelques mois dans la vie de jeunes anglaises de la bonne société engagées volontaires comme ambulancières. Par rotation, de jour comme de nuit, elles transportent les blessés vers les hôpitaux de l’arrière sur des routes défoncées, par tous les temps, en dépit parfois du manque de sommeil et de nourriture. C’est dur, sans langue de bois, ne pardonnant rien ni au monde politique, ni à la société bienpensante qui s’enorgueillit d’envoyer ses enfants en enfer, dans cette guerre « initiée par des vieux et menée par des jeunes ». A côté des mutilés, brulés et gazés, le roman évoque aussi explicitement les lésions invisibles de l’âme, les traumatismes de guerre encore mal compris à l’époque.
Rédigé par une journaliste sur la base de témoignage et journal de guerre, le roman se lit facilement mais est un peu répétitif dans les événements relatés (mais c’était après tout le triste quotidien) et en fait peut-être un peu trop dans la dureté des conditions de vie (avec la capitaine sadique qui multiplie les corvées arbitraires et la cuisinière qui rationne la nourriture… mais c’est vrai que les femmes peuvent être vaches entre elles). Pour ce qui est du bombardement des hôpitaux ou convois d’ambulance par les allemands j’ai cru sur le moment que c’était aussi de l’exagération mais ce fut une triste réalité (Vadelaincourt, Dugny, Etaples pour ne citer que quelques cas…). Malgré ses éventuels défauts, un témoignage dont il faut prendre connaissance.
Les éditions
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Pas si calme...
de Zenna Smith, Helen Bernard, Daphné (Traducteur) Bernard, Henri (Traducteur)
Éd. de Fallois
ISBN : 9791032102039 ; EUR 19,00 ; 19/09/2018 ; 240 p. ; Broché
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Une femme en enfer
Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 7 janvier 2021
C’est le journal de guerre d’une de ses amies, Winnifred Young, qui servit de référence à Helen Zenna Smith. Elle rédigea son texte d’un trait, à la première personne du singulier, adoptant ainsi, sans ambiguïté, le point de vue de la narratrice, qui porte d’ailleurs son nom ou plutôt son surnom, Smithy. Le résultat fit forte impression, c’est le moins qu’on puisse dire, sans compter qu’il apportait un point de vue original sur la Grande Guerre, celui d’une femme. Son succès, aussi bien du côté des critiques que de celui des lecteurs, fut immédiat, tout en en scandalisant plus d’un, car Helen Zenna Smith ne s’encombre jamais de bienséances. Le livre fut ensuite oublié, avant d’être récemment réédité.
Or la lecture de cet ouvrage n’a rien perdu aujourd’hui ni de sa force ni de sa virulence. Des témoignages sur la guerre de 14-18, il y en a en quantité, et certains, comme les livres de Maurice Genevoix, de Roland Dorgelès ou de Henri Barbusse restent incontournables pour qui veut appréhender tant soit peu l’horreur des tranchées. Avec Pas si calme… néanmoins, même si le récit se situe toujours à l’arrière de la ligne de front, c’est un document tout aussi impressionnant qui nous est proposé.
La plus grande partie du livre relate le quotidien littéralement infernal d’une unité d’ambulancières. Pour les femmes qui ont pris cet engagement et qui sont toutes issues de la bonne société britannique, le choc est d’une incroyable brutalité. L’horreur est telle que beaucoup de ces femmes ne font que passer : dès qu’elles se rendent compte des conditions de vie des ambulancières, elles s’empressent de partir ailleurs. Celles qui restent ne sont pas plus courageuses que les autres, elles savent seulement que, si elles retournent chez elles sans avoir accompli leur devoir jusqu’au bout, il s’ensuivra, pour elles et pour leur famille, un sentiment de honte qui les poursuivra toute leur vie.
Elles restent donc, confrontées à ce qu’il y a de pire au monde : transporter jour et nuit, sans presque jamais s’arrêter, des blessés affreusement mutilés vers des hôpitaux de campagne. Sans arrêt, elles entendent gémissements et cris et voient des jeunes garçons à l’agonie. Nombreux sont ceux qui meurent avant d’arriver à l’hôpital. À cela s’ajoutent le froid, la boue, la nourriture infecte, les insomnies et les travaux divers les plus repoussants, comme de devoir nettoyer l’arrière des véhicules souillé de vomissures, de sang, d’excréments et, de ce fait, dégageant une odeur pestilentielle. Et, comme si cela ne suffisait pas, ces malheureuses ambulancières doivent obéir au doigt et à l’œil à une Capitaine (surnommée La Vache !) qui ne leur laisse pas un instant de répit, leur infligeant volontiers, sous le moindre prétexte, punitions et corvées supplémentaires.
Confrontées à de telles épreuves, ces jeunes femmes ont beau avoir reçu la meilleure éducation, tout le vernis de leur savoir-vivre a tôt fait de disparaître. C’est un des leitmotivs du récit que de mettre en évidence l’annihilation progressive mais irréfrénable des convenances. Les horreurs de la guerre mettent tout en lambeaux : toutes les convictions, toutes les valeurs, à commencer par le patriotisme, sont fracassées. Rien ne résiste quand on est en enfer, rien ne sort indemne. Des jeunes femmes à qui on a pourtant inculqué la soumission à un certain nombre de valeurs mettent tout en question : obéissance aux autorités, sens du civisme, respect dû aux parents et même la chasteté que se doivent de préserver les jeunes filles avant le mariage, tout vole en éclats. Quant à la foi en Dieu et à l’éducation chrétienne, elles ne sont pas davantage préservées : « Pas de prières à adresser à Dieu, s’exclame la narratrice, car on a la certitude que Dieu n’existe pas ! » Un peu plus loin, elle traite les curés de blasphémateurs, puisqu’ils « prêchent la lutte armée ».
Helen Zenna Smith n’a pas de mots assez durs pour parler de ceux qui ont envoyé les jeunes gens au casse-pipe et ont obligé les filles à convoyer jour et nuit leurs corps atrocement blessés, mutilés, si ce n’est leurs cadavres. « Nos ennemis ne sont pas les Allemands, ose-t-elle écrire. Ce sont les politiciens que nous payons pour nous éviter la guerre et qui sont trop incompétents pour faire leur boulot convenablement ». Quant aux parents, quant aux mères en particulier qui, au pays, se targuent, dans leurs comités et dans les bureaux de recrutement, de faire leur devoir de citoyennes en envoyant leurs garçons dans les tranchées et leurs filles conduire des ambulances, ils n’ont droit à aucun égard sous la plume d’Helen Zenna Smith : leurs raisonnements sont traités de « balivernes » destinées à convaincre de nouvelles victimes !
La narratrice n’y va pas par quatre chemins quand l’occasion lui est donnée de parler à sa mère : « Je ne veux plus rien avoir à faire avec la guerre. Je hais la guerre. Je condamne le principe du meurtre légalisé ». Smithy est-elle devenue pacifiste, ose-t-elle tenir de tels propos à une mère pour qui, fidèle à sa classe sociale, ce mot est une obscénité ? Elle le peut, elle l’ose, oui, et il y a de quoi. Tout a changé en elle à jamais. La guerre chamboule tout, la guerre ne laisse rien indemne : ni le physique ni le mental. Le livre d’Helen Zenna Smith, c’est plus qu’un témoignage sur des horreurs indescriptibles, c’est le récit d’un anéantissement.
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