Journal du voleur de Jean Genet

Journal du voleur de Jean Genet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par B1p, le 29 février 2004 (Inscrit le 4 janvier 2004, 50 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 098ème position).
Visites : 8 811  (depuis Novembre 2007)

la Trahison et la Crasse

Jean Genet occupe à mon avis une place à part dans la littérature, une aura vénéneuse, une présence qui qui va plus loin que toute tentative de la coucher sur papier.
Jean Genet, voleur, voyou, racaille, enfant de l'assistance publique, ne sachant presque rien de la mère qui le mit misérablement au monde, sinon un nom le rattachant de manière incongrue à l'ordre végétal.
Le Journal du Voleur constitue une autobiographie provisoire, le récit irréel de sa vie, de ses larcins, de ses amours, si je pouvais utiliser ce mot ici sans risque qu'il fasse rire aux éclats.
C'est que le concept de l'amour, le sentiment amoureux prend naissance chez Genet d'une manière passionnée et dangereuse bien éloignée des images d'Epinal où le mot "Amour" a depuis longtemps été relégué.
Meurtres, vols, prisons, bagnes, images de traitres sordides dont la beauté est magnifiée par leur propre trahison.
C'est que Genet n'aime rien tant que le mâle fourbe qui le traitera avec mépris et brusquerie, que l'homme qui se traînera complaisamment dans la fange, signifiant par là le peu d'importance qu'il accorde aux lois des Hommes et l'entrain qu'il mettra à sans cesse les narguer dans leur ridicule frilosité.
Le Journal du Voleur est donc le récit provisoire d'une vie dédiée aux actes veules et aux bras musculeux qui se sont attachés à les perpétrer.
"Quand j'étais valet de ferme, quand j'étais soldat, quand j'étais au dépôt des enfants assistés, malgré l'amitié et quelque fois l'affection de mes maîtres, j'étais seul, rigoureusement. La prison m'offrit la première consolation, la première paix, la première confusion amicale : c'était dans l'immonde. Tant de solitude m'avait forcé à faire de moi-même pour moi un compagnon. Envisageant le monde hors de moi, son indéfini, sa confusion plus parfaite encore la nuit, je l'érigeais en divinité dont j'étais non seulement le prétexte chéri, objet de tant de soin et de précaution, choisi et conduit supérieurement encore qu'au travers d'épreuves douloureuses, épuisantes, au bord du désespoir, mais l'unique but de tant d'ouvrages. Et, peu à peu, par une sorte d'opération que je ne puis que mal décrire, sans modifier les dimensions de mon corps, mais parce qu'il était plus facile peut-être de contenir une aussi précieuse raison à tant de gloire, c'est en moi que j'établis cette divinité."
En lui et dans ces figures aimées incarnant au mieux ceux qui évoluent en marge de toute règle.
Jean Genet convie ici le lecteur à entrer dans une nouvelle cosmogonie, peuplée de nouveaux dieux implorés pour des qualités éloignées de la civilisation telle qu'elle nous est connue, eux-même incarnant des valeurs où la crasse est d'or et la trahison la Vertu.

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Les éditions

  • Journal du voleur [Texte imprimé] Jean Genet
    de Genet, Jean
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070364930 ; 8,60 € ; 04/03/1982 ; 305 p. ; Poche
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LES MYSTERES DE BARCELONE

7 étoiles

Critique de TRIEB (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 72 ans) - 23 mai 2012

Le journal du voleur n’est pas à proprement parler une biographie , une restitution des faits et gestes commis et accomplis par jean Genet dans le milieu de la pègre , quelque part entre les quartiers chauds du Barcelone d’avant-guerre, la Belgique ou Paris . Ce journal n’est pas une justification de la tournure prise par la vie de Genet évoluant dans ces milieux .

C’est terrible , cruel , sordide . Genet parvient , et c’est l’un des mérites essentiels de ce livre, à relier ces événements à des notions a priori étrangères à un tel décor : « jamais je ne cherchai à faire d’elle autre chose que ce qu’elle était, je ne cherchai pas à la parer, à la masquer, mais au contraire je la voulus affirmer dans sa sordidité exacte, et les signes les plus sordides me devinrent signes de grandeur ».

Le La est donné, ce sera le ton général de l’ouvrage dont l’auteur ne se départira plus.
Les récits des relations homosexuelles de l’auteur ne revêtent jamais un côté graveleux, répugnant en raison de leur violence . L’esthétique n’est jamais loin et l’emploi fréquent de l’imparfait du subjonctif dans le journal ajoute une touche de distanciation linguistique à ce qui ne devrait être qu’une justification éhontée de ses actes de vol et de violences commis au cours des épisodes décrits.
« Appliqué aux hommes, le mot de beauté m’indique la qualité harmonieuse d’un visage et d’un corps à quoi s’ajoute parfois la grâce virile. La beauté s’accompagne alors de mouvements magnifiques, dominateurs, souverains. »
Le premier crime dont est témoin l’auteur est relié à l’amour : « Le mort et le plus beau des humains m’apparaissaient confondus dans la même poussière d’or, au milieu d’une foule de marins, de soldats, de voyous de tous les pays du monde. Je faisais connaissance au même instant avec la mort et avec l’amour. »
Plus significative encore est le lien établi par Genet entre l’univers carcéral et la beauté , il l’éprouve à de nombreuses reprises dans son journal : « Ma solitude en prison était totale(…)Mon talent sera l’amour que je porte à ce qui compose le monde des prisons et des bagnes . Non que le les veuille transformer, amener jusqu'à votre vie , ou que je leur accorde l’indulgence ou la pitié : je reconnais aux voleurs, aux traîtres aux assassins, aux méchants, aux fourbes une beauté profonde -une beauté en creux- que je vous refuse ».

Ouvrage dont on peut recommander la lecture en raison de ce déchirement omniprésent entre la vie décrite et sa justification par l’auteur, prenant à témoin l’esthétique, la religion pour simplement décrire cette vie noire.

S'avilir pour exister

10 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 24 mars 2008

Oh combien de littérateurs ont-ils essayé de nous attirer par leurs excursions dans la marginalité ! Combien d'éditeurs ont-ils tenté de nous vendre le livre le plus sulfureux du siècle ! Mais très rares sont ceux qui se souviennent que le livre de la transgression a été écrit par Jean Genet il y a déjà un bout de temps avant que les McInnerney, les Bret Easton Ellis, Burroughs et autres Bukowski régulièrement vantés par les amateurs du genre ne songent à tremper leur plume dans le vitriol.
« Journal d’un voleur » est un monument de la littérature, jamais personne n’a poussé si loin la confession d’une telle bassesse, d’un tel besoin de bassesse et d’avilissement pour assouvir ses instincts et se donner des raisons d’exister. La critique présentée ici illustre parfaitement les sensations que j’ai pu ressentir à la lecture de cette œuvre totalement à part, complètement subversive, parfaitement amorale mais tellement humaine et si bien écrite. Dans ce livre, Il n’y a aucune vanité, aucune gloriole d’avoir transgressé les lois et tabous mais seulement la vérité toute nue, la fragilité extrême et le désespoir de ne pas pouvoir exister suivant d’autres normes.

Excellente critique

7 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 79 ans) - 1 mars 2004

En effet, Jean Genet est vraiment un auteur à part et, surtout, un personnage à part ! Et pas que dans la littérature !
J'avoue être toujours un rien à côté de mes pompes quand je lis un roman de Genet. A la fois j'aime et à la fois quelque chose m'empêche de vraiment entrer dans le livre et les personnages. Je sais entrer dans le monde de Céline, personnage tout aussi particulier, mais pas dans celui de Genet et pourtant il écrit bien. Par contre, j'aime son théâtre comme "Les bonnes", "Le balcon", "Les nègres". Le seul de ses romans que j'ai lu relativement facilement c'est "Miracle de la rose" dans lequel tous les prisonniers sont fascinés par le seul qui est tout à fait isolé des autres parce qu'il est condamné à mort et attend l'exécution de sa peine. Cet homme a, pour tous ces petits malfrats, l'auréole du héros au point que l'on se demande vraiment quelle est l'utilité de la peine de mort puisqu'il est vraiment admiré et adulé ! Il représente le mal véritable, le seul, il est un caïd car il a tué. Dans "Le journal du voleur" je n'aime pas la veulerie, le côté masochiste et soumis. Je crois que je suis en fait allergique à la soumission et ne comprends les vrai rapports humains que dans l'égalité.

A propos, ce roman est sorti dans une belle collection de Gallimard qui s'intitule "Biblos" et rassemble "Le journal du voleur", "Querelle de Brest" et "Pompes funèbres" J'avoue m'être arrêté après le premier.

Mais je reconnais à ce livre un intérêt indiscutable et en Genet un personnage plein de contrastes et une très belle écriture.

"... je ne puis voler des fleurs et les porter sur la tombe d'un mort qui m'était cher. Voler détermine une attitude morale qui ne s'obtient pas sans effort, c'est un acte héroïque. La douleur, par la perte d'un être aimé, nous découvre des liens avec les hommes. Elle exige de celui qui demeure, l'observance d'une dignité d'abord formelle."

Le 3,5 est en tout cas mérité pour l'écriture et la profondeur des pensées que contient ce livre et son oeuvre.

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