Le bazar des mauvais rêves de Stephen King
(The Bazaar of Bad Dreams)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique , Littérature => Nouvelles
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Stephen King : still strong.
Ceux qui aiment Stephen King avouent parfois qu’ils l’aiment encore plus lorsque le romancier affronte l’exercice de la nouvelle (ou de la novella, mais le présent recueil n’en propose pas). La nouvelle est un exercice périlleux que Stephen King explore régulièrement et force est de reconnaître qu’il parvient chaque fois à respecter ce format d’écriture, non seulement en nous présentant laconiquement une situation et des personnages où tous les détails ont leur importance, mais, aussi, en nous faisant dévaler vers une chute spectaculaire ou ingénieuse. En effet tout le succès d’une nouvelle dépend de sa capacité à ne pas digresser et à proposer une fin attractive qui soit une résolution de toutes les tensions exposées en amont. L’auteur compare en outre la nouvelle à une sorte de camelote que l’on vend lors d’un vide-grenier : on sait tous que les auteurs veulent nous vendre une petite histoire, on a une bonne idée de la méthode de fabrication de ces histoires, on sait également que ces histoires ne vont pas durer longtemps, ainsi il est important de bien soigner ce que l’on voit d’abord, en l’occurrence les premières lignes, le moment où l’auteur prend la parole et nous encourage à rester parce que cela en vaut vraiment la peine. Beaucoup de ces auteurs sont des baratineurs, des écrivains qui se réclament un peu trop vite d’un maître ou d’une compétence ; ce n’est pas le cas de Stephen King. Avec ce Bazar des mauvais rêves, il renoue avec le genre de la nouvelle de façon brillante, et il donne l’impression qu’il peut ficeler une histoire avec absolument n’importe quoi, et, surtout avec très peu d’éléments préparatoires. C’est l’une des vertus indiscutables d’un grand écrivain : donnez-lui des causes simples et il engendrera des effets d’une très puissante complexité. Certains seraient tentés d’appeler ceci un phénomène de cristallisation. Il y a un peu de cela dans chacune des histoires que Stephen King a sélectionnées ici – en d’autres termes, il y a des faits d’une incroyable banalité qui basculent subitement dans une dimension merveilleusement inattendue.
Pour la plupart, ces nouvelles sont des textes inédits, et seulement quelques-unes ont déjà été notoirement publiées sous divers gabarits par le passé (on pense par exemple à « Ur »*, qui avait contribué au lancement du Kindle d’Amazon, ou encore à « Sale gosse », que les publics français et allemand avaient pu découvrir à la suite de la tournée européenne de Stephen King en 2013, à l’occasion de la parution automnale de Docteur Sleep). Cela étant, les nouvelles qui auraient déjà été lues naguère se relisent sans aucun déplaisir. Elles sont même d’une très grande qualité : « Sale gosse » ressuscite la figure classique d’une entité diabolique dont il est impossible de se débarrasser, sinon par le fait de soi-même devenir diabolique, et « Ur » constitue une impressionnante remise en perspective de la théorie des mondes possibles, en quoi elle fait aussi bien le bonheur des lecteurs chevronnés de Leibniz que des lecteurs moins philosophes qui aiment se perdre dans des intuitions de leur propre cru. Pour l’anecdote, « Ur » mentionne plusieurs fois le roman 2666 de Roberto Bolaño, chef-d’œuvre contemporain qui est une sorte de compromis entre le traité philosophique et l’épopée romanesque, autant d’enjeux narratifs qui sont contenus dans la nouvelle en question. Cette nouvelle est d’ailleurs si riche de sens qu’elle établit même un clin d’œil au célèbre cycle de la Tour Sombre.
À côté de ces morceaux de bravoure où le talent est soigneusement utilisé, des textes audacieux se détachent et certifient la polyvalence de Stephen King au cas où l’on aurait encore besoin d’en avoir la preuve flagrante. Ainsi « Ce bus est un autre monde » est une superbe fable sur l’intériorité, sur cette petite boîte qui réside en chacun de nous et que personne a priori ne peut ouvrir, cette petite boîte qui renferme notre monde et qui fabrique sa propre grammaire soi-disant incommunicable. Avec la même brièveté et le même résultat imparable, « Une mort » nous met dans une ambiance de western où nous suivons les dernières heures d’un coupable de meurtre tout désigné, sauf que, bien entendu, Stephen King concocte un final qui nous astreint à relire l’intégralité de la nouvelle parce que le coupable est peut-être ailleurs. Plus percutant encore, nous avons « La dune », qui évoquera aux lecteurs émérites de Stephen King le roman Duma Key. C’est une nouvelle très calibrée, un modèle du genre, et pourtant, comme l’avoue l’auteur, la fin est délectable bien qu’on puisse la sentir arriver.
Enfin, signalons l’excellence de la nouvelle d’ouverture, « Mile 81 », qui réussit le tour de force de nous présenter une énième histoire de voiture méchante complètement horrible, voire scandaleuse, un thème du reste cher à Stephen King. Cette nouvelle est d’autant plus efficace qu’elle est suivie d’un bref texte sobre, une petite cruauté en hommage à Raymond Carver, une mignardise dont la sobriété ne peut que nous rappeler ô combien la première histoire est descendue profond dans le précipice de l’épouvante ! Mais peut-être que s’il fallait identifier la nouvelle la plus dure, ou à tout le moins la plus attristante, l’on citerait volontiers « Herman Wouk est toujours en vie », parce qu’elle raconte comment (et spécifiquement pourquoi) une femme décide d’emmener dans la mort ses enfants et ceux de sa meilleure copine. C’est une histoire de suicide altruiste malheureusement très réaliste et elle nous a remis en mémoire le tout premier long métrage de Michael Haneke (Le septième continent).
Par conséquent et en dépit du fait que nous sommes loin d’avoir recensé toutes les nouvelles, il est indispensable d’affirmer qu’il y a une assez surprenante gamme d’émotions dans ce recueil, et tous les niveaux de lecture sont recevables tant Stephen King est habile pour s’adresser aux adultes sourcilleux comme aux enfants qui croient encore au croque-mitaine. On aurait en revanche pu se dispenser, éventuellement, des deux longs poèmes (« Église d’ossements » et « Tommy »), ceci dans la mesure où l’auteur admet que la poésie n’est pas sa tasse de thé, sans parler de la traduction française qui n’aide pas toujours à profiter du support original. Ceci étant, ce ne sont là que quelques pages (une vingtaine) sur un recueil qui en compte tout de même six cents. On trouvera largement de quoi rattraper ces poèmes mineurs.
* "Ur" n'est pas un inédit pour le public français qui lit en anglais car la parution du texte avait fait un certain bruit en son temps. Sinon, en français, on avait déjà pu lire "À la dure", paru dans la version poche du recueil Nuit noire, étoiles mortes.
Les éditions
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Le bazar des mauvais rêves [Texte imprimé]
de King, Stephen
Albin Michel
ISBN : 9782226319418 ; 23,90 € ; 12/10/2016 ; 600 p. ; Broché -
Le bazar des mauvais rêves [Texte imprimé], nouvelles Stephen King traduites de l'anglais (États-Unis) par Océane Bies et Nadine Gassie...
de King, Stephen Gassie, Nadine (Traducteur) Bies, Océane (Traducteur)
le Livre de poche / Le Livre de poche
ISBN : 9782253083405 ; 10,90 € ; 07/02/2018 ; 864 p. ; Poche -
Le bazar des mauvais rêves [Texte imprimé], nouvelles Stephen King traduit de l'anglais (États-Unis) par Océane Bies et Nadine Gassie
de King, Stephen Gassie, Nadine (Traducteur) Bies, Océane (Traducteur)
Éd. France loisirs
ISBN : 9782298122039 ; 29,99 € ; 01/06/2017 ; 608 p. ; Broché
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Un grand recueil de nouvelles
Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 31 mai 2021
Celui-ci est selon moi du niveau de "Brume" ou "Tout Est Fatal", autrement dit : la vache !!!
On y trouve quelques nouvelles (dont deux poèmes en prose ; comme dans "Brume", d'ailleurs) un peu curieuses, pas vraiment kingiennes. Notamment "Une Mort" qui a été écrite sous l'influence de Cormac MacCarthy.
"Billy Barrage", assez longue, traite essentiellement de base-ball, sport dont King est, comme un bon nombre de ses compatriotes, aussi fan que les Européens le sont de football. Ca pourrait être ennuyeux comme la grêle un jour d'exposition en plein air de porcelaine de Limoges, mais il n'en est rien.
"Sale Gosse", "Nécro", pour ne citer qu'elles, sont à tomber, et le sommet de ce long recueil, pour moi, est "Ur". Un professeur de littérature de lycée un peu old school décide de sauter de pas et d'acheter, sur conseil de ses élèves, un kindle sur Amazon. Celui qu'il reçoit est rose (d'ordinaire, le blanc est la seule couleur), et il permet de se connecter à un réseau du nom de Ur, qui propose des oeuvres inédites d'auteurs célèbres, morts, pour certains, depuis des décennies (Hemingway...)...
Dans l'ensemble, ce recueil est impressionnant. De prime abord, il semble des fois à la limite du hors-jeu, il y a en effet plusieurs nouvelles qui semblent intruses, vraiment pas dans le style habituel de King. Mais ça change, après tout.
Remarquable, vraiment !
Énièmes mauvais radotages
Critique de Antihuman (Paris, Inscrit le 5 octobre 2011, 41 ans) - 20 novembre 2017
Pépé King veut désormais être considéré comme un auteur sérieux et se plaît à singer - entre autres - Raymond Carver, sauf que son style à lui ressemble plus à un pisse-copie consensuel et bavard; et surtout quand il quitte son domaine favori du fantastique. Sauf que justement, la plupart des récits traditionnels kingiens présents dans ce livre sont plutôt vides de style et particulièrement anecdotiques. Je pense à par exemple "Miles 81", nouvelle très datée figée au début des années 80 totalement hors de propos dans ce recueil: enfin, à l'âge de 11 ans, j'aurais sans doute voulu y croire...
Le reste est perclus de fatuité et de suffisance et l'on quitte notre lecture en se demandant quelle en était la finalité , la fin, ou le début. On comprend que ce vieux monsieur tellement idolâtré (et pas que par les meilleurs) veuille dorénavant plaire aux universitaires, mais il faudrait peut-être te remettre en question 2 minutes et oublier tes yes-men, Stephen !
Bien sûr, quelques restes du King sont là quand même et participent au dogme (tel "Sale Gosse", plein d'impertinence et de culot à rebours des fondements de notre société) mais l'ensemble est tellement indigeste que j'avoue en avoir quitté la lecture passé le milieu et quelques autres séquelles à dormir debout; dont on devine d'ailleurs l'issue à la première ligne.
J'espère reprendre ma lecture sous peu, et aussi que les fanatiques en tout genre liront peut-être un jour quelque chose d'un peu différent...
Bien.
Critique de Palmyre (, Inscrite le 15 avril 2004, 62 ans) - 12 mai 2017
Par contre je n'ai pas du tout aimé "Billy Barrage", trop de langage concernant le base-ball!
J'ai quand même lu ce livre avec grand plaisir! Stephen King c'est quand même ...Le King! ;o))
J'aime toujours autant sa façon de s'adresser à nous ses lecteurs fidèles comme si nous étions amis depuis des années.
En terrain connu
Critique de Kalie (Sarthe, Inscrit le 4 juillet 2010, 54 ans) - 22 février 2017
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