La mauvaise habitude d'être soi de Quentin Faucompré, Martin Page

La mauvaise habitude d'être soi de Quentin Faucompré, Martin Page

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Nouvelles

Critiqué par Sundernono, le 26 septembre 2016 (Nice, Inscrit le 21 février 2011, 41 ans)
La note : 8 étoiles
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Être, ou ne pas être: telle est la question.

La mauvaise habitude d’être soi est un recueil de sept nouvelles écrites par le talentueux Martin Page, l’un de mes écrivains favoris. Ayant pour thème l’identité, la perception de sa propre personne, du moi, du rapport aux autres dans un univers absurde et ubuesque, ce recueil décrit bien souvent des situations savoureuses, à l’image d’une première nouvelle, le contraire d’un phasme, dont voici un court extrait :
« Raphaël a mal à la tête. Il vient juste de se réveiller, il chancelle à cause de la fatigue et de l'alcool bu cette nuit. Simplement vêtu d'un T-shirt et d'un caleçon, il s'approche de l'entrée. Il a cru entendre du bruit. Sur la table sont dispersés des verres et des bouteilles, mais aussi des particules blanches, des morceaux de papier d'aluminium pliés, une petite cuillère avec des marques de brûlure, plusieurs cartes en plastique - autant d'éléments indiquant que de la drogue a été consommée.
La poignée de la porte bouge. Raphaël s'immobilise. La porte s'ouvre violemment et un homme pénètre dans l'appartement. Il a des gants en plastique et tient une mallette noire à la main. Les deux hommes sont surpris, effrayés de se trouver face à face. Par réflexe, Raphaël recule. Mais l'homme ne semble pas menaçant. Il dit :
- Qu'est-ce que vous faites là ?
Raphaël est décontenancé par cette inversion des rôles. C'est à lui de poser la question.
- J'habite ici.
L'homme sort une carte de la poche de son manteau. C'est une carte de police. Il est lieutenant.
- Pendant un moment j'ai craint de m'être trompé, dit le policier. Cela ne va pas du tout : vous devriez être sur la scène du crime.
Il accroche son imperméable au portemanteau comme s'il était chez lui.
- Quelle scène du crime ? demande Raphaël.
Le policier s'est trompé d'appartement, pense-t-il. Discrètement, il se dirige vers la table du salon : il veut se débarrasser des traces de drogue.
- Oui, dit le lieutenant après avoir feuilleté son bloc, c'est bien ça. Vous devriez être entre le canapé et la table basse.
- Pourquoi voulez-vous que je sois là ?
Le policier le regarde comme s'il se moquait de lui. Il soupire et se passe la main dans les cheveux.
- C'est l'endroit où vous avez été assassiné. Si on commence à mettre la scène du crime en désordre, les gars du labo vont piquer une crise. Ils sont du genre maniaque.
Raphaël ne comprend rien. »
Comme toujours le style Martin Page fait la différence. L’écriture est belle et élégante mais le ton est souvent ici plus léger et plus drôle que dans les autres œuvres que j’ai pu lire de cet auteur. La lecture est plaisante, très plaisante.
Autre point fort : l’originalité des situations rencontrées. Un homme apprend qu’il est une espère en voie de disparition, un autre se rend soudain compte de la dangerosité du monde qui l’entoure et décide de réagir (le monde est une tentative de meurtre). Dans une autre nouvelle un personnage postule pour devenir un coupable et être enfermé, un nouveau « métier » qui va s’avérer être particulièrement difficile à obtenir (vocation pour une occupation perpétuelle) … Bref ce petit livre est un petit bijou d’humour par l’absurde.
A cela s’ajoutent les illustrations plutôt originales de Quentin Faucompré qui apportent un plus. Une petite touche de fantaisie assez agréable.
Cependant sous cet aspect drôle, Martin Page met en avant certain drames de notre société moderne : la crise du logement, la solitude, le chômage, l’erreur judiciaire.
Mon seul bémol se situe au niveau de la brièveté du récit. Cela se lit vite, très vite. Il ne m’a fallu que quelques heures pour en venir à bout, et encore en lisant vraiment très tranquillement. Certaines nouvelles m’ont laissé parfois sur ma faim. Certes le format nouvelle amène souvent cette frustration mais ici elle devient d’autant plus forte que l’on sent qu’il y avait matière à aller beaucoup plus loin.
Dommage…

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