Trop souvent les bons écrivains, emportés par l'ivresse de leur talent se sentent le devoir de prolonger leur texte encore et encore. Aurélien Bellanger est très talentueux et parvient durant près de deux tiers du livre à entraîner le lecteur dans une histoire très convaincante, très bien développée.
Le dernier tiers en revanche est beaucoup trop bavard et dénature un roman qui aurait gagné à être un peu plus économe de ses mots: la faute aux digressions houellebecquiennes qui parsèment le livre très régulièrement et qui trouvent clairement leur inspiration dans Les Particules élémentaires ou La Carte et le territoire.
C'est à l'un des meilleurs romanciers de notre époque que Bellanger fait tout le temps appel (Houellebecq donc): la multiplication des encarts techniques est l'outil qui forge la thèse du roman: la technique est la base du développement humain et le long 39ème chapitre, le dialogue entre le marquis d'Ardoigne et Clément le jeune architecte explicite comment l'humanité est régie par la technocratie universelle. C'est le règne des machines qui régit l'humanité et ce, depuis l'invention de la première pierre taillée.
Texte érudit et très travaillé, L'Aménagement du territoire se perd me semble-t-il parfois dans les méandres des détails infinis dont son auteur parsème les lignes. La société secrète dont on perd peu à peu de vue les motivations (indépendance de la Bretagne? anéantissement du développement du TGV, apocalypse libératoire pour Taulpin, le magnat du BTP?) est un peu farfelue et on regrette bientôt que le développement du récit ne se mette pas au service d'une idée plus convaincante, plus "réaliste". On attend tout au long de la lecture une vérité qui s'avère rocambolesque, dans un final qui ne l'est pas moins. Dommage.

La mise en place des lignes ferroviaires à grande vitesse, le désenclavement et le développement économique de l'ouest de la France sont étonnamment présentés sous la forme d'un roman, pour mieux introduire au grand public des sujets politiques, géographiques, économiques et administratives qui pourraient sembler rébarbatifs. Rentrer dans le for intérieur des décideurs, entrepreneurs, hauts fonctionnaires et grands propriétaires terriens remplit ces matières de l'énergie, des débats décisionnels et personnels, pouvant muer en guerres picrocholines, qui les animent.
Ce roman s'avère ainsi très vivant et instructif, ce qui est assez rare pour être souligné et conseillé.