Une mémoire allemande : Entretiens avec René Wintzen de Heinrich Böll

Une mémoire allemande : Entretiens avec René Wintzen de Heinrich Böll

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Tistou, le 23 juin 2019 (Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans)
La note : 8 étoiles
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La mémoire allemande d’Heinrich Böll, en 1978

« Une mémoire allemande » est créditée à Heinrich Böll, mais en réalité il s’agit d’entretiens menés par son traducteur français, René Wintzen. Inutile de préciser que celui-ci connait parfaitement l’œuvre d’Heinrich Böll, ainsi que l’homme, manifestement, et que ces entretiens permettent d’en connaître un peu plus sur les environnements (géographiques, sociaux, historiques) qui ont forgé l’écrivain Heinrich Böll, Prix Nobel de Littérature 1972 tout de même !
La teneur de ces entretiens est de haute volée et les 184 pages ne se dévorent pas à la vitesse d’un quelconque ouvrage récréatif ! C’est peu de dire qu’il faut prendre le temps de digérer les pages, les thèmes, les uns derrière les autres.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que « Une mémoire allemande » a été écrit en 1978. Soit 33 ans après la défaite de l’Allemagne nazie et … il y a 41 ans. Soit quasi à mi-chemin entre la fin de la guerre et maintenant.
Cinq grands thèmes définissent cinq chapitres :
- Ce que j’appelle la morale du langage.
- Se reconnaître catholique, oui. Mais il n’y a pas de littérature catholique.
- L’écrivain, ses personnages et les autres.
- Le soldat de première classe, Heinrich Böll.
- Mon métier : écrivain.

La somme d’informations est considérable et il serait vain d’essayer d’en donner, même une vague idée, dans le cadre de cette critique. Concentrons-nous sur les quelques exemples suivants :
- Tiré de « se reconnaître catholique, oui … »
« Je pense qu’il faudra trouver de nouvelles formes de rapports entre les hommes et les femmes, des formes qui ne lèsent en rien les femmes car elles ont besoin, elles aussi, d’une sécurité légale. Avant tout, il faudrait supprimer la notion de différence entre un enfant légitime et un enfant naturel. Il me semble qu’une vie commune non légalisée lie les êtres bien davantage que le mariage, parce que l’institutionnalisation légale de dormir ensemble et du devoir comme du droit sur l’autre qu’elle implique, est par trop absurde pour pouvoir être acceptée.
…/…
Reprenons la question du mariage. Les femmes, dans la mesure où elles n’ont aucune formation professionnelle, sont pratiquement sans défense devant cette institution, cette législation du couple. On peut se demander s’il convient de maintenir la forme actuelle du mariage et de la famille. Ce n’est qu’un compromis qui sans doute durera encore quelque temps, mais ce n’est qu’un compromis absolument inacceptable sans une bonne dose d’ironie ou d’humour. »

Et c’est pour apprécier la portée de ses propos qu’il convient de se souvenir qu’ils datent d’il y a 41 ans ! Pour un catholique revendiqué, élevé dans la foi (il avait fini par repousser l’institution catholique mais était resté croyant), il fait preuve d’une grande lucidité. Et pour avoir fréquenté ces dernières années le monde professionnel allemand, je puis attester que la situation des femmes allemandes a évolué dans le sens qu’il imaginait.
- Tiré de « Mon métier : écrivain » :
« Qu’un écrivain, qu’un peintre ayant du génie ou étant très doué échoue pour avoir mal organisé son travail, cela s’explique sans doute parce qu’il n’a pas trouvé le juste équilibre entre l’intuition et la technique. Le labeur seul ne suffit pas, et pas davantage la seule intuition. C’est cet accord entre labeur et intuition qu’il faut trouver, compte tenu du rapport mouvant qu’ils entretiennent constamment entre eux : il y a là une sorte de jeu qui n’est pas sans agrément et auquel le lecteur peut participer à sa manière. Un jeu qui consiste à rassembler les idées, les figures, les formes, un jeu qui est totalement indépendant de l’importance du travail. Il est parfois plus facile d’écrire un roman qu’une nouvelle, parce que pour écrire un roman, on dispose de beaucoup plus d’espace et que l’on peut précisément jouer avec cet espace. »

Il est toujours touchant d’avoir le sentiment d’un écrivain sur la manière dont il envisage sa pratique, dont il considère ce qu’elle peut recouvrir, et Heinrich Böll ne mégotte pas ses considérations sur ce thème !
D’une manière générale on découvre un homme « éveillé », rhénan d’origine et ceci a une importance qu’on ne soupçonne pas depuis la France (les Rhénans étant (étaient ?) considérés comme les « Français » de l’Allemagne et, à ce titre, méprisés par les Prussiens, plutôt originaires du nord-est de l’actuelle Allemagne).
De la même manière ses considérations sur son engagement au sein de la Wehrmacht durant la guerre sont éclairantes et passablement étonnantes par certains aspects, notamment sur l’état d’esprit des soldats allemands dès l’engagement du conflit.
Lire « Une mémoire allemande » c’est dépoussiérer sérieusement les partis-pris et autres clichés que nous pouvons nous coltiner au sujet de ce pays voisin et de ses habitants … il a 40 ans et plus !

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Les éditions

  • Une mémoire allemande : Entretiens avec René Wintzen
    de Böll, Heinrich
    Seuil
    ISBN : 9782020048156 ; EUR 17,70 ; 01/04/1978 ; 199 p. ; Broché
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