Lettera amorosa/Guirlande terrestre de René Char, Georges Braque (Dessin)
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Francophone
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Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance Unique.
«Parfois j'imagine qu'il serait bon de se noyer à la surface d'un étang où nulle barque ne s'aventurerait. Ensuite ressusciter dans le courant d'un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.»
Ce petit livre nous présente les deux versions de «Lettera amorosa» qui nous sont parvenues. Au début du livre on trouve la version datée de 1963 (écrite en 1953). Elle est illustrée par 27 magnifiques lithographies de Georges BRAQUE (1882-1963).
Suit la première version, datée elle de 1952, et illustrée de 16 œuvres Jean ARP (1886-1966) des collages, de découpages et de gouaches, et curieusement intitulée «Guirlande terrestre».
C’est une première ébauche de « Lettera amorosa » en version manuscrite de 36 pages , «brut de décoffrage», on pourra dès lors voir, entre autres, les corrections, les ajouts, la numérotation de la main même de l’auteur et le plus intéressant pour moi, le ratures (étonnamment très peu nombreuses…) et les suppressions de texte, parfois des paragraphes entiers.
«Lettera amorosa» de René CHAR (1907-1988), n’est pas vraiment un poème, ni non plus un recueil de poésie, d’ailleurs. C’est avant tout une suite d’aphorismes en forme de lettre d’amour adressée à l’Absente. Une femme dont nous ne saurons absolument rien au cours du récit, mais que René CHAR désigne sous le nom «Iris». «Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de gravité.»
On apprend juste que celle-ci est partie : «J’ai levé les yeux sur la fenêtre de ta chambre. As-tu tout emporté ?», et l’auteur, toujours amoureux d’elle, lui parle : «Souvent je ne parle que pour toi, afin que la terre m'oublie» ou bien encore : «Je voudrais me glisser dans une forêt où les plantes se refermeraient et s'étreindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire, mais elle reste à semer.».
Il lui parle de sa santé défaillante : «… je m'évade des échardes enfoncées dans ma chair, vieux accidents, âpres tournois.», de ses insomnies : «"Scrute tes paupières", me disait ma mère, penchée sur mon avant-sommeil d'écolier»...
Mais surtout, le poète lui parle de la nature notamment au travers des promenades qu’ils faisaient ensemble : «Après le vent c'était toujours plus beau, bien que la douleur de la nature continuât.», promenandes qu'il fait maintenat seul en pensant à elle : «La terre feule, les nuits de pariade. Un complot de branches mortes n'y pourrait tenir.», ou bien encore : «Affileur de mon mal je souffre d'entendre les fontaines de ta route se partager la pomme des orages»…
Les mots et les phrases utilisées sont d’une beauté sans pareil, on a l’impression que chaque mot est recherché, pesé et soupesé, poli et repoli avant de prendre sa place dans la longue lettre. Ainsi p. ex. quand il parle du courage qu’il lui faut pour affronter son absence : «Absent partout où l'on fête un absent», ou encore : «Ce n’est pas simple de rester hissé sur la vague du courage quand on suit du regard quelque oiseau volant au déclin du jour».
Et bien sûr, il nous parle d’«elle», l’absente! Et de l’amour qu’il éprouve toujours pour elle : «Tu es plaisir, avec chaque vague séparée de ses suivantes. Enfin toutes à la fois chargent. C’est la mer qui se fonde, qui s’invente. Tu est plaisir, corail de spasmes.»…
Un magnifique livre d’une grande valeur artistique, même après son passage au format poche, à mettre entre toutes les mains et comme je le dis souvent, si vous ne lisez qu’un livre de poésie en 2016…
Rappelons que le nom de René CHAR a été proposé à de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.
Les éditions
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Lettera amorosa [Texte imprimé] René Char René Char illustré par Georges Braque illustré par Jean Arp
de Char, René Braque, Georges (Illustrateur)
Gallimard / Collection Poésie (Paris. 1966)
ISBN : 9782070344277 ; 7,50 € ; 23/02/2007 ; 108 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (1)
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Ce qu'il advint du coeur du poète après le départ de la femme aimée
Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans) - 12 février 2017
Je sens que ce pays te doit une émotivité moins défiante et des yeux autres que ceux à travers desquels il considérait toutes choses auparavant. Tu es partie mais tu demeures dans l’inflexion des circonstances, puisque lui et moi avons mal.
Le souvenir de l’être aimé le hante, jour et nuit, comme un fantôme, à mi-chemin du réel et de l’irréel, auquel le poète parfois s’adresse comme s’il cherchait à justifier un besoin de liberté et d’indépendance qui a peut-être été à l’origine de cette séparation concluant des disputes à demi-avouées et de longues incompréhensions coupées de silences...
Je ne puis être et ne veux vivre que dans l’espace et dans la liberté de mon amour. Nous ne sommes pas ensemble le produit d’une capitulation, ni le motif d’une servitude plus déprimante encore. Aussi menons-nous malicieusement l’un contre l’autre une guérilla sans reproche. Nos parole sont lentes à nous parvenir, comme si elles contenaient, séparées, une sève suffisante pour rester closes tout un hiver ; ou mieux, comme si, à chaque extrémité de la silencieuse distance, se mettant en joue, il leur était interdit de s’élancer et de se joindre. (…)
Ce qui donne une valeur particulière à cette belle édition (imprimée sur un papier glacé qui met en valeur les illustrations) est qu’elle montre à voir les reprises du texte, notamment dans la version intitulée « La guirlande terrestre » présentée en version manuscrite annotée d’ajouts et de ratures… A la lecture, on voit que le travail du temps, malgré ce qu’en dit le poète (tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n’a pas d’action), a trouvé prise sur ses sentiments qui se font progressivement plus neutres, comme si le flux des années et les longues marches dans la nature (omniprésente dans le recueil) avait finalement érodé les souvenirs les plus cruels de la séparation, qui étaient enfoncés dans sa mémoire et dans sa chair comme des échardes acérées.
Ainsi, dans la version de 1952, René Char écrit :
Tes valises sont fermées, ta personne se hâte, ton baiser (ajout sur une rature illisible) disparaît. Tout ce mouvement hostile qui t’accapare a la forme et le sarcasme d’un train. L’un avec les distractions (ajout sur une rature illisible) de l’autre, sans départ, c’était fabuleusement énigmatique.
Dans la version de 1963, ce passage devient moins précisément circonstancié et s’épure :
Quel mouvement hostile t’accapare ? Ta personne se hâte, ton baiser disparaît. L’un avec les inventions de l’autre, sans départ, multipliait les sillages.
La version de 1952 est explicitement dédiée à Yvonne Zervos (qui était mariée à Christian Zervos, éditeur et marchand d’art ami des surréalistes, qui acquit une réputation un peu sulfureuse après le témoignage posthume de la fille adoptive du couple…). Cette dédicace est un peu surprenante car le texte témoigne d’une telle familiarité charnelle au long cours (dans l’évocation, magnifique, du plaisir sexuel ou des instants partagés dans la maison commune) qu’il est probable que la véritable inspiratrice du recueil soit plutôt Georgette Goldstein, son épouse dont il avait divorcé en 1949 (mais que le ressentiment l’a peut-être empêché de nommer). Mais il se peut aussi que l’inspiratrice soit Greta Knudson, l’ancienne épouse de Tristan Tzara, avec laquelle René Char eut une liaison.
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