Ulysse de James Joyce

Ulysse de James Joyce
(Ulysses)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par FightingIntellectual, le 12 mars 2004 (Montréal, Inscrit le 12 mars 2004, 42 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 10 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (746ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
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La tradition remaniée

Que dire sur Ulysse sinon: Lisez-le! L'oeuvre de Joyce est un must pour se situer lors de l'évolution du roman.

L'auteur irlandais défonce les structures narratives conventionnelles et impose un style nouveau, nous faisant voir l'univers mental de ses personnages, nous ouvrant le chemin à leurs réflexions tout en remontant le cours de la prose anglaise en dix-huit styles bien définis.

Ce livre est très compliqué, voire labyrinthique, mais il est un intouchable chez ceux qui veulent approfondir leurs connaissances littéraires.

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Une immense épopée onirique

8 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 30 octobre 2017

Exprimer une opinion sur ce livre-phare aux abords effrayants relève effectivement de la gageure, comme il a été écrit plus haut ; aussi cette présentation et cet avis ne contiennent-ils aucune once de prétention ou de volonté d'originalité. Cela relève de ma démarche habituelle, mais le rappeler s'impose ici.
Cette épopée où trois protagonistes cohabitent et alternent dans l'avancée narrative permet de visiter, presque au sens topographique du terme, la vie à Dublin, ses difficultés, ses misères, ses éléments de beauté et ses instants de grâce. L'italien, l'allemand et le latin viennent ponctuer cette traversée-fleuve, au milieu de termes gaéliques de restitutions du folklore irlandais. Dedalus l'onirique et Leo Bloom le sensuel permettent d'en montrer différentes facettes.
Aussi ce roman permet-il de se remémorer que l'art est autant fait pour être ressenti que compris, et il s'avère utile pour cela. Il me fallait un peu de temps devant moi pour venir à bout de ces mille deux cents pages, au prix d'une révolution personnelle préalable, tant de personnes dans mon entourage ayant échoué à mener cette aventure de lecture à son terme. Une préparation serait probablement nécessaire, en effet, puisqu'il est fait allusion à la montée de l'Everest dans une critique précédente.
Le procédé narratif est déstructuré, variable au fil du temps, et il n'est pas désagréable de se laisser voguer au gré de cette épopée, qu'il faut aborder sans aucune idée préconçue.

Dur, dur

7 étoiles

Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 1 février 2014

Dans certaines régions, il y a des montagnes qui dominent le paysage, et vers lesquelles convergent les regards, où qu’on soit. En littérature c’est un peu pareil, il y a des œuvres qui font référence, qu’on croise et recroise de façon plus ou moins indirecte. Ulysse étant l’une d’entre elles, j’ai voulu la lire.

Après s’être renseignée, mon épouse m’a offert l’édition de la Pléiade. C’était un bon choix. A moins d’être parfaitement bilingue anglophone, et de savoir sans doute aussi quelques mots d’irlandais, aucune chance de le comprendre en VO. C’est déjà assez dur parfois en version traduite !
De même, une version avec des notes et commentaires est indispensable (même si ceux de La Pléiade ont comme souvent tendance à être un peu trop copieux). Ulysse fait bien référence au héros de l’antiquité, et James Joyce avait baptisé chaque chapitre d’après un épisode de l’Odyssée. Mais les références sont très subtiles, très indirectes et sauf à être extrêmement cultivé et attentif, on ne remarque pas grand-chose...

Même avec cela, c’est une expérience de lecture terrible. Vingt-quatre heures d’errance dans Dublin de deux personnages censés évoquer Ulysse et Télémaque... il ne se passe pas grand-chose pour soutenir l’attention.
Un exercice de style, chaque chapitre étant l’occasion d’expérimenter une technique d’écriture différente, certaines traditionnelles comme le théâtre ou le récit, d’autres directement puisées dans le parler populaire, certaines enfin totalement avant-gardistes et annonçant bien des expérimentations à venir (comme le dernier chapitre, Pénélope, totalement dépourvu de ponctuation). Pour compliquer encore les choses, on est souvent dans l’esprit des personnages, le texte étant alors le tissu décousu de leurs pensées... Et ça sur des centaines de pages.

A réserver aux lecteurs aguerris, ou bien à ceux qui auront le temps de se plonger dedans et de lire méticuleusement ce monument...

Titanesque

10 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 27 octobre 2011

Quelle gageure ! Il est des tâches devant lesquelles les bras nous tombent ; il en est d’autres dont on ne sait véritablement pourquoi on les entreprend. Lire Ulysse relève de la première catégorie ; le critiquer de la seconde : c’est ridicule, on sait qu’on ne sera pas à la hauteur, c’est affronter l’Everest sans préparation.

Il y a pourtant déjà un peu de ça dans la lecture elle-même. A force d’entendre parler de ce livre comme d’un des plus grands chefs-d’œuvre du vingtième siècle, à force de le voir revenir régulièrement en tête de ces listes un peu vaines prétendant énumérer les X plus grands livres de tous les temps – et de le voir souvent figurer en tête desdites listes pour peu que leur auteur soit anglo-saxon –, à force d’entendre ces récits d’échecs de nombreux lecteurs qui se sont échoués après avoir eux aussi cédé au chant des sirènes, à force de tout cela, on a finalement fait l’acquisition du livre et, après l’avoir laissé un temps sur un bout d’étagère – car il faut s’habituer à son imposante présence –, des deux mains, vigoureusement, on l’a ouvert, avec rage, comme lorsqu’on porte un premier coup pour dès le départ prendre l’avantage sur son adversaire.

Vaine tentative ! On ne vainc pas Ulysse par K.O. dans le premier round ! C’est un long combat qui s’engage, en dix-huit rounds interminables durant lesquels on sera plusieurs fois envoyé au tapis. Oh, parfois, on y restera même presque pour le compte, comme d’ailleurs les marins d’Ulysse (le vrai) lorsqu’ils s’en prirent au bétail d’Hélios. Pensez-vous : il est vingt-deux heures dans un hôpital et on nous conte dans un vieux français incompréhensible (on aura fait l’impasse pour ce livre sur la V.O., et on ne le regrettera pas) l’attente d’une poignée de types dont une connaissance accouche. Et quand enfin l’auteur abandonne le style ampoulé des temps anciens, ce n’est que pour nous imposer une retranscription de l’argot dublinois, tout aussi incompréhensible, dont usent et abusent ces dits types entre-temps fortement avinés. Il y a de quoi vouloir rester coucher ! Pourtant, on s’accroche : on est déjà dans le quatorzième round. A huit, on se relève en s’agrippant aux cordes, l’arbitre regarde nos yeux un peu flous, compte neuf, puis le combat repart ; on s’accroche, et c’est avec soulagement qu’on entend retentir la cloche – ce salaud de Joyce se préparer à nous lancer un uppercut. Heureusement, au round suivant, on pourra souffler. Enfin, un peu : trois-cent pages de théâtre parfaitement injouable, mais avec didascalies et tout, et tout, dans un bordel, ivre, entre hallucinations et réalités : on est dans les cordes, acculé, mais on ne tombe pas. Ce round avance plus vite, on grignote pas mal de points.

A ce moment-là, il faut faire un break : c’est la fin de la seconde partie. Quand on y repense, on l’avait plutôt bien engagé ce combat. Au début, on avait duellé avec Stephen Dedalus, un type plutôt sympa : jeune, intelligent. Parfois, il nous laissait sur le carreau, c’était un poète et un intellectuel, il incarnait l’esprit, l’immatériel. Un esprit virevoltant d’ailleurs : on se souviendra longtemps de ses théories sur Hamlet, dont le petit fils serait le grand-père de Shakespeare – on n’a pas tout suivi, mais on veut bien le croire : de toute façon, on a été ébloui. Tant de virtuosité, un esthète du combat ! Le type contre qui on refuse le combat : on le regarde juste. On n’est pas à la hauteur, mais c’est beau ce qu’il fait. On éprouve un peu ce que doit ressentir un joueur moyen de Ligue 1 devant Javier Pastore, ou Roberto Duran devant Sugar Ray Leonard : « No mas ». J’allais dire comme Marvis Frazier devant Mike Tyson, mais non : Dedalus n’a rien de la machine et il ne nous met pas K.O. en trente secondes. Au contraire, il joue avec nous, il essaye de nous entraîner, de nous tirer vers le haut, il nous présente même ses connaissances – des types bizarres : un poseur fantasque qui parle d’helléniser l’Irlande (tiens donc…) et un Anglais pète-sec, un Anglais à Dublin, quoi… –, mais rien à faire : il est juste au-dessus de nous. Toutefois, c’est agréable de le côtoyer, on pourrait passer des heures avec Stephen, vraiment sympa. Du coup, on refuse un peu le combat, on le regarde jouer tout seul et il est beau. Nous, on reste tranquille dans notre coin, on observe : quand on comprend ce qui se passe, on apprend ce qu’on arrivera à retenir ; et quand ça va trop vite, on admire juste cet extra-terrestre et on profite du spectacle, comme la foule derrière les cordes, elle aussi tellement subjuguée qu’elle ne pense même pas à se plaindre de notre manque de combativité indéniable : qui a envie de cogner du beau ?

Oui, mais voilà, après la troisième reprise et un changement qui contrevient complètement aux règles IBF et WBC, Stephen Dedalus se barre et laisse place à Leopold Bloom. Un mec beaucoup moins fun, Leo Bloom, très terre à terre, matérialiste, et sensuel aussi : il pense qu’à baiser. Faut dire, il est persuadé que sa femme – une diva courtisée par de nombreux prétendants et qui attend tranquillement son retour chez elle, en Ithaque – le fait cocu à chaque fois qu’il a le dos tourné. Malgré tout, il a le moral (« heureux qui comme Ulysse… »), même s’il doit commencer sa journée en se rendant à l’enterrement d’un de ses amis, littéralement terrassé il y a de ça quelques jours. Toute la journée, on va le suivre pas à pas, et ça va durer dix ans. Autant dire qu’il faut bien s’armer, car c’est un adversaire coriace, le Bloom, un de ces mecs à la mâchoire en acier : t’as beau cogner, le prendre dans le sens que tu veux, c’est toujours toi qui finis au sol. Lui, il avance heure après heure, va au cimetière, dans les locaux d’un journal, déjeune, va à la bibliothèque (où Stephen – on est content de le retrouver – disserte sur Shakespeare – on n’y comprend toujours rien), se prend la tête avec un nationaliste irlandais dans un pub et finit donc par se la coller dans un hôpital avant de finir au bordel. Pour le suivre, il faut s’être entraîner, et en l’occurrence, ça revient à avoir quelques rudiments de culture classique : connaître un peu son Odyssée. Oui, le temps paraîtra moins long si on arrive à reconnaître dans les caissières de l’opéra deux sirènes dangereusement séduisantes et en Gerty, resplendissante jeune fille, la Nausicaa séduite par ce vieil Ulysse en guenilles, abandonné sur la plage, et que fuient ses amies. On s’amusera même de voir ce nationaliste antisémite, transformé pour l’occasion en un inquiétant Polyphème, accompagner de cris rageurs la fuite de Bloom hors du pub. Autrement, non seulement le combat, mais même chaque round semblera interminable et le K.O. guette, car Bloom et son coach Joyce sont de redoutables adversaires, imprenables, dont la technique varie à chaque round, si bien qu’on ne peut s’y habituer, se familiariser : on est sans cesse surpris, désarçonné, parfois, on s’endort, parfois, on lutte, parfois aussi, on danse avec eux et alors, le combat est merveilleux, mais souvent, on encaisse, on ne peut pas dire que ce soit plaisant, qu’on dispute le plus beau combat de notre vie, mais quelle grandeur, et qu’est-ce qu’on apprend ! On passe à côté de tout un tas de choses et on en est conscient, on l’a dit : on encaisse, on est passif, parfois pas loin de la rupture, surtout à la quatorzième reprise où les coups redoublent d’intensité, mais on serre les dents et on s’accroche, car on sait que chaque coup nous rend plus fort et qu’on voit se profiler la fin du combat. Alors on tient : c’est une question d’honneur.

Voilà. On en est là quand on fait le point après cette quinzième reprise théâtrale. On a encore trois rounds devant nous. Surtout, on en a déjà quinze derrière. Alors, on crache, on resserre les gants, on se cale le protège-dents sur les gencives, on prend une grosse inspiration et on se lève : on est reparti, pumped-up. Et là, surprise : le second souffle ! Il va nous aider à finir le combat, on en avait bien besoin. Faut dire aussi que pendant le break, Stephen Dedalus est remonté sur le ring. Un peu moins fringuant, faut bien le reconnaître. En même temps, dans la quinzième, il s’est fait embrouiller par une maquerelle et un soldat britannique alors qu’il était gris : paye ta décuve ! Il fait du bien, Stephen, on a presque l’impression qu’il boxe à nos côtés. C’est que même Bloom fait petit bras à côté de lui. Pourtant, les deux rentrent pépères, bras dessus, bras dessous, font une pause chez un Eumée bienveillant pour que Stephen retrouve ses sens, puis tous deux, Ulysse et Télémaque, rentrent chez Bloom, en Ithaque. Là, ils discutent encore un peu, sur un mode question-réponse, type enquête scientifique, ça parle trajectoire de jet d’urine (on arrive à suivre) et astronomie (on y arrive moins), et c’est plaisant. On se sent bien dans ce combat, on est content de ne pas avoir lâché. D’ailleurs, Bloom n’essaye plus de gagner, on laisse passer les pages et les minutes en pensant déjà au coup qu’on va aller prendre avec ces deux héros, des Dublinois en plus, bons buveurs. C’est pour des moments comme ça qu’on accepte de se prendre des coups à longueur de journée : pour cette espèce de béatitude de côtoyer des champions, de peut-être un jour faire partie des leurs.

Finalement, dans le dernier round, Stephen se barre : il était cuit, et Bloom va retrouver sa Pénélope. Nous aussi, d’ailleurs : Bloom s’endort et elle est insomniaque. Alors comme au tout début, Joyce nous fait rentrer dans ses pensées, qui vont à cent à l’heure, sans discontinuer, passant du coq à l’âne, comme ça, sans prévenir, évoquant des événements qui nous sont inconnus, des personnages qui nous le sont tout autant (on est au dernier chapitre). Etonnamment, on s’aperçoit que ça ne nous pose plus aucun problème. C’est agréable de se promener ainsi dans les pensées de quelqu’un, grisant même. Une fin de combat en apothéose : on danse avec Molly Bloom et ses pensées, esquives et contre-esquives, on s’effleure, on s’embrasse ding, ding, ding, ding, ding !

Molly Bloom s’endort. Leo Bloom dort déjà. Stephen Dedalus est quelque part, dans la nuit dublinoise. Et nous ? On est debout, sur le ring déserté. Pas le poing levé parce qu’on est encore abruti. Et de toute façon, on a perdu aux points. Mais Zeus, que le combat fut beau ! Quelle expérience incomparable, à nulle autre pareille, quel sentiment de fierté d’être allé au bout et comme on se sent grandi. Et puis, on veut notre revanche. On l’aura. Ca nous prendra des années, mais on remontera sur le ring, quand on sera mieux préparé, quand on aura plus de temps, quand on sera affuté. Oh, on ne se fait pas d’illusions : on perdra encore, mais peut-être moins. Et puis finalement, on n’y revient pas pour gagner. Juste parce que dans cette douleur, dans ce choc titanesque, on a pris un immense plaisir.

Homère d'alors

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 3 juillet 2011

Joyce ne recule devant rien pour nous faire sentir la saveur de la langue (aux deux sens du terme): du sexe, du scatologique, de l'emphase, du comique, du gargantuesque, tout est bon pour éveiller nos sensations et nous faire voir Dublin et sa faune sous un jour totalement inattendu. Faire rendre à la langue tout son jus, voilà la gageure qu'ont dû affronter les traducteurs, qui s'y sont mis à huit pour affronter et "ravaler" ce monument de la littérature du vingtième siècle. On s'amusera des passages où le verlan d'aujourd'hui (celui dit des "cités") remplace l'argot des quartiers populaires du Dublin de la Belle Epoque. Dans dix ans il faudra sans doute tout recommencer, mais tel qu'il est aujourd'hui ce langage nous interpelle en nous rappelant que la langue n'est qu'une convention entre des gens partageant les mêmes lieux et les mêmes coutumes, n'en déplaise à nos académiciens. Plusieurs lectures sont possibles de cette oeuvre magistrale de James Joyce. On peut s'armer d'une encyclopédie (hénaurme si possible) et rechercher la signification de toutes les références historiques, géographiques, philosophiques dont l'oeuvre fourmille. On peut aussi, et c'est la voie la plus facile (et la plus honnête), se dire que de toute façon on ne parviendra jamais à la cheville de ce penseur universel, et se laisser bercer par la musique des mots et les sensations qu'ils nous font retrouver, au travers de nos propres souvenirs. Comme dans un hamac, on se laisse bercer, ça prend le temps qu'il faut mais on y trouve un réel plaisir. Et on découvre, à travers "Ulysse", que James Joyce avait, cinquante ans avant, tout inventé du soi-disant "Nouveau roman". Que du bonheur...

Grandiose

10 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 19 juin 2009

Que dire ? La perfection se passe vraiment de commentaire, la preuve, ce livre.

J'ai l'impression d'être passé à côté

7 étoiles

Critique de Fa (La Louvière, Inscrit le 9 décembre 2004, 49 ans) - 10 février 2006

J'ai longtemps attendu et redouté ce moment : critiquer Ulysse...

Soyons clairs, je ne l'ai pas adoré : cet ouvrage me paraît très décousu même si je sais qu'il est truffé de liens cachés et subtils. Seulement voilà, la première lecture s'est parfois assimilée à un chemin de croix et je lis avant tout pour mon plaisir.

Evidemment, c'est le genre d'oeuvre appelé à évoluer dans mon inconscient : ce livre le fait en effet véritablement travailler et suscite des questions : je sais que cette oeuvre apporte beaucoup au lecteur, reste pour moi à définir ce qu'il m'a apporté.

J'ai apprécié de nombreux passages : inspirés du style de Dante, Proust, Shakespaere, etc. J'en ai détesté de nombreux autres qui me paraissaient trop obscurs ou incohérents.

Je me rends maintenant compte de l'exigence qu'implique cette oeuvre : attaquer Ulysse sans pouvoir le lire à fond et au calme, s'apparente à attaquer un marathon sans préparation. C'est une épreuve exigeante et difficile.

Pour l'heure, je suis donc content de passer à autre chose. Cela dit, je relirai Ulysse, dans vingt ans ou dans quarante ans : je suis sûr que cet ouvrage a encore quelque chose à m'apporter. Le nombre d'étoiles donné n'est donc que provisoire...

Dans le labyrinthe

7 étoiles

Critique de Zaphod (Namur, Inscrit le 29 novembre 2005, 60 ans) - 9 février 2006

Ca y est, j’ai fait ma critique d’Ulysse, et elle commence comme ça :

Quinze ans ! Cela fait 15 ans que ce livre est dans ma LAL (bien avant que je n’appréhende le concept de Liste A Lire). Depuis ce temps, il m’attend avec la tranquille assurance du chef-d’œuvre certain de ne pas vieillir. Et c’est grâce au Club des Ratons que j’ai enfin surmonté mon angoisse et me suis attaqué à ce monument. Pour cela, je vous dois une gratitude sans bornes.

Comme dit le cliché, il est des lectures dont on ne sort pas indemne et gnagnagni et gnagnagna. Et bien dans cette lecture, je suis sûr d’avoir perdu pas mal de neurones. Avec un peu de chance, ce sont les plus faibles qui sont passés à la trappe, et il ne me reste que les meilleurs : sélection naturelle, vous voyez…

Au fait maintenant ! Joyce possède un esprit à la courbure bananiforme.

Et « Ulysse » est l’œuvre bananière par excellence. Banane entéléchienne, phallique, callypige, hiérophantique !
La banane irlandaise est un fruit sauvage qui ne se laisse pas dompter facilement.
Qui s’engage imprudemment dans cette labyrinthique cathédrale païenne, le nez pointé vers d’inaccessibles voûtes littéraires, risque de glisser sur cette peau huilée de gras néologismes et zébrée de fulgurances stylistiques.
Sous l’urique pelure entachée de brunes bogues blettes, on découvre toutefois un fruit doré et sucré comme un dessert égéen. Telle est ma conclusion, et je vous la livre d’emblée.

Cette lecture m’aurait-elle définitivement ramolli le cerveau, vous demandez-vous ? C’est qu’en fait, sous la contrainte insensée d’une promesse faite à une participante de ce forum (Cuné en l’occurrence), il me faut aujourd’hui relever le défi d’utiliser la métaphore bananière pour parler de Joyce.

Mais quel fut donc le projet de Joyce en commençant cette œuvre ?
Laissons d’abord un personnage nous donner une piste au début du livre :

« - Sacredieu, fit-il, imperturbable. La voilà bien la mer, celle d’Algy, la grise et douce mer, la mer pituitaire. La mer contractilo-testiculaire. Epi oinopa ponton. Ah, Dedalus, les Grecs. Il faut que je vous les fasse connaître. Il faut que vous les lisiez dans le texte.
[…] si seulement nous pouvions travailler ensemble, nous ferions quelque chose pour notre île. L’helléniser »

Mais que veut dire « helléniser l’Irlande » ?
Que cherche Joyce ? Critiquer la société irlandaise ou anglaise de son temps ? Faire étalage de son immense culture ? Se livrer à un jeu littéraire pour son plaisir personnel ? Révolutionner l’art du roman ? Faut-il éplucher ce livre comme une banane pour en découvrir le sens secret sous les couches d’allégories, d’analogies et de symboles ? Faut-il être féru d’Homère et d’histoire antique pour en saisir toutes les allusions mythologiques ?
Sans doute tout cela ; et c’est donc une tâche bien au-delà de mes capacités ! Jusqu’où allais-je donc pouvoir m’accrocher ?

On commence par suivre Stephen Dedalus près de la mer, puisque tout commence là, et à travers les rues de Dublin. La grammaire « déroute » dès le début : des phrases incomplètes, sans structure ou sans verbe, parfois incompréhensibles ; parfois des mots isolés.

Alors, j’utilise ma botte secrète : prendre tout au premier degré, ne pas chercher à analyser, et laisser l’œuvre faire son travail.

Et là, miracle ! Je me retrouve dans la tête de Stephen, en train de penser ses propres pensées. Vous voyez, les pensées intimes qui ne sont pas destinées à être formulées oralement, on ne prend pas la peine d’en parfaire la forme grammaticale : le processus va trop vite ! Et c’est ce que Joyce arrive à faire passer sous forme écrite ! Il y a donc trois niveaux de langage : la narration ou description dans le style flamboyant de Joyce, les dialogues, dans un style propre à chaque personnage, et la pensée, utilisant tous les raccourcis dont le cerveau est capable.

Dans la peau (ou la tête) de Stephen, je me suis d’abord senti à l’aise, à ceci près qu’il est bien plus intelligent et cultivé que moi, donc je devais pas mal m’accrocher. Mais son caractère me convenait. Un gars un peu angoissé, qui pourrait sans doute tenir un cap, mais qui préfère se laisser porter par le courant, souvent un peu en retrait, plus dans la réflexion que dans l’action, capable d’écouter son interlocuteur pendant une demi heure, puis d’émettre en quelques mots et a mi-voix une opinion qui déstabilise, et qui inspire de ce fait une sorte de respect –non, pas vraiment de respect, plutôt d’inquiétude.

Comme Stephen se laisse pousser par le flot des évènements, je me sens emporté par le flot des pensées de Stephen. Cela va vite, je suis ballotté par le ressac des souvenirs et associations d’idées qui partent en tous sens. L’air me manque, mais …

Ouf, l’accalmie d’une île (Joyce sait exactement quand il faut nous sortir la tête de la Liffey). Second chapitre, nous sautons à bord d’un autre vaisseau, ou dans la tête d’un autre personnage : Léopold Bloom. Caractère différent (ou autre facette du caractère de Joyce ?) : plus actif, réaliste, accessible, pas « florissant » pour autant. Gourmand. Curieux. Toujours à imaginer quelqu’ invention, investissement, ou plan sexe.

Le trajet vers le cimetière, que nous partageons avec Bloom pour assister à l’enterrement d’un ami, est un morceau d’anthologie à ne pas manquer. Ici encore, les pensées se croisent et se superposent, entre observations triviales, souvenirs douloureux évoqués par la destination du cortège, et plaisanteries que font les personnes pas trop proches du défunt en de telles circonstances pour alléger l’atmosphère.

« - Triste, dit Martin Cunningham, un enfant.
Une figure de nain mauve et ridée, comme était celle du petit Rudy. Un corps de nain, malléable comme du mastic, dans une boîte de sapin doublée de blanc. La Mutuelle-Inhumation paie. Un penny par semaine pour un morceau de gazon. Notre. Pauvre. Petit. Bébé. Chose dépourvue de sens. Erreur de la nature. S’il est vigoureux tient de la mère. Sinon du père. Plus de chance la prochaine fois.
[…]
Dunphy, mastroquet du coin. Voitures de deuil arrêtées, noyant leur chagrin. Station au bord de la route. Situation épatante pour un bisrto. M’attends à faire halte là au retour pour boire à sa santé. Passez-moi la consolation. Elixir de vie.
[…]
Une femme et une petite fille en deuil sortaient des grilles. De l’ordre des rapaces, face anguleuse, créature âpre, le bonnet de travers. Visage de la petite barbouillé de crasse et de larmes, son bras accroché au bras de la femme, levant les yeux pour savoir s’il faut pleurer.
[…]
- Et comment va Dick le costaud ?
- Il n’y a plus rien entre le ciel et lui, répondit Ned Lambert.
- Par Saint Paul ! dit M. Dedalus contenant sa surprise. Dick Tivy chauve ?
»

J’aurais voulu tout recopier !

Retour sur Stephen. Moi qui l’avais pris pour un taiseux ! Il nous gratifie avec une éloquence virtuose d’une glose savante sur les œuvres de Shakespeare dont la majeure partie me passe très haut au dessus de la tête. Je persévère et lis avec les phares anti-brouillard.

Scène extérieure, ensuite. Le cerveau de Joyce est maintenant à température. Sous l’effet de cette chaleur, une multitude de personnages saisis d’une sorte de mouvement Brownien (ceci n’est nullement une référence à Danny le brun), entrent dans le champ de perception du lecteur, interagissent brièvement et en ressortent aussitôt au gré de leurs trajectoires d’apparence aléatoire dans les rues de Dublin. Quant à mon cerveau à moi, proche de sa température de fusion, ses différents voyants sont largement dans la zone rouge.

Pourtant, Joyce, en maître exigeant, va m’emmener plus loin encore. En effet, Bloom, notre personnage, est obsédé par une idée fixe qui le fait souffrir. Si j’ai bien compris ce qui n’est qu’évoqué par le texte, il est persuadé que sa femme, qu’il aime énormément, le trompe. Certains évènement ou rencontres viennent raviver ses soupçons d’une manière douloureuse. Il livre alors une véritable bataille dans sa tête pour essayer de réprimer ces pensées involontaires qui l’assaillent et les remplacer par d’autres, plus anodines. Imaginez un troupeau de phrases traversant un champ de mines, et la pagaille qui en résulte, et vous aurez une idée du style d’écriture à ce moment.

Comme ce texte s’insinuait lentement en moi, atteignant jusqu’aux synapses les plus reculées de mon cerveau, que des correspondances secrètes commençaient à m’apparaître, j’eus soudain une révélation foudroyante causée par la mise en perspective des passages suivants:

(*) «Les dames du Lotus les contemplent, serves de leur regard, glandes pinéales qui ardent. Plein de son dieu il trône, Bouddha, sous son bananier. »

(**) «Tout en attendant sur le trottoir de Temple Bar, M’Coy poussa tout doucement du bout du pied jusque dans le ruisseau une peau de banane. Un type peut foutrement bien se casser la gueule avec ça en rentrant plein le soir.»

(***) « […] that old servant Ines told me that one drop even if it got into you at all after I tried with the Banana but I was afraid it might break and get lost up in me somewhere […]»

Ces extraits, assez éloignés dans le texte, mais qui se répondent, attestent bien de la symbolique phallique de la banane (***), et partant, de tout le rejet inconscient (**) lié aux tabous sociaux et religieux (*) hérités de l’époque victorienne, comme élément moteur qui sous-tend et traverse toute l’œuvre de Joyce.

J’en étais là de mes réflexions, quand tout à coup… me voici à la fin du premier volume. Car l’édition que j’ai empruntée à la bibli est en deux volumes. Je m’en vais donc déjà vous livrer cette première analyse, et m’aérer l’esprit par d’autres lectures avant de revenir (dans quinze ans peut-être) pour la 2e partie avec de nouveaux délires.

Mon sentiment à ce stade ? L’impression d’avoir pénétré –intimidé, dans une immense cathédrale littéraire, un sentiment d’admiration, de respect, d’incompréhension souvent ; moins un plaisir de lecture immédiat qu’une satisfaction de m’être confronté à un géant de la littérature. Un léger bourdonnement d’oreille. Et l’envie de manger une banane.

Finalement, il est possible que j’aie enfin compris que Joyce n’écrit pas vraiment au sujet de quelque chose, mais que la langue elle-même est le seul véritable sujet. (Je suis content de celle-là :-)

La banalité élevée au rang d'épopée

10 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 26 février 2005

D’origine irlandaise, je m’intéresse aussi aux écrivains du pays de mes grands-parents, en particulier à James Joyce qui appartient à cette lignée d’écrivains dont les œuvres échappent à l’art romanesque traditionnel. Comme l’Énéide ou La Divine Comédie, Ulysse suit un plan ésotérique imperceptible d’où se dégage une signification spirituelle.

À première vue, l’histoire d’Ulysse paraît des plus banale. Le roman raconte la journée du 16 juin 1904 vécu par Léopold Bloom, un agent de change de Dublin. Cette journée apportera à son héros son lot de sensations, d’odeurs, d’associations d’idées et de réalisme psychologique. L’œuvre ne s’attarde à rien d’autres que l’horaire prévu par le Dublinois. Il quitte la maison alors que sa femme, la chanteuse Molly, se vautre dans le lit. Dans les rues, il observe les étalages, hume l’odeur du café et achète un savon. Il assiste à un enterrement; à midi, il visite la salle de rédaction d’un journal, il discute avec un Jésuite et mange dans un bar d’où l’on chasse un antisémite ivre. Plus tard, il rencontre une fille qu’il emmène au bordel et se lie avec l’artiste Stephen Dedalus, dont le nom rappelle le Grec mythique qui construisit un labyrinthe et qui s’y perdit lui-même.

En somme, l’auteur consigne la journée insignifiante de la vie larvaire d’un agent de change. Il nous fait grâce d’aucun détail, pas même des mots des panneaux publicitaires. Même le style est sans unité, quoique toujours lyrique, violent, descriptif avec des retours en arrière accompagnés de monologues intérieurs. Mais cette relation pesante suit le schéma de l’Odyssée. Chaque heure rappelle Homère : l’enterrement, ce sont les funérailles d’Elpénor, la viste au journal, c’est Ulysse chez Eole, le bordel est le livre de Circé… L’intention de Joyce est évidente : la vie la plus commune compte assez de poésie pour qu’elle s’élève au rang d’épopée. Tous nos actes ont un sens, tout a un sens. La réalité ennuyeuse du quotidien est pour l’artiste et même pour Dieu un poème allégorique. Chaque jour est une Odyssée dont certains ne s’en sortent pas vivants. Nous ne sommes pas tous des Ulysses. Dans la médiocrité se cache un poème invisible que Joyce et Homère se sont évertués à nous faire voir. Chaque jour misérable transforme toutes les âmes en des héros épiques. Revenir du boulot en métro relève presque de l’épopée.

Le paradoxe saute aux yeux. Ces auteurs ont voulu confondre l’apparente insignifiance de notre existence et la gloire de la survie, sans quoi l’art n’a plus de sens. L’artiste veut entraîner le réalisme vulgaire vers le drame esthétique et spirituel de la condition de l’humain. C’est dans son quotidien que l’on trouve les moyens de réaliser l’indéterminé qui propulse le genre humain vers un plus être. Avec son roman, Joyce fait un traité de mystique artistique et spirituelle qui a tous les caractères de l’ésotérisme. Bref, son roman est une œuvre allégorique qui évoque le drame de l’homme devant l’irréductible banalité de la vie, mais dont il doit sortir grandi, comme l’entendait d’ailleurs Maître Eckhart.

une histoire avant tout

10 étoiles

Critique de Chapolisa (, Inscrit le 31 mars 2004, 54 ans) - 1 avril 2004

Mille fois les critiques ont affirmé: ce livre est une oeuvre majeure, un style (et une construction) d'une épouvantable modernité, un livre charpenté et océanique (au risque de la noyade).
D'accord. C'est un Himalaya littéraire.
Cependant: "N'y allez pas !" a-t-on envie de crier au malheureux qui s'y aventure.
Livre à clés, inépuisable. Commentaire de l'Odyssée, de l'Univers, de TOUT. Sans doute est-ce trop.

Et pourtant... il y a aussi des histoires touchantes (si si si !!! je vous le disais: il y a tout).

Ne vous laissez pas impressionner par les collages (et auto-copies), les structures narratives, les constructions en miroir(s) (retro)réfléchissant(s), le monologue intérieur (faussement déconstruit). Cette modernité serait vaine si elle n'était que ce jeu des formes et des références. Ce ne serait qu'un exercice intellectuel (merveilleux certes) pour professeur de littérature.

AFFIRMONS: Ce livre restera pour sa déchirante humanité. Bloom et Molly et ce cher Télémaque se cherchant, se dispersant. Egarés dans une fin qui est un début qui est une fin qui est début...

Tellement plus audacieux et ambitieux que "le portrait..." et tellement plus achevé que le work in progress de Finnegan, ce livre est...... à lire.

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