Galerie privée de M. Saint-Clair
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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Une Dame d'exception
M. Saint-Clair est le pseudonyme de Maria Van Rysselberghe, née Monnom (1866 -1959).
Dans la constellation où elle se meut brillent les noms de Verhaeren (son amour de jeunesse, alors que l’imprimerie Monnom éditait les œuvres du poète), de Théo Van Rysselberghe, (le peintre néo-impressionniste, son mari), André Gide (son confident puis le père de sa petite-fille, Catherine Gide), et Pierre Herbart (son gendre). Dans cet entourage prestigieux, elle est loin de jouer la potiche.Bien au contraire, elle est une muse et une fine observatrice de ces hommes d’exception, ainsi que le révèle cette "Galerie privée", court mais dense opuscule divisé en « portraits », « croquis » et « hors cadre ».
Les "portraits", véritable oeuvre d’artiste, où le physique, le caractère et le style sont mis en étroite correspondance.
D’Émile Verhaeren, elle écrit : « L’enthousiasme était son pain nécessaire, il le partageait avec vous et semblait le pétrir de ses mains éloquentes, à la fois si fortes et si fines ; il le mêlait aux joies puériles, à tout ce qui fait cordiale et plaisante l’existence ordinaire. »
À Jules Laforgue qu’elle n’a pas connu (il est mort à l’âge 27 ans), elle adresse une sorte de lettre posthume. « Vous êtes pour moi d’une telle réalité que je voudrais vous retenir un peu, vous empêcher de vous défaire dans l’oubli. Mais qu’il est malaisé de maintenir une créature dans sa forme stricte, de ne pas empiéter sur le contour. Pourtant un goût véritable préfère à tout l’exactitude. »
Théo van Rysselberghe lui inspire bien entendu un portrait plein de tendresse mais non dépourvu de clairvoyance. « Le plus ardent, le plus constant de son existence fut consacré à son art ; il en connut les ivresses et les tourments. La partie métier de son art : l’action de peindre, de dessiner, le choix des meilleurs outils, des plus belles matières, des combinaisons les plus ingénieuses, n’était pour lui qu’amusement mais les conflits intérieurs de la création étaient plus difficiles à dominer. »
Les "croquis", plus impressionnistes, présentent d’autres auteurs mais non des moindres :
Henri Michaux : « On imagine assez bien Michaux peint par Giotto et caricaturé par Jérôme Bosch… », André Malraux : « Il ne parle jamais assis – son cerveau non plus ne consent pas à s’asseoir… », Pierre Herbart : « Une extraordinaire adresse dans les mains autant que dans l’esprit, habile à débrouiller tous les nœuds par sa rapidité de jugement qui se confond avec son instinct. », Albert Camus et d'autres.
Deux « hors cadres » pour finir: Gide, qu’elle a bien connu, et surtout beaucoup lu, et Péguy, qu’elle n’a pas connu, mais admirablement bien lu. Ici, c’est le style de ces auteurs qui est analysé, et avec quelle minutie et pertinence, force exemples à l’appui. « Péguy, enfant exemplaire et conforme, est devenu, par la vertu d’une inentamable autonomie, Péguy l’unique. »
Enfin, cerise sur le gâteau, M. Saint-Clair se risque à l’autoportrait à la troisième personne, ce qu’elle réussit avec beaucoup de malice et d’autodérision.
Les citations témoignent à suffisance de la haute tenue de cet esprit féminin, qui ne peut faire mentir la pensée de Valéry : « La syntaxe est une faculté de l’âme. »
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