Douleur exquise de Sophie Calle

Douleur exquise de Sophie Calle

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Sahkti, le 25 mai 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
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Cruelle douleur

L'aspect extérieur de l'ouvrage possède un petit côté kitsch rouge pailleté, une ambiance de toc. A mon sens, il traduit parfaitement les ondes qui se dégagent de ce ouvrage qui traite de douleur, de souffrance. Ce livre-objet, c’est un peu comme un bric à brac qui présenterait en un coup d’œil toutes les facettes de l’être humain, tous les visages de la vie. Des petites choses, des petits détails, des éléments pas vraiment beaux lorsqu’ils sont disposés ensemble mais ayant chacun une histoire et une fonction lorsqu’on les considère l’un après l’autre.
La couleur rouge, couleur par excellence de l’amour, de la joie, du bonheur, amour qui peut conduire à la pire des souffrance, la douleur de la rupture, celle dont on pense que jamais on ne s’en remettra et qui nous pousse à croire que la vie s’est arrêtée, que l’on peut mourir. L’amour, la souffrance, le rouge, la couleur du cœur, mais également du sang qui irradie ce cœur. Ce cœur qu’on brise ou qu’on secoue, qu’on étouffe, qu’on fait vivre. Le sang qui nourrit le cerveau, créateur d’émotions, de sensations, de pensées, de réflexions. Cœur et cerveau sont indissociables, berceaux de nos vies et de tout ce qui les composent.
Les paillettes… dérangeantes paillettes qui nous restent sur les doigts et qui correspondent à un feu d’artifice. La souffrance et la douleur irradient de mille feux dans le corps qu’elles ont envahi. C’est une explosion des sens qui fait mal, qui se décompose en mille morceaux, qui se faufile partout. Rien de pire que la douleur pour réaliser à quel point on forme un tout composé de tant de parties distinctes hurlant chacun leur souffrance, créant ainsi un immense chœur plaintif.
Le téléphone gravé en couverture… Pas beau, non, un téléphone n’est jamais beau. Enfin pour moi. Et pourtant, que d’émotions ne passent pas par un téléphone. Qui peut passer tout à tour de statut d’ami-amant à celui de meurtrier en fonction du message qu’il délivre. Que de coups au cœur ressentis via un simple téléphone.
Association esthétiquement peu heureuse de paillettes, du rouge, du bleu, du téléphone, du carton… mais symboliquement, quelle réussite!

Magnifique travail de Sophie Calle qui livre sa douleur. A sa manière. Créative et originale, mais essentiellement humaine.
Douleur provoquée par une rupture dans le cas présent, mais la souffrance est universelle et son travail s’applique à l’infini à d’autres situations de la vie.
Il y a longtemps, j’avais noté cette phrase extraite de l’Immortalité de Milan Kundera : "Le fondement du moi n'est pas la pensée mais la souffrance, sentiment le plus élémentaire de tous. Dans la souffrance, même un chat ne peut douter de son moi unique et non interchangeable. Quand la souffrance se fait aiguë, le monde s'évanouit et chacun de nous reste seul avec lui-même. La souffrance est la Grande École de l'égocentrisme."
La souffrance, la douleur, sont preuve de la vie. Il n’y a plus ici de "Je pense donc je suis" mais plutôt "Je souffre donc je suis". Caractère indissociable de la nature humaine, la souffrance est ce qui nous écrase et nous offre pourtant un formidable moteur de rebond, en particulier lors d’une rupture sentimentale, mais également en cas de maladie.

Très beau titre que ce "Douleur exquise".
La douleur, sentiment impitoyable et violent qui ne nous laisse pas le temps de respirer, qui nous saute à la gorge et nous étrangle du mieux qu’il peut. Peu importe la nature de la douleur. Quelle qu’elle soit, celle-ci paralyse et prend le dessus. la douleur devient physique et psychique, la souffrance est en nous et progressivement, on se surprend à s’y sentir bien. Paradoxe.
De là cette sensation "exquise" qui complète le titre. Si la douleur enferme, elle protège également, elle permet à notre cerveau d’argumenter son refus de réagir. J’ai mal donc je ne fais rien, j’attends, je regarde, je meurs. Exquise facilité à se complaire dans un malheur réel et obsédant, destructeur dans sa première phase, générateur de bouleversement lorsqu’on le prend en main.
Beau travail d’introspection de Sophie Calle avec le recul nécessaire. Evocation sans faute du parcours de la douleur, du comportement des corps et des esprits qui cherchent des garde-fous, du monde qui s’arrête de tourner puis de cette vie qui continue et continuera toujours. Avec ou sans nous.
Constat difficile à faire. Le monde bouge. Quoiqu’il se passe. A nous de le garder à l’esprit. Si la souffrance nous tétanise, elle n’empêche pas les autres d’avancer. Sophie Calle l’aurait souhaité, elle a interrogé diverses personnes de multiples horizons. Pas seulement pour se rassurer mais peut-être aussi pour universaliser cette notion de douleur, lui donner une identité sans pour autant la normaliser. Tous nous souffrons. Chacun à notre façon, mais la douleur est la même, violente et sournoise, cause de tant de souffrances qui paraissent insurmontables.

Dans ce livre, ce n’est pas uniquement son cœur que Sophie Calle a déposé mais également son esprit, ses bras, ses jambes, ses forces, toute son âme. Livrer sa souffrance, c’est se donner tout entier, avouer l’offrande involontaire de soi-même à la douleur et le rituel qui forcément en découle.
Langage délicat et subtil, car la douleur appartient à ces concepts indéfinissables, à ces signes qu’on ne peut mettre en musique aussi aisément qu’on le souhaiterait et qui pourtant sont connus et reconnus par tous.
Je n’irai pas plus loin, je me rends compte que j’ai déjà fait très long. Ce livre m’a, non pas émerveillée (même si le travail de Sophie Calle est remarquable), mais rassurée. Oui, rassurée, c’est le mot. Car il m’a offert une vision de la douleur qui est mienne, crue, violente, faisant partie intégrante de soi au point qu’on se voudrait mort mais qu’on s’aime vivant. Me rassurer en me bouleversant, par la sincérité des propos, par la force des photographies qui traduisent si bien le brouhaha né de la souffrance. Parce que j’ai entendu cette petite voix qui, parfois, hurle silencieusement "Vaut-il mieux mourir ou souffrir?".

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Les éditions

  • Douleur exquise [Texte imprimé] Sophie Calle
    de Calle, Sophie
    Actes Sud / Photographie
    ISBN : 9782742745135 ; 29,00 € ; 10/11/2003 ; 264 p. ; Relié
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  Sublimer la souffrance ? 28 Saule 29 juillet 2004 @ 11:10

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