Jonas de Jean-Paul de Dadelsen
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie
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vie, vorace, vulnérable
Je connaissais Félix Vallotton, qui venait dans les musées où ses tableaux étaient exposés, afin d'y ajouter une touche de bleu sur un profil, un voile de mauve sur une tenture. Il semblerait que Jean Paul de Dadelsen en soit un cousin-poète: lui aussi était accoutumé à reprendre ses poèmes, et à les considérer comme autant d'esquisses en suspens: les rares textes qu'il a publiés de son vivant (1913-1957) n'étaient jamais que "provisoirement définitifs". J'évoque cette démarche pour deux raisons: jamais auparavant je n'avais perçu si vivement ce qui fait la pulpe d'un poème* et jamais auparavant je n'avais senti tant d'humilité dans la création poétique.
Sans doute la vie de Jean Paul de Dadelsen peut elle venir en appui de ce second ressenti. Né en Alsace, il a au cours de sa vie eu mille existences différentes, a couru le monde - et les jupons. De poésie, en revanche, il fut peu question. C'est donc harnaché à ce vécu changeant, aussi inquiet peut-être en profondeur qu'il était débonnaire à la surface, qu'il a rassemblé la matière de ses poèmes. Jusqu'à ce que lui soit annoncé en 1952 qu'un cancer campe dans sa caboche. Il se met donc, de vers en vers, à la poursuite de...
De quoi? Définir ce que le poète vise, eh, grande ambition. Dire ses thèmes, déjà. Dire qu'il les a développés dans bien peu de ce qui correspondrait à de courts recueils: Bach en automne , publié à l'instigation de Camus en 1955, et Jonas en 1962. A cela s'ajoutent des poèmes regroupés selon leur thème, leur force, leur ton, tel que ce Pâques 1957 dont les mots ont été empilés en dernier rempart avant la mort, ou pour tracer un pont vers elle.
Ses thèmes, donc:
la baleine: ce qui dans la vie mange la vie - au sens ça me bouffe la vie.
La baleine: la guerre, déjà, qui a gobé des milliers de vie, a recraché des ombres.
Les ombres: les camarades perdus, leur souvenir à l'ombre duquel il faut tâcher de voir, sentir.
Le sensible ("ô seule école de la mort"): la butée au milieu d'un beau désespoir, la possibilité de la truculence, la malice.
et Dieu. J'ai découvert de Dadelsen par l'entremise d'une anthologie de la poésie mystique contemporaine. De fait, l'appel à Dieu va et vient dans une vaste majorité de ses poèmes. Dans un coin, dans le cœur intime de l'homme. Dieu comme cette très petite chose au fond de ceux qui lui ménagent une place, Dieu grandiose indifférent qui jette en pâture les soldats aux yeux clairs dans la béance de la guerre. Dieu qu'il accable d'interjectives, qu'il interroge le long de vers versatiles, où il plonge dans la vie lourde, la vie peu à peu devenue exsangue. Sa vie, tronquée par le cancer. Le répit qui se dérobe. Peut-être.
Voilà: le premier recueil que j'ai lu de bout en bout, que j'achèterai quand j'en aurai l'occasion, que je soulignerai au crayon le plus fin. Surtout, dont j'aimerais que des phrases viennent m'irriguer sans que j'y prenne garde.
* grâce au passage où sont présentées cinq versions d'un poème. Dans la supplique qu'il lance à Odile, sainte patronne alsacienne, j'entends comme un écho qui dirait "ô Dieu". Cela me plaît, que Dieu puisse être une femme alsacienne, à qui l'on rapporterait le brame obstiné du cerf et le vol de la cigogne. Cela me plaît et m'élève: poésie.
Les éditions
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Jonas [Texte imprimé], et autres poèmes Jean-Paul de Dadelsen Jean-Paul de Dadelsen présenté par Henri Thomas et Denis de Rougement édités par Baptiste-Marrey
de Dadelsen, Jean-Paul de Baptiste-Marrey, (Traducteur)
Gallimard / Collection Poésie (Paris. 1966)
ISBN : 9782070307821 ; 9,50 € ; 01/09/2005 ; 252 p. ; Poche
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