L'Homme à l'étui de Tchekhov

L'Homme à l'étui de Tchekhov
(Человек в футляр)

Catégorie(s) : Littérature => Russe , Littérature => Nouvelles , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Henri Cachia, le 25 novembre 2016 (LILLE, Inscrit le 22 octobre 2008, 62 ans)
La note : 10 étoiles
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Le génie de Tchekhov...aussi dans ses nouvelles

Evidemment, il serait bien ridicule de vouloir présenter Tchekhov.

Ce n'est pas le moindre mérite des éditions Sillage, non seulement de publier trois de ses nouvelles : « L'homme à l'étui », « Voisins », et « La maison à mezzanine », mais également des repères biographiques et des repères bibliographiques, qui nous rappellent que l'auteur a commencé à écrire de nombreuses nouvelles dans des revues humoristiques, sous pseudonyme, réservant l'usage de ses vrais nom et prénom à des publications médicales.

En effet, Tchekhov arrive à Moscou en 1879, à l'âge de 19 ans, pour poursuivre des études de médecine.

« … De ces œuvres, qu'il considère comme des travaux alimentaires, il ne garde aucun manuscrit. Bien que ces récits ne soient pas dépourvus de recherches formelles ou narratives, leur auteur ne semble pas songer à la carrière d'homme de lettres... »

Ce n'est « qu'à » 26 ans qu'il publie sous son vrai nom trois recueils de nouvelles « Récits bariolés », « Dans le crépuscule » et « Innocentes paroles », après la sortie deux années auparavant d'un premier recueil « Contes de Melpomène » (sous pseudonyme).
Le succès de ces nombreuses nouvelles a largement contribué à faire de Tchekhov le dramaturge de génie que l'on connaît.

En effet, à l'âge de 27 ans « … la première d'Ivanov au théâtre Korch de Moscou donne lieu à de nombreuses controverses. La critique est très largement partagée, ce qui incite Tchekhov à réécrire une seconde version de sa pièce. Elle remportera un triomphe... »

« L'Homme à l'étui » pourrait être qualifié de normopathe (selon Jean Oury), obsédé par la norme, cherchant à se protéger du monde extérieur coûte que coûte, l'ordre comme règle essentielle à sa vie et cherchant à l'imposer aux autres puisque c'est un professeur qui s'arroge le droit de savoir ce qui est bien ou mal.
Extrait : « … Sa pensée, Bélikov tâchait de l'abriter, elle aussi, dans un étui. Seuls étaient nets pour lui les circulaires et les articles de journaux où l'on interdisait quelque chose. Quand les circulaires défendaient aux élèves de sortir dans la rue après neuf heures du soir ou que quelque part on s'élevait contre l'amour physique, cela était clair, déterminé. « C'est défendu, il suffit ! »... »

« Voisins » explore la difficulté de confronter ses propres idées, sentiments, à ceux des autres. Cette nouvelle parle aussi de la culpabilité, de la faiblesse ressentie à tort ou à raison par le principal protagoniste mis devant le fait accompli par sa sœur partie s'installer chez un homme marié.
Extrait : « … Dans la maison, dans la cour, dans le jardin régnait le plus grand silence, comme s'il y avait un mort chez les Ivachine. La tante, les domestiques et même, semblait-il à Piotr, les paysans, le regardaient avec curiosité et stupeur, comme s'ils voulaient dire : on a séduit ta sœur et toi tu ne fais rien ? Piotr se reprochait sa passivité, sans savoir ce qu'il aurait dû faire... »

« La Maison à mezzanine », avec comme sous-titre « Récit d'un peintre » annonce à mon humble avis, ce que l'on retrouve dans le théâtre de Tchekhov : une oscillation entre comment gérer le « rien-faire » et comment passer à l'action pour se rendre utile aux autres. Avec une prédominance pour le discours. Aussi, le personnage du peintre – dont on ne connaîtra pas le nom – qui ne « fait rien », se met à développer une philosophie sur la suppression du travail (source de tous les maux sociaux ) considérée comme oiseuse par Lyda, qui elle, est engagée pour la construction d'hôpitaux et d'écoles.
Mais des sujets comme les sentiments d'être ou ne pas être aimé, la culpabilité encore, ou la soumission de peur d'être rejeté, composent cette nouvelle très riche.
Extrait : « … Voué par le destin à un désœuvrement constant, je ne faisais positivement rien. Je regardais des heures entières, par les fenêtres, les oiseaux, les allées ; je lisais tout ce qu'on m'apportait de la poste ; et je dormais. Parfois je quittais la maison et errais au hasard jusque tard dans la soirée. Une fois, en rentrant, je pénétrai par mégarde dans une propriété inconnue... »

Excellente lecture, avec délectation.

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