Japonaiseries en Malaisie

Après avoir appris qu'elle souffrait d'aphasie, une maladie qui la condamne à perdre la capacité de communiquer, Yun Ling, une magistrate de Kuala Lumpur, prend une retraite anticipée et décide de retourner, après plus de trente ans sans y avoir mis les pieds, à Yugiri, une propriété dont elle a hérité dans des circonstances que nous découvrirons en cours de récit. Prévoyant n'y séjourner qu'une petite semaine, le temps d'y régler quelques affaires, elle est assaillie, dès son arrivée, par les souvenirs qu'elle y avait laissés tandis que devant l'urgence, voire l'angoisse que lui cause son état, elle décide de rédiger ses mémoires.

C'est ainsi que débute ce second roman de Tan Twan Eng, un écrivain Malais d'ascendance chinoise qui, devant le succès remporté par ses deux romans, aurait abandonné le droit pour se consacrer à l'écriture.

Dès cette entrée en matière, nous sommes entraîné dans une suite d'épisodes fragmentés, zigzaguant d'une époque et d'une scène à l'autre, suivant un procédé visant sans-doute à octroyer un certain niveau de complexité au récit mais qui sommes toutes ne parvient qu'à semer la confusion. Ainsi, l'histoire s'éparpille en diverses avenues et par moments on ne sait plus très bien où on va, ni à quel fil narratif s'accrocher. Cette confusion se ressent avec d'autant plus d'acuité que la narration est effectuée par un personnage dont la distance par rapport à son récit est telle qu'il est difficile d'imaginer que ce qu'elle raconte constitue véritablement le récit de sa vie.

A la fin, on se retrouve devant une sorte de puzzle décomposé dont on ne sait trop si l'on a bien récupéré toutes les pièces. Tentant de reconstituer cette histoire, nous découvrons finalement que les dites mémoires de Yun Ling peuvent se résumer à deux événements marquants; l'un se jouant au cours de l'occupation japonaise, tandis que le second a eu lieu quelques années plus tard, au moment où le pays était sous l'Etat d'urgence. A ces deux moments pivots, viennent se rattacher quelques histoires secondaires, tandis que le tout est dressé sur un fond historique relativement bien tracé. Ceci étant, l'ensemble est cependant si bien farci de leçons de culture japonaise que l'on est en lieu de se demander s'il s'agit véritablement d'un roman malais et si le sujet du roman est bien celui annoncé.

Outre un ton de narration inégal ainsi qu'un usage excessif de la comparaison, quelques passages plutôt réussis témoignent d'une certaine habileté avec les mots. A l'instar de la narration, les descriptions manquent de constance tandis qu'inversement, grâce à de multiples scènes contemplatives, on est à même d'apprécier le magnifique paysage des Cameron Highlands. Cette ambiance particulière, à laquelle le titre du roman fait écho constitue l'une des qualités du roman. Outre ces considérations, l'usage d'un nombre substantiel de termes étrangers (japonais, afrikaans et chinois) en l'absence d'un glossaire, pourra laisser le lecteur non initié sur le bas-côté de la route.

En dépit des nombreuses maladresses dont il souffre, ce roman nous initie donc à un chapitre de l'histoire tel qu'il fut vécu par la communauté chinoise et éventuellement par les européens vivant en Malaisie, et s'il évoque le thème de la mémoire et de sa transmission, il adopte cependant une position ambivalente sur la délicate question de la réconciliation.

Bref, un projet littéraire d'envergure qui, entre les mains d'un écrivain exercé, aurait sans doute donné lieu à un roman plus abouti.


N.B. Lu en version originale de langue anglaise

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  Le Jardin des Brumes du Soir

  de Twan Eng, Tan Giraudon, Philippe (Traducteur)
  Flammarion
  ISBN : 9782081303485 ; 39,06 € ; 06/04/2016 ; 448 p. ; Broché

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