Né du limon de Claude Louis-Combet

Né du limon de Claude Louis-Combet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 25 novembre 2018 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 10 étoiles
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Evocation poétique et sublime de l'émergence du vivant hors de la glaise du monde

Cette plaquette, portée par une langue superbe de densité et de précision, est une variation sur le thème du golem qui fut popularisé par Gustave Meyrink, au début du 20ème siècle, comme un monstre de glaise que des passes magiques, issues de la Kabbale, peuvent doter des apparences de la vie. Néanmoins, ici, Claude-Louis Combet ne s’embarrasse pas des rite et traditions mystiques : son golem ressemble davantage à un Titan de la mythologie grecque, né des noces de la terre et du ciel, qui s’émancipe progressivement de sa matrice originelle pour s’affirmer en tant qu’être.

Le texte est divisé en trois parties distinctes, dont la séparation est marquée par de très belles photographies noir et blanc d’Elizabeth Prouvost, qui ressemblent presque à des dessins au fusain et parviennent à saisir le mouvement des métamorphoses et l'androgynie de la créature.

La première partie évoque la genèse de l’être à venir, dont la présence est encore latente dans les mots qui cherchent un exutoire dans une bouche, une voix, pour devenir parole... Le langage est créateur, comme un écho aux premiers versets de la Bible « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu ». Le style est lapidaire. Avec des phrases très courtes, souvent purement nominatives, l’auteur parvient à restituer la violence des origines, tandis que la vie s’ébauche et cherche à prendre forme dans la matière du monde.

Que s’écartèle alors et se distende ce qui remue et cherche une forme – une terre plus vivante que la Terre, une face radieuse, des membres rayonnants, un être appelé à ramper, et pour cela pourvu d’un ventre et d’un soufflet de forge conçus pour des efforts infinis. Terre devenue corps : quelle folie ne fallait-il pas pour inventer cette merveille ? Le battement du cœur. Le ahan des poumons. La chaleur des entrailles. Le mouvement qui se déploie. Sur le ventre et la poitrine. A pleins bras de terre. A pleines cuisses. A pleines mains. Et la bouche ruisselante dans la boue. Tendresse infuse d’une Mère sans visage et sans limites, toutes aux sombres eaux qu’elle porte en elle.

La deuxième partie, centrale, est constituée d‘une suite de 13 poèmes en vers (dont le titre est rejeté à la fin du poème, comme une sorte de condensation des strophes), qui redisent la lente émergence d’un être hors de la matière, sous la poussée irrésistible d’un désir qui, aveuglément, fait germer la vie. Peu à peu, la forme se détache de la gangue matricielle du monde, se redresse, avance et titube, accède à la conscience de l’espace et du temps et façonne dans les mots le souffle de sa voix… Cette suite de poèmes est d’une très grande puissance, à la fois d’évocation et d’invocation ! Car l’auteur, comme un témoin magnifique, s’adresse à cette créature devenue homme et l’apostrophe, comme on encourage un enfant, pour l’aider à se tenir debout et à se hisser encore vers le ciel, en tournant sa face vers la lumière et en faisant vibrer la chaleur des mots.

2.
Ce qu’il touche et qu’il goûte
Ce qu’il respire et qu’il ressent
Voilà ce qui façonne le monde
Une ébauche dont rien ne le sépare

Il n’a pas à ouvrir les yeux
La nuit est totale
Il ouvre la bouche, il tend les mains
C’est sa seule clarté

Il n’a pas appris à saisir, à retenir
Caresser lui suffit
Il donne et il reçoit
Il n’a pas appris à mordre, il pose

Le baiser

La troisième partie est un peu singulière car elle s’apparente à un commentaire des deux précédentes, un peu comme une sorte de postface par laquelle l’auteur voudrait s’assurer que son texte a été bien compris. Pourtant, cette explication n’est pas pesante et, au contraire, prolonge les deux parties précédentes en ouvrant des perspectives mythologiques. Seuls m’ont un peu déplu quelques facilités sur la complémentarité des principes féminin (la terre) et masculin (le soleil), dont l’union donne naissance à un être androgyne, qui doit se dissocier. La conclusion du recueil est une très belle évocation de la condition humaine et de ses contradictions hantées par une pulsion de mort.

L’argile devenue chair, devenue sexe, devenue forme réduite, insatisfaite et désirante, entre dans l’histoire. De son passé immémorial, fait de bonheur aboli, de crises et de mutations, elle garde sa capacité toujours ouverte de souffrance et d’angoisse et la fragilité de son accomplissement. Il est de sa nature de limon d’aspirer à la régression, à l’indétermination, d’abandonner, pour reprendre les termes de Bachelard, les rêveries de la volonté au profit de celles du repos, dissolvantes et annihilantes.

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