Vision et Prière et autres poèmes de Dylan Thomas

Vision et Prière et autres poèmes de Dylan Thomas

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Anglophone

Critiqué par Septularisen, le 29 avril 2019 (Luxembourg, Inscrit le 7 août 2004, 56 ans)
La note : 6 étoiles
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«Et en silence je trais le sein du Démon».

Considéré au Royaume-Uni comme le plus grand poète de la première moitié du XXe S., Dylan Marlais THOMAS (1914-1953) est relativement peu connu dans nos contrées. La faute sans doute à une poésie obscure et relativement hermétique [qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de son illustre ainé William BLAKE (1757-1827)], et à la difficulté de la traduire.

Un poème est toutefois connu de tous, c’est «N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit»:

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur est mérité.
Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prirent et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa course,
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t’en prie.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.

Écoutez Dylan THOMAS lui-même, lire ce poème dans sa langue originale ici : https://www.youtube.com/watch?v=1mRec3VbH3w

Ecorché vif, éternel insoumis, provocateur, naïf, séducteur, solitaire, jeune poète prodige au parcours similaire à celui de son illustre ainé, Arthur RIMABUD (1854-1891), il composera l’essentiel de son œuvre avant 22 ans, pour ensuite ne plus vivre que d’alcool, de conférences, de nouvelles, de cigarettes, d’enregistrements de ses poèmes, de lectures, de scénarios de films, de pièces de théâtre.
Poète intimiste, il n’aura pas d’influence marquée sur d’autres poètes, à part peut-être la fameuse Sylvia PLATH (1932-1963) qui lui vouait une admiration sans limites. (Ici sur CL : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/45014).
Ne correspondant à aucun «mouvement» poétique, on pourrait aujourd’hui qualifier la poésie de Dylan THOMAS de «surréaliste» avant l’heure. Sa poésie est très personnelle, très attachante, très sensuelle, parfois très romantique. Faite très souvent d’envolées lyriques très passionnées, presque mystiques, d’un souffle interne, de confessions intimes qui frôlent l’impudique, de vers qui «éclatent» littéralement quand on les lit.

Ses thèmes récurrents sont la vie quotidienne, les femmes, la naissance et son corollaire la mort, le désir et bien sûr le sexe, la nature et en particulier la mer profonde, le ciel et la lune, la nuit et la vie nocturne, les animaux et en particulier les oiseaux, les paysages de son Pays de Galles et notamment ses vertes collines, les ténèbres, le Paradis Perdu, les fantômes et les Démons, la Bible, la lave des volcans…

Le tout dans un style unique, moderne, très ciselé, fougueux mais brillant. Il m’est difficile de parler, et encore plus de décrire une poésie si particulière. Puissante, nerveuse, sensuelle, intime, toute en passion et souffrance. Souvent très obscure (parfois trop), souvent très «noire» (parfois trop), souvent angoissante (parfois trop), souvent énigmatique (souvent trop), employant un langage qui lui est propre, parfois très cru d’ailleurs, «brut de décoffrage», qui râpe la langue quand on le lit. Un peu à l’image de son auteur d’ailleurs !

Laissons comme toujours pour finir la parole au poète, avec un de ses poèmes préférés :
(La typographie est celle du poète)

«La colline aux fougères» (Fern Hill).

Alors j’allais jeune et souple sous les branches des pommiers
Près de la maison berçante et heureux comme l’herbe est verte,
La nuit au-dessus la vallée étoilée,
Le temps me laissait clamer et gravir
Doré dans les beaux jours de ses yeux,
Et honoré parmi les chariots, j’étais prince des villes de pommes
Et, sous ce temps-là, seigneur des arbres et feuilles
Aux traînes d’orge et de marguerites
Je descendais les rivières de la lumière immature.

Alors j’étais vert et sans-souci, célébré parmi les granges
Près de la cour heureuse et je chantais dans cette ferme
Qui était ma maison,
Dans le soleil qui n’est jeune qu’une fois,
Et le temps me laissait jouer et me
Dorer dans grâce de ses pouvoirs,
Et vert et doré, j’étais le Chasseur et le Berger et le troupeau
Répondait à mon cor et les renards sur les collines
Aboyaient leur cri froid et clair
Et le sabbat tintait lentement
Sur les galets de la rivière sacrée.

Et tout au long du soleil, il courait, délicieux, le foin
Haut comme la maison, les mélodies des cheminées, c’était l’air
C’était l’eau et leurs jeux
Et le feu, vert comme herbe.
Et la nuit sous les simples étoiles
Tandis que je chevauchais vers le sommeil, les chouettes emportaient
La ferme et tout au long de la lune, j’entendais, béni
Parmi les écuries, les engoulevents
S’envoler avec les querelles
Et les chevaux ruer dans l’Obscur.

Et puis au réveil, la ferme, vagabonde blanchie de rosée
Revenait, le coq sur son épaule : c’était toute
Lumière, comme Adam et jeune vierge,
Le ciel se filait à nouveau
Et le soleil s'enroulait comme au premier jour.
C’était comme à la naissance de la simple lumière
Pendant le tissage du lieu originel, quand les chevaux
Ensorcelés sortaient encore chauds
De la verte écurie et hennissante écurie
Pour les champs de louanges.

Et honoré parmi les renards et les faisans
Près de la maison joyeuse, sous les nuages nouveaux et aussi
Heureux que le cœur était fort,
Dans le soleil nouveau-né
Je courais mes chemins sans-souci
Mes désirs lancés dans le foin aussi
Haut que la maison
Et je ne me préoccupais pas, dans mon commerce de bleu du ciel
De ce que le Temps n’accorde, dans son cycle mélodieux
Que si peu de ses chants matinaux
Avant que les enfants verts et dorés
Ne le suivent dans sa chute hors de la Grâce,

Et je ne me préoccupais pas, en ces jours blancs comme l’agneau,
De ce que le Temps m’emporterait dans ce grenier bondé
D’hirondelles à l’ombre de ma main,
Dans la lune toujours montante,
Ni que, galopant vers le sommeil
Je l’entendrais voler par les champs

Et m’émerveillerais dans une ferme à jamais absente
Du Paradis de l’enfance.
Oh et j’étais jeune alors et souple par la grâce de ses pouvoirs,
Et le Temps me piégeait, vert et mourant
Tandis que je chantais dans mes chaînes comme la mer.

Écoutez le grand acteur britannique M. Richard BURTON (1925-1984) lire ce poème en version originale ici : https://www.youtube.com/watch?v=2Z-ZuguSrQQ

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