Quai Tino Rossi de Xavier Dandoy de Casabianca

Quai Tino Rossi de Xavier Dandoy de Casabianca

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 23 mars 2019 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 10 étoiles
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Journal poétique d'une âme en interrogation sur son rapport au monde et à la création artistique

Editeur exigeant (comme le montre le catalogue des éditions Eoliennes qu’il dirige) et artiste plasticien installé en Corse, Xavier Dandoy de Casabianca est également l’auteur de plusieurs livres et plaquettes. « Quai Tino Rossi » est une sorte de journal d’annotations et de réflexions au fil des jours, mais non datées, écrites dans une tournure poétique sans emphase, dont la beauté émane directement de la densité d’un ressenti et d’immersions dans des instants vécus quintessenciés en quelques mots. L’écriture évolue au cours du recueil, qui commence en prose pour s’achever dans une succession de poèmes en vers libres.

Le titre, qui fait référence à un quai parisien du côté du Jardin des Plantes, où l’auteur avait ses habitudes quand il séjournait à Paris, évoque tout à la fois Paris, la Corse et les départs puisqu’un quai n’est rien d’autre que le lieu de début ou d’arrivée d’un chemin fluvial ou maritime… Saisissant ses derniers instants de vie parisienne avant son déménagement en Corse, où les éditions Eoliennes sont d’ailleurs désormais installées, Xavier DdC prend peu à peu congé des êtres et des lieux, cherchant dans ses errances à s’émerveiller de ce qu’il ne reverra pas et se défaisant de ses habitudes (L’ombre des cils d’une passante, sur le chemin, toujours le même, comme un sillon que je perpétue, voie sur laquelle mes pas me guident chaque soir) en confiant ses pas au hasard, dans une démarche qui s’apparente un peu à celles des surréalistes ou des âmes vagabondes :

A la manière de Luc Dietrich, j’ai pris le premier bus qui passait par là, jusqu’au terminus. A une minute près, c’était le 21. Mais c’est le 83. 17h50 : terminus. Une autre ville avec des noms de rues et d’avenues inconnues. Mon but est atteint car je n’avais plus rien à attendre de neuf dans cette journée, et je découvre un nouveau Paris avant de quitter la ville

Le ton du recueil est d’une émouvante sincérité. A petites touches, s’esquisse le portrait d’une âme à la fois inquiète et sereine. Une attaque cardiaque en avril 2008 lui a fait ressentir la proximité de la mort, désormais acceptée comme une possibilité ou une fatalité, tout comme l’humilité de ses conditions matérielles. Il vit de peu, tenant avec juste quelques euros, s’efforçant de composer avec la pauvreté malgré la frustration qu’elle peut parfois engendrer (notamment vis-à-vis des femmes que cette précarité peut soudain rebuter) :

Ne pas s’accrocher à la vie ;
Savoir vivre de rien ;
Se contenter de trois gorgées d’eau à la fontaine ;
Percevoir une goutte d’eau qui tombe d’un balcon sur mon front.
Tressaillir, frissonner ; vomir.
Ne pas être inquiet de n’avoir que trois sous en poche (difficile exercice pour moi) ;
Pouvoir tenir un mois avec 300 euros ;
N’avoir strictement RIEN à faire ;
Regarder les gens manger sans regard envieux ni jaloux ;
S’asseoir n’importe où sur des marches, sur un banc.
Etre chez soi partout.

En fait, l’inquiétude perceptible dans le recueil est d’un autre ordre. L’auteur, qui semble parfois se tenir en retrait du monde tout y étant immergé, est clairement en quête d’un sens et d’une harmonie, qu’il trouve notamment dans la sensualité amoureuse et dans la contemplation de la nature lors de ses visites au jardin des plantes (notamment la serre du jardin alpin, qu’il surnomme le Paradis). Il ne cesse de s’interroger, avec humilité et sans grandiloquence, sur son rapport au monde. Cette quête est pétrie de religion mais elle n’est pas dogmatique. En fait, elle est presque mystique, tant elle fait écho à une interrogation intime et personnelle sur le cosmos et tout ce qui dépasse la condition humaine, comme un ordre supérieur à portée de main sous réserve d’avoir les yeux ouverts et de ne pas être emporté par le flux, si puissant au cœur de la cité, des distractions quotidiennes et de la frénésie du matérialisme ambiant. Le recueil s’achève d’ailleurs ainsi :

L’immuable immensité / Eternité, / Qui ne demande qu’à / Etre vérifiée / Jour après nuit, / Heure après seconde / Soi en SOI.

Les prières sont des appeaux / Qui attirent les anges, / Non les oiseaux.

Parler aux anges / Voir en même temps / Quand on leur parle / Alors qu’on marche / Dans la rue ; / - Ce n’est pas si facile.

Vivre, mission : vivre / Suite à trop avoir été / Dans le « Pas-étant » ; / Vivre à l’abri du regard / Des pauvres d’âme, / Si lointains.

Ce rapport au monde trouve aussi sa résonance dans la création artistique, omniprésente dans les annotations de Xavier Dandoy de Casabianca qui semble s’intéresser à tous les arts. Mais c’est sur l’écriture que la réflexion s’approfondit le plus en témoignant du processus à l’œuvre dans la rédaction du recueil, comme une interrogation en miroir où l’écriture se retournerait sur elle-même :

Je pressens de plus en plus la survenue d’idées. Les meilleures, je les sens venir, comme quelque chose qui monte, associées à un état particulier de réceptivité, d’alacrité et disponibilité. Tout à coup j’écoute et je vois. Je prends mon carnet qui ne me quitte jamais, et qui s’use, jusqu’à partir en lambeaux.

(…)

Le livre mûrit : il ne sera qu’une trace d’un mouvement (spirituel) qui englobe les relations de chacun des intervenants.

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